https://socialter.frArticles Socialter2024-03-19T08:04:29Zhttps://www.socialter.fr/theme/images/logo.pngLa crise écologique de la raison 17082024-03-18T17:29:00+01:00Découvrez notre recension de « La crise écologique de la raison » de Val Plumwood aux Éditions Wildproject.https://www.socialter.fr/images/article/t/lacriseraison_1710779675-750x480.jpg<p class="p1">Première traduction française de l’ouvrage emblématique de la philosophe australienne et figure de l’écoféminisme Val Plumwood, <i>La Critique écologique de la raison</i> démontre que la crise écologique résulte d’une crise culturelle profonde « <i>vieille de deux millénaires</i> ». L’autrice y dénonce la « <i>faillite de la raison </i>» émanant de l’Occident qui a imposé partout son culte du rationalisme et des dualismes (humain/nature, esprit/corps). Un rationalisme « <i>sadique</i> » niant les conditions écologiques et matérielles de l’existence et légitimant simultanément les oppressions environnementales, coloniales et patriarcales. </p><p class="p1">Face à cette culture dominante et les structures de pouvoir qu’elle produit, la philosophe élabore les fondements d’un «<i> programme contre-hégémonique </i>» et appelle à un renouveau culturel et démocratique d’ampleur. Un ouvrage long et dense dans lequel elle livre une analyse remarquablement menée pour dresser une pensée écologiste à la fois subtile et radicale.</p><p class="p1"><a href="https://www.puf.com/la-crise-ecologique-de-la-raison" target="_blank">La crise écologique de la raison</a> : Val Plumwood<b> </b>Puf / Wildproject → janvier 2024 - 496 pages - 28 €</p>Les détecteurs de mensonges : recherche d’aveux et traque de la vérité17072024-03-18T16:51:00+01:00Découvrez notre recension de « Les détecteurs de mensonges » de Vanessa Codaccioni aux Éditions Textuel.https://www.socialter.fr/images/article/t/detecteurmensonges_1710777428-750x480.jpg<p class="p1">Les détecteurs de mensonge occupent une place de choix dans les films américains. Ceux qui les croient réservés à la fiction devraient lire l’ouvrage que leur consacre Vanessa Codaccioni, politiste et professeure à l’université Paris-VIII. Cette spécialiste de la justice pénale et de la répression nous apprend que le détecteur de mensonge est toujours utilisé dans une cinquantaine de pays (principalement en Belgique, en Inde, aux États-Unis et en Russie), mais surtout qu’il a évolué vers des techniques de plus en plus intrusives. </p><p class="p1">Dans un historique instructif, l’autrice nous rappelle que le détecteur de mensonge, d’abord sous la forme du polygraphe, a été pensé comme un substitut à la torture pour obtenir les aveux de suspects dans le cadre d’affaires criminelles. Mais il s’est vite émancipé de ce seul usage. À l’époque où l’homosexualité était encore un délit, l’administration américaine utilisait par exemple le polygraphe pour « révéler », chez certains de ses fonctionnaires, ce qu’elle considérait comme une déviance dans le but de leur retirer leur habilitation. Les évolutions contemporaines du détecteur de mensonge détaillées par l’autrice font tout aussi froid dans le dos. Du « phallomètre » (brassard autour du pénis) pour prévenir la récidive des délinquants sexuels, à l’électroencéphalogramme pour détecter des souvenirs d’actes délictueux, ces instruments traquent le mensonge jusque dans nos cerveaux. Dans la dernière partie du livre, Vanessa Codaccioni alerte sur les usages controversés des détecteurs de mensonge nouvelle génération, contrôlés par l’intelligence artificielle. </p><p class="p1">Au-delà des discriminations déjà documentées sur les personnes racisées et non binaires, la généralisation de ces IA dans les aéroports ou dans les entreprises pourrait nourrir le «<i> marché de la suspicion </i>». L’industrie du détecteur de mensonge est florissante, malgré un paradoxe : en deux siècles d’existence, aucune étude n’a réussi à démontrer que ces instruments au service de la vérité fonctionnent. Mais dans une société où technologie rime de plus en plus avec surveillance, le détecteur de mensonge a de beaux jours devant lui. </p><p class="p1"><a href="https://www.editionstextuel.com/livre/les_detecteurs_de_mensonge" target="_blank">Les détecteurs de mensonge : </a><a href="https://www.editionstextuel.com/livre/les_detecteurs_de_mensonge" target="_blank">Recherche d’aveux et traque de la vérité</a> <b>Vanessa Codaccioni </b>Textuel → janvier 2024 - 160 pages - 17,90 €</p>L'agriculture intensive peut-elle se passer des engrais azotés ?17062024-03-18T11:26:00+01:00Indispensables à l’agriculture intensive mais néfastes pour l’environnement, les engrais azotés ont bien failli connaître une pénurie après le début de la guerre en Ukraine. L’occasion pour l’agriculture de mesurer sa dépendance à ces produits qu’elle contrôle si peu. Et de reprendre la main ?https://www.socialter.fr/images/article/t/engraisazotes_1710758213-750x480.jpg<p class="p1">4 août 2020, Beyrouth. Une déflagration gigantesque secoue le port, suivie d’une deuxième, plus ravageuse encore. Oubliées dans un hangar, des centaines de tonnes de nitrate d’ammonium viennent d’exploser. Cette substance chimique, issue de l’azote de synthèse, peut servir à fabriquer des engrais… ou des explosifs. </p><p class="p1" style="text-align: center;"><i>Article issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p1">Indispensable à l’agriculture moderne, l’azote de synthèse n’a pas seulement touché Beyrouth au cœur. En 2022, tout ce que la planète compte d’agriculteurs intensifs s’est fait un sang d’encre à l’idée d’une pénurie d’engrais azotés, véritables dopants pour les rendements. En parallèle, les défenseurs du climat, de l’eau ou de la qualité de l’air s’inquiètent des impacts de ces produits sur l’environnement lorsqu’ils prennent la forme de protoxyde d’azote, de nitrates ou de particules fines. Symbole du productivisme agricole effréné, l’azote de synthèse va-t-il être contraint d’entrer dans une ère de raison ?</p><h3><b>Histoire du monde moderne</b></h3><p class="p2">Inspirez un grand coup. Vous venez d’ingérer 78 % d’azote, une substance aussi cruciale à la vie que l’oxygène ou le carbone. Il est en effet constitutif des acides aminés et des protéines ; chez les végétaux, il est indispensable à la croissance. Problème : nos organismes et la plupart des plantes ne savent pas « capter » l’azote atmosphérique. Nous baignons donc dans un bain aux vertus fabuleuses… mais inaccessibles.</p><p class="p4">Tout change au début des années 1910. Alors que les scientifiques s’arrachent les cheveux depuis des décennies sur la question, le chimiste allemand Fritz Haber découvre comment dompter l’azote de l’air : sous haute pression et à haute température, il le « force » à réagir avec l’hydrogène – issu du charbon à l’époque – pour en tirer de l’ammoniac, puis de l’acide nitrique. L’azote est enfin capturé dans les éprouvettes.</p><p class="p4">Pour industrialiser sa découverte, le chimiste s’associe à l’industriel Carl Bosch, patron de BASF – l’ancêtre de la multinationale des engrais et pesticides que l’on connaît. Aujourd’hui encore, quasiment tous les engrais azotés utilisés dans le monde sont issus de ce procédé Haber-Bosch, qui permet également de fabriquer plastiques, textiles ou bombes. Les premiers usages de l’azote de synthèse seront d’ailleurs belliqueux. Découvert juste avant la Première Guerre mondiale, il permet à l’Allemagne de s’équiper en explosifs à bas coût. Songez donc : pour fabriquer l’acide nitrique, précurseur de la TNT et de la nitroglycérine, il suffit de disposer de charbon… et d’air !</p><p class="p4">Une fois la paix revenue, l’azote de synthèse se trouve une utilité civile et se transforme en engrais. En ces années 1945-1950, l’Europe a faim, il faut produire beaucoup et vite. Alliés à la mécanisation et aux pesticides, les engrais azotés font entrer le monde dans l’ère de l’agriculture intensive, avec par exemple des rendements de production de blé qui ont triplé entre 1945 et les années 1980. «<i> La synthèse industrielle de l’ammoniac à partir de l’azote et de l’hydrogène a été d’une importance fondamentale pour le monde moderne, plus que l’invention de l’avion ou de l’énergie nucléaire,</i> écrit Vaclav Smil, chercheur canadien spécialiste du sujet. <i>L’augmentation de la population mondiale de 1,6 milliard en 1900 aux 6 milliards actuels [en 2004, ndlr] n’aurait pas été possible sans la synthèse de l’ammoniac. </i>»</p><p class="p4">Ces engrais azotés sont bannis de l’agriculture biologique, qui exclut tous les produits de synthèse. Mais pour les tenants de l’agriculture intensive, ils constituent un pilier de la sécurité alimentaire mondiale. «<i> Les usines qui les produisent ont continué à fonctionner durant le Covid, par exemple, sinon on aurait manqué de nourriture l’année suivante </i>», expose Antoine Hoxha, directeur général du lobby Fertilizers Europe, regroupant des grands acteurs du secteur.</p><p class="p4">Dopants pour les rendements, les engrais azotés ont aussi contribué à modifier en profondeur les paysages et les territoires. Pendant des siècles, les agriculteurs ont épandu les bouses, fientes ou crottins de leurs animaux pour fertiliser les champs – ces effluents étant riches en azote et autres nutriments. Avec les engrais de synthèse, tout a changé. «<i> Ce mode de fertilisation a abouti à une rupture totale de la complémentarité séculaire entre agriculture et élevage et a précipité une spécialisation territoriale extrême de l’agriculture,</i> note Josette Garnier, biogéochimiste au CNRS. <i>En France, on a d’une part des régions de grandes cultures dépourvues de bétail, comme le Bassin parisien et la Picardie, et d’autre part des régions d’élevage intensif hors-sol, tributaires d’importations pour nourrir leur cheptel, comme la Bretagne. </i>»</p><p class="p4">Originellement organisé en boucle fermée – les champs nourrissent les animaux, qui fertilisent les champs –, le cycle agricole est désormais ouvert et globalisé : il faut à la fois du soja brésilien pour alimenter le bétail et des engrais issus d’énergies fossiles pour enrichir les sols.</p><h3><b>Dépendance russe</b></h3><p class="p2">Fabriqués à partir d’hydrogène, lui-même tiré du gaz ou du charbon, les engrais azotés sont produits avant tout en Chine, en Inde, aux États-Unis et en Russie. Les volumes ont explosé en quelques décennies : en 2021, 110 millions de tonnes ont été consommées, d’après l’Association internationale des fertilisants, soit quasiment 10 fois plus qu’il y a 60 ans.</p><p class="p4">L’agriculture intensive a brutalement pris conscience de sa dépendance à l’azote de synthèse en 2022. Depuis un an déjà, le marché avait tendance à se gripper, notamment à cause de la réduction des exportations chinoises. Mais le 24 février 2022, tout bascule : la Russie envahit l’Ukraine, s’attire les foudres du monde occidental ; les exportations de gaz et d’engrais sont entravées. En Europe, non seulement les engrais russes manquent, mais le prix du gaz explose, alors qu’il est indispensable à la fabrication locale de fertilisants.</p><blockquote><p class="p1"><b>Le surplus global d’azote est deux fois plus élevé que le plafond considéré « sûr et juste » par les scientifiques.</b></p></blockquote><p class="p4">«<i> Notre matière première est devenue tellement chère que 70 % des usines européennes d’engrais azotés ont fermé au pic de la crise, en août 2022. C’était extrêmement stressant </i>», se souvient Antoine Hoxha, de Fertilizers Europe. Dans les champs, les agriculteurs se font des cheveux blancs en pensant à leurs futures récoltes. La Commission européenne décide même de lever les droits de douanes sur les importations d’engrais azotés.</p><p class="p4">Finalement, la pénurie tant redoutée en Europe n’aura pas lieu, les approvisionnements étant basculés vers la façade atlantique. Mais les prix des engrais se sont envolés, contribuant à l’inflation des prix alimentaires en Europe et à de graves problèmes de nutrition dans les pays du Sud. D’après Fertilizers Europe, 15 % des usines européennes sont toujours à l’arrêt, et l’UE importe non plus 30 % mais 45 % de ses engrais azotés, dont une bonne partie de Russie. «<i> La Russie a du gaz très bon marché, subventionné. Poutine veut nous inonder avec de l’engrais pas cher pour tuer nos usines,</i> assure Antoine Hoxha, le lobbyiste européen. <i>Vous trouvez ça raisonnable de dépendre de la Russie pour nourrir la population ? Pour quelque chose d’aussi stratégique que les engrais, il faut assurer la production chez nous. </i>»</p><h3><b>Plus émetteur que l’aviation</b></h3><p class="p2">Afin de moins dépendre du gaz, l’industrie des engrais azotés lorgne sur d’autres procédés pour produire l’hydrogène dont elle a besoin, comme l’électrolyse de l’eau. Mais changer de matière première représente un défi immense et coûteux. Fertilizers Europe le chiffre à 80 milliards d’euros. S’affranchir des fossiles aurait pourtant une grande vertu pour les engrais azotés, en réduisant leur empreinte écologique aujourd’hui colossale. Ils sont responsables à eux seuls de 2,4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit davantage que l’aviation, selon une étude publiée dans la revue <i>Nature</i> en 2022. L’impact de l’azote de synthèse sur le climat est en effet à double détente. Assez classiquement, sa production à partir d’énergies fossiles émet du CO₂. Mais le gros de la pollution a lieu une fois les engrais épandus sur les champs. D’après l’Inrae, «<i> moins de la moitié de l’azote fourni par un fertilisant est en moyenne absorbé par la culture </i>». Le reste, lorsqu’il se dégrade dans certaines conditions, dégage du protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre... 273 fois plus réchauffant que le CO₂.</p><p class="p4">«<i> Il y a également des pertes vers les systèmes aquatiques,</i> complète Josette Garnier, directrice de recherche au CNRS. <i>Si les agriculteurs épandent des engrais peu avant la pluie, tout part dans les rivières et les aquifères. </i>» Dans les eaux, on le retrouve sous forme de nitrates, responsables de pollutions de l’eau potable. Ils entraînent également de l’eutrophisation : les végétaux aquatiques – les fameuses algues vertes, notamment – sont dopés par la présence de tant d’azote et se multiplient démesurément. Cet azote qui « fuit » les champs peut provenir tout autant des engrais de synthèse que des lisiers ou fumiers issus des élevages. L’Autorité environnementale, entité indépendante chargée d’évaluer les politiques en matière d’environnement, s’inquiète de cette « cascade d’azote » liée aux excès de fertilisation. «<i> La teneur moyenne en nitrates dans les eaux a augmenté de 8 % entre 2000 et 2020,</i> exposent Laurent Michel et Karine Brûlé, auteurs d’un rapport sur le sujet<b><sup>1</sup></b>. <i>On constate une extension des zones vulnérables, par exemple vers l’Auvergne-Rhône-Alpes ou la Bourgogne-Franche-Comté. </i>»</p><p class="p4">Les dégâts des excès d’azote, auxquels s’ajoutent encore l’acidification des sols ou la pollution de l’air aux particules fines, alertent les institutions. En 1991 déjà, l’Union européenne adoptait une directive pour limiter les pollutions aux nitrates. Plus récemment, c’est l’IPBES – l’équivalent du Giec mais pour la biodiversité – qui appelait à diviser par deux les pertes en azote d’ici 2030. D’après la théorie des « limites planétaires » – ces neuf frontières à respecter pour conserver une planète viable –, le surplus global d’azote est deux fois plus élevé que le plafond considéré « sûr et juste » par les scientifiques.</p><p class="p4">Dans les champs, les « plans nitrates », adoptés pour appliquer la réglementation européenne, se succèdent, avec des interdictions d’épandage à certaines périodes ou l’obligation de semer des couverts végétaux afin de « pomper » l’excès d’azote. Las. «<i> Nous en sommes à la septième période du programme nitrates et le constat général est à l’échec. Les mesures sont insuffisantes,</i> tranchent les experts de l’Autorité environnementale.<i> Nous ne sommes pas sûrs non plus que les contrôles soient suffisants. Or, c’est comme l’interdiction de fumer dans les restaurants : au début, il faut faire passer des contrôleurs. </i>» En juillet dernier, le Secrétariat général à la planification écologique s’en est pris directement aux engrais azotés, appelant à réduire de 30 % les volumes vendus d’ici 2030.</p><h3><b>Changer le logiciel agricole</b></h3><p class="p2">Inquiets de cet « azote bashing », les fabricants rivalisent de propositions technologiques. Ici, des épandeurs ultra précis pour éviter d’appliquer trop de produits. Là, des substances « inhibitrices » qui doivent limiter la transformation de l’azote en nitrates. Ailleurs encore un « senseur » qui permet d’apporter de l’azote uniquement dans les zones du champ où des carences sont détectées. Mais c’est sans doute l’explosion des prix qui va le plus changer la donne. «<i> Le maintien à un niveau élevé des prix d'achat des produits azotés incite les agriculteurs à revoir en profondeur leurs stratégies de fertilisation </i>», note l’institut d’analyse économique Xerfi.</p><p class="p4">Luc Joris, agriculteur en Wallonie, s’est par exemple mis à cultiver des légumineuses, ces plantes de la famille des lentilles, luzernes ou trèfles. Elles ont en effet la capacité, par un tour de passe-passe biochimique, de capter l’azote atmosphérique pour le restituer au sol. «<i> L’élevage apporte aussi une part d’azote. Chez moi, ce sont des moutons et des chevaux que nous prenons en pension. Enfin, je consomme chaque année 3 000 à 4 000 tonnes de digestat, issu d’un biodigesteur voisin. Tout cela me permet d’acheter 50 % d’azote de moins qu’avant </i>», indique l’agriculteur.</p><p class="p4">Alors que le compost ou le fumier deviennent des denrées recherchées pour fertiliser les champs, les produits biostimulants connaissent eux aussi une croissance à deux chiffres. Micro-organismes, extraits d’algues ou de plantes, ils améliorent entre autres la croissance des plantes et font partie des alternatives à l’azote de synthèse. «<i> Nous observons une forte diminution des livraisons d’engrais azotés, d’environ 15 % entre la campagne 2022 et la moyenne des trois précédentes </i>», confirme Florence Nys, de l’Union des industries de la fertilisation.</p><p class="p4">Remettre des animaux dans les champs, cultiver des légumineuses, manger moins de viande… voilà à quelles conditions la planète pourrait «<i> se passer des engrais azotés de synthèse </i>» au niveau mondial, d’après une étude de Josette Garnier, du CNRS, et de ses collègues. Pour Karine Brûlé, de l’Autorité environnementale, c’est un changement de logiciel qui doit s’opérer : «<i> La politique agricole commune nous vient de l’après-guerre, lorsqu’il fallait produire beaucoup et pas cher. Il faut se demander comment passer à une agriculture du XXIe siècle, qui réponde à d’autres enjeux </i>», résume-t-elle. Dans cette vaste cure de désintoxication, le sevrage de l’azote de synthèse sera certainement un passage délicat. </p><p class="p4"><br></p><p class="p1"><b>1.</b> « Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur le programme d’action régional nitrates de la région Hauts-de-France 7<sup>e</sup> génération », avis délibéré n°2023-102 adopté lors de la séance du 7 décembre 2023.</p>Sangliers : la cohabitation est-elle possible ?17052024-03-18T10:43:00+01:00Autrefois rares et aujourd’hui pullulants, les sangliers nuisent à de nombreuses activités humaines, ravageant des cultures et entraînant des accidents routiers et ferroviaires. La gestion de leur population se résume souvent à des battues sanglantes. Mais de nouvelles formes de cohabitation pourraient être explorées.https://www.socialter.fr/images/article/t/sanglier_1710757247-750x480.jpg<p class="p1">Ce n’est sûrement qu’une anecdote, difficile pour autant de ne pas y voir le symbole d’un animal dont l’expansion fulgurante est génératrice de heurts et de face-à-face fracassants. Alors qu’il préparait cet article sur les sangliers, l’auteur de ces lignes en a percuté un à bord d’un TGV. Résultat : trois heures d’attente, deux enfants en bas âge grognons et un seul débat dans les wagons. Et s’il y avait trop de mammifères à groin en liberté dans notre pays ? Il faudra quelques jours de réflexion et la lecture d’un ouvrage précieux – <i><a href="https://www.actes-sud.fr/sangliers-geographies-dun-animal-politique" target="_blank">Sangliers, géographies d’un animal politique</a></i> (Actes Sud, 2023) – pour poser la question d’une façon qui n’incrimine pas la seule victime mortelle de ce choc ferroviaire : une espèce autre que la nôtre peut-elle encore croître dans un monde saturé par l’omniprésence des humains et de leurs flux économiques ?</p><p class="p1" style="text-align: center; "><i>Article issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p3">Un constat, avant de tenter de répondre. Longtemps considéré comme un animal rare et recherché – «<i> Dans les années 1930 à 1950, d’éminents naturalistes traversaient l’Europe dans l’espoir d’apercevoir sa silhouette massive </i>», rappellent les auteurs du livre Raphaël Mathevet et Roméo Bondon –, le sanglier est devenu depuis les années 1970 l’un des seuls animaux dont les effectifs explosent dans notre pays. S’il est difficile de chiffrer précisément le nombre d’individus sur notre territoire, les estimations sont parlantes et donnent entre 1,5 million et 2 millions d’individus. Le référent sangliers à l’Office français de la biodiversité (OFB), Éric Baubet, propose de se référer aux tableaux de chasse pour avoir un aperçu de la rapidité de son expansion : 800 000 sangliers ont été tués par arme à feu en 2022, contre 80 000 au début des années 1980 et seulement 30 000 au début des années 1970. Et cette tendance peut s’accentuer selon l’expert des ongulés à l’OFB : «<i> Tous les cinq ans, le nombre de prélèvements annuels par la chasse augmente de 100 000. </i>»</p><h3><b>Animal tout-terrain</b></h3><p class="p2">Comment expliquer une telle croissance ? D’abord, il faut souligner la formidable capacité d’adaptation de l’animal. Le sanglier parvient à s’installer dans des environnements très différents, y compris dans les villes et leurs périphéries. Il est même qualifié d’« animal urbain » par certains biologistes, qui ont remarqué que les individus fréquentant nos villes étaient plus corpulents et avaient une croissance plus rapide que la moyenne. Le sanglier est en effet capable d’adapter son régime alimentaire à la ressource disponible, certains sangliers urbains étant par exemple très gras à force de consommer la nourriture humaine ou de la pâtée pour chats, tandis que leurs autopsies révèlent la présence de plastique dans leur estomac.</p><blockquote><p class="p1"><b>Une espèce autre que la nôtre peut-elle encore croître dans un monde saturé par l’omniprésence des humains et de leurs flux économiques ?</b></p></blockquote><p class="p3">Cette capacité d’adaptation est impressionnante : en 2019, Sebastian Vetter, de l’Institut de recherche en écologie de la faune sauvage à Vienne, explique au <i>Guardian</i> qu’il a l’impression que les sangliers qu’il traque sont plus intelligents que lui tant ils arrivent à déjouer ses stratégies. Cette aptitude s’est révélée précieuse pour l’espèce après-guerre, à mesure que les paysages ont été fondamentalement transformés en France. Il faut citer d’abord l’abandon de certaines terres agricoles et l’augmentation des petites surfaces boisées en feuillus à fruits – dont sont friands les sangliers –, qui sont désormais un moteur important de leur reproduction. Mais aussi l’intensification de certaines monocultures monolithiques comme le maïs qui leur ont donné accès à une alimentation riche et, en été, à un abri. L’étalement urbain a aussi paradoxalement agrandi son espace vital, en donnant naissance à de nombreux territoires aux pelouses grasses et protégées des chasseurs, qui sont autant de refuges potentiels quand on sait s’y adapter. Toutefois, rappelle Éric Baubet, le sanglier n’a commencé à devenir envahissant qu’à partir du moment «<i> où on l’a encouragé à envahir </i>».</p><h3><b>Tableau de chasse</b></h3><p class="p2">Car, dans ce contexte favorable, les chasseurs français ont œuvré activement à l’augmentation des populations. La destruction généralisée des haies, l’effondrement des populations d’insectes et l’apparition de certaines maladies ayant entraîné au mitan du siècle dernier la raréfaction rapide des petits animaux d’ordinaire chassés – comme les lapins et les perdrix –, les pratiquants ont changé leur fusil d’épaule et se sont reportés sur du gros gibier. D’abord, «<i> en instaurant des consignes de tir préservant les femelles sangliers pour développer les populations </i>», décrit un rapport d’une mission parlementaire sur la régulation du grand gibier, publié en 2019. Ensuite, en relâchant dans la nature des sangliers d’élevage ou encore en nourrissant les individus l’hiver. En contrepartie, il a été demandé aux chasseurs d’organiser localement des battues afin d’éliminer les individus devenus trop nombreux, mais aussi de dédommager les agriculteurs victimes de ces grands animaux – l’enveloppe annuelle dépasse aujourd’hui les 80 millions d’euros par an.</p><blockquote><p class="p1"><b>« Les deux espèces, humains et sangliers, se sont développées rapidement et cela a augmenté les zones de friction. »</b></p></blockquote><p class="p3">Nous voilà dans une situation paradoxale : ceux qui ont décidé et œuvré pour l’augmentation des populations de sangliers sont aujourd’hui ceux qui sont chargés de « réguler » leur population à l’aide de sanglantes battues et ainsi de limiter l’impact de ces animaux sur les activités humaines. Raphaël Mathevet, écologue au CNRS, résume ainsi l’incohérence qu’il y voit : « <i>Les fédérations de chasse ont effectivement intérêt à réduire les populations pour limiter les dégâts, mais elles se doivent de conserver des effectifs suffisamment intéressants pour conserver un nombre d’adhérents et de permis de chasse important. </i>» Ces abattages par battue semblent être, pour beaucoup d’observateurs, la seule solution aux conflits avec les sangliers, y compris parfois dans les espaces naturels. </p><p class="p3">Force est pourtant de constater que cette pratique ne limite pas l’expansion du sanglier. Cela pourrait s’expliquer en partie et localement par des raisons biologiques : dans les groupes sociaux désorganisés par les abattages d’adultes, les jeunes laies (la femelle du sanglier) démarrent plus tôt leur reproduction et ont des portées plus rapprochées. Cela pourrait aussi s’expliquer par le comportement de certains chasseurs qui ne souhaiteraient pas vraiment « réguler » les populations mais aimeraient en réalité en chasser chaque année davantage. Les doutes à ce sujet sont renforcés par certains représentants des chasseurs eux-mêmes («<i> J’en n’ai rien à foutre de réguler </i>», avait ainsi assumé le président de la Fédération nationale des chasseurs sur RMC en 2021), mais aussi par certaines pratiques illégales – plusieurs experts ont rapporté avoir vu des chasseurs nourrir illégalement des sangliers afin d’accroître encore le cheptel à chasser ou pratiquer encore des élevages clandestins.