NUMÉRO 62 : FÉVRIER -MARS 2024
L'écologie, un truc de bourgeois ?

Pas écolos, les prolos ? Exclus de la consommation “verte”, pris pour cibles par des politiques environnementales antisociales, les milieux populaires se tiennent à distance d’une écologie perçue, souvent à raison, comme bourgeoise. D’autant que la pensée écolo a parfois été tentée d’évacuer un peu vite les questions de classe. Une écologie populaire est-elle malgré tout possible ?

L’histoire des deux derniers siècles est en tout cas jalonnée de luttes paysannes et ouvrières, souvent méconnues, pour la justice environnementale. Aujourd’hui, de nouvelles mobilisations écologistes émergent à bas bruit dans les banlieues et - de la Sécurité sociale alimentaire à la garantie d’emploi -  les propositions foisonnent pour fédérer autour d’une écologie de rupture.

À condition, peut–être, de “repenser des stratégies écologistes depuis les lieux de travail" , comme y invitent de concert le philosophe Paul Guillibert et le syndicaliste Adrien Cornet.

L'ENTRETIEN FLEUVE

Jean-Baptiste Fressoz : « La transition énergétique est l’idéologie du capital au XXIe siècle »

Dans Sans transition, Jean-Baptiste Fressoz, chargé de recherches au CNRS, propose une contre-histoire passionnante de l’énergie. Loin des récits classiques, où bois, charbon et pétrole se succèdent au fil du temps, il démontre que les énergies, interdépendantes, ont crû de concert depuis l’aube de l’ère industrielle. La « transition énergétique » n’a jamais eu lieu. Pire : cette utopie technologique, instrumentalisée politiquement depuis les années 1970, risque de nous détourner des véritables solutions à la catastrophe climatique en cours.

DOSSIER

Pourquoi l'écologie n'est pas populaire

Exclus de l’écologie bourgeoise des petits gestes, qui nécessite un fort pouvoir d’achat, pris pour cibles par des politiques « vertes » antisociales, ouvriers et employés modestes sont souvent « mis à l’amende morale et fiscale » au nom de la planète. Loin d’être « éco-analphabètes », les classes populaires se tiennent donc à distance des combats pour l’environnement. Comment construire alors une véritable écologie populaire ?

Adrien Cornet & Paul Guillibert «Scinder en permanence le mouvement ouvrier du mouvement écolo est une stratégie du capitalisme. »

Paul Guillibert, philosophe et auteur de l’ouvrage Exploiter les vivants, une histoire politique du travail (Amsterdam, 2023) et Adrien Cornet, raffineur, délégué syndical à la CGT et militant au parti Révolution Permanente, ont pris l’habitude d’entremêler leurs pensées pour approfondir les liens entre la catastrophe écologique et l’exploitation du travail. S’ils empruntent des chemins différents, ils arrivent à la même conclusion : il est temps pour le mouvement écologiste, tout comme celui des travailleurs, d’élargir ses rangs. Entretien.

Deux siècles de luttes pour la justice environnementale

Dans un livre qui fait date, l’économiste et historien Joan Martínez Alier montre que la protection de l’environnement n’est en rien l’apanage des classes aisées. À ses yeux, il existe de longue date une écologie populaire, qui s’exprime dans les combats pour une meilleure répartition des ressources mais aussi des « maux » environnementaux.

Banlieue et climat : quand l'écologie prend ses quartiers

Accusés d’être indifférents aux questions écologiques, voire d’y être opposés, les habitants des quartiers populaires sont pourtant en première ligne des effets du dérèglement climatique. À l’avant-poste d’une écologie qui se veut plus discrète, conscients des inégalités structurelles des territoires qu’ils occupent, ils sont de plus en plus nombreux à revendiquer une écologie populaire et émancipatrice.

Écologie : chassez la classe, elle revient au galop

Porteurs d’idéaux de justice sociale, les écologistes tiennent-ils suffisamment compte des rapports de classe dans leurs luttes ? Les propos de Bruno Latour, pariant en 2022 sur l’émergence d’une « classe écologique », illustrent en tout cas l’espérance, partagée par une partie de la mouvance environnementaliste, d’un dépassement des luttes sociales et des clivages traditionnels. Une utopie qui ressemble à certains égards à un déni de réalité. Car comme le rappelle le sociologue étasunien Erik Olin Wright, traduit en français en cette rentrée : la classe compte.

Écologie populaire : mode d'emploi

Faire advenir une écologie véritablement populaire impose de refonder notre modèle social, afin d’aligner la transformation écologique
sur les besoins des classes populaires. Zoom sur les leviers à activer dans trois secteurs.

La ZFE, zone à faible émission ou à forte exclusion ?

Déjà en vigueur dans 320 métropoles européennes, les zones à faibles émissions, qui excluent les véhicules les plus anciens des centres-villes, s’avèrent plutôt efficaces pour lutter contre la pollution de l’air. Mais plusieurs associations de solidarité et des chercheurs alertent : leur déploiement en France risque d’aggraver les difficultés des ménages modestes, plus souvent détenteurs de vieilles voitures.

