OGM et résistances

Vandana Shiva, un bindi contre la biopiraterie

Illustration : Kristian Hammerstad

Découvrez le portrait de la militante écologique indienne Vandana Shiva.

Retrouvez tous nos portraits de militants écologistes dans notre hors-série L'Écologie ou la mort, disponible sur notre site

Rouge sang. La couleur de ce gros point, que l’on appelle « bindi » et qui orne immanquablement son front, est toujours la même. Comme une promesse, celle de sa propre ténacité à défendre, jusqu’au bout, ce qui irrigue le monde vivant. C’est sous ces attributs que Vandana Shiva est apparue aux yeux du monde occidental, au tournant de années 1990, qui l’ont progressivement consacrée comme égérie indienne de l’altermondialisme. Une reconnaissance accélérée par le prix Nobel alternatif qui la distingue en 1993 et donne alors un tout autre écho à son grand combat de l’époque : le refus des OGM. Grâce à Vandana Shiva, de grandes cultures indiennes comme le riz basmati, le blé ou le neem sont préservées de ce qu’elle appelle la « biopiraterie », un terme qu’elle contribue à vulgariser et auquel elle consacre un ouvrage entier. Seul le coton Bt est finalement introduit en Inde, en 2002, par Monsanto, son ennemi juré. L’entreprise américaine n’est pas la seule multinationale de l’agro-industrie à faire face à la détermination de Vandana Shiva. En 2004, c’est Coca-Cola qui doit fermer une usine devant la mobilisation orchestrée par la militante face à l’épuisement des nappes phréatiques.

Vandana Shiva se bat pour une autre idée de l’agriculture, avec le monde paysan et sans accaparement des ressources. Ces deux facettes apparaissent inextricablement liées pour elle : lutter contre la destruction du vivant, c’est en même temps améliorer les conditions de vie de ceux qui le défendent, dans un pays qui ne compte plus les vagues de suicide de ses petits paysans. C’est dans cette optique qu’elle fonde notamment, en 1991, l’ONG Navdanya (« neuf cultures », en hindi) pour promouvoir l’agriculture biologique, à rebours des illusions productivistes de la « Révolution verte » qu’elle dénonce à la moindre occasion. Vandana Shiva y articule une double fonction « bancaire » pour le moins audacieuse : d’un côté, elle octroie des micro-prêts aux 500 000 paysans qu’elle fédère, et de l’autre, elle permet la préservation et l’échange de variétés locales grâce à la soixantaine de banques de semences qu’elle développe à travers le territoire. « Vandana a toujours associé l’écologie à un enjeu profondément social, bien avant qu’on ne conceptualise le “fin du monde, fin du mois, même combat” en Europe ! C’est une pionnière du concept de “justice sociale” dont on parle désormais beaucoup », résume ainsi Clotilde Bato, présidente de l’association Notre affaire à tous et l’une de ses plus proches collaboratrices en France.

« Vasudhaiva kutumbakam » 

Cet engagement prend racine dans un combat originel, que Vandana découvre aux côtés de sa mère, lorsque la forêt de chênes de son enfance se transforme en plantation de pommiers. En 1973 naît le mouvement Chipko rassemblant des villageoises illettrées de l’Uttarakhand qui enlacent des arbres pour les protéger de leur exploitation commerciale et de la déforestation. Une expérience fondatrice. Vandana Shiva devient l’une des porte-parole du mouvement les plus médiatiques et en tire quelques principes d’action qui résument sa carrière militante : désobéissance civile, féminisme, solidarité avec les plus vulnérables et foi dans le précepte indien du « vasudhaiva kutumbakam » – que l’on peut traduire par « la Terre comme une seule famille ». Une manière de philosophie politique à rebours du dualisme occidental, qui la guide toujours, un demi-siècle plus tard. « La forêt nous apprend la biodiversité, la liberté et la démocratie », dit-elle. 

Née en 1952, à Dehra Dun au pied de l’Himalaya, « Vandana est tombée très tôt dans la marmite des luttes gandhiennes : cela forge un certain regard sur le monde, une sensibilité aigüe aux enjeux de pauvreté et un goût pour les combats collectifs », décrypte Clotilde Bato. C’est à l’aune de cette tradition gandhienne qu’il faut lire sa fidélité à la non-violence comme mode d’action, ainsi que son obsession à pourfendre l’avidité comme viatique de la modernité. « Chaque fois que nous consommons ou que nous produisons au-delà de nos besoins, nous nous engageons dans la violence », aime-t-elle à répéter. Autant d’aspects qui lui valent d’être parfois comparée à Pierre Rabhi, son « alter ego » de la sobriété heureuse et de l’agroécologie en France.

La ruse du « philanthrocapitalisme »

À cette nuance près que Vandana Shiva assume une approche résolument politique et macroéconomique, bien au-delà de la seule question agricole. Pour elle, les pesticides ne sont que le symptôme d’un mal bien plus profond : « Les années qui nous ont donné les produits chimiques qui détériorent l’agriculture ont aussi donné une mesure de méthode nocive : le PIB, qui ne mesure que ce qui a été transformé en marchandise. » Dans son dernier ouvrage traduit en français, 1 %. Reprendre le pouvoir face à la toute-puissance des riches (Rue de l’échiquier, 2019), elle dénonce cette « économie dominée par les 1 % [qui] n’est pas au service du peuple et de la nature ». Elle développe notamment le concept de « philanthrocapitalisme », dernière trouvaille de l’oligarchie pour dissimuler de nouveaux moyens de contrôle et d’accaparement derrière les atours de la charité. Avec une figure toute trouvée pour incarner cette ruse : Bill Gates. « Il utilise les technologies digitales comme nouveau moyen pour faire entrer les brevets. La première génération d’OGM n’a pas tenu ses promesses, mais il continue de mettre de l’argent pour financer l’édition du génome – comme si la vie n’était qu’un copier-coller, comme sur Word », analyse-t-elle.

En janvier prochain, c’est le premier livre de Vandana Shiva qui sera publié en France. Restons vivantes date de 1988 et n’a jusqu’alors jamais été traduit dans notre langue, malgré la place de son autrice dans le panthéon féministe. « Vandana Shiva [y] met en lumière les liens qui existent entre le colonialisme, la domination de la nature et l’oppression des femmes dans la société contemporaine. Elle développe une critique radicale du modèle occidental d’essor technologique : le développement présenté comme un futur souhaitable pour le monde entier est en réalité un “mal-développement”, construit sur l’asservissement et l’exploitation des femmes et de la nature », résume Thomas Bout, cofondateur de Rue de l’échiquier, éditeur français de la militante. Trois décennies plus tard, ce message semble toujours aussi pertinent, comme une preuve de l’actualité des combats de Vandana Shiva.

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