</p><h3><b>Cohabitation</b></h3><p class="p2">La situation pose également des questions éthiques. Il est par exemple désormais recommandé de tirer sur les femelles gestantes pour limiter la prolifération de l’espèce, un geste pourtant contraire aux valeurs de beaucoup de chasseurs. De même, les photos de chasseurs posant fièrement devant des tas de sangliers morts évoquent forcément une fosse commune née d’un combat inégal. Ces sacrifices de masse risquent enfin de faire oublier une évidence : ces animaux sont utiles et ont leur place dans les écosystèmes. À ce titre, les biologistes précisent bien que, du point de vue des écosystèmes, les sangliers ne sont pas en surnombre en France et qu’aucun consensus scientifique ne permet d’établir si leur population grandissante constitue un avantage ou au contraire un inconvénient pour la biodiversité.</p><p class="p3">«<i> Les deux espèces, humains et sangliers, se sont développées rapidement et cela a augmenté les zones de friction </i>», résume Éric Baubet. Questionnant ainsi les moyens de cohabitation pacifique avec les suidés. C’est en ville, lieu de rencontres de plus en plus fréquentes entre l’humain et l’animal noir, que l’on trouve les expérimentations les plus riches en la matière. À Barcelone, depuis dix ans, aux captures et euthanasies ciblées d’individus s’ajoute la plantation dans les espaces verts de végétaux que n’apprécient pas les sangliers ou encore des campagnes d’information invitant notamment les habitants à tenir leurs distances en cas de rencontre et à limiter la prolifération des déchets alimentaires. </p><p class="p3">En Israël, la biologiste Uri Shanas a démontré qu’il était possible d’éloigner les populations des villes, grâce à l’aménagement de sites de fouissage et de bain de boue les attirant en périphérie. De leur côté, l’écologue Raphaël Mathevet et ses collègues travaillent à un projet de recherche sur les populations de sangliers à Montpellier et à Nîmes et à leur acceptation par les populations locales. Leurs premières constatations montrent que parler d’un individu ou d’une famille permet un accueil plus favorable que de parler de l’espèce, «<i> ce qui ramène immédiatement à tout un tas de stéréotypes </i>». Il semblerait aussi que les sangliers soient particulièrement remarqués dans les quartiers dits difficiles et que certains fréquentent les mêmes marges de la ville que des populations sans abri. Réfléchir à la présence du sanglier auprès de nous questionne forcément notre système économique et les mécaniques de domination à l’œuvre entre humains comme entre humains et non-humains. </p>L'écologie sans lutte des classes, c'est du jardinage ? 17042024-03-13T11:04:00+01:00Porteurs d’idéaux de justice sociale, les écologistes tiennent-ils suffisamment compte des rapports de classe dans leurs luttes ? Les propos de Bruno Latour, pariant en 2022 sur l’émergence d’une « classe écologique », illustrent en tout cas l’espérance, partagée par une partie de la mouvance environnementaliste, d’un dépassement des luttes sociales et des clivages traditionnels. Une utopie qui ressemble à certains égards à un déni de réalité. Car comme le rappelle le sociologue étasunien Erik Olin Wright, traduit en français en cette rentrée : la classe compte.https://www.socialter.fr/images/article/t/lutteclasses_1710326969-750x480.jpg<p class="p1">Puisque le dérèglement climatique affecte tout le monde, nous devrions faire l’union sacrée autour de cette cause, quelle que soit notre origine ou notre classe sociale. Cette petite musique d’une résolution de la crise climatique par une sorte de concorde pragmatique se retrouve dans <i>Mémo sur la nouvelle classe écologique</i>. <i>Comment faire émerger une classe écologique consciente et fière d’elle-même</i><b><sup> </sup></b>(La Découverte, 2022). Dans ce court essai, co-écrit avec Nikolaj Schultz, Bruno Latour faisait en 2022 le pari pour le moins optimiste de la sédimentation naturelle d’une classe verte. Peu après la parution, il décida de soutenir la campagne présidentielle de Yannick Jadot, au grand dam des soutiens de Jean-Luc Mélenchon, défenseurs d’une vision de la transition écologique faisant peser une large part des efforts à fournir sur les principaux pollueurs, c’est-à-dire les plus riches.</p><p class="p1" style="text-align: center;"><i>Article issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p3">Dès le début du livre, Latour le confesse : «<i> Cela fait toujours un peu peur de réutiliser la notion de “classe”. </i>» Phrase que ne renierait pas un dirigeant du Medef… Plus loin, le philosophe semble prendre ses rêves pour la réalité : «<i> La classe écologique est potentiellement majoritaire. </i>» Pour justifier cette assertion, il agrège sans aucune forme de conflictualité celles et ceux qui devraient se manifester en faveur de l’écologie : les peuples autochtones, les religieux sincères, au premier rang desquels les catholiques, mais aussi les classes intellectuelles qui, elles, savent ce qu’il se passe… Et ainsi de suite jusqu’à cette conclusion déroutante de <i>wishful thinking</i> : «<i> Comme le soulignait Paul Veyne, les grands bouleversements sont parfois aussi simples que le mouvement que fait un dormeur pour se retourner dans son lit... </i>» </p><p class="p3">Cette vision a-conflictuelle a fait école chez nombre de disciples du maître Latour, que ce soit dans les sphères intellectuelles, avec une pensée du « vivant », sensible et émerveillée, que l’on lit par exemple chez Baptiste Morizot, non dénuée de sens évidemment mais qui se heurte au réel. On la retrouve aussi parmi les politiques, avec un nombre important de responsables étiquetés « écologistes » qui croient au verdissement du monde sans lutte des classes. Songeons à Nicolas Hulot, Pascal Canfin, François de Rugy, Barbara Pompili, tous anciens dirigeants écologistes débauchés sans problème par la macronie. Les tenants d’une écologie sociale, inspirés par André Gorz ou Murray Bookchin, sont ainsi loin d’avoir réussi à imposer leur hégémonie.</p><p class="p3">En lisant la sociologue Vanessa Jérôme, autrice de <i>Militer chez les Verts</i> (Presses de Sciences Po, 2021), on voit que la question sociale n’est pas prioritaire chez les adhérents de la formation écologiste, plutôt distants des préoccupations des classes populaires. «<i> Le niveau de diplôme et le statut socioprofessionnel des adhérents restent élevés, et leur mobilité sociale ascendante. </i>» D’ailleurs, la formation a successivement proposé comme candidat à la présidentielle un ingénieur agronome (René Dumont), une magistrate (Eva Joly), un journaliste de premier plan (Noël Mamère) et une femme médecin (Dominique Voynet, par deux fois). Que des représentants des CSP+, soucieux d’égalité sans doute, mais éloignés des luttes sociales par leur parcours – même si Eva Joly mena des combats courageux contre la fraude fiscale et que Voynet militait à la CFDT santé. On note à cet égard que les écologistes ont emprunté une rhétorique proche des sociaux-démocrates avec beaucoup de « moduler », de « réformer », mais jamais d’appel à renverser la table… Changement intéressant pour les européennes de 2024, la tête de liste Marie Toussaint semble vouloir s’inscrire en rupture, en parlant notamment de « <i>vote censitaire </i>» pour souligner l’important différentiel de participation électorale entre riches et pauvres…</p><p class="p3">Pour celles et ceux qui pensent que la notion de « classe » appartient au passé, à la guerre froide, on ne peut que recommander la lecture de l’ouvrage de référence d’Erik Olin Wright, écrit en 1997, <i>Pourquoi la classe compte. Capitalisme, genre et conscience de classe</i>, traduit pour la première fois en français par les éditions Amsterdam. Dans cet opus, le grand sociologue propose un « modèle général » pour passer au tamis marxiste les nouvelles grilles d’analyse intersectionnelle. Et force est de constater – comme l’annonce le titre de l’ouvrage – que la classe compte, et d’un poids prépondérant. La classe demeure le principal facteur d’injustice au XXI<sup>e</sup> siècle et, si elle ne résume pas tous les combats, elle ne peut jamais être gommée. </p><p class="p3">Gilets jaunes, manifs contre les retraites, révoltes dans les quartiers populaires contre les violences policières… «<i> Ces mobilisations ne portent pas toutes immédiatement sur des enjeux de classe, mais elles comportent presque toujours une dimension de classe </i>», souligne dans la postface le politiste Ugo Palheta, traducteur de l’ouvrage. Pour porter le projet écologiste, il faut donc ne pas hésiter à mettre en avant les luttes classistes. À cet égard, le fait qu’une figure de la société civile comme Alma Dufour, sollicitée par EELV et LFI pour les législatives 2022, ait finalement choisi les Insoumis est assez révélateur. Venue à la politique via les engagements environnementaux, son combat contre Amazon l’a persuadée du besoin d’un mouvement politique plus engagé en faveur de la lutte des classes<b><sup>1</sup></b>. Au fond, la phrase du syndicaliste brésilien Chico Mendes, assassiné en 1988 pour son engagement en faveur de la défense de la forêt amazonienne, n’a pas pris une ride : «<i> L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage. </i>» Désolé Voltaire, mais par temps d’urgence climatique l’important n’est plus de cultiver notre jardin… </p><p class="p1"><i><b>1. </b>Elle a expliqué ce choix notamment lors de l’émission Backseat, en décembre 2023, sur YouTube.</i></p>La malédiction de la muscade17032024-03-13T09:47:00+01:00Découvrez notre recension de « La malédiction de la muscade » de Amitav Ghosh aux éditions Wildproject.https://www.socialter.fr/images/article/t/maledictionmuscale_1710320189-750x480.jpg<p class="p1">Une nuit de 1621, une lampe tombe dans l’archipel des Moluques. L’événement anodin se termine en massacre : les Hollandais éradiquent les habitants de l’île de Banda Besar, où pousse le très convoité muscadier, pour établir leur monopole. Quelques décennies plus tard, la noix de muscade et le clou de girofle sont à leur tour touchés par la «<i> malédiction des ressources</i> ». Le puritanisme gagne la bonne société européenne, les épices deviennent associées au «<i> vice solitaire </i>» et le marché s’effondre. Les Hollandais décident donc de faire de la muscade et du clou de girofle des produits de luxe : l’une sera cultivée uniquement dans les îles Banda, l’autre sur l’île d’Ambon. Sur le reste de l’archipel des Moluques, tous les girofliers et muscadiers sont arrachés et éradiqués. Populations et plantes subissent à égalité la prédation de l’Homme blanc. </p><p class="p1">Tranchant avec un anthropocentrisme traditionnel, Amitav Ghosh raconte avec puissance les racines destructrices de la modernité capitaliste, idéologie européenne qui reconnaît le «<i> monde-comme-ressource </i>» et conduit non seulement au génocide de populations colonisées mais également à ce qu’il nomme un «<i> omnicide </i>», ou le désir de tout détruire. Jusqu’au lien spirituel qui unissait les populations des îles Banda à la noix de muscade ou les Amérindiens à leurs terres. À contre-courant du mythe de la modernité, Amitav Ghosh invite à considérer l’hypothèse Gaïa – la Terre comme entité vivante – comme l’antithèse de ce système prédateur qui mène à la colonisation et à l’écocide.</p><p class="p1"><a href="https://wildproject.org/livres/la-malediction-de-la-muscade" target="_blank">La malédiction de la muscade</a><b><a href="https://wildproject.org/livres/la-malediction-de-la-muscade" target="_blank"> </a></b><a href="https://wildproject.org/livres/la-malediction-de-la-muscade" target="_blank">Une contre-histoire de la modernité</a> <b>Amitav Ghosh </b>Wildproject → janvier 2024 - 360 pages - 25 €</p>JO 2024 : Les angles morts de la vidéosurveillance algorithmique17022024-03-11T17:00:00+01:00Les Jeux olympiques de Paris, qui se tiendront à l’été 2024, marquent un précédent dans le déploiement de la vidéosurveillance algorithmique en France. Cet outil controversé suscite des questionnements éthiques et politiques, entre risques d'atteinte aux libertés individuelles et potentielles dérives sécuritaires. L’industrie de la sécurité célèbre, elle, une victoire majeure.https://www.socialter.fr/images/article/t/videosurveillance_1710173700-750x480.jpg<p class="p1">Aux abords des stades, sur les marchés de Noël ou encore dans les grands festivals de musique, des caméras dites « intelligentes » quadrillent désormais l’espace public. Ce dispositif connu sous le nom de vidéosurveillance algorithmique (VSA) permet de détecter des comportements considérés comme suspects : mouvements de foule, présence de personnes dans des zones interdites ou encore bagages abandonnés. Les images enregistrées par les caméras et les drones sont analysées en temps réel par des algorithmes capables de déclencher des alertes automatiques auprès des forces de sécurité et de police.</p><p class="p1" style="text-align: center;"><i>Article issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><h3><b>Un changement d’échelle dans la surveillance</b></h3><p class="p2">Pour le moment restreint à des manifestations de grande ampleur, ce dispositif pourrait se généraliser. Les associations de défense des libertés numériques, comme la Quadrature du net, s’alarment déjà d’un «<i> changement d’échelle dans la surveillance </i>». Des comportements jusque-là jugés anodins tels que le dépôt sauvage d’ordures, les déjections canines, le mauvais stationnement ou encore le maraudage pourraient ainsi être criminalisés.</p><p class="p4">«<i> Ces outils promeuvent une vision morale et normative de l’espace public. Il y aurait une manière correcte de se déplacer d’un point A à un point B, et des manières possiblement déviantes, comme par exemple marcher à contresens dans une foule ou rester allongé sur le sol </i>», pointe Noémie Levain, juriste pour la Quadrature du net. Dans ce contexte, la vidéosurveillance algorithmique est moins un outil de sécurité publique qu’un dispositif de contrôle disciplinaire.</p><p class="p4">Inquiète vis-à-vis d’une possible augmentation de la répression policière sur la voie publique, l’association tire la sonnette d’alarme. Un son de cloche que l’on retrouve chez la défenseure des droits Claire Hédon, qui souligne de potentielles atteintes à la vie privée si d’aventure des dispositifs incluant des technologies de reconnaissance faciale étaient déployés.</p><h3><b>La crainte d’un effet cliquet</b></h3><p class="p2">Officiellement, le projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, voté en avril 2023, parle d’une «<i> expérimentation </i>» de trois ans dans le cadre de cet événement exceptionnel. Applicable depuis la Coupe du monde de rugby de l’automne 2023, elle est censée s’achever au mois de juin 2025. Cette loi étend le champ d’expérimentation à la reconnaissance biométrique, qui prend en compte les caractéristiques du visage ou les empreintes digitales à des fins d’identification. Mais cette disposition ne concerne pour le moment que les enquêteurs judiciaires et les services de renseignement dans le cadre, notamment, d’affaires de terrorisme.</p><p class="p4">Pas de scénario de reconnaissance faciale à la <i>Minority Report</i> donc, mais le risque d’une possible banalisation du recours à ces technologies. «<i> On parle d’expérimentation, de période de “bac à sable”, mais la dimension exceptionnelle des Jeux olympiques autorise une surenchère sécuritaire qui a toutes les chances de devenir la norme </i>», pointe Noémie Levain. La Quadrature du net met en garde contre un possible effet cliquet, soit l’entrée de ces technologies dans le droit commun sans retour en arrière possible.</p><p class="p4">«<i> Ces lois servent à travailler l’acceptabilité sociale de ces technologies auprès de la population car elles sont avant tout le fruit d’une demande économique soutenue par une volonté politique </i>», assure la juriste. Officieusement, les industriels du secteur de la surveillance <a href="https://lundi.am/En-visite-aux-nuits-de-l-AN2V-le-lobby-de-la-videosurveillance" target="_blank">se préparent à une pérennisation de ces outils</a>, avec le soutien d’élus et d’édiles majoritairement issus du centre et de la droite.</p><h3><b>Un marché en forte croissance</b></h3><p class="p2">En France, la vidéosurveillance est un marché prospère. L’Association nationale de vidéoprotection (AN2V), le principal lobby du secteur, compte 80 entreprises adhérentes, parmi lesquelles des géants nationaux comme Airbus, Thales, Atos, Safran ou Orange Business. Elle s’appuie également sur des leaders comme ChapsVision, le « Palantir<b><sup>2</sup></b> à la française », qui fournit les services secrets en logiciels espions, ou encore Videtics et Wintics. Avec Orange Business, ces trois sociétés ont remporté le marché public pour le déploiement de la vidéosurveillance algorithmique dans le cadre des JO 2024. Il faut également compter sur la croissance insolente des jeunes pousses Two-I et XXII, qui développent des algorithmes d’intelligence artificielle pour la vidéosurveillance automatisée.</p><p class="p2"><img src="/images/article/e/videosurveillance2_1710173711-jpg_1710173712-1.jpg"><br></p><p class="p4">À l’échelle mondiale, ce secteur industriel pourrait doubler d’ici 2030 et peser plus de 110 milliards de dollars, d’après le site spécialisé Emergence Research. Et la concurrence mondiale pour remporter les marchés publics fait rage. Controversée, l’entreprise israélienne Briefcam équipe ainsi 35 villes françaises, dont Roubaix, Nîmes et La Baule<b><sup>3</sup></b>. L’un de ses logiciels offre la possibilité d’activer à distance une fonction de reconnaissance faciale, ce qui est prohibé par la loi française. En novembre 2023, le média d’investigation <i>Disclose</i> a pourtant révélé que les logiciels développés par cette entreprise sont utilisés de manière illégale par la Police nationale depuis près de huit ans.</p><p class="p4">Les entreprises chinoises Hikvision et Dahua ont également la faveur de certaines communes, en dépit du caractère hautement sensible des données récoltées par la vidéosurveillance. Détournés à des fins malveillantes, ces logiciels pourraient servir à lancer des cyberattaques ciblant des communes, voire à alimenter ce que le ministère des Armées n’hésite pas à qualifier de « <i>climat de cyberguerre </i>».</p><h3><b>Une vision normative de l’espace public</b></h3><p class="p2">Depuis l’impulsion donnée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la France ne cache pas son intérêt pour les technologies de surveillance algorithmique. C’est à Nice, en 2019, qu’est inaugurée la première expérimentation d’ampleur couplant intelligence artificielle et images vidéo, sous la houlette du maire Christian Estrosi. Mais on trouve aujourd’hui des « centres d’hypervision urbains » dans la plupart des métropoles, comme à Angers, Lyon ou Nîmes.</p><p class="p4">Bien qu’omniprésente, cette technologie comporte de nombreux angles morts. La question de son coût pour les municipalités est ainsi souvent passée sous silence. Une seule caméra coûte entre 25 000 et 40 000 euros, un tarif qui n’inclut pas les logiciels d’analyse, leur maintenance, la formation des opérateur·rices de supervision. Au total, la facture pourrait se chiffrer en centaines de milliers d’euros par an.</p><p class="p4">Enfin, cette technologie ne fait pas complètement la preuve de son efficacité. <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/02/pourquoi-la-promesse-de-videogerer-les-villes-avec-des-cameras-couplees-a-une-intelligence-artificielle-seduit-et-inquiete_6208686_3224.html" target="_blank">Interrogé dans </a><i><a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/02/pourquoi-la-promesse-de-videogerer-les-villes-avec-des-cameras-couplees-a-une-intelligence-artificielle-seduit-et-inquiete_6208686_3224.html" target="_blank">Le Monde</a></i>, le chercheur Guillaume Gormand souligne que « <i>dans le cas de la délinquance, la vidéosurveillance ne dissuade pas </i>». Pour lui, elle ne serait véritablement utile que dans les cas d’aide à l’intervention pour les forces de l’ordre. Si pour l’heure, les autorisations et les données concernant la vidéosurveillance algorithmique manquent encore, la volonté politique de déployer cette technologie n’a jamais été aussi forte. Les épreuves n’ont pas encore commencé, mais les JO ont déjà consacré un vainqueur : médaille d’or pour l’industrie de la sécurité et de la surveillance. </p><p class="p4"><br></p><p class="p1"><b>2.</b> Palantir est une société qui équipe en logiciels espions de nombreux États, dont la France.</p><p class="p1"><b>3.</b> La liste des villes utilisant Briefcam est disponible sur le site Technopolice.</p>Au Chili, l'extraction de lithium pour la transition écologique menace un équilibre ancestral 17012024-03-11T16:18:00+01:00La découverte, au printemps 2023, d’immenses réserves de lithium dans le salar de Maricunga, au nord du Chili, attise les convoitises des géants miniers. Seulement, l’extraction massive de ce métal nécessaire à la « transition verte » des pays du Nord menace la survie économique et culturelle des Collas, un peuple indigène vivant de la transhumance dans la région, tout autant que l’équilibre biologique de l’écosystème local.https://www.socialter.fr/images/article/t/chili2_1710172435-750x480.jpg<p class="p1">Ici, l’aube n’existe pas. Le soleil brûle déjà lorsque ses premiers rayons pointent au-dessus des cimes enneigées du Nevado Tres Cruces, ce volcan haut de 6 749 mètres trônant à la frontière désertique entre le nord du Chili et de l’Argentine. Dès le matin, ses faisceaux blancs et métalliques viennent cogner la tôle ondulée servant de toit à l’abri modeste où Digna se repose. L’odeur âcre de charbon et de viande séchée rappelle que les vivres sont rares dans la vallée San Miguel, que la famille de cette vieille indigène de la communauté colla remonte chaque année depuis des siècles.</p><p class="p1" style="text-align: center;"><i>Reportage issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p1"> </p><p class="p1">À l’annonce de l’été austral, au mois de décembre, les Collas parcourent les hauts plateaux de l’Altiplano jusqu’au <i>salar</i> de Maricunga, espace sacré perché à près de 4 000 mètres, pour faire paître leurs bêtes sur les chemins de transhumance ancestraux. À 76 ans, la main enroulée autour d’un bâton de bois, canne hasardeuse devant soulager ses douleurs de hanche, Digna se désole de la réduction de son cheptel : «<i> À une époque, nous avions près de 600 bêtes, mais nous avons dû les vendre. Il ne nous en reste plus que 60 aujourd’hui. </i>»</p><p class="p1"><img src="/images/article/e/chili1_1710171975-jpg_1710171975-1.jpg"><br></p><p class="p3">Chaque année, à mesure que la région s’assèche et que l’exode urbain s’amplifie, le mode de vie nomade des Collas, reconnus par l’État comme l’un des peuples indigènes du Chili et <a href="http://www.censo2017.cl/" target="_blank">comptant environ 20 000 membres</a>, se fragilise. Mais depuis peu, une nouvelle menace pèse sur les efforts des Collas pour maintenir leur identité : des forages effectués au printemps 2023 ont révélé la deuxième plus grande concentration de lithium de la planète sous le lac de sel du <i>salar</i> de Maricunga, aiguisant les appétits des compagnies minières du monde entier. Ces découvertes ont suivi de quelques jours la présentation officielle par le président de la République chilien, Gabriel Boric, de l’ambition de faire du pays le premier producteur de lithium sur le marché. Pour Digna et le reste de la communauté colla, la nouvelle s’apparente à un coup de grâce : à cause du lithium, «<i> tout va mourir ici </i>» déplore-t-elle, balayant du regard les ombres maigres des arbustes assoiffés qui entourent encore – mais pour combien de temps ? – sa petite cabane de fortune. « <i>La transhumance, notre mode de vie, tout cela finira par totalement disparaître. </i>»</p><h3><b>Stratégie nationale</b></h3><p class="p2">Convoité pour les besoins de la «<i> transition verte </i>», le lithium, ce métal alcalin, est surtout utilisé dans la conception des batteries rechargeables indispensables par exemple au futur de l’industrie automobile décarbonée. Selon <a href="https://pubs.usgs.gov/publication/mcs2021" target="_blank">les récentes estimations</a> de l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS), le Chili disposerait d’environ 43 % des réserves mondiales de ce nouvel or blanc dont les cours s’affolent sur les marchés internationaux. La feuille de route dessinée par Gabriel Boric affirme, à travers la création d’une entreprise nationale, le rôle de l’État chilien dans l’avenir de l’extraction du lithium. Grâce à cette stratégie, le pays cherche à asseoir sa souveraineté sur une ressource pour l’instant disputée par des capitaux privés, principalement étrangers.</p><p class="p2"><img src="/images/article/e/chili3_1710172042-jpg_1710172042-1.jpg"></p><p class="p1"><i>Elena Rivera et son équipe, documentent et suivent la flore dans le salar de Maricunga.</i></p><p class="p3">Le lithium est extrait des profondeurs des <i>salars</i>, ces déserts de sel emblématiques de la cordillère des Andes, selon la technologie de l’évaporation des saumures. Ce dispositif implique le pompage de millions de mètres cubes d’eau présents sous la surface du <i>salar</i> avant de les faire s’évaporer dans des piscines artificielles sous les coups du soleil implacable de l’Altiplano. Le lithium émerge alors, asséchant les ressources hydriques du bassin. En longeant les rives aux mille nuances de blanc de Maricunga, Elena Rivera, la porte-parole de la communauté colla de Copiapó, ville minière du désert de l’Atacama, observe d’un œil inquiet les mouvements d’une pelleteuse qui s’anime sous le regard impassible des flamants roses. Mécaniques et autonomes, les pinces jaunes de la machine se détachent des reflets bleus d’une cuve récemment creusée dans ce <i>salar</i> où le processus n’est encore qu’au stade de l’exploration. Elle soupire : «<i> C’est ça, la stratégie nationale du lithium. </i>»</p><h3><b>Risque d’écocide</b></h3><p class="p2">Et de fait, Elena Rivera a des raisons de s’alarmer : plus au nord, dans le <i>salar</i> d’Atacama – pour l’instant l’unique exploitation de lithium opérationnelle au Chili –, ce sont deux mille litres d’eau par seconde qui sont pompés quotidiennement pour assurer la cadence de la transition écologique. Selon la chercheuse Barbara Jerez de l’université de Concepción, ce <i>salar</i> est désormais à « <i>l’agonie socio-environnementale</i> », asséché au nom d’une lutte contre le réchauffement climatique qui répète des mécanismes de domination Nord-Sud qu’elle qualifie « <i>d’éco-colonialisme </i>». Cette dernière regrette une stratégie nationale qui fixe le taux d’exploitation des <i>salars</i> avant même de mener une quelconque étude d’impact à grande échelle. Et de conclure : «<i> C’est faire les choses dans le mauvais sens et conduire à un écocide. </i>»</p><p class="p2"><img src="/images/article/e/chili4_1710172176-jpg_1710172176-1.jpg"></p><p class="p1"><i>Communauté d’El Bolo, près du salar de Maricunga. </i></p><p class="p3">Révoltée par cette communication présidentielle qui n’a d’autre objectif selon elle que de «<i> rassurer les intérêts financiers d’un pays où la mine fait loi </i>», Elena Rivera fustige « <i>la mal nommée “transition verte” </i>» et pose la question du coût qu’est disposé à payer le Chili pour équiper les pays européens souhaitant se conformer à leurs engagements environnementaux. D’un geste de la main, la leadeuse communautaire embrasse le territoire de montagnes pelées qui l’entoure : «<i> Nous, nous n’aurons jamais d’automobiles électriques par ici </i>», pointe-t-elle, regrettant que la révolution écologique se réalise au détriment des peuples originaires qui vivent en communion avec la terre.