Le paradoxe de l’écocitoyen : Votre style de vie est-il si « vert »

Trier ses déchets, rouler à l’électrique, manger bio, éteindre la lumière et baisser le chauffage... telles sont les incitations gouvernementales, média- tiques mais aussi publicitaires destinées à « sauver la planète » du désastre écologique. Elles dessinent la conduite à tenir et les bons gestes que tout écocitoyen responsable se doit d’adopter pour réduire son empreinte écologique. Mais ce traitement individuel du problème écologique est critiquable à plusieurs égards.

GRAND REPORTAGE

Extraction du lithium au Chili : « tout va mourir ici »

La découverte, au printemps 2023, d’immenses réserves de lithium dans le salar de Maricunga, au nord du Chili, attise les convoitises des géants miniers. Seulement, l’extraction massive de ce métal nécessaire à la « transition verte » des pays du Nord menace la survie économique et culturelle des Collas, un peuple indigène vivant de la transhumance dans la région, tout autant que l’équilibre biologique de l’écosystème local.

ENQUÊTE

La neige à tout prix : l'industrie du ski en flagrant déni

Chaque degré supplémentaire fait perdre un mois d’enneigement aux stations de ski. Pourtant elles s’obstinent. Plus de neige ? Elles en fabriqueront. Plus d’eau pour fabriquer de la neige ? Elles feront des retenues collinaires. Et s’il y a des opposants, ses lobbies sont assez puissants pour imposer leur contre-discours. Enquête sur le business de l’or blanc qui poursuit sa croissance, sous perfusion de subventions publiques, malgré la fonte des neiges.

RESSOURCES CRITIQUES

Engrais azotés : des dopants dont il faut se sevrer ?

Indispensables à l’agriculture intensive mais néfastes pour l’environnement, les engrais azotés ont bien failli connaître une pénurie après le début de la guerre en Ukraine. L’occasion pour l’agriculture de mesurer sa dépendance à ces produits qu’elle contrôle si peu. Et de reprendre la main ?

TROISIÈME NATURE

Le sanglier, de bête noire à bête rare

Autrefois rares et aujourd’hui pullulants, les sangliers nuisent à de nombreuses activités humaines, ravageant des cultures et entraînant des accidents routiers et ferroviaires. La gestion de leur population se résume souvent à des battues sanglantes. Mais de nouvelles formes de cohabitation pourraient être explorées.

L’EFFET PARE-BRISE

Le retour de la vigne bâtarde. Geoffrey Estienne, vigneron résistant

Producteur de myrtilles dans la Creuse et passionné de vin, Geoffrey Estienne s’est lancé dans la viticulture en 2017 en plantant des cépages dits « hybrides », résistants aux maladies de la vigne amplifiées par le dérèglement climatique. Cet été, il a fondé avec un groupe de vignerons une association de défense de ces variétés tombées dans l’oubli mais qui pourraient dessiner un autre avenir pour le métier.

AU LABO

Les angles morts de la vidéosurveillance algorithmique

Les Jeux olympiques de Paris, qui se tiendront à l’été 2024, marquent un précédent dans le déploiement de la vidéosur- veillance algorithmique en France. Cet outil controversé suscite des questionnements éthiques et politiques, entre risques d'atteinte aux libertés individuelles et potentielles dérives sécuritaires. L’industrie de la sécurité célèbre, elle, une victoire majeure.

LA CHRONIQUE DE SALOMÉ SAQUÉ

Salomé Saqué : Logement, une crise inédite

Dans sa nouvelle chronique, Salomé Saqué, journaliste chez Blast, revient sur les origines de la crise du logement

PLAT DE RÉSISTANCE

Boycott : quand la lutte frappe au portefeuille

Outil décisif dans l’opposition internationale à l’apartheid en Afrique du Sud et mode d’action historique des mouvements pro-palestiniens, le boycott connaît aujourd’hui un regain d’élan populaire. Il s’étend désormais à de nouvelles causes, comme la lutte contre la fast fashion ou, plus récemment, contre l’autoroute A69. La clé de son succès : être à l’intersection des luttes.

HORIZONS

« Il faut qu'une autre vision politique de la montagne se dessine » Aurélie Cohendet

En quelques années, Aurélie Cohendet, 40 ans, est devenue l’avocate des opposants aux grands projets d’aménagement touristique en montagne. Extension de domaines skiables ou complexes immobiliers démesurés, les dossiers se succèdent, tout comme les victoires. Des actions en justice fructueuses qui démontrent que le droit peut servir les luttes écologiques et contribuer à dessiner les contours d’un autre avenir, à rebours du seul horizon du tourisme et du ski alpin.

À LA SAUCE ALTER

Les jardins-forêts, modèles agricoles d'avenir ?

Forme aboutie de l’agroforesterie venue des tropiques, ce modèle nourricier suscite un engouement croissant dans la société civile en Europe. Il est peu probable que cette antithèse de l’agriculture productiviste renverse le modèle dominant, mais elle peut inspirer des pratiques allant davantage dans le sens du vivant.

LES DÉTERRÉS

Edward Carpenter : vivre simplement pour vivre mieux

Dans l’Angleterre du XIXe siècle en pleine industrialisation, l’écrivain socialiste Edward Carpenter (1844-1929) fait le choix de se dépouiller du superflu pour mener une vie plus proche de la nature. Celui que l’on surnomme le « Henry David Thoreau britannique » voit dans la sobriété un moyen de renouer avec l’essentiel.