</p><h3><b>Oasis dans le désert</b></h3><p class="p2">À l’aplomb du <i>salar</i>, une fine rainure verte serpente et se détache de l’univers minéral de l’Altiplano. Un cheval isolé surveille quelques moutons qui paissent. Mais à l’ombre d’une paroi imposante, les ruines d’un abri trahissent l’intérêt stratégique de ce chemin de transhumance. L’été venu, c’est dans ces <i>bofedals</i>, écosystèmes humides caractéristiques de la cordillère des Andes, que les bergers collas conduisent leur troupeau. L’eau y fleurit des sous-sols malgré l’aridité lorsque l’altitude dépasse les 4 000 mètres, créant ainsi les conditions d’une oasis dans ce désert de roche et de sel.</p><p class="p3">Pour Elena Rivera, cela ne fait pas de doute : l’extraction du lithium va compromettre cet équilibre résistant dans des conditions climatiques extrêmes. Les chercheurs du Laboratoire d’investigation de la cryosphère et des eaux (LICA) de l’université d’Atacama ne sauraient la contredire. La petite équipe étudie les interactions entre les glaciers de la cordillère des Andes et les bassins hydriques de l’Altiplano. «<i> Le </i>salar<i> de Maricunga est un système fermé, dont les eaux ne s’écoulent jamais jusqu’à l’océan. C’est grâce à la fonte des glaces que cet ensemble fragile s’auto-alimente et fournit une offre en eau qui répond à la demande naturelle de l’écosystème </i>», explique ainsi Ayon Garcia, qui enquête au sein du laboratoire. Les communautés collas vivant dans la cordillère sont trop marginales pour participer au déséquilibre du système. En revanche, «<i> avec l’évaporation des saumures du </i>salar<i> nécessaire à l’extraction du lithium, l’ensemble des nappes du bassin vont être asséchées jusqu’à tarir les sources souterraines et les </i>bofedals<i> des chemins de transhumance</i> », alerte le scientifique. </p><h3><b>« <i>Nos sites sacrés vont disparaître</i> » </b></h3><p class="p2">L’assèchement des terres rend les migrations estivales du bétail impossibles et les éleveurs sont peu à peu contraints de se sédentariser. Une fourche à la main, le dos courbé, Pascual Cardozo Perez a déjà opéré la transition. Âgé de 70 ans, il observe au travers de ses lunettes cerclées de fer la mince couche de pâture qu’il a plantée près de l’enclos de ses moutons dans le campement colla d’El Bolo, un peu plus bas dans la vallée. «<i> La récolte se fait toutes les six semaines, mais elle ne fournit qu’un mois de nourriture pour les bêtes. Le reste, il faut qu’on l’achète </i>», explique-t-il en désignant un stock de foin sec et emballé. Mais faute de moyens, les familles sont de plus en plus nombreuses à complètement abandonner leurs élevages pour s’exiler vers les sinistres cités minières de la région.</p><p class="p2"><img src="/images/article/e/chili5_1710172248-jpg_1710172248-1.jpg"><br></p><p class="p3">Outre l’affaissement des ressources économiques des éleveurs, la disparition de la transhumance générée par l’extractivisme minier vient également percuter les pratiques rituelles et religieuses des Collas, intimement liées au territoire. C’est que «<i> la cosmovision de la communauté est inséparable de la transhumance qui permet d’établir un lien avec la nature, la compréhension des saisons, la connaissance des animaux et des plantes </i>», reprend Elena Rivera. Par ailleurs, «<i> si les sols s’assèchent, c’est aussi toute la faune et la flore qui vont être affectées, et nos sites sacrés vont finir par disparaître </i>», ajoute-t-elle en pointant l’endroit précis où, le long de la route asphaltée qui borde le <i>salar</i>, se dresse une vierge typique du syncrétisme religieux colla.</p><p class="p3">Sur ce point, les scientifiques du LICA abondent : «<i> Le pompage des eaux risque d’affecter directement l’équilibre du corridor biologique Pantanillo Cienaga Redonda qui unit le </i>salar<i> de Maricunga à une lagune située plus au sud </i>», insiste Ayon Garcia. Pourtant identifié comme site Ramsar – soit reconnu comme zone humide d’importance internationale –, ce corridor qui représente un secteur de transit vital pour de nombreuses espèces vulnérables, comme le flamant rose chilien ou les vigognes et les guanacos, ne bénéficie à ce jour d’aucun « <i><a href="https://rsis.ramsar.org/RISapp/files/43125923/documents/UY2236_lit1509.pdf" target="_blank">statut légal de conservation dans le pays</a></i> ». Au total, ce sont près de 40 espèces locales, parties intégrantes de la cosmovision colla, qui pourraient être menacées par les activités liées à l’extraction du lithium dans les années à venir.</p><h3><b>Dés pipés</b></h3><p class="p2">Cela étant, pour Elena Rivera, il n’est pas question d’assister résignée à l’assèchement de son territoire et à la disparition de ses traditions. Soutenue par sa communauté et assistée de ses avocats, elle a déposé un recours devant le Second Tribunal environnemental de Santiago. Cette Cour de justice spéciale traite des controverses écologiques qui, au Chili, opposent régulièrement l’industrie minière aux peuples originaires. Malgré les vaines tentatives de corruption des industriels qui cherchent à monnayer son silence, Elena ne plie pas. Le 12 décembre 2023, les magistrats du tribunal se sont rendus sur le terrain pour constater par eux-mêmes la survivance de la transhumance sur l’Altiplano et la menace pour la biodiversité que ferait peser l’extraction du lithium dans le <i>salar</i> de Maricunga. Ils rendront leur verdict définitif début janvier, ce qui pourrait annuler l’autorisation du projet.</p><p class="p2"><img src="/images/article/e/chili6_1710172326-jpg_1710172326-1.jpg"><br></p><p class="p3">Mais les adversaires des Collas sont de taille : au Chili, aussi curieux que cela puisse paraître, c’est aux groupes industriels qu’il revient de mener les études d’impact préalables à un projet minier et de mesurer les conséquences de l’extractivisme sur les populations alentour. Seulement, à ce jeu-là, les dés sont pipés. Le glaciologue Ayon Garcia souligne le «<i> déséquilibre scientifique qui oppose les magistrats des tribunaux aux meilleurs spécialistes en hydrogéologie recrutés par l’industrie qui ne dévoilent que le strict minimum des résultats de leurs analyses </i>». Elena regrette l’absence d’études sérieuses et indépendantes pour évaluer l’interconnexion du <i>salar</i> avec les cours d’eau où paissent les bêtes des Collas. Pour des résultats réellement concluants, il faudrait, selon elle, « <i>des études isotopiques onéreuses qui permettraient de comprendre toutes les singularités de cet écosystème </i>».</p><h3><b>Repeupler la cordillère </b></h3><p class="p2">Les explorations préalables et autres forages menés par les corporations minières en vue des futures activités d’extraction ont néanmoins déjà entraîné des mouvements qui perturbent la quiétude du <i>salar</i>. Elena désigne une route en ligne droite, vilaine balafre incisée en travers du lac de sel : «<i> La pollution générée par les camions qui vont et viennent participe à la disparition progressive des fleurs traditionnelles médicinales qui poussent dans la cordillère. </i>» Anticipant que l’extraction du lithium lui sera fatale, la communauté des Collas entreprend depuis plusieurs mois un fastidieux travail d’identification des zones où poussent encore ces plantes sacrées permettant de soigner les bergers du mal des montagnes lors des périodes de transhumance. Ce sont eux qui connaissent les secrets de ces emplacements. Grâce à leurs informations, Elena parcourt les cols et les plaines d’altitude, répertorie le territoire de ces fleurs, annote les propriétés physiques de chaque zone, l’altitude, la pression, la température et l’oxygénation, avant d’en prélever quelques graines. L’objectif ? Planter ces semences dans la serre qu’elle a fait construire dans sa communauté pour tenter, plus tard, de repeupler la cordillère.</p><p class="p2"><img src="/images/article/e/chili7_1710172405-jpg_1710172405-1.jpg"><br></p><p class="p3">De l’autre côté de la vallée, dans la pénombre surchauffée de sa petite baraque de bois, le regard ridé de Digna court sur le sol aride et terreux où s’accumulent casseroles de métal et autres possessions de toute une vie. « <i>Bien sûr, c’est de plus en plus difficile pour nous de vivre ici. Nos voisins sont morts et les jeunes préfèrent la ville. Mais depuis qu’Elena est à la tête de la communauté, nous sommes plus sereins. </i>» Et, dans un sourire discret, elle tente de chasser ses inquiétudes : qui sait, si d’aventure Elena parvenait à gagner son combat contre les entreprises du lithium, « <i>peut-être qu’un jour les enfants remonteront vivre dans la vallée </i>». </p>3 pistes pour construire une écologie populaire 17002024-03-06T10:38:00+01:00Faire advenir une écologie véritablement populaire impose de refonder notre modèle social, afin d’aligner la transformation écologique sur les besoins des classes populaires. Zoom sur les leviers à activer dans trois secteurs.https://www.socialter.fr/images/article/t/ecologiepopidees_1709720016-750x480.jpg<h3><b>1 - Vers une sécurité sociale de l’alimentation</b></h3><p class="p1">Les chiffres ont de quoi donner le tournis. Dans la France contemporaine, neuf millions de Françaises et de Français vivent sous le seuil de pauvreté, plus de dix millions déclarent ne pas manger à leur faim et les files d’attente devant les banques alimentaires s’allongent. L’une des causes est à chercher dans le choc inflationniste qui percute de plein fouet le secteur de l’alimentation. Entre janvier 2022 et août 2023, les prix ont ainsi augmenté de 17,9 %, selon une étude Nielsen pour LSA. En conséquence, le sentiment d’un système à deux vitesses est exacerbé, et l’accès à une alimentation de qualité devient un miroir grossissant des inégalités sociales.</p><p class="p1" style="text-align: center;"><i>Article issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p2"><a href="https://www.alerte-exclusions.fr/fr/nos-publications" target="_blank">Le rapport Alerte</a>, rédigé par un collectif d’associations de lutte contre l’exclusion, telles que le Secours catholique, Emmaüs ou Action contre la faim, souligne ainsi que les plus pauvres ont accès à des produits de qualité inférieure qui s’abîment plus vite, dans un environnement alimentaire moins diversifié, avec plus de fast-foods et de discounters. Contraints d’opérer des arbitrages, ils doivent trouver des « combines » pour dépenser moins, parfois au détriment de leur santé. Comparativement, les plus riches ont plus facilement accès à une alimentation locale, diversifiée, synonyme de goût et de plaisir. Alors comment réduire cet écart qui se retrouve <a href="https://vrac-asso.org/wp-content/uploads/2023/11/VRAC_Enquete-acces-a-l-alimentation-qpv-2023.pdf" target="_blank">dans les statistiques</a> ?</p><blockquote><p class="p1"><b>Le principe ? Une carte vitale pour les dépenses alimentaires, universelle, créditée de 150 euros par personne et par mois, le tout financé par des cotisations sociales.</b></p></blockquote><p class="p2">Certains proposent d’instaurer une sécurité sociale de l’alimentation, sur le modèle de la Sécurité sociale mise en place en France après la Seconde Guerre mondiale, qui garantit à tous l’accès aux soins médicaux. Le principe ? Une carte vitale pour les dépenses alimentaires, universelle, créditée de 150 euros par personne et par mois, le tout financé par des cotisations sociales et géré démocratiquement par des caisses locales. La sécurité sociale alimentaire représenterait ainsi un budget annuel de 120 milliards d’euros, soit 8 % de la valeur ajoutée produite en France, précise le collectif SSA qui regroupe des associations, syndicats et organismes qui défendent un modèle agro-alimentaire écologique et équitable. </p><p class="p2">Aussi ambitieux que transformateur, ce projet n’a pour le moment pas trouvé d’écho auprès des décideurs qui planchent plutôt sur un dispositif de chèque alimentation pour les plus modestes. Une idée issue de la Convention citoyenne pour le climat qui n’a pas, à ce jour, été déployée en dehors de la Seine-Saint-Denis, le seul territoire d’expérimentation.</p><p class="p2">Sur le terrain, des associations s’organisent déjà pour offrir une alimentation saine et durable à un prix juste aux plus modestes et aux personnes isolées géographiquement. C’est la mission de Vers un réseau d’achat en commun (Vrac) qui opère dans 18 territoires en France et aussi en Belgique. Grâce à un groupement d’achats, l’association permet à ses adhérents et adhérentes d’avoir accès à des produits frais et de qualité, le tout en rémunérant correctement les producteurs. </p><p class="p2">À Pantin, en Seine-Saint-Denis, dans le quartier populaire des Quatre-Chemins, l’association Pas si loin mise également sur la convivialité et le partage de savoirs culinaires dans sa cantine solidaire où les repas cuisinés sont proposés à prix libre. Tandis qu’à quelques mètres, dans le square Lapérouse, des habitants gèrent en collectif un compost qui est devenu un véritable lieu de socialisation autour de la valorisation des déchets. Autant d’initiatives qui démontrent qu’aujourd’hui, dans les quartiers populaires, la lutte pour une alimentation saine passe avant tout par l’auto-organisation.</p><h3><b>2 - Contre la précarité, une tarification progressive de l’énergie ?</b></h3><p class="p1">En matière d’énergie, la précarité frappe souvent deux fois. Les foyers modestes qui vivent dans des logements mal isolés et énergivores, au confort thermique dégradé, ont également davantage de difficultés à régler leurs factures d’énergie. L’Ademe estime ainsi que les 20 % de ménages les plus pauvres consacrent à l’énergie une part de budget 2,5 fois plus élevée que les 20 % les plus riches. Paradoxalement, c’est une loi de 2021 visant à accélérer la transition énergétique qui pourrait fragiliser encore plus les habitants des « passoires thermiques ». Applicable dès 2025, elle entérine l’interdiction de louer des logements classés E, F et G+ par le diagnostic de performance énergétique – soit 17 % du parc immobilier français, public et privé, au risque d’accroître encore la tension sur le marché immobilier au détriment des plus modestes.</p><p class="p2">Il est difficile de se projeter dans des travaux de rénovation énergétique lorsque l’on galère déjà à payer ses factures. Du côté des locataires, des initiatives locales, comme le guichet public Slime, visent à repérer les personnes en situation de précarité énergétique pour leur proposer un accompagnement adapté. Avec l’ambition d’accompagner à terme 100 000 ménages partout en France. Dans la ville de Besançon, le Slime intervient déjà auprès des personnes bénéficiant de minimas sociaux pour leur proposer un audit énergétique gratuit et former aux écogestes. Autre dispositif, pour les propriétaires cette fois : le Réseau Éco-Habitat finance à hauteur de 75 000 euros des travaux de rénovation énergétique pour les ménages modestes. </p><p class="p2">Il est soutenu en partie par les départements et les régions. Le budget de MaPrimeRenov va également augmenter, passant à 4 milliards d’euros en 2024. L’État vient par ailleurs de lancer un dispositif baptisé « Territoire zéro exclusion énergétique », en partenariat avec l’association Stop exclusion énergétique, afin de faire « passer à l’échelle » les initiatives locales visant à éradiquer la précarité énergétique. Doté de 15 millions d’euros sur quatre ans, ce programme compte accompagner 3 000 projets de rénovation performante dans les 14 territoires retenus. L’agrandissement du parc de logements sociaux, performants sur le plan énergétique, est aussi un enjeu central. Mais le besoin de construction de logements neufs pourrait entrer en contradiction avec la loi « Zéro artificialisation nette » (ZAN)…</p><blockquote><p class="p1"><b>Difficile de se projeter dans des travaux de rénovation énergétique lorsque l’on galère déjà à payer ses factures.</b></p></blockquote><p class="p2">En attendant, pour faire face aux factures d’énergie, certaines villes, comme la municipalité de Grenoble, dirigée par l’écologiste Éric Piolle, déploient des aides financières ponctuelles pour les plus précaires. Un dispositif d’autant plus nécessaire que le bouclier tarifaire sur les prix de l’énergie prend fin à partir de février 2024. Afin de compenser l’inflation à venir, le collectif Alerte préconise ainsi un triplement du chèque énergie, de 700 à 1 600 euros par an.</p><p class="p2">Est-ce suffisant pour lutter contre la précarité énergétique ? Non, répond le think tank Terra Nova qui prône <a href="https://tnova.fr/ecologie/transition-energetique/factures-denergie-apres-le-bouclier-tarifaire-le-filet-solidaire/" target="_blank">une tarification progressive sur l’énergie</a>. Un levier qui consiste à moduler les prix par palier de consommation, en définissant un minimum vital, pour concilier les objectifs de maîtrise de la consommation et ceux de solidarité.</p><h3><b>3 - Décarboner l’industrie, garantir l’emploi</b></h3><p class="p1">La transition vers une économie décarbonée est un défi du point de vue de l’emploi. «<i> Elle implique la transformation de millions de postes de travail </i>», souligne Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi, en Belgique, et auteur d’un manifeste écosocialiste intitulé <i><a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_vie_large-9782348075025" target="_blank">La Vie large</a></i> (La Découverte, 2022). « <i>Rien qu’au sein de l’Union européenne, on recense aujourd’hui 500 000 emplois dans les industries du charbon, 14 millions dans l’automobile, 12 millions dans le transport routier, 6 millions dans l’industrie lourde, 5 millions dans le transport aérien, 500 000 dans l’aéronautique, 240 000 dans le transport maritime.</i> » Alors, comment faire évoluer ces industries clés du modèle productiviste et extractiviste, sans céder le terrain aux idées populistes et aux dirigeants conservateurs qui agitent le chiffon brun d’une destruction nette d’emplois ?</p><p class="p2">En s’inspirant de la tradition ouvrière et socialiste, pour proposer une véritable « garantie d’emploi », notamment aux travailleurs et travailleuses des secteurs appelés à disparaître. Pour garantir ce droit, l’État investirait massivement dans la formation ; de manière à financer les reconversions vers les métiers de la transition alimentaire, énergétique et climatique, apportant ainsi une réponse aux «<i> nouveaux besoins collectifs</i> », note Paul Magnette. Comme par exemple le métier d’« <i>ensemblier solidaire</i> », chargé d’accompagner de A à Z la rénovation globale des logements des personnes en grande précarité énergétique. Côté financement, le collectif Alerte évoque dans son rapport une solution originale : instaurer une taxe sur les machines, qui automatisent de plus en plus le travail, afin de financer les reconversions.</p><blockquote><p class="p1"><b>Comment faire évoluer ces industries clés du modèle productiviste et extractiviste, sans céder le terrain aux idées populistes et aux dirigeants conservateurs qui agitent le chiffon brun d’une destruction nette d’emplois ?</b></p></blockquote><p class="p2">Les « Territoires zéro chômeurs de longue durée » constituent déjà une expérimentation concrète dans le secteur des emplois verts. Ce dispositif accompagne les personnes les plus éloignées de l’emploi dans une reconversion vers des secteurs « intensifs » en main-d’œuvre, comme par exemple la rénovation thermique ou les énergies renouvelables. Le nombre d’emplois concernés ? « <i>Un million </i>», répond Laurent Grandguillaume, le directeur du projet, illustrant que le sujet du travail est déjà un levier de la transition. </p>Le nucléaire imaginé : le rêve du capitalisme dans la Terre16992024-03-05T15:20:00+01:00Découvrez notre recension de « Le nucléaire imaginé » d'Ange Pottin, aux Éditions La Découverte.https://www.socialter.fr/images/article/t/nucleaireimagine_1709648641-750x480.jpg<p class="p1">En quelques années, le vent a tourné dans l’opinion publique sur la question du nucléaire. L’influence grandissante de Jean-Marc Jancovici dans les médias et le plan de relance annoncé par Emmanuel Macron ont redonné à cette énergie une forte popularité : elle serait une promesse de décarbonation et d’autonomie pour une France pauvre en ressources. </p><p class="p1">Pour le chercheur Ange Pottin, auteur du <i>Nucléaire imaginé</i>, ce storytelling séduisant autour de l’atome s’appuie sur une vision abstraite et « déterrestrée » qui occulte la réalité matérielle, de l’extraction de l’uranium, de l’enfouissement des déchets et du démantèlement des installations obsolètes. Si l’essayiste ne remet pas en question les qualités objectives du nucléaire, notamment sa concentration énergétique sans pareille, il estime que le discours de ses partisans, en particulier celui des ingénieurs français depuis les années 1950, s’appuie sur un horizon – celui du « cycle du combustible fermé » (volonté de réutiliser les déchets) – et un cadre économique – celui du « capital fissile » (volonté de rapatrier des puits énergétiques sur le territoire national) – problématiques. </p><p class="p1">Sans lui faire de procès de principe, Ange Pottin invite à regarder le nucléaire pour ce qu’il est vraiment : une énergie efficace mais extrêmement coûteuse en argent et en ressources, produisant des déchets sur des centaines de milliers d’années et dont la question du démantèlement exige dès maintenant une profonde réflexion. </p><p class="p1"><i><b><a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_nucleaire_imagine-9782348081101" target="_blank">Le nucléaire imaginé </a></b><a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_nucleaire_imagine-9782348081101" target="_blank">Le rêve du capitalisme dans la Terre</a></i> <b>Ange Pottin </b>La Découverte → janvier 2024 - 160 pages - 16 €</p>Salomé Saqué : Logement, une crise inédite16982024-03-04T17:08:00+01:00Dans sa nouvelle chronique pour Socialter, Salomé Saqué, journaliste chez Blast, revient sur les origines de la grave crise du logement qui sévit en France.https://www.socialter.fr/images/article/t/salomenewillu_1709568370-750x480.jpg<p class="p1">Elle a été retrouvée inerte sur un carton dans les rues de Carpentras (Vaucluse), emmitouflée dans une dizaine de couvertures. Élisabeth, la soixantaine, est morte de froid au début du mois de janvier.</p><p class="p1">À son enterrement, le maire de la ville lui a rendu hommage et a déploré le nombre de places manquantes en centre d’hébergement d’urgence. Car Élisabeth vivait dans la rue depuis plusieurs années et, comme de nombreux autres SDF, elle n’a pas survécu à la vague de froid qui s’est abattue sur la France en ce début d’année.</p><p class="p1" style="text-align: center; "><i>Chronique issue de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p2">Un fait divers qui n’en est pas un, puisqu’il s’inscrit dans le cadre de la grave crise du logement que traverse le pays depuis plusieurs années. En 2022, le collectif Les Morts de la rue a recensé 611 décès de personnes sans abri en France, dont cinq enfants de moins de 5 ans. Dans la 11<sup>e</sup> édition de son rapport, le collectif décrit une mortalité massive et précoce des personnes «<i> sans chez-soi </i>». Si Emmanuel Macron avait assuré en 2017 qu’il ne voulait plus «<i> d’ici la fin de l’année </i>» de personnes sans logement, c’est loupé ! Depuis cette vaine promesse, le nombre de SDF a quasiment doublé en France. Aujourd’hui, il y en aurait au moins 330 000 selon la Fondation Abbé Pierre, soit 30 000 de plus que l’année précédente.</p><p class="p2">Aux origines de cette situation dramatique : une crise du logement profonde et durable. La crise de 2008 avait fait exploser les inégalités d’accès au logement et, depuis, c’est une longue descente aux enfers. À tel point qu’en 2019, l’ONU a déclaré la France coupable de « violations des droits humains »<b>1</b> dans sa gestion des sans-abri. Si les SDF sont le visage le plus tragique de cet accès de plus en plus limité au logement, plus de 4 millions de personnes sont mal logées<b>2</b> en France selon la Fondation Abbé-Pierre. Près d’un million de personnes habitent dans des logements en surpeuplement et 3,5 millions ont froid en hiver faute de pouvoir chauffer leur habitat. </p><p class="p2">En 2021, 786 000 coupures d’énergie ou réductions de puissance ont été effectuées pour cause d’impayés (soit 22 % de plus en deux ans), et plus d’un million de personnes sont aujourd’hui en situation de loyer impayé. Au total, si on compte toutes les personnes qui vivent dans des habitats en surpeuplement, les propriétaires qui habitent dans des logements dont ils ne peuvent plus payer les charges et les personnes pour qui le coût du logement est si élevé qu’il ne leur reste plus assez d’argent à la fin du mois pour subvenir à leurs besoins, la Fondation estime à 15 millions le nombre de personnes touchées par la crise du logement – un record historique. En France, cette crise est sûrement l’un des plus gros enjeux sociaux de notre époque, et pourtant, on la connaît si mal quand on ne la vit pas.</p><h3><b>Inégalités à tous les étages </b></h3><p class="p1">En dehors de la pénibilité évidente liée au mal-logement, les conséquences de mauvaises conditions de vie sur la santé sont gravissimes. Selon l’OMS, au moins 130 000 personnes décèdent chaque année en Europe à cause de conditions de logement inadéquates. Le mal-logement a un impact majeur sur la santé physique en favorisant la propagation des maladies infectieuses, sans même parler des moisissures qui constituent un risque important pour la santé. Et ce n’est pas tout ! Comme le rappelle la dernière enquête de Santé publique France sur le sujet<b>3</b>, le fait d’habiter dans un logement dégradé conduit à un processus de stigmatisation, de dégradation sociale, de perte d’estime de soi : «<i> Les effets de la mauvaise qualité du logement et de sa suroccupation sur la santé mentale, l’anxiété, la dépression, l’agressivité ont été scientifiquement démontrés.</i><b>4</b> » Et pourtant, si plus d’un sixième de la population française est touché par cette crise du logement, non seulement la situation ne s’améliore pas, mais elle empire d’année en année ! Pourquoi ? Car c’est un choix politique.</p><p class="p2">Le dernier rapport d’Oxfam sur le sujet ne laisse aucun doute à ce propos<b>5</b>. On y apprend que les prix de l’immobilier ont augmenté de 125,6 % entre 2001 et 2020, alors que dans le même temps, les revenus n’ont progressé que de 29 %. Autrement dit, en vingt ans les prix des biens immobiliers ont augmenté quatre fois plus vite que les revenus : bonne nouvelle pour ceux qui détiennent un patrimoine immobilier, mauvaise pioche pour les autres. Cette crise survient sur fond d’augmentation des inégalités en France. En vingt ans, le patrimoine des 10 % les mieux dotés a été multiplié par 2,25 ; celui des 10 % les moins bien dotés a été divisé par 2. Ce sont précisément ces moins dotés qui peuvent à tout moment basculer dans la précarité du logement.</p><blockquote><p class="p1"><b>En 2019, l’ONU a déclaré la France coupable de « violations des droits humains » dans sa gestion des sans-abri.</b></p></blockquote><p class="p2">Derrière ces chiffres se cache une béante fracture générationnelle, car les mieux dotés sont les plus âgés. Certains bénéficient même de cette crise du logement en louant des biens à prix d’or. En 2021, près de 45 % des multi-propriétaires immobiliers ont plus de 60 ans – et le ratio passe à 70 % lorsqu’on ajoute les cinquantenaires. Leur « mérite » ? Avoir investi dans un contexte favorable entre 1970 et 1995 et s’être enrichis depuis grâce au boom immobilier historique. Depuis, vouloir accéder à la propriété immobilière quand on est jeune équivaut à jouer au Monopoly en arrivant au dixième tour.</p><p class="p2">Une situation injuste que l’on doit aux avantages fiscaux de plus en plus nombreux pour les plus aisés, à la flexibilisation du marché du travail et à des politiques globalement façonnées pour favoriser les plus aisés, notamment les générations les plus anciennes, comme le démontre en détail le journaliste François de Closets dans son ouvrage <i>La Parenthèse boomer</i> (Fayard, 2022). Plus le temps passe, plus les inégalités se transmettent, en témoigne un rapport du Conseil d’analyse économique qui affirme qu’à cause, entre autres, de son système fiscal, la France est redevenue « <i>une société d’héritiers</i><b>6</b> ». Bref, la crise du logement n’est que le symptôme de plus d’une politique qui tend à favoriser les favorisés et à pénaliser les plus modestes.</p><h3><b>Salauds de pauvres</b></h3><p class="p1">Enfin, les associations qui œuvrent sur le terrain aux côtés des plus précaires (et donc exposés à la crise du logement) déplorent surtout l’action insuffisante de l’État ! Quelque 14 000 places en hébergement d’urgence ont été supprimées en 2023 et la production de logements sociaux ne cesse de diminuer au plan national (126 000 logements sociaux financés en 2016, contre 96 000 en 2022). De manière générale, la politique d’Emmanuel Macron tend à stigmatiser les plus précaires, via une multitude de lois visant à « responsabiliser » les pauvres, sous-entendant qu’ils sont responsables de leur situation, voire qu’ils « profitent » de l’argent public. Au menu, réduction des conditions d’accès au chômage, diminution des APL ou encore instauration d’heures d’activité obligatoires pour toucher le RSA… Cette politique horrifie la Défenseure des droits Claire Hédon, qui s’interrogeait dans les colonnes de <i>Libération</i> en octobre dernier : «<i> Qu’est-ce que c’est que cette société qui va renforcer les inégalités au lieu de lutter contre ? </i>»<b>7</b></p><p class="p2">En attendant que nos dirigeants se décident enfin à « lutter contre », la précarité du logement s’intensifie et s’étend à une partie de plus en plus importante de la population, au point de faire partie intégrante du paysage social. On s’habitue collectivement à tolérer l’extrême pauvreté et l’insalubrité des logements, si bien que des « Élisabeth » peuvent mourir de froid dans la rue en toute indifférence. </p><p class="p1"><b><br></b></p><p class="p1"><b>1.</b> La France est coupable de « violations des droits de l’Homme» dans sa gestion des sans-abri, a déclaré, le 12 avril 2019, la rapporteure spéciale de l’ONU sur le droit au logement, Leilani Farha, lors d’une conférence de presse.</p><p class="p2"><b>2.</b> Une personne « mal logée » est quelqu’un qui ne maîtrise pas la durée de son hébergement. Cela recoupe le cas de personnes sans domicile, celles qui vivent chez un proche par contrainte ou encore celles vivant dans des logements insalubres.</p><p class="p1"><b>3.</b> « <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/docs/la-sante-en-action-septembre-2021-n-457-le-logement-determinant-majeur-de-la-sante-des-populations" target="_blank">Le logement, déterminant majeur de la santé des populations</a> », <i>La Santé en action</i> (revue trimestrielle de Santé publique France), n° 457, septembre 2021.</p><p class="p1"><b>4.</b> <i>Ibid</i>.</p><p class="p1"><b>5.</b> « <a href="https://www.oxfamfrance.org/rapports/logement-inegalites-a-tous-les-etages/" target="_blank">Logement : inégalités à tous les étages</a> », rapport publié sur le site d’Oxfam France, 4 décembre 2023.</p><p class="p1"><b>6.</b> « <a href="https://www.cae-eco.fr/repenser-lheritage" target="_blank">Repenser l’héritage</a> », Clément Dherbécourt, Gabrielle Fack, Camille Landais, Stefanie Stantcheva, <i>Notes du conseil d’analyse économique</i>, 2021/9 (n° 69), pp. 1-12.</p><p class="p2"><b>7.</b> « <a href="https://www.liberation.fr/economie/social/claire-hedon-defenseuse-des-droits-cette-reforme-du-rsa-risque-dappauvrir-davantage-les-plus-pauvres-20231010_AZKJBGN3CBGMBLJU767IXFEWZY/" target="_blank">Claire Hédon sur la réforme du RSA</a> : ''Qu’est-ce que c’est que cette société qui va renforcer les inégalités au lieu de lutter contre ?” », Amandine Cailhol, Frantz Durupt et Anne-Sophie Lechevallier, <i>Libération</i>,<br>10 octobre 2023.</p>Jean-Baptiste Fressoz : « La transition énergétique est l’idéologie du capital au XXIe siècle »16972024-02-27T17:19:00+01:00Dans Sans transition, Jean-Baptiste Fressoz, chargé de recherches au CNRS, propose une contre-histoire passionnante de l’énergie. Loin des récits classiques, où bois, charbon et pétrole se succèdent au fil du temps, il démontre que les énergies, interdépendantes, ont crû de concert depuis l’aube de l’ère industrielle. La « transition énergétique » n’a jamais eu lieu. Pire : cette utopie technologique, instrumentalisée politiquement depuis les années 1970, risque de nous détourner des véritables solutions à la catastrophe climatique en cours.https://www.socialter.fr/images/article/t/jbfressoz_1709051523-750x480.jpg<h4><b>La transition énergétique est aujourd’hui un horizon partagé, consensuel, qu’on retrouve partout, notamment dans le dernier accord issu de la COP 28. Mais l’adhésion à cette perspective rassurante de substitution technologique repose, selon vous, sur une vision fausse de l’histoire. Pourquoi la « transition énergétique » vous pose-t-elle problème en tant qu’historien ?</b></h4><p class="p2">Ce qui m’intéresse, c’est le rôle de l’histoire dans l’acceptation d’un futur – la transition énergétique – qui, quand on y réfléchit sérieusement, pose d’énormes problèmes. Si vous prenez les études actuelles des instituts de prospective, il n’y a pas de transition prévue avant 2050. En gros, l’usage du charbon va stagner ou bien diminuer un peu, les consommations de pétrole et de gaz vont augmenter légèrement. Donc, nous ne sommes vraiment pas dans des trajectoires de basculement d’une énergie à une autre.</p><p class="p1" style="text-align: center; "><i>Entretien issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p3">L’apparence de plausibilité d’une « transition énergétique » hors des fossiles en 25 ou 30 ans repose en partie sur une culture historique fausse et « phasiste » de l’énergie. Du collège à l’université, on enseigne que la révolution industrielle, c’est une transition du bois au charbon, suivie au XX<sup>e</sup> siècle d’une transition du charbon au pétrole. Or, j’explique dans le livre à quel point c’est une vision fausse. D’une part, les énergies ne se remplacent pas mais s’accumulent et, d’autre part, elles sont complètement intriquées les unes dans les autres.</p><h4><b>Vous parlez d’histoire « symbiotique ». Pouvez-vous illustrer cette idée de symbiose des énergies ?</b></h4><p class="p2">On ne comprend pas grand-chose à l’histoire des énergies si on ne montre pas les relations de dépendance qui existent entre elles. Par exemple, l’essor du charbon au XIX<sup>e</sup> siècle a tiré la consommation de bois. En effet, plus vous avez recours au charbon, plus vous avez besoin de bois dans les mines pour l’extraire, mais aussi pour faire marcher les chemins de fer, pour emballer des marchandises, pour construire des maisons. De même, plus vous avez recours au pétrole, plus vous avez besoin de charbon pour fabriquer les voitures qui vont l’utiliser. Pour produire une voiture dans les années 1930, il fallait autour de sept tonnes de charbon, soit autant en masse que le pétrole brûlé durant toute sa durée d’utilisation. J’ai été frappé de voir l’énorme quantité d’acier, et donc de charbon, que consomme le pétrole. Il faut des tubes pétroliers, de gros réservoirs, des raffineries, et tout ça dépend du charbon. Au début du XXI<sup>e</sup> siècle, l’industrie pétrolière américaine consomme certaines années plus d’acier que toute l’économie américaine un siècle plus tôt. À cela s’ajoutent les routes qui consomment beaucoup de ciment et donc de charbon… L’utilisation du pétrole est conditionnée par celle du charbon.</p><p class="p3">Réciproquement, avec le pétrole et les moteurs à explosion, vous avez davantage de charbon. Son coût diminue, car il peut être transporté dans des camions à benne levante, infiniment plus commodes que les chariots et les chevaux d’avant la Première Guerre mondiale. Le camion à benne levante fait partie de ces techniques qui ne paient pas de mine mais qui sont essentielles dans l’histoire de l’énergie. Les énergies ne sont donc pas simplement en superposition, elles sont complètement liées les unes aux autres. Plutôt qu’une succession de phases, ou de grands âges, l’histoire de l’énergie est un embrouillamini de plus en plus compliqué de matières, de techniques et d’énergies.</p><h4><b>Le récit habituel de l’histoire de l’énergie, insistant sur une succession de « phases », masque aussi des dynamiques importantes. Ainsi le XIX<sup>e</sup> siècle, qu’on associe plutôt à l’âge du charbon, connaît un essor des énergies renouvelables. Vous pouvez en dire un mot ?</b></h4><p class="p2">Le charbon, évidemment, se développe très fortement, notamment à partir de la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Mais les renouvelables progressent aussi au XIX<sup>e</sup> siècle. En fait, dans beaucoup de pays industriels, jusqu’aux années 1860, l’énergie hydraulique est dominante. Et il ne s’agit plus de moulins, mais bien souvent de turbines horizontales en fonte, dont la production dépend du charbon. Une fois encore : il ne faut pas opposer les énergies. En France par exemple, la puissance hydraulique sur les cours d’eau est multipliée par trois au XIX<sup>e</sup> siècle. Aux États-Unis ou dans les pays nordiques, c’est bien davantage. L’éolien progresse également avec l’industrialisation : la marine marchande, jusqu’à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, dépend du vent. L’éolien fixe aussi se développe fortement. Il y a plusieurs millions d’éoliennes aux États-Unis à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. </p><p class="p2">Évidemment, elles n’ont pas grand-chose à voir avec ce qu’on fait maintenant, elles sont plus petites. Mais elles ont un rôle historique énorme puisqu’elles permettent de pomper l’eau des nappes phréatiques dans le Midwest et donc d’irriguer les grandes plaines et d’y développer l’agriculture. C’est un phénomène historique peut-être aussi important que la machine à vapeur, couplée avec le métier textile dans les années 1830 autour de Manchester, sur laquelle les historiens se sont beaucoup focalisés. Enfin, la force musculaire se développe aussi énormément aux XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles. Il y a davantage d’humains qui utilisent des outils plus efficaces avec moins de frottements… En fait, le problème en histoire de l’énergie, commun avec l’histoire des techniques et <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/The_Shock_of_the_Old" target="_blank">parfaitement souligné par David Edgerton</a>, est que les historiens se sont focalisés sur la nouveauté à chaque époque. D’où une histoire de l’énergie « phasiste », qui nous a acculturés à cette idée de transition.</p><h4><b>La transition énergétique n’a donc rien d’une description réaliste de notre passé technique. En réalité, vous l’expliquez, c’est à l’origine une utopie technologique, née dans les années 1950, au sein d’un groupe que vous appelez les « malthusiens atomiques ». Qui sont ces scientifiques et quel est leur projet ?</b></h4><p class="p2">Les malthusiens atomiques sont des scientifiques qui ont travaillé au projet Manhattan, plutôt de gauche, et favorables au désarmement nucléaire. Ils sont un peu horrifiés a posteriori par ce qui s’est passé à Hiroshima et Nagasaki. Et ils essaient de montrer que ce qu’ils ont découvert avec le nucléaire n’est pas simplement un effroyable engin de mort, mais aussi quelque chose qui va permettre de sauver l’humanité du piège de la raréfaction des ressources. À ce moment, il y a deux imaginaires qui se rencontrent : d’une part, l’imaginaire technophile de l’atome et, d’autre part, l’imaginaire néo-malthusien de l’épuisement des fossiles. C’est à l’intersection des deux que naît la transition énergétique. L’expression « transition énergétique » est d’ailleurs au départ un terme de physique nucléaire, désignant un électron qui change d’état autour de son noyau.</p><p class="p3">Mais, et c’est un point important, à cette époque, ils n’envisagent pas de transition rapide. Pour ces savants atomistes malthusiens, la transition, c’est une perspective lointaine. Si la fin du pétrole aux États-Unis est proche, la fin des fossiles dans le monde n’aura pas lieu avant le 23<sup>e</sup> ou 24<sup>e</sup> siècle. Mais ils considèrent qu’il faut s’y préparer et donc investir dès maintenant pour développer le nucléaire. À leurs yeux, la transition aura lieu du fait du renchérissement des fossiles, qui poussera inéluctablement à développer d’autres technologies. Par ailleurs, leur vision concerne surtout les pays riches. Le problème est qu’on a transféré ce modèle de transition, pensé comme une réponse à la raréfaction à long terme des fossiles, sur la question du changement climatique, qui n’a absolument rien à voir.</p><p class="p1"><b>Projet Manhattan</b></p><p class="p2"><i>Le projet Manhattan désigne le projet de recherche anglo-américain visant à fabriquer des armes nucléaires pendant la Seconde Guerre mondiale. Mené dans le plus grand secret à Los Alamos au Nouveau-Mexique, il a croisé expertise scientifique, production industrielle et coordination militaire pour créer une forme d’armement entièrement nouvelle en un temps record. De nombreux scientifiques internationaux renommés ont participé aux recherches sous la direction du physicien J. Robert Oppenheimer.</i></p><p class="p1"><b>Néomalthusianisme</b></p><p class="p2"><i>Courant de pensée selon lequel la planète Terre est un système fini aux ressources naturelles limitées dont l’équilibre est principalement menacé par la croissance démographique. Ce nom fait référence à l’économiste conservateur Thomas Malthus (1766-1834) pour qui la croissance de la population risque d’engendrer famines, récessions et guerres. Ses idées connaissent une résurgence dans les années 1960 comme chez le biologiste Paul Ehrlich, favorable au contrôle des naissances, qui publie en 1968 La Bombe P (The Population bomb).</i></p><h4><b>Dans les années 1970, avec les chocs pétroliers, l’idée d’une crise énergétique, c’est-à-dire d’une raréfaction inéluctable et prochaine des hydrocarbures, s’impose dans le débat public, notamment aux États-Unis. La notion de « transition énergétique » devient alors <i>mainstream</i>.</b></h4><p class="p2">Oui, c’est une décennie clé. L’idée de transition se diffuse dans le sillage d’une autre notion, qui provient également de l’atome, celle de crise énergétique. Dès 1969, cette idée est poussée par l’Atomic Energy Commission (AEC), l’agence à l’énergie atomique américaine, pour défendre l’hypothèse du surgénérateur. L’idée de crise énergétique sert aussi un lobbying auprès de la presse américaine pour contrer les discours antinucléaire. Évidemment, de ce point de vue, le choc pétrolier de 1973, avec le renchérissement du coût du pétrole, c’est un peu la divine surprise. À partir de ce moment-là, tout le monde se met à parler de crise énergétique et de transition énergétique.</p><p class="p1"><b>Surgénérateur</b></p><p class="p2"><i>La surgénération est le fait de fabriquer des combustibles nucléaires à partir d’autres éléments que l’Uranium 235, majoritairement utilisé dans les réacteurs nucléaires. Un réacteur nucléaire est un surgénérateur lorsqu’il permet de récupérer les matériaux fissiles produits en réacteur afin d’en faire du combustible neuf. Dans les années 1970 et 1980, la prévision d’épuisement des ressources d’Uranium 235 a rendu cette technologie attrayante, malgré son coût et ses risques importants.</i></p><h4><b>Y compris dans les milieux écologistes qui se réapproprient cette thématique…</b></h4><p class="p2">Oui, il s’agit là probablement d’un échec important. Une partie du mouvement écolo américain, critique de l’atome, reprend une vision simpliste des systèmes énergétiques et défend l’idée d’un grand basculement vers le solaire en quelques décennies. C’est le cas, en particulier, d’Amory Lovins. Aujourd’hui, il est présenté comme le grand gourou du solaire et des renouvelables, qui avait raison avant tout le monde. Sauf qu’en fait, il s’est surtout trompé avant tout le monde. En 1976, il affirmait qu’en trente ans, les États-Unis pouvaient entièrement sortir des fossiles, avec un argumentaire très libéral. Il fallait laisser le marché faire, les renouvelables allaient se bricoler dans les garages et ça irait très vite. C’est à ce moment que le mouvement environnementaliste commence à naturaliser la transition énergétique. On pense que, quoiqu’il arrive, il y aura une substitution énergétique du fait de l’épuisement du pétrole. Mais avec beaucoup de capitaux et d’innovation, on se rend compte que les limites des ressources fossiles peuvent encore être repoussées. C’est bien ça le problème.</p><p class="p2"><img src="/images/article/e/jbfressoz2_1709051549-jpg_1709051549-1.jpg" style="width: 1170px;"><br></p><h4><b>La fin de votre livre apporte un éclairage très intéressant sur la naissance du GIEC, créé en 1988 pour contrer, dites-vous, l’activisme climatique de scientifiques menés par un biologiste égyptien, Mostafa Tolba. Pouvez-vous revenir sur cette genèse ?</b></h4><p class="p2">Mostafa Tolba est le directeur du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). En 1987, il remporte un succès important : la signature du protocole de Montréal, qui prévoit la fin de l’usage des CFC, pour arrêter la destruction de la couche d’ozone. Or, depuis une dizaine d’années, on commence à l’époque à parler de changement climatique. En 1970 il y a eu une conférence à Stockholm, puis en 1979 à Genève. La question est déjà en partie dans le circuit onusien. Mostafa Tolba veut faire sur les fossiles la même chose que pour la couche d’ozone. Il crée un petit groupe de chercheurs, l’Advisory Group on Greenhouse Gases, dans lequel on compte notamment le Suédois Bert Bolin, une figure majeure de l’expertise climatique, qui suit ces questions depuis les années 1960. Une fois encore, il ne faut surtout pas penser qu’il y aurait une sorte de découverte soudaine du changement climatique. C’est un vieux problème. Les conseillers de la Maison blanche sur les questions scientifiques en parlent depuis le milieu des années 1960.</p><p class="p1"><b>Protocole de Montréal</b></p><p class="p2"><i>Le protocole de Montréal fait suite aux alertes lancées dans les années 1970 par des scientifiques sur la menace que font peser sur la couche d’ozone des composés produits par l’industrie chimique, les chlorofluorocarbures (CFC), présents dans de nombreux objets du quotidien. Signé en 1987 par de nombreux pays, il doit son succès à la découverte rapide de substituts aux CFC, permettant aux industries de conserver en partie leurs procédés habituels, ainsi qu’à la création en 1991 d’un fonds multilatéral pour accompagner les pays les moins riches dans leur transition.</i></p><blockquote><p class="p1"><b>« On ne comprend pas grand-chose à l’histoire des énergies si on ne montre pas les relations de dépendance qui existent entre elles. Par exemple, l’essor du charbon au XIX<sup>e</sup> siècle a tiré la consommation de bois. »</b></p></blockquote><p class="p3">Pour en revenir à Mostafa Tolba, il faut souligner ses discours assez véhéments, en décalage même avec les climatologues de l’époque. Pour lui le problème est très grave, il faut agir immédiatement. Lors d’une conférence internationale à Villach en Autriche en 1985, il appelle à réduire de 60 % les émissions de CO2 avant l’an 2000. Quand l’administration Reagan entend cela, elle s’étrangle. Les États-Unis vont donc pousser à la création d’un autre groupe d’experts, qui ne seront pas cette fois des experts internationaux, comme à l’ONU, mais des experts intergouvernementaux. </p><p class="p3">C’est le « i » de GIEC qui est important : ces experts sont nommés par les gouvernements. Dans les archives de la présidence Reagan, on voit qu’il est clairement préconisé que le GIEC compte des représentants, non pas seulement des ministères de l’Environnement et de la Recherche, mais aussi de l’Agriculture, de l’Industrie, de l’Énergie. On peut tout à fait lire la création du GIEC comme une manière pour les gouvernements, celui des États-Unis au premier chef, de reprendre la main sur l’expertise climatique. Le processus s’accélère en 1988, parce qu’il y a une canicule, et même une sécheresse importante aux États-Unis. Et il y a, le même été, une conférence internationale au Canada qui reçoit une bonne couverture médiatique. C’est à ce moment-là que les États-Unis poussent pour créer le GIEC. </p><h4><b>Vous vous penchez en particulier dans votre livre sur l’origine du groupe III du GIEC, chargé d’établir des scénarios d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. À ses débuts, racontez-vous, ce groupe est présidé par des scientifiques étasuniens partisans du laisser-faire, voire carrément climatosceptiques…</b></h4><p class="p2">Depuis 1979, il y a déjà des rapports clairs et qui font consensus sur le changement climatique. Pour les experts, la question n’est plus tant de savoir s’il y a de l’effet de serre et du réchauffement, mais à quel rythme et avec quels effets. J’insiste là-dessus parce qu’on a souvent l’impression que c’est seulement dans les années 1990 que le consensus scientifique s’est fait.</p><p class="p3">Peu après la création du GIEC, en 1991, les États-Unis nomment un climatosceptique à la tête du groupe III : Robert Reinstein. Les États-Unis sont à l’époque, de loin, les premiers émetteurs mondiaux. Et en amont de la conférence de Rio de 1992, le chef de cabinet du président George Bush, John Sununu, donne une consigne claire à Robert Reinstein : «<i> No target, no money. </i>» Pas de cible : on ne va pas se fixer d’objectifs d’émissions. Pas d’argent : jamais les États-Unis ne donneront de l’argent pour dédommager les dégâts du réchauffement. Il reste donc une option : «<i> Play the technology card </i>», jouer la carte technologique. La transition énergétique apparaît donc nettement, à ce moment-là, comme un argument dilatoire des États-Unis dans les négociations internationales. </p><p class="p3">Robert Reinstein est aussi en contact avec William Nordhaus, une figure majeure de l’économie climatique à ses débuts – qui obtiendra même le prix Nobel en 2018. Ses modèles expliquent qu’il est urgent de ne rien faire et que la transition sera plus facile plus tard. On retrouve ces idées dans le deuxième rapport du groupe III par exemple. C’est ainsi que l’expertise intergouvernementale va être façonnée, au moins à ses débuts, par les impératifs politiques américains.</p><p class="p1"><b>Conférence de Rio en 1992</b></p><p class="p2"><i>Considérée comme l’apogée de la coopération environnementale, la conférence de Rio, aussi appelée Sommet de la Terre, a mené à l’adoption de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et de celle sur la diversité biologique. Elle a également affirmé le concept de développement durable dans la protection de l’environnement, entérinant une association libérale entre des objectifs de croissance économique et de protection de l’environnement.</i></p><h4><b>Le fait que la transition énergétique soit devenue l’horizon de la lutte contre le changement climatique constitue à vos yeux « un scandale scientifique et politique ». En quoi ce paradigme est-il complètement inadapté ?</b></h4><p class="p2">Dans certains domaines, la transition est envisageable. Pour l’électricité, qui représente 40 % des émissions mondiales, il faut faire des renouvelables. Même s’il ne faut pas croire qu’il va être si facile de décarboner la production électrique à l’échelle mondiale. En revanche, imaginer qu’on va entièrement sortir des fossiles en trente ans, c’est une vue de l’esprit. Il y a plein de technologies qu’on ne sait pas décarboner. L’aviation est la plus connue, mais il y en a d’autres. Pour le ciment, ça va être très compliqué, tout comme pour l’acier, le plastique, les engrais… Dire « on va trouver de nouvelles technologies pour tous les secteurs et les diffuser à l’échelle globale, y compris dans les pays pauvres, et tout ça en trente ans », ce n’est pas vrai. Le problème est que pendant qu’on fait miroiter des avions à hydrogène et une économie décarbonée grâce à une troisième révolution industrielle, on ne parle pas du niveau de production et on ne parle pas de la répartition des émissions. L’un des effets du discours de la transition énergétique, c’est qu’on ne pose pas les questions de la sobriété, de la décroissance et de la répartition.</p><p class="p3">C’est pour ça que je conclus en disant que la transition énergétique est l’idéologie du capital au XXI<sup>e</sup> siècle. Quand on parle de transition, on parle d’innovation, d’investissements. Autrement dit : c’est le capital qui va nous sauver. On voit bien le rôle politique que joue cette histoire de transition. Ça évite de poser des questions qui fâchent, par exemple celle de la régulation de la consommation des plus riches…</p><h4><b>L’idée de transition énergétique laisse dans l’ombre d’autres solutions. Vous donnez l’exemple du dernier rapport du groupe III du GIEC où le thème de la sobriété (<i>sufficiency</i>) apparaît timidement pour la première fois. La décroissance est à peine évoquée, alors que la « transition » est martelée 4 000 fois… Comment faire pour que des scénarios basés sur la sobriété et la décroissance des flux matériels fassent l’objet d’une expertise sérieuse ?</b></h4><p class="p2">J’espère que mon livre sera compris comme un appel à réfléchir bien plus sérieusement à ces questions. Les économistes ont laissé dans un état de friche intellectuelle la question de la décroissance. Toujours dans le dernier rapport du groupe III, il est écrit noir sur blanc qu’aucun des 3 000 scénarios n’explore, ne serait-ce qu’à titre d’hypothèse, la question de la décroissance.</p><p class="p3">Beaucoup par contre incluent des quantités scandaleusement élevées d’émissions négatives. C’est vraiment étrange. Pour ne pas dépasser les +2 °C, ils prévoient de stocker entre 170 et 900 gigatonnes de CO2 d’ici 2100. Or, pour donner un ordre de grandeur, l’ensemble de la production mondiale de bois représente quatre gigatonnes. Il faudrait stocker plusieurs fois la production mondiale de bois sous terre chaque année. C’est quand même un peu n’importe quoi.</p><blockquote><p class="p1"><b>« Imaginer qu’on va entièrement sortir des fossiles en trente ans, c’est une vue de l’esprit. Il y a plein de technologies qu’on ne sait pas décarboner. » </b></p></blockquote><p class="p3">Pendant ce temps-là, effectivement, on ne questionne pas la croissance économique, ni le consumérisme. Mais ces thèmes vont s’imposer d’eux-mêmes. De plus en plus. Parce que quand on voit les courbes de baisse des émissions qu’il faudrait suivre, on est face au mur.</p><h4><b>Y a-t-il, à vos yeux, des expériences historiques de décroissance énergétique susceptibles de nous apporter des leçons ?</b></h4><p class="p2">Non, objectivement. Ce qu’on doit faire est inédit, il n’y aucune analogie avec un autre moment de l’histoire. Évidemment, il y a eu des moments où certains pays ont baissé radicalement leur consommation, à la suite de guerres, de crises, de blocus. Mais aujourd’hui, même les plus gros événements historiques ne font que de toutes petites encoches sur la courbe des émissions de CO2. L’exemple le plus criant, c’est le Covid : pas loin de 4 milliards de personnes confinées et seulement 5 % de moins pendant un an et puis c’est reparti de plus belle. Maintenant que la croissance est globalisée, l’histoire ne se voit plus dans les courbes des émissions.</p><h4><b>Si la transition est à vos yeux une forme de climato-rassurisme, justifiant l’inaction climatique, le véritable agenda de nos dirigeants et des milieux économiques, c’est l’adaptation ?</b></h4><p class="p2">Actuellement je ne sais pas. Par contre, j’ai trouvé des archives intéressantes sur les années 1970-80 aux États-Unis et en Angleterre. Des rapports font le constat dès 1979 que la Chine va bientôt émettre beaucoup plus que les États-Unis et l’Europe réunis. Donc ils ont bien conscience que c’est inexorable : le changement climatique va avoir lieu. À leurs yeux, la question clé, c’est l’adaptation. Et il y a une très forte confiance sur la capacité des États-Unis à vivre et prospérer dans un monde à +3 °C. Ils estiment préférable et moins cher de vivre dans un monde à +3 °C, plutôt que de se serrer la ceinture pour éviter la catastrophe climatique. Je ne sais pas si cette vision est toujours d’actualité. On trouve le même discours au Royaume-Uni sous Margaret Thatcher. En France, ça y est, Christophe Béchu a dit qu’il fallait se préparer à +4 °C. Donc, je pense effectivement que l’agenda qui domine maintenant et qui a toujours dominé, en fait, c’est une forme de résignation et une confiance dans la capacité des pays riches à s’adapter. </p><p class="p2"><br></p><h4><b>Jean-Baptiste Fressoz</b></h4><p class="p2">Historien des sciences, des techniques et de l’environnement, Jean-Baptiste Fressoz est chercheur au CNRS et enseigne à l’EHESS et à l’École des ponts et chaussées. Ses travaux portent sur l’histoire politique des destructions environnementales et la désinhibition progressive des sociétés modernes à l’égard des risques industriels. Il a mis en lumière dans <i>L’Apocalypse joyeuse</i> (Seuil, 2012) et <i>Les Révoltes du ciel</i> (Seuil, 2020, avec Fabien Locher) l’ancienneté des controverses et des inquiétudes suscitées par la révolution technoscientifique des années 1800 et les transformations massives de l’environnement. Il est également l’auteur avec Christophe Bonneuil de <i>L’Événement Anthropocène</i> (Seuil, 2013).</p><p class="p1"><b><a href="https://www.seuil.com/ouvrage/sans-transition-jean-baptiste-fressoz/9782021538557" target="_blank">Sans transition. Une nouvelle histoire de l'énergie</a> </b>Jean-Baptiste Fressoz Éditions du Seuil, 2024 416 pages, 24 €</p>Les ZFE : Zone à faibles émissions ou à forte exclusion ?16962024-02-27T11:40:00+01:00Déjà en vigueur dans 320 métropoles européennes, les zones à faibles émissions, qui excluent les véhicules les plus anciens des centres-villes, s’avèrent plutôt efficaces pour lutter contre la pollution de l’air. Mais plusieurs associations de solidarité et des chercheurs alertent : leur déploiement en France risque d’aggraver les difficultés des ménages modestes, plus souvent détenteurs de vieilles voitures.https://www.socialter.fr/images/article/t/zfeillu_1709037421-750x480.jpg<p class="p1">C’est un fait connu, pour l’instant peu combattu : plus un ménage est précaire et plus il est exposé à la pollution de l’air. En France, entre 40 000 et 48 000 personnes meurent tous les ans en raison d’une surexposition aux particules fines. En cause : les émissions des moteurs thermiques. </p><p class="p1" style="text-align: center;"><i>Article issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p1">Parmi les victimes, les publics modestes, qui résident majoritairement dans des endroits privés d’espaces verts et à proximité des grands axes routiers, sont surreprésentés. À Paris, les habitants de banlieue ont trois fois plus de risques de décéder après un épisode de pollution. Ces inégalités touchent aussi les enfants : les bambins des familles aux petits revenus ont 1,6 fois plus de risques de devenir asthmatiques et deux fois plus de contracter la bronchiolite que la progéniture des parents à hauts salaires.</p><p class="p3">Un enjeu de santé publique et social majeur auquel la ZFE-m (pour zone à faibles émissions mobilité) pourrait en partie s’attaquer, s’accordent les experts. Apparues dans la loi d’orientation des mobilités en 2019 et renforcées par la loi Climat et résilience en 2021, ces zones visent à interdire progressivement la circulation de certains véhicules thermiques dans les agglomérations dépassant les seuils de qualité de l’air. En fonction de la motorisation et de l’âge du véhicule, une vignette Crit’Air est attribuée au propriétaire. Les voitures les plus anciennes, donc les plus émettrices en particules fines, sont classées Crit’Air 5 (le niveau le plus bas). A contrario, les chauffeurs d’autos 100 % électriques ou 100 % hydrogène dépassent le niveau de classification Crit’Air 1 (le niveau le plus haut) et se voient accorder le graal de la vignette : la « voiture verte ».</p><h3><b>Des “Crit’Air” de classe ?</b></h3><p class="p2">À l’heure actuelle, seules onze métropoles ont mis en place des ZFE, à l’instar de Paris, Lyon ou Marseille. À partir de 2025, 34 agglomérations de plus de 150 000 habitants devront s’y atteler. «<i> Le gouvernement français est très en retard </i>», estime l’urbaniste et économiste Frédéric Héran. De nombreux pays européens, comme la Suède, ont adopté la ZFE depuis longtemps. Au total, l’UE comptabilise 320 villes avec – ou sur le point d’installer – le dispositif. La France a suivi la voie, non pas par conviction, mais après avoir été deux fois condamnée par la Cour de justice européenne, en 2019 et 2022, pour son inaction. <a href="https://librairie.ademe.fr/air-et-bruit/27-zones-a-faibles-emissions-low-emission-zones-lez-a-travers-l-europe-les.html" target="_blank">D’après plusieurs études</a>, la ZFE donne de bons résultats : depuis sa mise en place, elle a permis de réduire de 29 % la teneur en dioxyde d’azote à Londres et de 23 % à Lisbonne et à Berlin. Ainsi, «<i> les ZFE sont une bonne nouvelle, car elles sont le signe qu’enfin, les politiques publiques prennent le sujet au sérieux,</i> juge un récent rapport du Secours catholique Caritas. <i>Mais selon les modalités retenues pour leur mise en œuvre, elles peuvent renforcer les difficultés des plus précaires, ou faire de la transition écologique une opportunité pour réduire les inégalités. </i>»</p><p class="p3">De fait, dans certaines métropoles, la part de véhicules concernés par les restrictions de circulation à venir pose une véritable question de justice sociale. Aujourd’hui, «<i> 38 % des ménages les plus modestes détiennent un véhicule Crit’Air 4 ou 5, contre 10 % des plus riches </i>», rappelle Daphné Chamard-Teirlinck, spécialiste de la mobilité au Secours catholique. Ces disparités s’exacerbent encore lorsqu’on intègre les Crit’Air 3 – qui représentent un quart du parc automobile – dans le calcul. Dans le 3<sup>e</sup> arrondissement de Marseille, le plus pauvre de France, «<i> 52 % des véhicules sont Crit’Air 5, 4 ou 3 </i>», détaille un rapport du Sénat sur les ZFE diffusé en juin 2023. Qui en tire une conclusion : «<i> Interdire la circulation des plus grandes métropoles à près d’un tiers des véhicules qui les traversent quotidiennement dans un délai d’un an et demi risque de creuser des fractures sociales et territoriales déjà importantes. </i>» Inévitablement, la mise en place des ZFE inquiète les publics fragiles, qui regroupent les retraités, les foyers précaires et les personnes à mobilité réduite. « <i>C’est une source d’incompréhension, de flou et d’angoisse,</i> confirme Daphné Chamard-Teirlinck. <i>Durant notre étude, les personnes nous disaient : “À chaque jour suffit sa peine”, c’est-à-dire “je verrai bien quand je ne pourrai plus circuler” ou “je verrai bien quand je me ferai contrôler”. </i>»</p><h3><b>Exclusion et contestations</b></h3><p class="p2">Pour ces groupes vulnérables, qui dans leur majorité ignorent l’existence des ZFE, changer de voiture relève de l’impossible, même avec l’aide de subventions. Être privé de rouler dans les centres urbains signifierait aussi sombrer un peu plus dans la précarité et l’isolement, les déplacements relevant principalement de la subsistance, de l’indispensable. Selon une étude menée dans neuf communes de Seine-Saint-Denis en 2020, les usages de la voiture en milieu modeste concernent le travail, les courses hebdomadaires, l’accompagnement de l’entourage et, en dernier lieu, les loisirs du week-end. </p><p class="p2">La ZFE devient alors «<i> une charge supplémentaire dans un quotidien déjà fait de contraintes très fortes </i>», résume Daphné Chamard-Teirlinck. En dehors de l’accès à un véhicule propre, «<i> ce qui est problématique, c’est l’exclusion de ces publics des activités (travail, commerce, hôpitaux, Pôle emploi…) en zone centrale </i>», abonde Caroline Gallez, chercheuse au Laboratoire ville, mobilité, transport. Et de rappeler que ceux-ci «<i> n’ont souvent pas accès aux aides proposées par l’État car ils n’habitent pas dans la ZFE</i> ». Pour s’opposer à leur mise en œuvre, des manifestations ont été organisées en France ces deux dernières années. Lors de ces rassemblements, automobilistes en colère, Gilets jaunes, mais aussi activistes du climat et militants de gauche ont dénoncé la création de ces « zones à forte exclusion ».</p><p class="p3">Toutefois, tous n’affichent pas une franche opposition aux ZFE, reprend Daphné Chamard-Teirlinck. « <i>La question est plus pragmatique : “Si je ne peux pas utiliser ma voiture, qu’est-ce que j’ai comme alternative ?” </i>», développe-t-elle. Là, sans direction nationale claire, les métropoles font en fonction de leur territoire après avoir sondé les attentes de la population. Nombre d’entre elles ont déjà créé des dérogations. C’est le cas de la métropole de Grenoble qui a interdit les Crit’Air 5 l’an dernier, puis les Crit’Air 4 ce 1<sup>er</sup> janvier, tout en laissant à chaque fois une phase pédagogique de six mois pour que les gens puissent s’adapter. «<i> La ZFE est appliquée 5 jours sur 7, de 9 à 19 heures </i>», déroule Cécile Cenatiempo, conseillère déléguée à la qualité de l’air de Grenoble Alpes Métropole. Des exceptions ont aussi été instaurées pour les petits rouleurs (moins de 5 000 kilomètres par an) et les personnes qui travaillent en horaires décalés, souvent les populations précaires sans offre de mobilité. Enfin, dans le but d’éviter les contestations, les contrôles de la police municipale sont très rares et les amendes peu élevées.</p><p class="p3">En parallèle, les métropoles développent les offres de transports alternatifs, comme le car, le tram, l’autopartage, le vélo… À Rouen, «<i> ils ont pris le problème à bras le corps,</i> relate Alain Goussault, membre de Solidarauto Rouen, un garage solidaire qui milite pour l’accès de tous aux droits à la mobilité. <i>Les transports en commun sont gratuits le samedi, de nouvelles lignes de transports en commun entre petites villes ont été créées, la location de vélos électriques est passée à 5 euros par mois pour les plus démunis… </i>» De fait, récapitule Frédéric Héran, il y a plusieurs manières d’imaginer une ZFE plus inclusive : « <i>On peut agir sur le type de véhicule, le périmètre, les horaires et les jours, les kilomètres, la fréquence ou encore les activités (déménagement, artisans). </i>» Avec une limite : celle du nombre d’usagers concernés. «<i> L’année prochaine, on interdira les Crit’Air 3. Cela va sûrement être très compliqué et douloureux comme passage car cela va toucher beaucoup de monde </i>», projette Cécile Cenatiempo. </p><p class="p3">Problème : les métropoles ne peuvent anticiper ni les impacts sociaux ni le nombre d’usagers concernés par l’étendue de la ZFE. «<i> L’évaluation du nombre de ménages vulnérables constitue un exercice difficile du fait de l’absence de données pertinentes à ce jour </i>», pointait en 2021 un rapport commandé par la Métropole du Grand Paris. Un constat aussi établi par l’Ademe dans un guide d’aide à l’élaboration des ZFE publié en 2022 : «<i> Aucune étude ex-post des impacts sociaux, en particulier pour les groupes vulnérables, n’a été menée à ce jour. L’effort est tourné vers les effets sur la qualité de l’air. Ensuite, les impacts sur les transports. Les impacts sociaux sont analysés comme des effets secondaires. </i>»</p><h3><b>Invisibiliser la pollution des plus aisés ?</b></h3><p class="p2">Pourquoi la ZFE est-elle pensée en dehors des enjeux sociaux ? Pour Frédéric Héran, il s’agit d’un désintérêt politique pour le sort des classes populaires. Selon le maître de conférences, cela va de pair avec le manque d’études sur l’exposition des quartiers populaires à la pollution de l’air. «<i> La dernière analyse date de 1995… Ce n’est pas normal. Si c’était des riches qui vivaient là, on ne s’en moquerait pas </i>», avance-t-il. En tout cas, observe Caroline Gallez, la charge pèse une nouvelle fois sur les classes les plus précaires, qui sont pourtant les moins émettrices de particules fines et de CO<sub>2</sub>. «<i> Il est plus qu’urgent de réduire les émissions de particules d’ozone, c’est incontestable. Mais en interdisant les véhicules les plus anciens et en continuant d’autoriser les SUV, on ne vise pas les classes qui y contribuent le plus. Il y a un risque énorme de continuer à invisibiliser la contribution des plus aisés au bilan carbone et à la pollution de l’air, et de nourrir le sentiment d’injustice déjà exprimé par les Gilets jaunes </i>», critique-t-elle.</p><p class="p3">Afin d’y remédier, la ZFE doit faire partie d’un arsenal de mesures sociales et environnementales tendant vers une transition écologique et inclusive, concluent nos chercheurs. Mais pour l’instant, l’enjeu d’une réorganisation sociale de la mobilité quotidienne n’a pas encore été saisi. Au contraire : «<i> Il est à peu près assumé en France et dans les instances européennes que ces ZFE sont un accélérateur de la production de véhicules électriques. C’est une vision très “croissance verte”,</i> estime Caroline Gallez. <i>On fait de l’écologie en continuant à faire des profits financiers. </i>» Au détriment donc, d’une grande partie de la population qui en aurait bien besoin. </p>Essai sur le sens et la valeur du travail16952024-02-26T16:17:00+01:00Découvrez notre recension de « L'autre moitié du monde » de Paul Magnette aux Éditions La Découverte.https://www.socialter.fr/images/article/t/paulmagnette_1708961135-750x480.jpg<p class="p1">Dans <i>L’Autre moitié du monde</i>, le chef des socialistes belges Paul Magnette ravive l’éternelle question du sens et de la valeur du travail. En rappelant qu’il a été la colonne vertébrale de la gauche depuis ses origines, il souligne l’urgence pour sa famille politique de remettre le travail, trop souvent récupéré à droite, au centre des discours. En le lisant, on se souvient que c’est d’abord le mouvement ouvrier qui a mis en lumière les vertus du labeur. «<i> Personne n’a mieux dit la fierté, la solidarité, le sentiment d’accomplissement que le travail procure. Personne ne s’est davantage battu pour encadrer, réglementer, apprivoiser le travail. </i>» </p><p class="p1">À rebours des fantasmes sur la prétendue épidémie de flemme qui gagnerait la jeunesse, Paul Magnette analyse avec justesse les conditions préalables qui permettent de jouir de la force émancipatrice du travail. Il ne s’agit pas de nous libérer du travail, analyse l’universitaire belge, mais de libérer le travail des rapports de domination qui le structurent. Quand les salaires permettent à peine de vivre, que les tâches sont lourdes et répétitives, que l’on subit les brimades de la hiérarchie, le mépris et l’agressivité du public, «<i> le travail n’est plus qu’un fardeau </i>», conclut-il. Pour notre plus grand bien, la voix de Simone Weil apparaît à plusieurs reprises dans sa réflexion, notamment sur la question de la difficulté : c’est en cherchant à la surmonter que nous développons notre intelligence et notre imagination, notre patience et la tolérance à l’échec. </p><p class="p1"><b><a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_autre_moitie_du_monde-9782348081958" target="_blank">L’autre moitié du monde</a> </b><i>Essai sur le sens et la valeur du travail</i> <b>Paul Magnette </b>La Découverte → janvier 2024 - 176 pages - 16 €</p>Agroforesterie : les jardins forêts, modèles agricoles d’avenir ?16942024-02-22T11:20:00+01:00Forme aboutie de l’agroforesterie venue des tropiques, ce modèle nourricier suscite un engouement croissant dans la société civile en Europe. Il est peu probable que cette antithèse de l’agriculture productiviste renverse le modèle dominant, mais elle peut inspirer des pratiques allant davantage dans le sens du vivant.https://www.socialter.fr/images/article/t/jardinforetagroforesterie_1708597453-750x480.jpg<p class="p1">C’est en voyageant dans le monde entier au début des années 2000 que Fabrice Desjours tombe amoureux du jardin-forêt : de Sumatra aux Comores, du Chili au Costa Rica, il est conquis par cette technique d’agroforesterie répandue autour des villages. Ce modèle, dit de 3D nourricière, consiste à «<i> produire en volume en imitant l’étagement d’une forêt </i>» et en intégrant un maximum d’espèces comestibles. On commence par une strate de canopée avec de grands arbres nourriciers puis des arbres moyens, des arbustes et des plantes au sol. «<i> Le jardin-forêt ressemble à s’y méprendre à une forêt naturelle, mais toutes les espèces ont été sélectionnées par l’humain </i>», détaille Emmanuel Torquebiau. Chercheur émérite, il est l’étudiant de Francis Hallé lorsque le célèbre botaniste décrit le jardin-forêt dans les années 1970, à l’occasion d’un voyage sur l’île de Java, en Indonésie : «<i> C’est la modalité emblématique la plus aboutie de l’agroforesterie. </i>»</p><p class="p1" style="text-align: center; "><i>Article issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p3">Si sous les tropiques il est utilisé par des familles depuis des milliers d’années à des fins d’autonomie alimentaire, cela ne fait que quelques années que le jardin-forêt se fraie un chemin sous nos latitudes. En France, Fabrice Desjours en est un pionnier : de retour de ses voyages, il jette son dévolu sur un terrain en Bresse bourguignonne, près de Chalon-sur-Saône, et débute en 2010 sur 2,5 hectares sa « Forêt gourmande » (FoGo), nom de l’association qu’il a créée en 2018. </p><h3><b>Réponse au changement climatique</b></h3><p class="p2">Si le jardin-forêt séduit, c’est entre autres parce qu’il répond aux défis d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. «<i> Il a les vertus d’une forêt naturelle,</i> poursuit Emmanuel Torquebiau. <i>Stocker le carbone, protéger et nourrir la vie du sol, retenir l’eau et attirer une biodiversité riche… </i>» Ici, pas de produits chimiques, pas d’engrais : on suit les principes de la permaculture de « densité-diversité », en restant à l’écoute des besoins de la plante. C’est d’ailleurs le changement climatique qui a décidé Daniel Cintas à lancer, avec des compères de sa commune, le projet de jardin-forêt « Forts pour demain », dans l’Ain. «<i> J’animais un atelier de permaculture dans un jardin partagé. Au fil des années, les fruits et légumes peinaient de plus en plus à pousser en plein soleil </i>», retrace-t-il. Depuis trois ans, l’association a investi la parcelle d’un ex-fort militaire et les volontaires se relaient pour l’entretenir.</p><p class="p3">Des projets de ce type ont fleuri ces dernières décennies en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis et dans le nord de l’Europe. En France, il en existe des dizaines. « <i>On est un peu en retard sur ce genre de choses, mais depuis quatre ans, il y a un phénomène exponentiel,</i> explique Quentin Ellès, doctorant qui consacre sa thèse à l’étude de ce mouvement. <i>Dans les réseaux associatifs, on en parle de plus en plus. Le confinement a joué un rôle d’accélérateur. </i>» Au portillon des organisations pionnières comme Les Alvéoles dans la Drôme ou La FoGo, les candidatures se bousculent pour suivre les formations qu’elles prodiguent : des projets citoyens, quelques agriculteurs, des collectivités et des entreprises qui ont du foncier. «<i> On soutient 30 à 40 nouveaux projets par an, en plus des formations, et on a une longue liste d’attente </i>», observe Fabrice Desjours.</p><blockquote><p class="p1"><b>« Le jardin-forêt a les vertus d’une forêt naturelle : stocker le carbone, protéger et nourrir la vie du sol, retenir l’eau et attirer une biodiversité riche… »</b></p></blockquote><p class="p3">Ces équipes dessinent des projets sur mesure. «<i> D’un lieu à l’autre, la conception varie selon l’objectif – commercial, pédagogique, thérapeutique… </i>» Ils seront surtout pensés en fonction de leur environnement : « <i>Disponibilité en eau, climat, sol, vent vont nous aider à définir une palette végétale </i>», liste Antoine Talin, fondateur des Alvéoles. Du fait du manque de recul et d’études, tout est expérimentation. D’ailleurs, le modèle est fondé sur l’adaptation permanente. «<i> C’est passionnant les synergies entre plantes, mais il n’y a pas de recette miracle : à certains endroits le poireau préfère les fraises, à d’autres pas du tout. Le succès des associations dépend beaucoup du sol. </i>»</p><p class="p3">En outre, il s’agit d’importer un modèle tropical en climat tempéré. «<i> Tout pousse moins vite ici, rappelle Quentin Ellès. Là-bas, [sous les tropiques], il n’y a pas d’hiver, il y a une production toute l’année. </i>» Un débat agite aussi les jardiniers-forestiers et les scientifiques sur les espèces et variétés à privilégier face aux risques d’espèces invasives. Certaines plantes exotiques sont intéressantes à explorer, en particulier dans un contexte de changement climatique. Aux Alvéoles, Antoine Talin privilégie des espèces «<i> de climat continental sec, d’Iran ou d’Afghanistan, qui résistent à des températures extrêmes, comme le jujubier, le mûrier blanc, le grenadier… </i>» Martin Crawford, pionnier britannique des jardins-forêts, précise : «<i> Nos populations dépendent déjà des plantes exotiques (pommes de terre, tomates), de céréales (blé), de fruits (pommes, poires) ou de noix. En cultiver un peu dans une forêt nourricière vaut mieux que d’en avoir des monocultures ! </i>» Mais le chercheur Emmanuel Torquebiau recommande la prudence : «<i> Faire venir des espèces de régions proches – de l’Europe ou du sud de la Méditerranée –, c’est un changement progressif, presque naturel. Au-delà, c’est plus risqué. </i>»</p><h3><b>Steaks de glands</b></h3><p class="p2">Cette multitude d’espèces comestibles constitue aussi un atout pour nos assiettes, dans lesquelles la diversité décline depuis 200 ans. « <i>Trente espèces de plantes cultivées constituent la base de notre alimentation </i>», rappelle Quentin Ellès. Dans son jardin-forêt, Fabrice Desjours en cultive plus de mille. Il vante «<i> le goût proche de la mangue de l’asimine </i>» ou «<i> le cabrillet de Dickson dont on fait un guacamole </i>». Pesto de cédrèle de Chine et steaks de glands n’ont plus de secrets pour Claire Mauquié, salariée de La FoGo qui explore des recettes et tâche de les faire connaître au plus grand nombre. L’association développe aussi des partenariats avec des chefs afin de populariser les aliments qu’offre le jardin-forêt. «<i> C’est ce qui aidera les agriculteurs à trouver des débouchés</i> », poursuit-elle.</p><p class="p2"><img src="/images/article/e/jardinforetagroforesterie2_1708597546-jpg_1708597546-1.jpg"><br></p><p class="p3">Justement, au-delà de ces initiatives aussi vertueuses qu’anecdotiques, le jardin-forêt est-il vraiment en mesure de transformer notre agriculture ? Si le modèle séduit des citoyens qui entendent faire bouger les lignes, il vient se heurter ici à une culture antinomique. «<i> C’est un modèle qui prend du temps, qui suit le paysage qui évolue, alors que l’Europe a, depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, fixé le paysage et spécialisé les territoires. </i>»</p><p class="p3">À ce stade, rares sont les agriculteurs qui s’y aventurent. «<i> C’est compliqué de convaincre des personnes droguées à l’agriculture industrielle,</i> souligne Emmanuel Torquebiau.<i> L’agriculture moderne, c’est cultiver la facilité : là, c’est tout le contraire. </i>» Le jardin-forêt ne demande pas un entretien très lourd mais son caractère aléatoire et complexe rend la répartition et l’organisation du travail différentes : «<i> Ça lisse le travail dans le temps, puisque c’est de l’entretien pied à pied, au lieu d’avoir une récolte dans l’année </i>». Mais «<i> le travail réduit rapidement au bout de dix ans, car le système est plus efficace </i>», relativise Martin Crawford. Sous cette forme très diversifiée, le jardin-forêt restera sans doute confiné à des projets à petite échelle.</p><h3><b>Jardins-forêts « rationalisés » ?</b></h3><p class="p2">Avec moins d’espèces, des associations de plantes plus simples, des plantations en ligne pour aider la récolte, des formes intermédiaires, plus optimisées, se développent, cette fois-ci à des fins productives. «<i> On n’est plus dans le jardin qui consiste à apporter de l’attention à chaque plante, mais on garde l’idée de mettre l’arbre au centre de</i> <i>nos cultures </i>», souligne Antoine Talin. En France, la pépiniériste Anaëlle Théry a théorisé la notion de « forêt syntropique ». «<i> C’est la forme intensive du jardin-forêt,</i> résume Quentin Ellès. <i>On pousse le système à fond, dans le sens du vivant. Le risque, si on systématise, c’est d’aller vers la mécanisation : le militant en moi a tendance à dire que le capitalisme finit par tout récupérer. </i>»</p><p class="p3">D’après Jeroen Kruit, chercheur aux Pays-Bas où le modèle est bien établi, l’utilisation de technologies (drones, mini-robots) commence à s’y développer : « <i>Ces jardins-forêts commerciaux intègrent cette rationalité pour faciliter l’entretien et la récolte. </i>» Là-bas, la <i>food forest</i> a suscité tôt l’intérêt de la recherche et de la classe politique. Elle est aujourd’hui reconnue comme une modalité du système agricole et le gouvernement a fixé l’objectif de 1 000 hectares en 2030. Il y a encore un manque de recul mais, selon le chercheur hollandais, il serait «<i> possible d’en vivre à partir de six ou sept hectares, à condition de combler le gap des cinq à dix premières années. Beaucoup donnent des formations et organisent des visites pédagogiques </i>». Le jardin-forêt peut aussi être complémentaire d’un autre type de culture et lui faire bénéficier de ses vertus écologiques. Fabrice Desjours espère que les jardins-forêts en France bénéficieront à terme du label bas carbone<b>1</b> pour inciter les agriculteurs. « <i>C’est un processus qui prendra du temps, mais on y vient déjà avec des modalités plus faciles d’agroforesterie </i>», prédit, confiant, Emmanuel Torquebiau. Comme l’illustre le retour en grâce des haies, des bocages et des arbres fourragers, dont notre agriculture a cru pouvoir se passer. </p><p class="p1"><i><b>1.</b> Dispositif porté par le ministère de la Transition, qui participe au financement de projets contribuant à réduire les émissions de gaz à effet de serre.</i></p>Spéculation immobilière : les solutions pour habiter à nouveau les villes16932024-02-21T11:57:00+01:00Découvrez notre recension de « Halte à la spéculation sur nos logements » d'Isabelle Rey-Lefebvre aux Éditions Rue de l’Échiquierhttps://www.socialter.fr/images/article/t/haltelogement_1708513296-750x480.jpg<p class="p1">Dans cette enquête menée à travers l’Europe, la journaliste Isabelle Rey-Lefebvre, spécialiste du logement, décrypte comment la spéculation immobilière a rendu l’accession à la propriété impossible à toute une partie de la population, en particulier dans les métropoles. En 22 ans, le prix des logements a augmenté en France de 160 % tandis que le revenu moyen, lui, n’a progressé que de 45 %. Gentrification, airbnbisation et mainmise de fonds d’investissement sur l’immobilier des grandes villes ont contribué au phénomène, entravant d’autant l’accès à la location pour les moins aisés, en particulier les jeunes. Avec des conséquences en chaîne sur l’emploi, les services publics, la vitalité des centres-villes et un creusement des fractures entre centre et périphérie, milieux urbain et rural. </p><p class="p1">Face à ce constat, l’autrice ne se contente pas de la critique du « projet politique libéral » qu’est selon elle la crise du logement. D’Amsterdam à Barcelone en passant par Vienne, Berlin et la Suisse, elle explore à travers un récit vivant deux principales alternatives originales qui entendent dépasser les modèles traditionnels. Le <i>community land trust</i>, venu des États-Unis et émergeant en Europe, prend la forme en France d’organismes fonciers solidaires et consiste à séparer le bâti du terrain pour baisser le prix d’achat ; les coopératives d’habitants, qui connaissent un renouveau dans des pays comme la Suisse. Nourri d’échanges avec de nombreux acteurs sur le terrain, l’ouvrage analyse les avantages (et les difficultés) de ces modèles anti-spéculatifs qui, tout en soustrayant une partie du logement aux griffes du marché, inventent d’autres manières d’habiter, plus collectives, plus conviviales et porteuses d’une plus forte mixité sociale.</p><p class="p1"><b><a href="https://www.ruedelechiquier.net/essais/474-halte-a-la-speculation-sur-nos-logements-.html" target="_blank">Halte à la spéculation sur nos logements !</a> </b>Les solutions pour habiter à nouveau les villes <b>Isabelle Rey-Lefebvre </b>Rue de l’Échiquier → janvier 2024 - 224 pages - 22 €</p>Ski et complexes hôteliers : « Il faut qu’une autre vision politique de la montagne se dessine » 16922024-02-21T11:33:00+01:00En quelques années, Aurélie Cohendet, 40 ans, est devenue l’avocate des opposants aux grands projets d’aménagement touristique en montagne. Extension de domaines skiables ou complexes immobiliers démesurés, les dossiers se succèdent, tout comme les victoires. Des actions en justice fructueuses qui démontrent que le droit peut servir les luttes écologiques et contribuer à dessiner les contours d’un autre avenir, à rebours du seul horizon du tourisme et du ski alpin.https://www.socialter.fr/images/article/t/visiomontagne_1708512122-750x480.jpg<h4><b>Comment en êtes-vous arrivée à travailler sur les sujets d’aménagement du territoire en montagne ?</b></h4><p class="p2">Tout a commencé avec un dossier à Aussois (Savoie) dans le parc national de La Vanoise, en Haute-Maurienne. Un projet de remplacement d’un télésiège devait en réalité aboutir à une extension du domaine skiable. Nous l’avons contesté et ce projet a été suspendu. Très vite, s’est posée la question du schéma de cohérence territoriale (Scot) du Pays de Maurienne, un document de planification décisif pour le territoire, qui régit tous les plans locaux d’urbanisme (PLU). Pour simplifier, en montagne il est interdit de construire en dehors des espaces déjà urbanisés ou à proximité. Une unité touristique nouvelle (UTN) permet de déroger à ce principe, de construire dans de nouvelles zones, souvent riches en termes de biodiversité.</p><p class="p1" style="text-align: center;"><i>Entretien issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p3">Le Scot du Pays de Maurienne prévoyait la création de dix nouvelles unités touristiques, dont un Club Med à Valloire. Des projets démesurés, anachroniques selon mes clients, à proximité du cœur du Parc national de la Vanoise et d’autres secteurs très riches et sensibles d’un point de vue écologique. J’ai représenté dans ce dossier France Nature Environnement (FNE) Auvergne-Rhône-Alpes et FNE Savoie, afin d’obtenir sa suspension et son annulation. Les atteintes à l’environnement et aux paysages étaient tellement manifestes que les juges nous ont donné raison en 2021 puis en 2023. Une suspension de Scot, cela n’était jamais arrivé. C’est aussi la première fois qu’un Scot est complètement annulé à ma connaissance.</p><h4><b>Quelle est la portée de cette décision ?</b></h4><p class="p2">La conséquence directe est l’obligation, pour les porteurs de Scot, de faire une évaluation environnementale détaillée de chacune de leurs unités touristiques nouvelles, ce qui n’était pas le cas en Pays de Maurienne – et de ne pas en créer dix d’un coup sans vérifier l’impact paysager. Concrètement, ça les oblige à réfléchir.</p><p class="p3">Cela a contribué également à repenser le projet du territoire. En Maurienne, plusieurs extensions du domaine skiable et la création de 20 000 nouveaux lits touristiques étaient prévues, alors qu’il y a déjà 70 000 lits froids ou tièdes, c’est-à-dire loués entre trois semaines et trois mois par an, et de nombreuses copropriétés dégradées. Cela a clairement posé la question de cette course sans fin à la création de nouveaux lits touristiques. Le juge a considéré que ces extensions urbaines étaient excessives.</p><h4><b>Vous avez déclaré que l’attitude des juridictions administratives était en train de changer. Quand a eu lieu ce basculement ?</b></h4><p class="p2">Les « affaires du siècle » sur le climat et la pollution de l’air [où des associations ont réussi à faire condamner l’État pour inaction climatique et inaction face à la pollution de l’air, ndlr] se sont soldées par des décisions historiques qui ont fait bouger les lignes. Cela joue aussi du côté des citoyens, militants et associations qui ont pris conscience que le droit pouvait servir leurs combats. On s’imagine parfois qu’une décision du Préfet est forcément légale. Mais non, il y a des décisions prises par des administrations qui sont illégales, et le démontrer change les rapports de force concrètement sur le terrain.</p><h4><b>Diriez-vous qu’il y a, dans les luttes qui vous occupent en montagne, une source d’inspiration à trouver pour toutes celles et ceux qui veulent résister à des projets imposés et écocidaires ?</b></h4><p class="p2">Je le pense. Et toutes ces victoires sont là pour le prouver. Elles font gagner du temps et permettent aux voix qui s’opposent d’émerger dans les territoires. Cela donne aussi du temps pour proposer des choses nouvelles. Un jour, quelqu’un m’a dit que le plan ski des années 1970 était une vision politique du territoire qui avait permis de repeupler la montagne. Il y a plein de gens qui ont connu ça. Des villages, jusqu’alors désertés, ont retrouvé une dynamique. Nous ne pouvons pas nier leur histoire. Il ne faut pas non plus sous-estimer son impact émotionnel, et la difficulté pour certaines personnes d’imaginer une vie sans ski alpin, ou du moins, une vie avec moins de ski alpin. Pour autant, il faut qu’une autre vision politique de ces territoires se dessine. Il n’y a rien de simple, il y aura forcément des conflits, mais de ces conflits-là émergera quelque chose. Il y a d’autres horizons que celui du tourisme. Je ne fais pas le procès du ski alpin mais tout miser sur le tourisme c’est marcher sur un seul pied et nourrir une dépendance. Il y a un virage à prendre et plus on tarde, plus ce sera dur.</p><h4><b>L’annulation du Scot du Pays de Maurienne a été une grande victoire. La suspension du projet de retenue collinaire de La Clusaz (Haute-Savoie), en 2022, en a été une autre. Quels sont les points communs entre ces deux affaires ?</b></h4><p class="p2">Le Scot est un document d’urbanisme. À La Clusaz, il s’agissait de stopper une autorisation préfectorale de détruire des espèces protégées, alors que les travaux étaient imminents. Le projet de retenue collinaire en question visait à sécuriser l’enneigement de pistes de ski enneigées artificiellement, le tout sous prétexte d’assurer la fourniture d’eau potable aux habitants. L’étude d’impact ne démontrait pas, avec suffisamment de technique et de sérieux, l’absence d’impact du projet sur la tourbière du plateau de Beauregard. </p><blockquote><p class="p1"><b>« Il y a des décisions prises par des administrations qui sont illégales, et le démontrer change les rapports de force. »</b></p></blockquote><p class="p2">Sans parler des conséquences sur des tas de boisements et sur des espèces de chauves-souris. D’un point de vue technique, une autorisation qui détruit l’habitat d’espèces protégées doit faire l’objet d’une raison impérative d’intérêt public majeur<b><sup>1</sup></b>. Ce n’est pas juste un intérêt public, c’est une raison impérative, et dire que l’enneigement artificiel des pistes de ski est un impératif est largement discutable. C’est précisément ce qui a été retenu dans le cadre de notre référé-suspension. Les travaux ont été suspendus, et nous attendons désormais le jugement sur le fond pour annuler définitivement ce projet.</p><h4><b>Dans tous ces dossiers, on a le sentiment de faire face à des acteurs qui veulent aller très vite et négligent la dimension environnementale de leurs projets, alors que le climat actuel, les résistances auxquelles ils font face, pourraient les pousser à être très précautionneux sur le sujet…</b></h4><p class="p2">Les études d’impact ne sont pas réalisées par des organismes indépendants. Il y a un appel d’offres préalable. Est-ce qu’ils prennent le moins-disant ou le mieux-disant ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr c’est qu’il y a parfois des lacunes dans les études d’impact et que c’est un angle d’attaque. À La Clusaz, nous n’avons rien par exemple sur les effets de la mise en place des canons à neige sur les 33 hectares qui doivent être enneigés ou sur l’impact des prélèvements sur la vie présente dans le cours d’eau (poissons, invertébrés…). C’est un trou dans la raquette énorme. On crée une réserve d’eau en détruisant des espaces protégés, et pour les conséquences on verra plus tard…</p><h4><b>Il y a ici aussi la question de l’accaparement de la ressource en eau. C’est un argument qu’on peut faire valoir d’un point de vue juridique pour freiner un projet ?</b></h4><p class="p2">Bien sûr, c’est un vrai sujet. L’accès à l’eau est un droit fondamental. Les procédures et conflits d’usage vont se multiplier. J’ai un autre dossier à Risoul (Hautes-Alpes), où la construction d’un hameau touristique doit entraîner la destruction de huit hectares de bois. Et là, la question de l’eau est très sensible, parce qu’un permis de construire a été délivré alors que pour l’instant le renforcement du réseau d’eau n’a pas eu lieu. L’eau est un sujet qui dépasse les clivages. Je pense que des gens qui ne sont pas strictement des écolos convaincus vont se mobiliser.</p><h4><b>Le projet immobilier de Tony Parker, à Villard-de-Lans, prévoit une résidence quatre étoiles de 900 lits, sur plus de 20 000 mètres carrés… Quelle est la situation et quelles sont les objections de l’association Vercors citoyens que vous représentez ?</b></h4><p class="p2">Une nouvelle fois, c’est le manque de concertation et de débat qui est pointé. De plus, la mairie a décidé d’accélérer le mouvement en échangeant un parking qui lui appartenait avec un terrain de la société SELVC, le délégataire actuel des remontées mécaniques, racheté par la société de Tony Parker, Infinity Nine Mountain. Cette société bénéficie donc d’un terrain sans l’avoir payé à la collectivité. C’est cette décision qu’attaquent les membres de Vercors citoyens. Au-delà de cette manœuvre, nous nous retrouvons dans une situation similaire à celle du Scot de Maurienne. Le projet prévoit la création de 700 à 900 nouveaux lits, alors que juste derrière, se trouve une copropriété où il y a 100 % de lits froids. Au lieu de rénover les propriétés qui se dégradent, on en construit de nouvelles. Jusqu’où va-t-on aller comme ça ? Toutes les solutions ne se trouvent pas à l’échelle du territoire car il faut sans doute donner une impulsion politique nationale pour inciter à la réhabilitation du bâti existant. En tout cas, on ne peut pas continuer comme cela. </p><h4><b>Comment travaillez-vous avec les associations ? Comment se noue cette relation ?</b></h4><p class="p2">Je pense qu’il faut prendre le temps d’écouter et ne pas partir bille en tête sur des considérations techniques sans avoir vraiment compris toute la teneur des arguments. Après, je fais un tri. Parfois, je vais porter des arguments qui ne vont pas être strictement en ligne avec ceux des associations, parce que je pense pouvoir gagner autrement. À La Clusaz, ça a été en partie le cas. Le juge n’a pas le droit de se prononcer sur la pertinence d’un projet. Si ce projet de retenue collinaire n’était certes pas opportun, ce n’est pas pour autant que le juge va le censurer. Ici, c’était vraiment la raison impérative d’intérêt public majeur qui était en jeu, et c’est ce que j’ai plaidé.</p><h4><b>Au vu des dossiers que vous traitez et de votre engagement local – vous avez été candidate à des élections sur une liste citoyenne – vous considérez-vous autant avocate que militante ?</b></h4><p class="p2">Je reste avocate, je ne suis pas militante. Je m’appuie sur des arguments techniques et je travaille mes dossiers. Mais mon engagement m’aide à comprendre la réalité des enjeux, et à mieux les cerner concrètement. J’aime approfondir les sujets sur lesquels je travaille en multipliant les approches, qu’elles soient relatives à la sociologie, l’économie, la science en général… Je mets les mains dans le cambouis. Et il vrai que, chemin faisant, cela nourrit ma connaissance du vivant. </p><p class="p1"><b>1.</b> Pour présenter un intérêt public majeur, le projet doit justifier d’un intérêt à long terme et d’un gain significatif pour la collectivité, du point de vue socio-économique ou environnemental.</p>Dans les banlieues, la naissance d'une écologie populaire et émancipatrice16912024-02-21T11:06:00+01:00Accusés d’être indifférents aux questions écologiques, voire d’y être opposés, les habitants des quartiers populaires sont pourtant en première ligne des effets du dérèglement climatique. À l’avant-poste d’une écologie qui se veut plus discrète, conscients des inégalités structurelles des territoires qu’ils occupent, ils sont de plus en plus nombreux à revendiquer une écologie populaire et émancipatrice.https://www.socialter.fr/images/article/t/banlieueclimat_1708510521-750x480.jpg<p class="p1">En mai 2021, dans les quartiers populaires de Bagnolet, en Seine-Saint-Denis, le syndicat Front de mères et l’association Alternatiba créent la première Maison de l’écologie populaire, sous le nom de <a href="https://www.socialter.fr/article/bagnolet-ecologie-populaire-verdragon" target="_blank">Verdragon</a>. L’objectif ? Mettre en place des projets écologiques au plus près des besoins des habitants des quartiers populaires. Dès l’ouverture, les membres du syndicat Front de mères, créé deux ans plus tôt par la politologue et militante <a href="https://www.socialter.fr/article/ecologie-pirate-et-quartiers-populaires" target="_blank">Fatima Ouassak</a>, sont taxés de communautarisme après la parution d’une tribune adressée au maire de Bagnolet qui les accuse de propager des idées « indigénistes et racialistes » et d’utiliser Alternatiba comme caution écologiste.</p><p class="p1"><i>Article issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg"></p><p class="p1"> </p><p class="p1">En réponse à ces attaques, Alternatiba publie un communiqué de soutien qui rappelle que «<i> ce sont les milieux populaires et particulièrement les personnes racisées qui sont et seront les plus touchés par l’aggravation du changement climatique </i>». Depuis, le lieu poursuit sa vie, entre l’organisation de soirées pour discuter des rapports du GIEC, d’expositions sur les luttes paysannes, ou encore via la distribution de paniers de légumes avec l’Association pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap). Mais les attaques qu’ont subies les co-fondatrices de Verdragon peu après l’ouverture du lieu révèlent la difficulté de faire émerger un endroit qui réunit les habitants des quartiers populaires autour de l’écologie. Comme si ces derniers, emmurés dans des grandes tours, devaient s’accommoder d’un territoire où s’entassent datacenters, usines polluantes ou échangeurs autoroutiers, sans jamais espérer s’en affranchir.</p><h3><b>Des réalités multiples</b></h3><p class="p2">D’abord, qu’entend-on par quartiers populaires ? <a href="https://theses.hal.science/tel-04133638/document" target="_blank">Dans sa thèse</a>, la géographe Léa Billen rappelle que cette catégorie a tendance à gommer des réalités plurielles : «<i> Ce que j’appelle “quartiers populaires” désigne des quartiers classés en politique de la ville</i><i>. Mais il s’agit d’une toute petite partie de ce qu’on appelle plus largement “quartiers populaires”, des territoires à la fois très divers d’un point de vue urbain, avec des quartiers de grands ensembles, des faubourgs ouvriers, des centres anciens plus ou moins dégradés et du point de vue de leurs habitants, avec une mixité sociale plus ou moins importante. Mais ce qui les rassemble, ce sont des inégalités sociales, urbaines et économiques très fortes. </i>» Son travail de terrain s’est concentré sur les initiatives qui «<i> transforment les modes de vie au quotidien </i>», comme l’installation de composteurs de quartier ou de jardinières partagées, les groupements d’achats de produits écologiques ou encore la mise en place d’ateliers d’autoréparation. </p><p class="p2">Des initiatives qui s’inscrivent dans une diversité de modes d’action : mobilisations contre un projet d’aménagement, interpellation de la ville ou du bailleur, actions de sensibilisation… S’il n’existe pas à ce jour d’études quantitatives pour le démontrer, «<i> ces initiatives sont beaucoup plus nombreuses qu’on ne le croit en quartiers populaires,</i> d’après la géographe. <i>Elles sont juste très discrètes, car les personnes qui les portent ne communiquent pas forcément sur leurs actions en dehors du territoire concerné. Parfois, même, les personnes qui font vivre ces initiatives ne se revendiquent pas de l’écologie. </i>»</p><h3><b>Pouvoir aux régies</b></h3><p class="p2">Cette écologie, plus silencieuse, se retrouve par exemple dans les régies de quartier. Apparues dans les années 1980, elles viennent au départ répondre au problème de chômage des habitants des quartiers prioritaires. Elles fonctionnent sur un modèle hybride : elles cumulent le statut d’association à celui d’entreprise d’insertion et les habitants sont majoritaires aux côtés d'élus, de représentants d'associations ou d'institutions aux instances de décision. Au départ, les régies de quartier se chargent principalement de l’entretien des lieux publics ou des résidences de quartiers et de l’insertion par l’emploi. Depuis l’arrivée de l’écologiste et ancien membre d’EELV Mathieu Glaymann à la direction de la régie de quartier de Saint-Denis, la régie s’est transformée en laboratoire de la transition écologique. Récupération et valorisation de cartons et de cagettes en bois, vide-grenier toutes les trois semaines, livraison en cyclo-logistique, ateliers zéro déchet, entretien des espaces publics avec des produits éco-labellisés… Les projets fleurissent sur le territoire.</p><blockquote><p class="p1"><b>« Ces initiatives sont beaucoup plus nombreuses qu’on ne le croit en quartiers populaires. Elles sont juste très discrètes. »</b></p></blockquote><p class="p2"> </p><p class="p2">Aujourd’hui, 60 % du chiffre d’affaires de la régie de Saint-Denis repose sur des projets en lien avec la transition écologique : «<i> Les régies de quartier en Seine-Saint-Denis comptent environ 500 salariés,</i> affirme Mathieu Glaymann. <i>Et dans notre régie, nous recrutons dans 95 % des cas des habitants de Saint-Denis. Il ne faut pas sous-estimer cet outil. </i>» Un puissant levier d’émancipation, donc, qui fait écho à la stratégie d’ancrage territorial que la politologue et militante Fatima Ouassak revendique dans son essai <i><a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_puissance_des_meres-9782348059377" target="_blank">La Puissance des mères. Pour un nouveau sujet révolutionnaire</a></i> (La Découverte, 2020). L’autrice fait référence à l’attachement ressenti par les habitants pour un territoire, critère indispensable selon elle, pour garantir sa protection.</p><h3><b>La théorie de l’indifférence</b></h3><p class="p2">Si le terme « écologie » est néanmoins toujours mis à distance par certains, «<i> c’est parce [qu’il] est associé à un discours dominant qui exclut les habitants des quartiers populaires et qui considère que l’écologie ne les concernerait pas, voire qu</i>’<i>ils y seraient même hostiles, </i>note Léa Billen.<i> Ce discours est performatif : il produit un sentiment d’impuissance chez ces habitants qui peuvent effectivement finir par penser que ce n’est pas pour eux </i>». Pour en saisir les causes profondes, il faut revenir à l’histoire des politiques qui ont bâti ces quartiers. À partir des années 1960, le gouvernement décide de construire des grands ensembles pour répondre au défi du relogement des classes moyennes. </p><p class="p2">Or, «<i> la construction des grands ensembles n’est pas accompagnée d’aménagements alentour : il manquait beaucoup d’équipements publics, sociaux et culturels. Et malgré les plaintes des habitants de la classe moyenne, l’État est resté passif,</i> analyse Hacène Belmessous, auteur de l’ouvrage <i><a href="https://www.syllepse.net/petite-histoire-politique-des-banlieues-populaires-_r_25_i_891.html" target="_blank">Petite histoire politique des banlieues populaires</a></i> (Syllepse, 2022), pour lequel il a fouillé les archives des municipalités populaires en périphérie des villes. <i>Ces populations ont fini par céder à l’achat de maisons individuelles, laissant place à une population immigrée extra-européenne à qui l’on avait longtemps refusé l’accès à ces logements. </i>» Par la suite, la politique de rénovation urbaine dans les banlieues populaires qui se poursuit en 2003 après les émeutes des années 1990 est « <i>d’abord une tentative d’éliminer un problème politique </i>», poursuit le chercheur. L’objectif n’est pas de créer un meilleur cadre de vie pour les habitants, mais plutôt «<i> d’ouvrir les cités pour que la police puisse intervenir </i>».</p><h3><b>Des quartiers qui étouffent</b></h3><p class="p2">Ces inégalités ont structuré les banlieues populaires. S’y ajoutent aujourd’hui des injustices environnementales. Documentées aux États-Unis depuis les années 1980, où les nuisances et pollutions frappent plus fréquemment les populations afro-américaines, elles deviennent une préoccupation en Europe à partir des années 2000. «<i> On étouffe à l’intérieur, entre les quatre murs des appartements HLM, trois étroits, trop chauds l’été, véritables passoires thermiques l’hiver, où l’air est pollué par l’ameublement bon marché </i>», constate aujourd’hui l’essayiste Fatima Ouassak, dans son ouvrage <i><a href="https://www.socialter.fr/article/ecologie-pirate-et-quartiers-populaires" target="_blank">Pour une écologie pirate</a></i> (Seuil, 2023). Mais aussi à l’extérieur, «<i> entre les quatre murs du quartier, submergés par le bruit des voitures, les odeurs nauséabondes, l’éclairage artificiel et la pollution atmosphérique </i>», poursuit-elle.</p><blockquote><p class="p1"><b>« Le problème n’est pas le message, mais le messager. Pour embarquer les catégories populaires, il faut créer des rapports plus horizontaux. »</b></p></blockquote><p class="p2"> </p><p class="p2">En 2021, le Réseau action climat (RAC) et l’Unicef <a href="https://www.unicef.fr/article/pollution-de-lair-et-pauvrete-des-enfants-de-linjustice-sociale-dans-lair/" target="_blank">ont publié un rapport</a> sur les liens entre la pauvreté des enfants et la pollution de l’air. Chez les enfants, «<i> cette exposition peut entraîner des problèmes respiratoires et immunitaires, mais aussi des pathologies telles que le diabète, l</i>’<i>obésité ou la dépression </i>», souligne le rapport. Si les populations les plus riches résident aussi dans les centres urbains, là où la pollution atmosphérique est la plus forte, les conséquences ne sont pas les mêmes pour les plus précaires. «<i> Les inégalités d’accès aux soins, liées aux revenus ou à la catégorie sociale, font qu’un même degré d’exposition a un impact différent sur la santé </i>», confirme l’Observatoire des inégalités <a href="https://www.inegalites.fr/Les-communes-pauvres-sont-elles-plus-polluees" target="_blank">dans une de ses analyses</a>.</p><h3><b>S’émanciper des clichés</b></h3><p class="p2">Ces injustices sont de plus en plus largement dénoncées. Contre un discours écologique «<i> déconnecté des réalités des classes populaires </i>», Féris Barkat, né à Illkirch près de Strasbourg, a cofondé l’association <a href="https://banlieues-climat.org/" target="_blank">Banlieues climat</a> fin 2022, à tout juste 20 ans. Son but ? Sensibiliser les jeunes de banlieue aux enjeux écologiques et leur permettre d’être formateurs à leur tour. Selon lui, l’écologie est avant tout un moyen de mettre en lumière des inégalités sociales «<i> peu audibles pour les politiques </i>». Plusieurs membres de Banlieues climat sont ainsi allés former des parlementaires. Sept au total – dont le député La France insoumise <a href="https://www.socialter.fr/article/francois-ruffin-la-politique-doit-reposer-la-question-du-bonheur" target="_blank">François Ruffin</a> et l’écologiste Marie-Charlotte Garin – ont bénéficié d’une formation de trois heures donnée par Féris, Sanaa, Someïa, Aymen, Imane et Khadim, le 17 janvier à l’Assemblée nationale. L’idée de cette formation est d’interpeller les élus. Pour le cofondateur de Banlieues climat, si leur message ne passe pas auprès des jeunes de banlieue, «<i> c’est une question de posture </i>» : «<i> Le problème n’est pas le message, mais le messager. Pour embarquer les catégories populaires, il faut créer des rapports plus horizontaux. </i>»</p><p class="p4">Il y a aussi « <i>un manque de représentativité </i>», constate Amine Kessaci, âgé de 21 ans et originaire des quartiers nord de Marseille. En juin 2020, il a créé l’association Conscience qui mène des projets de sensibilisation et organise des campagnes de ramassage de déchets dans son quartier. L’initiative prend vite et sera bientôt déclinée localement dans d’autres quartiers populaires en France. Un succès rapide qu’il attribue au fait que «<i> ces initiatives sont portées par d’autres jeunes de quartiers </i>». Aujourd’hui, s’il se présente aux élections européennes de juin, sur la liste menée par l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint, c’est principalement pour porter la voix des quartiers populaires et déconstruire les stéréotypes qui leur sont associés. À l’affirmation que l’écologie ne parlerait pas aux habitants des quartiers, il répond : «<i> Au contraire ! Le 2 décembre, plusieurs personnes de mon quartier sont montées à Paris avec moi au meeting de Marie Toussaint. Elles se sont retrouvées dans son discours et ont compris ce qu’elle défendait. </i>» De son côté, Féris Barkat annonce que l’association Banlieues climat aura bientôt un lieu dédié à leur formation, depuis peu certifiée par le Ministère de l<b>’</b>Enseignement supérieur, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Car, conclut-il, «<i> si les classes populaires ne sont pas outillées dès le départ à cause des inégalités d’accès à la connaissance, nous misons, au contraire, sur l’intelligence </i>». </p>Adrien Cornet et Paul Guillibert : « Scinder en permanence le mouvement ouvrier du mouvement écolo est une stratégie du capitalisme. »16902024-02-14T15:13:00+01:00Paul Guillibert, philosophe et auteur de l’ouvrage Exploiter les vivants, une histoire politique du travail (Amsterdam, 2023) et Adrien Cornet, raffineur, délégué syndical à la CGT et militant au parti Révolution Permanente, ont pris l’habitude d’entremêler leurs pensées pour approfondir les liens entre la catastrophe écologique et l’exploitation du travail. S’ils empruntent des chemins différents, ils arrivent à la même conclusion : il est temps pour le mouvement écologiste, tout comme celui des travailleurs, d’élargir ses rangs. Entretien.https://www.socialter.fr/images/article/t/cornetguillibert_1707920756-750x480.jpg<h4><b>Qu’est-ce qui vous a amenés à penser la place du travail dans les luttes écologistes ? </b></h4><p class="p2"><b>Paul Guillibert</b> C’est parti d’une préoccupation théorique. Je viens d’une formation politique et intellectuelle marxiste. Je me suis ensuite intéressé à la crise écologique en raison de son actualité. J’ai réalisé qu’il s’agissait d’une préoccupation centrale de Marx, qui écrit dans <i>Le Capital</i> : « <i>La production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur. </i>» Or, il y a actuellement trop peu de rapports entre les luttes écologistes et les organisations de travailleurs. </p><p class="p1" style="text-align: center; "><i>Entretien issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p2">D’un côté, ces dernières parlent assez peu d’écologie, et de l’autre, les écologistes ne s’emparent quasiment pas de la question du travail. Mon axe de recherche a mûri de ces deux constats. Mais c’est aussi une histoire de rencontre avec les chercheurs italiens Stefania Barca et Emanuele Leonardi qui travaillent sur l’histoire des mobilisations ouvrières pour la santé et la sécurité au travail en Italie depuis les années 1960. Ils ont développé l’idée que ces mobilisations ouvrières sont déjà des luttes que nous qualifierions aujourd’hui d’écologistes. Après avoir passé un an à travailler à leurs côtés, il était clair pour moi que « l’écologie ouvrière » était une question centrale.</p><p class="p2"><b>Adrien Cornet</b> Pour moi, c’est d’abord un cheminement personnel. J’ai 22 ans lorsque je rentre à la raffinerie, en 2009. À l’époque, je n’ai aucune idée de la manière dont on fabrique du carburant, mais je sais que je peux m’éloigner de la précarité grâce à cet emploi. C’est après avoir écouté des penseurs et des chercheurs comme Pablo Servigne que la question écologique est arrivée sur le devant de la scène. J’ai rapidement voulu « bifurquer » et quitter mon emploi, car comme tout travailleur des secteurs polluants, je me sentais coupable de participer à cette pollution. En 2018, j’ai investi dans un potager ouvrier pour cultiver la terre et me former à la permaculture. Entre temps, j’ai eu des enfants et fait la rencontre des militants de Révolution Permanente lors de la grande grève des retraites en 2019. C’est avec eux que je réalise que ma place est beaucoup plus importante à l’intérieur de la raffinerie qu’en tant que permaculteur, si j’allais au bout du projet. Car qu’il soit fossile ou non, le secteur énergétique est central dans le système de production capitaliste. En 2020, je deviens donc militant à Révolution Permanente, tout en restant raffineur. Au terme de mon cheminement politique, Total annonce la même année la fermeture des capacités de raffinage de Grandpuits. Cette année – où la multinationale déploie son discours pour verdir son image tout en continuant à produire des énergies fossiles – marque un tournant dans ma pensée.</p><p class="p1"><b>Grandpuits, une lutte emblématique<i> </i></b></p><p class="p1"><i>En 2020, la grève des travailleurs de la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne) est déclenchée suite à la décision de Total de délocaliser ses activités et de reconvertir la raffinerie en usine de production de biocarburants et de bioplastiques. Pour la première fois, grévistes, ONG environnementales et syndicats s’allient pour dénoncer la casse sociale et le greenwashing de Total. Trois ans après le premier mouvement de grève, 700 emplois ont bel et bien été supprimés et le plan de reconversion suit son cours. Cette mobilisation aura toutefois permis la création d’une alliance inédite entre écologistes et raffineurs.</i></p><h4><b>Lors des élections présidentielles de 2022, Anasse Kazib était le seul candidat issu d’un parti révolutionnaire à aborder les questions écologiques en les reliant systématiquement aux travailleurs, aux classes populaires et aux luttes antiracistes. Pourquoi ces liens n’ont-ils pas été faits plus tôt ?</b></h4><p class="p2"><b>PG</b> Les organisations de masse de la classe ouvrière ont été pour beaucoup productivistes, car elles étaient liées à des formations sociales qui considéraient qu’il fallait développer toujours plus de techniques pour rivaliser avec les États-Unis et s’émanciper du travail. Il y avait cette croyance qu’en dominant toujours plus la nature et en développant les forces productives, on allait pouvoir libérer les travailleurs. Le mouvement écologiste émerge quant à lui principalement de théoriciens anarchistes, souvent à partir de questions agraires, dans les années 1970. Finalement, des traditions différentes ont cheminé de manière parallèle : d’un côté, les luttes anarchistes, plus écolos, se sont implantées dans les campagnes ; de l’autre, les traditions marxistes se sont répandues à l’intérieur des mondes ouvriers, plutôt dans les villes.</p><p class="p2"><b>AC</b> Lutte Ouvrière est restée cantonnée à des questions économiques très « ouvriéristes », comme les retraites ou le salaire, sans parler des questions écologiques, antiracistes ou encore féministes. Pourtant, l’ouvrier est profondément poreux à ces questions d’oppression, de protection de la planète, de racisme et de patriarcat… Il n’est pas juste un travailleur qui serait coupé de l’ensemble du monde. Le plus souvent, nos usines sont implantées au milieu des campagnes. Nous allons nous balader tous les week-ends dans la forêt de Fontainebleau, près des rivières où l’on rejette l’eau qu’on a traitée. C’est là qu’on va se baigner avec nos enfants. C’est notre environnement : nous sommes de fait préoccupés par son état. Puis, nous sommes les premiers à respirer le carburant. Faire un plein d’essence vous expose pendant quelques minutes à ce qu’un raffineur respire 24 heures sur 24. C’est incroyable de voir que cette pensée a été scindée entre les travailleurs d’un côté, et les écolos de l’autre. Tout ce qu’on dit paraît très logique, et pourtant des penseurs imprégnés de ces questions pendant quarante ans n’ont pas fait ce lien.</p><p class="p2"><b>PG</b> C’est vrai que le travail est rarement pensé à partir de ses effets sur la nature et qu’on pense peu les travailleurs comme des habitants d’un monde vivant. Cette dichotomie est encore très présente aujourd’hui dans notre manière de nous représenter ces enjeux. À l’intérieur d’une usine, on ne pense pas à l’écologie mais plutôt à la santé et à la sécurité au travail. Il y a eu une séparation très nette entre les environnements de travail (sous la responsabilité des syndicats) et des environnements naturels (défendus par les écologistes). Si l’on veut avancer sur cette question, il faut pourtant dépasser cette dichotomie. Tout environnement est un milieu dans lequel des organismes vivants évoluent : dans un cas, ce sont des travailleurs humains dans un environnement technique, dans l’autre, des habitants humains et non-humains qui vivent à proximité, dans un environnement technique et naturel. Les substances biochimiques et physiques circulent entre ces milieux connectés les uns aux autres. Elles ne connaissent pas de frontières.</p><h4><b>N’y a-t-il jamais eu d’occasions dans l’histoire de mêler ces deux traditions ?</b></h4><p class="p2"><b>PG</b> De grands moments de jonction auraient pu être possibles, par exemple sur la question du nucléaire qui marque le début de la politisation du mouvement écologiste à partir des années 1970. Le lien était facile à faire, en posant simplement la question de la position des travailleurs du nucléaire dans la transition écologique. Des études de la CFDT et de la CGT dans les années 1970 sur le rapport des ouvriers du nucléaire à la question technique ont montré qu’ils avaient déjà, pour certains, un discours écologiste, qui fait écho aujourd’hui aux propos de Jean-Marc Jancovici. Pourtant, cette jonction ne s’est pas faite : le mouvement anti-productiviste, porté par les écologistes, a assez peu thématisé la question du travail. Or, ces moments de jonction historiques, comme a pu l’être Grandpuits, sont rares. Il faut s’en saisir. Lorsqu’on les ignore, les opportunités peuvent passer et nous pouvons nous embarquer pour encore vingt ou trente ans d’ignorance mutuelle.</p><h4><b>Dans votre livre <i>Exploiter les vivants</i>, vous expliquez que la production d’images liées aux déchets participe à la construction d’un imaginaire sans travailleurs. En quoi cette alliance permettrait-elle de rendre visible ce qui ne l’était pas jusqu’à présent dans le discours écologiste ?</b></h4><p class="p2"><b>PG</b> S’il n’y a pas de montagnes de déchets dans l’espace public, c’est parce que des individus ont travaillé. Cela commence au foyer, où le travail domestique repose encore largement sur l’activité des femmes, jusqu’au lieu de travail de l’ensemble des travailleurs du secteur à l’échelle mondiale qui récupèrent, trient, traitent ou recyclent les déchets. L’écologie dominante laisse penser que l’écologie est un problème de citoyens consommateurs individuels, dans lequel il n’y aurait pas de travailleurs. Du coup, cela invisibilise complètement le travail et nous empêche de trouver de véritables solutions. La problématique des déchets se situe pourtant au niveau de leur production, là où les travailleurs ont le pouvoir. Il faut donc la réintroduire à l’intérieur de la question écologique.</p><blockquote><p class="p1"><b>« Pourtant, l’ouvrier est profondément poreux à ces questions d’oppression, de protection de la planète, de racisme et de patriarcat… Il n’est pas juste un travailleur qui serait coupé de l’ensemble du monde. »</b></p></blockquote><p class="p2"><b>AC</b> Scinder en permanence le mouvement ouvrier du mouvement écolo est une stratégie du capitalisme. Les isoler de la terre aussi. Cette scission est physique : quand vous entrez dans une raffinerie ou une centrale nucléaire, vous ne voyez jamais les champs autour, car l’espace est bétonné et organisé de manière à ce que les travailleurs soient enfermés entre des bacs ou des silos. Personne de l’extérieur ne les voit non plus. La représentation d’un ouvrier agricole est encore différente, car celui-ci est au milieu de son environnement naturel. Il n’y a pas cette barrière physique ; nous pouvons plus facilement nous le représenter.</p><h4><b>L’essayiste et chercheur <a href="https://www.socialter.fr/article/malm-nationaliser-total" target="_blank">Andreas Malm propose de nationaliser les entreprises productrices d’énergies fossiles,</a> comme TotalÉnergies, sans pour autant impliquer les ouvriers. Vous revendiquez, au contraire, d’agir depuis la base… </b></h4><p class="p2"><b>AC</b> Je me souviens d’une de ses prises de parole où il expliquait qu’on ne pouvait pas compter sur les travailleurs des énergies fossiles pour créer un front commun pour stopper la pollution. D’une part, Grandpuits a été la démonstration que sa thèse n’est pas juste. Selon lui, il faudrait saboter l’ensemble des pipelines qui alimentent les raffineries, mais Total le fait très bien tout seul ! La stratégie de l’entreprise consiste à délocaliser l’ensemble des capacités de raffinage de France, dans des pays où les normes environnementales et sociales sont moindres. C’est pour ça que Grandpuits a fermé : le pipeline d’Île-de-France qui transportait du pétrole brut du Havre jusqu’à la raffinerie de Grandpuits a été percé de partout. D’autre part, on ne pourra pas saboter une usine après l’autre indéfiniment. Je suis pour la nationalisation des secteurs de l’énergie, à condition qu’elle soit sous le contrôle des travailleurs, les seuls dont l’intérêt à produire répond aux besoins de la majorité. En Argentine, le Parti des travailleurs socialistes (PTS) a par exemple rallié les travailleurs de l’éducation au mouvement des travailleurs des mines de lithium de la province de Jujuy pendant une grève. Il faudrait qu’on rencontre Andreas Malm pour en discuter, car on ne peut plus penser les travailleurs en dehors de leur environnement.</p><h4><b>Disons que l’objectif est de protéger les écosystèmes, quel serait l’avantage d’un contrôle ouvrier des outils de production ? </b></h4><p class="p2"><b>PG</b> Si les travailleurs ne produisent pas pour les capitalistes mais pour satisfaire les besoins communs, ils n’ont aucun intérêt à détruire l’environnement. Ceux qui n’en ont rien à faire de l’environnement sont ceux qui produisent pour d’autres raisons que les besoins sociaux et écologiques, et dont le seul besoin est d’augmenter leur capital. Or, le contrôle ouvrier autogestionnaire laisse beaucoup plus de marge de manœuvre pour changer le type de production. Par exemple, les travailleurs de l’usine automobile GKN, à Florence, occupent l’usine depuis deux ans suite à son rachat par un fonds d’investissement qui prévoit sa délocalisation. Les 500 travailleurs ont décidé d’occuper l’usine – qui produit à la base des composants automobiles – et ont mis en place un « plan de transformation écologique ». On voit bien ici que, dès que les travailleurs envisagent de se réapproprier l’appareil productif, ils le font pour avoir de meilleures conditions de travail, mais aussi dans l’intérêt des besoins des communautés dans lesquelles ils vivent. Et il est beaucoup plus facile de réorienter la production d’une usine qui est implantée <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/ralentir-ou-perir-timothee-parrique/9782021508093" target="_blank">dans une ville où tout le monde se connaît et travaille</a>, que lorsqu’il s’agit d’un fonds d’investissement à l’autre bout de la planète. Le contrôle ouvrier est donc aussi un contrôle local sur ce que l’on produit et comment on le produit.</p><h4><b>Marx affirme que les travailleurs ont le potentiel d’acquérir un pouvoir hégémonique au sein de la société. Dans ce contexte, pourquoi le mouvement écologiste n’a-t-il pas encore exploité l’opportunité d’établir une alliance commune ?</b></h4><p class="p2"><b>PG</b> C’est déjà en train de se passer avec <a href="https://www.socialter.fr/article/les-soulevements-de-la-terre-sortir-d-une-ecologie-hors-sol" target="_blank">Les Soulèvements de la Terre</a> : ils organisent des actions contre Lafarge en pensant aux travailleurs, contre les mégabassines avec la Confédération paysanne… Maintenant, la question qui se pose est celle du pouvoir : qui peut transformer l’appareil productif ? Les Soulèvements ont raison : l’activisme par l’action directe a la capacité de bloquer des plans d’aménagement et de faire pression sur l’État, mais ce n’est pas seulement en luttant contre quelques projets d’aménagement du territoire qu’on va transformer intégralement l’appareil productif.</p><blockquote><p class="p1"><b>« </b><b>Ces moments de jonction historiques, comme a pu l’être Grandpuits, sont rares. Il faut s’en saisir. Lorsqu’on les ignore,les opportunités peuvent passer et nous pouvons nous embarquer pour encore 20 ou 30 ans d’ignorance mutuelle. </b><b>»</b></p></blockquote><p class="p2"><b>AC</b> La question de la stratégie est déterminante, et elle se pose toujours ! Au moment du combat des <a href="https://www.socialter.fr/article/rage-against-the-mega-bassines-manifestation" target="_blank">mégabassines à Sainte-Soline</a>, nous sommes en pleine grève contre la réforme des retraites. La convergence entre ces militants écologistes et le mouvement ouvrier – non pas à l’échelle locale mais dans le cadre d’un combat national contre le gouvernement – aurait pu être un élément de bascule. Quand j’ai vu leur détermination, j’avais envie de leur dire : « Regardez la force de frappe du mouvement de grève des raffineries ! » En seulement dix jours, nous avons réussi à maintenir au sol 40 % des avions de Roissy et d’Orly, les deux plus gros aéroports européens. Il faut qu’on lutte ensemble, mais nous ne pouvons pas avoir ces discussions au cœur de l’action, tout va trop vite.</p><h4><b>Vous définissez le chantage à l’emploi comme une pratique qui consiste, pour les employés, à devoir choisir entre leur emploi et leur santé, ce qui laisse croire qu’il n’y a pas d’alternative au <i>business as usual</i>. Comment dépasser cette contradiction ?</b></h4><p class="p2"><b>AC</b> Pour donner un exemple concret, certains travailleurs de Grandpuits vont passer d’un emploi dans une raffinerie à la gestion d’un méthaniseur. Ils vont devenir des ouvriers agricoles. Cette transition est possible car on maintient leur salaire, on les forme ; ils réalisent qu’ils ne travailleront plus de nuit et qu’ils ne seront plus exposés à un environnement dangereux, à respirer du carburant en permanence. Il faut donc avoir un programme d’ensemble, où l’on planifie à l’avance les secteurs qui vont croître (la santé, la nourriture de bonne qualité, etc.) et décroître, comme les secteurs polluants.</p><p class="p2"><b>PG</b> Les capitalistes ont conscience que la subsistance des travailleurs dépend du salaire qu’ils leur donnent. Les employés sont soumis à une double dépendance au marché, à la fois au salaire et aux marchandises. Le syndicaliste américain Tony Mazzocchi l’a bien compris. En 1973, lors d’une grande grève des travailleurs de l’entreprise Shell, il lance l’idée qu’il faudrait un « super fonds pour les travailleurs » pour accompagner la transition des secteurs les plus polluants. Malheureusement, ce fonds ne tombera pas du ciel, et il est peu probable qu’il soit accordé sans créer un rapport de force. L’autre possibilité appartient au mouvement ouvrier : il s’agit de la constitution de mutuelles, avec lesquelles on pourrait cotiser tous les mois pour la transition et la réappropriation des usines. En Italie, les travailleurs de l’entreprise GKN ont lancé un plan d’actionnariat populaire. Depuis septembre, tout le monde peut cotiser et acheter des actions ! Les travailleurs espèrent rassembler un million d’euros pour récupérer l’usine et la transformer selon le plan de transition qu’ils ont mis au point. Et les écologistes ont toute leur place dans ce processus. </p>De la Palestine à l'A69, le boycott à l'intersection des luttes16892024-02-14T11:50:00+01:00Outil décisif dans l’opposition internationale à l’apartheid en Afrique du Sud et mode d’action historique des mouvements pro-palestiniens, le boycott connaît aujourd’hui un regain d’élan populaire. Il s’étend désormais à de nouvelles causes, comme la lutte contre la fast fashion ou, plus récemment, contre l’autoroute A69. La clé de son succès : être à l’intersection des luttes.https://www.socialter.fr/images/article/t/mcdoboycott_1707908293-750x480.jpg<p class="p1">Burger aplati et cornet de frites aux couleurs reconnaissables de la multinationale McDonald’s photographiés depuis le toit d’un char de guerre dévoilent le festin d’un soldat israélien. «<i> On boycotte. Jamais dans nos estomacs. Jamais dans leurs poches </i>», réagit Nos, l’un des deux frères du duo de rappeurs PNL sur Instagram le 21 décembre, réseau où il est suivi par 1,5 million de personnes. Portées par le collectif historique Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) depuis 2005, les campagnes de boycott envers les marques qui affichent leur soutien à l’armée et la colonisation israéliennes lèvent un nouveau vent de panique parmi les multinationales depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre et les représailles de l’armée israélienne sur la bande de Gaza.</p><p class="p1" style="text-align: center;"><i>Article issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p3">En fournissant gratuitement des repas à l’armée israélienne, les exploitants de Carrefour et de McDonald’s en Israël sont particulièrement dans le viseur. Chris Kempczinski, directeur général de McDonald’s, <a href="https://www.reuters.com/business/mcdonalds-ceo-says-several-markets-middle-east-see-impact-conflict-2024-01-04/" target="_blank">a déclaré que plusieurs marchés du Moyen-Orient</a> et extérieurs à la région subissent un impact commercial significatif en raison de la campagne lancée en octobre. Depuis, la plateforme en ligne bdnaash.com a étoffé les moyens de rejoindre le boycott en promouvant un consumérisme consciencieux, via un simple moteur de recherche qui informe si les marques soutiennent ou non l’occupation israélienne en Cisjordanie. «<i> On passe tout au crible sur ce moteur de recherche. C’est devenu notre bible,</i> explique Mariam, 28 ans, responsable des ressources humaines en Île-de-France. <i>Mes beaux-parents ont même résilié leur carte Carrefour après 25 ans de fidélité ! </i>»</p><p class="p3">Populaire et non violent, le boycott séduit surtout les 18-25 ans disposant de ressources culturelles et financières. Lorsque l’on interroge les jeunes sur ce que veut dire s’engager, <a href="https://theconversation.com/18-25-ans-des-jeunes-etonnamment-optimistes-et-resilients-217935" target="_blank">23 % répondent</a> par le boycott des entreprises ou des produits qui ne respectent pas leurs engagements. Refuser d’acheter des produits est d’ailleurs le premier levier d’action des Français <a href="https://infos.ademe.fr/lettre-strategie-janvier-2022/climat-les-francais-mobilises-et-en-attente-devolutions-de-la-societe" target="_blank">interrogés pour lutter contre le réchauffement climatique</a>. Ils sont 27 % à déclarer déjà boycotter des produits pour cette cause. À l’image des opposants au projet autoroutier entre Toulouse et Castres qui ont volontairement ciblé Pierre Fabre, deuxième groupe pharmaceutique privé français, et ses célèbres marques (Avène, Ducray, Klorane) en raison de leur défense assumée de la construction de l’autoroute depuis les années 2000.</p><h3><b>Boycotter, à l’intersection des luttes</b></h3><p class="p2">Si le boycott est un mode d’action plébiscité par la jeunesse, c’est aussi parce qu’il se trouve à l’intersection de plusieurs luttes. «<i> Toutes les raisons sont là pour boycotter les Jeux olympiques de Paris. Les morts sur les chantiers, la hausse des prix des transports, l’absence de femmes voilées dans les compétitions, les athlètes non subventionnés, les étudiants expulsés </i>», liste un utilisateur de X, retweeté par des milliers de personnes. «<i> Les jeunes font très vite le lien entre l’écologie et la Palestine, des luttes qui se conjuguent entre elles </i>», confirme Monira Moon, animatrice des campagnes françaises de BDS auprès des syndicats et des universités.</p><p class="p3">En cessant d’acheter des vêtements Zara – marque ciblée par un boycott après sa campagne publicitaire ambiguë mettant en scène des mannequins aux membres manquants en pleine guerre à Gaza –, les partisans du boycott disent aussi non aux désastres écologiques causés par l’industrie textile. «<i> Depuis la diffusion de la liste de la honte des marques qui exploitent les Ouïghours, j’ai arrêté d’acheter des marques de la fast fashion, qui dégradent par ailleurs la planète </i>», confirme Morgane, 27 ans, cheffe de projets culturels.</p><p class="p3">Sans demander d’efforts considérables pour l’individu qui le pratique, ce mode d’action offre à chacun un moyen de jouer un rôle à son échelle. «<i> C’est pour cette raison qu’un grand nombre de travailleurs précaires, étudiants, artistes, universitaires, militants pour le climat s’y mettent </i>», précise Omar Barghouti, militant palestinien pour les droits humains et co-fondateur de BDS. À tel point qu’aujourd’hui, on observe un intérêt pour son versant positif : le <i>buycott</i>, qui consiste à soutenir les entreprises plus justes, plus respectueuses de l’environnement et des droits des travailleurs. « <i>Consommer, c’est choisir le monde dans lequel on vit </i>», affirme Monira Moon.</p><h3><b>Aux origines : Charles C. Boycott</b></h3><p class="p2">Apparu dans le monde anglo-saxon, où il a toujours été et reste plus fréquent qu’ailleurs, ce mode d’action populaire tient son nom d’un riche propriétaire terrien. En 1880, dans une région pauvre d’Irlande, Charles C. Boycott décide d’augmenter le loyer des terres dont il a la charge. La pression financière va contraindre les paysans locataires à l’exil. C’est là qu’entre en jeu Charles S. Parnell, lui-même propriétaire terrien, révolté par l’attitude de ses pairs à l’égard des paysans, et Michael Davitt, paysan né dans une famille victime de la Grande Famine des années 1840 en Irlande. Tous deux vont politiser le combat des paysans et proposer une tactique non violente : ignorer Boycott et les paysans qui reprennent les terres des familles expulsées. En d’autres termes, Charles Parnell propose de rompre toutes les relations commerciales, de service, de courtoisie ou d’entraide avec eux, dans le but de les isoler complètement. Cela fonctionne : c’est le début du boycott.</p><p class="p2"><img src="/images/article/e/mcboycott_1707908316-jpg_1707908316-1.jpg"><br></p><p class="p2">Parfois, les promesses d’appel au boycott relayées dans les médias retombent aussi vite qu’elles sont apparues dans le débat public. Dans une chronique sur France Culture faisant référence à la Coupe du monde de football au Qatar en 2022, le journaliste Guillaume Erner ironise à ce sujet : « <i>Les Français ont donc boycotté le boycott. </i>» Malgré la déferlante d’appels pour ignorer l’événement, 12,5 millions de téléspectateurs étaient devant leur télévision le soir du premier match de l’équipe de France. C’est le même nombre de Français que lors de la précédente compétition. Un exemple d’échec du boycott, probablement causé par le trop fort engouement populaire que représente le football, l’omniprésence des matchs dans l’espace public et le coût du renoncement à la sociabilité.</p><h3><b>Consumérisme et individualisme</b></h3><p class="p2">Boycotter n’est en effet pas toujours aussi facile qu’on le croit. Quand en 2001, les victimes du plan social de Danone appellent les consommateurs à s’engager par le boycott des produits de l’entreprise, c’est un parcours du combattant. Omniprésent et quasi incontournable dans les rayons, Danone détient plus d’une vingtaine de marques dans l’agroalimentaire, et il n’existe pas toujours de produits de substitution concurrents. Si le nom Danone est toujours présent sur l’emballage, il faut parfois traquer son infime référence en petits caractères à l’arrière du produit. Salué pour son ampleur inédite – à l’époque, 90 députés de la majorité signent un appel au boycott des produits de Danone –, ce sera un échec pour les salariés sur la sellette mais une véritable victoire d’image. En quelques mois, l’indice d’image de Danone <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/danone-les-francais-digerent-mal" target="_blank">chute de 60 points</a>.</p><blockquote><p class="p1"><b>Il est difficile de mesurer les impacts du boycott, compte tenu de la difficulté d’établir des liens de causalité entre le boycott et la santé financière des sociétés. Les entreprises se gardent bien de rendre publics les effets financiers d’un boycott.</b></p></blockquote><p class="p3">La difficulté à mesurer les impacts du boycott constitue une autre limite, compte tenu de la difficulté à établir des liens de causalité entre le boycott et la santé financière des sociétés. Les entreprises se gardent bien de rendre publics les effets financiers d’un boycott. Les détracteurs du boycott pointent également une forme de consumérisme politique inhérente à ce mode d’action. «<i> Cette action collective s’accommode bien du développement des valeurs individualistes </i>», nuancent Ingrid Nyström et Patricia Vendramin dans l’ouvrage <i>Le Boycott</i> (Presses de Sciences Po, 2015).</p><h3><b>Le boycott et le mouvement international anti-apartheid</b></h3><p class="p2">L’histoire a néanmoins prouvé les vertus du boycott. L’un des exemples les plus marquants étant la pression internationale sur le régime de ségrégation raciale en Afrique du Sud, alimentée par plusieurs décennies d’actions du mouvement international anti-apartheid, dont de nombreux boycotts sur la consommation. Le syndicat sud-africain, la Cosatu, multiplie les appels au boycott, relayés par les syndicats dans le monde entier. Le mouvement de solidarité finit par aboutir à la fin de la publicité pour le tourisme en Afrique du Sud, mettant ainsi l’économie sud-africaine en difficulté.</p><p class="p3">De nos jours, les vagues de boycott ont amené de grandes multinationales à mettre fin, totalement ou partiellement, à leur implication dans les territoires palestiniens occupés. C’est le cas de l’opérateur Orange, qui a cessé son accord avec l’opérateur israélien Partner Communications en 2016, à l’issue d’une campagne BDS longue de six ans. «<i> La décision la plus considérable fut celle de l’Église presbytérienne américaine qui adopta en juillet 2004 une résolution appelant à un processus d’arrêt sélectif et progressif des investissements dans les entreprises qui ont une activité en Israël </i>», se souvient Omar Barghouti. Avant d’expliquer : «<i> Nous avons toujours résisté à la colonisation par la résistance civique, contrairement au mythe très répandu selon lequel la résistance palestinienne est uniquement une résistance violente et armée. </i>»</p><p class="p3"><img src="/images/article/e/boycottfoot_1707908325-jpg_1707908325-1.jpg"><br></p><p class="p3">Le succès d’un boycott ne tient pas seulement à son potentiel impact financier sur les entreprises. L’engagement concerne également les domaines sportif, culturel, universitaire et diplomatique. « <i>En 2016, à Saint-Étienne, on a assisté au match où jouait l’équipe de football israélienne. En achetant des places, et avec nos seuls drapeaux et nos banderoles, on a mis la question palestinienne à un endroit où elle ne devait pas être </i>», se souvient Monira.</p><h3><b>Nouvelles barrières législatives</b></h3><p class="p2">Son efficacité effraie d’ailleurs les principaux concernés. Le gouvernement israélien considère depuis de nombreuses années le mouvement BDS comme une menace stratégique et a approuvé en 2017 un plan prévoyant 72 millions de dollars pour lutter contre la campagne de boycott visant l’État hébreu.</p><p class="p3">En France, des citoyens ayant appelé au boycott des produits israéliens – en raison de la politique de l’État d’Israël à l’égard du peuple palestinien – ont été jugés en 2012 pour « discrimination contre une nation » et « incitation à la haine et à la violence », une peine punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Bien que condamnée en juin 2020 par la Cour européenne des droits de l’Homme pour avoir interdit l’appel au boycott des produits israéliens, la France persiste à y voir un délit.</p><p class="p3">Pourquoi un tel musellement ? «<i> D’un côté, c’est une pression qui gêne les industriels, de l’autre, c’est une action qui échappe au contrôle des organisations traditionnelles </i>», analyse le militant Serge Perrin dans son ouvrage <i>Le Boycott, une arme citoyenne non violente</i> (Alternatives non violentes, 2016). </p>Réchauffement climatique : l'industrie du ski en flagrant déni16882024-02-14T11:38:00+01:00Chaque degré supplémentaire fait perdre un mois d’enneigement aux stations de ski. Pourtant elles s’obstinent. Plus de neige ? Elles en fabriqueront. Plus d’eau pour fabriquer de la neige ? Elles feront des retenues collinaires. Et s’il y a des opposants, ses lobbies sont assez puissants pour imposer leur contre-discours. Enquête sur le business de l’or blanc qui poursuit sa croissance, sous perfusion de subventions publiques, malgré la fonte des neiges.https://www.socialter.fr/images/article/t/enqueteski_1707907427-750x480.jpg<p class="p1">Avant, il n’y avait presque rien. Quelques chalets familiaux se perdaient dans le blanc d’un domaine skiable confidentiel. En vingt ans, les Eucherts, un secteur de la station de ski de La Rosière en Tarentaise (Savoie), ont été transfigurés. En pleines vacances scolaires, le café du front de neige est bondé, un DJ ambiance l’après-ski et, derrière les baies vitrées embuées d’un hôtel de charme, une femme plonge dans une piscine chauffée.</p><p class="p1" style="text-align: center;"><i>Enquête issue de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p3">Hélène, elle, se réchauffe les mains sur une tasse de thé après une journée de ski avec ses enfants. Chaque année, ils perpétuent le rituel familial des fêtes de Noël à la montagne et profitent d’un appartement acheté par le grand-père une trentaine d’années plus tôt. À l’époque, la station comptait environ 4 000 lits touristiques, « <i>un village</i> » décrit l’habituée.Depuis, la station a triplé de taille. Extension du domaine skiable en 2018 avec un point culminant à 2 800 mètres, ouverture du Club Med en 2021, agrandi l’année suivante… au total, 3 000 lits touristiques supplémentaires sont sortis de terre depuis 2017. </p><p class="p3">La plupart dans le très haut de gamme. D’un point de vue touristique, c’est une réussite. La station, tout de bois et de pierre, a su garder son cachet. Le luxe en plus. Elle propose un domaine skiable de 152 kilomètres qui a peu à envier aux grandes stations françaises et vante son « flocon vert » – un label de développement durable. Elle qui n’avait pas bénéficié des « plans neige » d’après-guerre – à l’origine des géantes alpines du sport d’hiver – est finalement parvenue à se tailler une place au soleil.</p><p class="p3">Dans ce décor idyllique, la fin annoncée de l’« or blanc » fait doucement rire ceux qui font tourner la station. « <i>Les plus belles années sont à venir </i>», promet même un commerçant. En 2023, la vente de forfaits de ski sur l’ensemble des domaines skiables français a généré 1,6 milliard de chiffre d’affaires, une croissance constante, multipliée par trois par rapport à 1990 selon les données de Domaines skiables de France (DSF), l’une des principales organisations représentatives du secteur. Avec la location de matériel, l’hébergement ou le restaurant d’altitude, elle estime que près de 10 milliards d’euros sont dépensés chaque année dans les stations – plus que l’industrie du livre ou du cinéma. L’organisation des Jeux olympiques d’hiver en France en 2030 finit de rassurer les acteurs du secteur. «<i> C’est une très bonne nouvelle qui permettra de raviver une culture ski qui se perd un peu </i>», espère Jean Regaldo, directeur du domaine skiable de La Rosière. Car il y a tout de même un (gros) grain de sable dans cette belle mécanique.</p><h3><b>Menaces écologiques</b></h3><p class="p2">Dans les Alpes, la température a augmenté de 2 °C depuis 1950, un rythme plus rapide que dans les autres régions françaises. En dessous de 2 000 mètres d’altitude, l’équivalent d’un mois d’enneigement a été perdu en cinquante ans. «<i> Ce sera un mois de plus par degré supplémentaire </i>», explique Samuel Morin, directeur du Centre national de recherches météorologiques. Selon une étude qu’il a co-publiée en août dernier dans la revue <i>Nature Climate Change</i>, avec une trajectoire à +4° au niveau mondial, 98 % des stations de ski européennes manqueront cruellement de neige. Dans l'hypothèse d'une trajectoire à +3° au niveau mondial (correspondant à + 4° en France), 91% des stations de ski européennes manqueront cruellement de neige. «<i> Le modèle de fonctionnement de la plupart des stations sera perturbé à l’horizon 2050 </i>», estime aussi Christophe Mirmand, préfet coordinateur du massif des Alpes, dans un discours en octobre dernier devant le congrès annuel de Domaines skiables de France. «<i> Il vous appartient désormais de relever le plus difficile des défis : celui de votre transition </i>», a-t-il lancé à l’assistance.</p><p class="p3">Mais la plupart des stations ne sont pas du tout prêtes à scier la branche sur laquelle elles sont assises. Entre 2018 et 2022, plus de 32 000 lits touristiques supplémentaires ont été construits en Tarentaise – haut lieu du ski français, avec la plus forte concentration de domaines skiables au monde et une douzaine de stations qui représentent la moitié de l’activité économique nationale du secteur. Environ 32 000 lits, c’est deux fois plus que ce que prévoyait, sur cette période, le Scot (schéma de cohérence territoriale) – un document d’urbanisme opposable pour « <i>une gestion durable du territoire </i>». L’Assemblée du Pays Tarentaise Vanoise, le syndicat mixte à l’origine du Scot et qui a publié l’ensemble de ces données, ne peut que constater «<i> un développement touristique trop rapide </i>».</p><blockquote><p class="p1"><b>Y aura-t-il assez d’eau pour fabriquer plus de neige et répondre aux autres usages ?</b></p></blockquote><p class="p3">Jean-Marc, propriétaire à La Rosière, montre un terrain vague entouré d’un ruban rouge : «<i> Ici, il y avait des sapins. </i>» Ce sont 15 000 mètres carrés de forêt qui ont été rasés l’automne dernier pour laisser place à une nouvelle résidence touristique. La promesse de 600 à 900 lits supplémentaires a suffi à déloger ceux qui vivaient là : écureuils, lièvres blancs, mésanges bleues ou roitelets rouges et, surtout, insiste Jean-Marc, des tétras-lyre, une espèce menacée. «<i> Ce défrichement représente 0,24 % du boisement de la commune </i>», relativise l’Office du tourisme. </p><p class="p3">Mais la même histoire se répète partout ailleurs. En France, chaque heure, l’équivalent de cinq terrains de football perdent leur vocation naturelle pour être artificialisés – une cause majeure de l’effondrement de la biodiversité dont les montagnes sont victimes en première ligne. «<i> Nos stations restent dans l’idée qu’il n’y a pas le feu, qu’il y a encore au moins une vingtaine d’années pour amasser beaucoup d’argent </i>», constate Alain Machet, président de Vivre en Tarentaise, une association locale de protection de la nature. Les sports d’hiver ont apporté l’opulence dans des territoires autrefois pauvres et embauchent près de 120 000 personnes. «<i> La transition les confronte au spectre de la décroissance car il n’y a pas de modèle de remplacement avec des rentes équivalentes </i>», poursuit le géographe Philippe Bourdeau, spécialiste du tourisme en montagne. Un deuil d’autant plus difficile que le ski est «<i> porteur de tout un imaginaire culturel et social très valorisant et distinctif </i>».</p><p class="p3">Surtout, les stations ne sont pas si pessimistes sur l’enneigement futur de leur domaine. «<i> Nous n’aurons aucun problème jusqu’à 2050 et on skiera toujours à La Rosière à la fin du siècle </i>», assure Jean Regaldo, à la tête du domaine de La Rosière. Pour afficher une telle certitude, il se base notamment sur les modélisations de ClimSnow, un service développé par Dianeige, société experte de l’aménagement touristique en montagne. À la demande des stations, ClimSnow estime l’enneigement futur en fonction de différents scénarios climatiques. Ces études privées, issues de travaux de recherches de Météo France et de l’Inrae, ne sont ni publiées ni évaluées par les pairs comme le sont les travaux scientifiques académiques. Pourtant, elles sont devenues l’argument principal des stations contre le «<i> snow bashing </i>». Avec une rhétorique qui frôle parfois le climato-scepticisme et la désinformation.</p><p class="p3">«<i> Depuis soixante ans, notre modèle a eu des hauts et des bas, ce n’est pas la première fois qu’on a des difficultés avec l’enneigement. Mais si vous remarquez bien, il s’agit plutôt d’un dérèglement climatique : on a peu de neige en début de saison, mais on en a toujours beaucoup plus au printemps </i>», explique dans un support de communication de la Caisse des dépôts, Jean-Luc Boch, maire de La Plagne, plus grande station française. En sus de son mandat, ce dernier est à la tête de l’Association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM), l’un des principaux lobbys du secteur. Présent lors de son assemblée générale, en septembre dernier, un maire – qui souhaite rester anonyme – témoigne «<i> d’une faible prise de conscience </i>» parmi ses pairs «<i> jusqu’à une remise en question chez certains des projections climatiques </i>». La réunion s’est clôturée par un discours de Dominique Faure, ministre déléguée aux Collectivités territoriales : «<i> J’aime vos stations de montagne et il nous faut continuer. La neige est là, et même si on réfléchit à cinq, dix, vingt ou trente ans, aujourd’hui profitons de cette neige. </i>» Applaudissements à tout rompre dans la salle.</p><h3><b>Neige de culture et retenues d’eau</b></h3><p class="p2">Si dans les modélisations ClimSnow la neige continue de tomber, c’est parce que l’outil mise sur le secours de la technologie. Avec un recours massif à la neige artificielle, l’activité des sports d’hiver pourrait en effet se poursuivre jusqu’en 2050 dans la plupart des stations. En Auvergne-Rhônes-Alpes, l’objectif est de multiplier par deux la surface des pistes équipées de canons à neige. Mais pour fonctionner, ces machines ont besoin d’eau. Or, la ressource en eau renouvelable a diminué de 14 % depuis 1990. Et la baisse pourrait atteindre 40 % d’ici 2050 à cause du réchauffement climatique. Mais l’outil ClimSnow ne répond pas à cette question : y aura-t-il assez d’eau pour fabriquer plus de neige et répondre aux autres usages ? D’ailleurs, personne n’en est encore capable. En Tarentaise, une étude est lancée. «<i> Mais c’est encore le tout début, très complexe, et les données manquent </i>», souligne Laetitia Léger, qui suit le dossier eau au sein de France nature environnement Savoie.</p><p class="p2"><img src="/images/article/e/enqueteski2_1707907442-jpg_1707907442-1.jpg"><br></p><p class="p3">Quoi qu’il en soit, les stations ont déjà une solution face à la pénurie : la retenue collinaire. Permettant de capter et de stocker l’eau de pluie et de l’écoulement des ruisseaux issus de la fonte des neiges, ce type d’infrastructure suscite pourtant de vives oppositions. On les accuse d’être trop nombreuses, trop grandes, d’artificialiser des territoires de montagne déjà fragiles, d’être une maladaptation aux dérèglements des cycles de l’eau et surtout d’accaparer la ressource au profit d’un modèle touristique contestable. Celle de La Clusaz a fait office d’électrochoc avec ses 150 000 mètres cubes d’eau retenue (soit 60 piscines olympiques) dans la montagne, principalement pour fabriquer de la neige. La mobilisation des opposants a conduit à la suspension du chantier. Et à un vent de panique au sein de l’industrie du ski.</p><p class="p3">À La Rosière, comme dans la plupart des stations, un projet de retenue collinaire est en cours d’instruction, avec une certaine appréhension des élus. En novembre 2022, le conseil municipal devait voter « <i>une motion de soutien au projet, essentiel à la sécurisation de l’eau potable sur la commune </i>». Un adjoint a tiqué sur la formulation : «<i> Il ne faut pas mentir, le projet c’est la sécurisation de la neige de culture. Notre sécurité en eau potable, elle, est déjà assurée. </i>» Le maire a rétorqué : «<i> Quand le dossier a été engagé, la situation était moins conflictuelle que depuis deux ans, aujourd’hui [nous mettons en avant] des arguments supplémentaires [...]. Il faut tout faire pour que le dossier sorte. </i>» Quitte à faire croire au rôle essentiel de la retenue d’eau pour l’eau potable. Finalement, la délibération n’a pas été soumise au vote. Le conseil n’était pas «<i> mûr</i> », selon l’édile. </p><p class="p3">On retrouve ce type de stratégies à plus haut niveau. L’été dernier, l’ANMSM a envoyé un document fournissant aux élus des arguments pour défendre l’utilité des retenues collinaires, et minimiser leur rôle dans la fabrication de neige. Le document contient aussi un décryptage du militantisme anti-retenue collinaire, «<i> aréopage d’universitaires, riverains, écologistes, membres de l’ultra-gauche </i>» avec un «<i> agenda caché : la décroissance </i>». Il a été rédigé par Olivier Vial. Son CV : président du syndicat étudiant de droite UNI et directeur du CERU, un think tank où il travaille sur les « <i>nouvelles radicalités : wokisme, anti-spécisme, décroissance, éco-sabotage </i>», selon sa liste. Il conseille aux élus de montagne de «<i> ne pas laisser les activistes imposer seuls leur représentation du monde. C’est une bataille de l’information et des représentations qu’il convient de mener </i>». Une guerre culturelle pour gagner la guerre de l’eau.</p><h3><b>Le ski quoi qu’il en coûte</b></h3><p class="p2">«<i> Le maintien du statu quo doit beaucoup aux lobbys du secteur </i>», explique le géographe Philippe Bourdeau. «<i> Dans le milieu, on parle des 2BM qui font la pluie et le beau temps sur la montagne </i>», décrit la militante écologiste Valérie Paumier, à la tête de l’ONG Résilience Montagne. Alexandre Maulin pour le « M », président du syndicat professionnel Domaines skiables de France. Quant aux deux « B » : Jean-Luc Boch de l’ANMSM, cité plus haut, et Éric Brèche, président de l’influent Syndicat national des moniteurs du ski français. Son ancien président, Gilles Chabert, surnommé « l’homme le plus puissant au-dessus de 1 000 mètres », est « conseiller spécial montagne » au sein de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, dirigée par la droite depuis deux mandats. «<i> Ce qu’on veut, c’est faire du ski, le reste c’est du blabla </i>», avait-il expliqué lors d’un discours en 2016 pour le lancement du plan neige régional. «<i> Il nous faudra beaucoup d’argent </i>», avait-il aussi précisé dans son allocution s’adressant au président LR de la région, Laurent Wauquiez. </p><p class="p2">Message entendu : le programme « Montagne 2040 » de la précédente majorité de gauche en faveur de la transition a été mis au placard et 190 millions d’argent public régional déversés sur les stations, dont plus de 40 % pour l’enneigement artificiel. Les deniers publics – de l’UE, de l’État, des Régions, des Départements et des communes – ruissellent à tous les étages. Le ski n’est pas un business comme les autres mais aussi une affaire publique. Les remontées mécaniques, par exemple, sont des services publics.</p><p class="p3">Une économie sous subvention publique qui devient de plus en plus coûteuse. Produire de la neige, qui autrefois tombait naturellement, implique une hausse des coûts. «<i> Cela contribue à la montée en gamme des sports d’hiver, ce qui réduit leur audience démographique pour en faire des sports de niche </i>», poursuit le chercheur Philippe Bourdeau. Selon le Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), seuls 8 % des Français skient une fois tous les deux ans. «<i> Cet effet de niche est encore accentué si l’on prend en compte le fait que 2 à 3 % des skieurs consomment près de 80 % des journées-skieurs </i>», précise Philippe Bourdeau. « <i>Toutes ces critiques qui nous tombent dessus, c’est insupportable,</i> s’agace un pisteur croisé sur le front de neige des Eucherts à La Rosière. <i>On est devenus les salauds alors qu’on n’est pas des pétroliers non plus, on offre une semaine de sport dans la nature. </i>» </p><p class="p3">Jean Regaldo, chef du domaine skiable, insiste lui aussi : «<i> En 2050, dans un monde à +4 °C, je suis plus inquiet de l’état du monde que de l’enneigement à La Rosière. </i>» Ou bien peut-être qu’un sport de niche, perché en haut des montagnes dans une poignée de pays, qui s’obstine dans un modèle économique en mobilisant des investissements publics massifs malgré des ressources qui s’épuisent, peut-être que ce sport de riche est aussi un flagrant symptôme de l’inquiétant état du monde. </p>La ruée minière au XXIe siècle16872024-02-12T17:38:00+01:00Découvrez notre recension de « La ruée minière au XXIe siècle » de Célia Izoard aux Éditions du Seuil.https://www.socialter.fr/images/article/t/rueeminiere_1707756118-750x480.jpg<p class="p1">« <i>Dans la nouvelle économie, l’invention humaine rend de plus en plus obsolètes les ressources matérielles. </i>» Cette déclaration de Ronald Reagan, en 1988, pourrait résumer à elle seule des décennies de notre histoire pendant lesquelles le capitalisme, supposément devenu post-industriel, a entretenu le mythe de son immatérialité. À grand renfort de délocalisations, d’informatisation et d’innovations, les matières premières ont disparu de l’imaginaire collectif occidental. Mais les voilà de retour, à la faveur de ladite « transition » et, avec elles, leur corollaire : les mines. </p><p class="p1">La mine industrielle est-elle prédatrice – et écocidaire – par nature ou par accident, se demande la journaliste et philosophe Celia Izoard. La réponse est vite trouvée tant le tableau brossé dans son enquête est édifiant, à commencer par les parcs à résidus miniers, ces immenses réservoirs de boues toxiques, qui ne cessent de s’agrandir et qui menacent de tout détruire sur leur passage. Les mines sont pourtant aujourd’hui parées de toutes les vertus, en nous permettant de bifurquer vers des énergies « propres ». Celia Izoard déconstruit habilement cette mise en récit. « <i>Mine du XXI<sup>e</sup> siècle </i>», «<i> responsable </i>», « <i>4.0 </i>» ou «<i> mine relocalisée </i>» en Occident, autant d’éléments de communication pour cacher la radicalisation d’un modèle et une course à la croissance qui ne servent qu’à la marge la « transition » mais doivent surtout soutenir la numérisation du monde, l’industrie spatiale et l’armement. </p><p class="p1">C’est aussi notre régime minier qui est interrogé, ce régime qui a fait de nous des «<i> mangeurs de terre </i>». Face à lui, la journaliste en appelle à se constituer en force d’interruption plus qu’en force de proposition, afin de faire s’envoler le coût financier, moral et politique de l’extraction minière et de sortir ainsi de «<i> deux siècles d’envoûtement extractiviste </i>».</p><p class="p1"><i style=""><a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-ruee-miniere-au-xxie-siecle-celia-izoard/9782021515282" target="_blank">La ruée minière au XXI</a><sup style=""><a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-ruee-miniere-au-xxie-siecle-celia-izoard/9782021515282" target="_blank">e</a></sup><a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-ruee-miniere-au-xxie-siecle-celia-izoard/9782021515282" target="_blank">siècle</a></i><b> </b>Enquête sur les métaux à l’ère de la transition, Celia Izoard, Éditions du Seuil.</p>Pourquoi l'écologie n'est pas populaire16862024-02-09T15:22:00+01:00Exclus de l’écologie bourgeoise des petits gestes, qui nécessite un fort pouvoir d’achat, pris pour cibles par des politiques « vertes » antisociales, ouvriers et employés modestes sont souvent « mis à l’amende morale et fiscale » (Jean-Baptiste Comby) au nom de la planète. Loin d’être « éco-analphabètes », les classes populaires se tiennent donc à distance des combats pour l’environnement. Comment construire alors une véritable écologie populaire ? Des voix appellent à remettre la question des inégalités environnementales au centre, et à nouer des alliances avec les syndicats pour « repenser des stratégies écologistes depuis les lieux de travail » (Paul Guillibert).https://www.socialter.fr/images/article/t/illuedito_1707488693-750x480.jpg<p class="p1">Les Gilets jaunes étaient-ils écolos ? Pas moins en tout cas que l’ensemble des Français. C’est ce qu’atteste, dans <i><a href="http://www.fondationecolo.org/activites/publicationfep/Publication-L-ecologie-depuis-les-ronds-points" target="_blank">L’Écologie depuis les ronds-points</a></i>, une enquête conduite à l’époque en Occitanie : 75 % des Gilets jaunes considéraient que le changement climatique était principalement dû aux activités humaines et que la lutte contre le dérèglement du climat devrait être une priorité politique (contre 73 % dans l’échantillon global). Contrairement à une idée reçue, les classes populaires sont en effet loin d’être éco-analphabètes. Ouvriers et employés aux revenus modestes (inférieurs à 1 500 €) expriment même une forte inquiétude environnementale, au diapason du reste de la société, comme le confirment les données statistiques compilées dans <i>La Conversion écologique des Français</i> (Puf, 2023).</p><p class="p1" style="text-align: center; "><i>Article issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center; "><img src="/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"><br></p><p class="p3">L’« éco-anxiété » n’est donc pas l’apanage des milieux aisés et des diplômés du supérieur. Pourtant, il existe bel et bien une distance, parfois criante, entre l’écologie politique, sous ses différentes formes, et les milieux populaires. Urbain, l’électorat écologiste est par exemple très élitiste, comme le montrent Julia Cagé et Thomas Piketty dans <i>Histoire du conflit politique</i> (Seuil, 2023). À toutes les élections présidentielles depuis 1974 : « <i>Plus les communes sont riches, plus elles votent pour l’écologie politique, sauf au sommet de la distribution des revenus </i>[les 5 % des communes les plus aisées, ndlr]. » En 2022, on constate ainsi un vote Jadot très inférieur à la moyenne nationale dans les communes où le revenu moyen est faible. Employés et ouvriers, qui comptent pour 45 % des actifs, étaient également sous-représentés dans les marches pour le climat, mêlant un public très diplômé (80 % de diplômés post-bac), d’étudiants <a href="https://www.pacte-grenoble.fr/fr/recherche-0/projets-recherche/grande-enquete-mouvement-climat" target="_blank">et une majorité de cadres</a>. Enfin, dans les luttes contre les grands projets d’aménagement (Europa City, Sivens, Notre-Dame-des-Landes), si les activistes des « ZAD » sont plus souvent des diplômés précaires ou de jeunes adultes en reconversion professionnelle, « <i>la surreprésentation des classes moyennes et éduquées, plutôt blanches et urbaines, au capital militant avéré, constitue souvent un point commun,</i> note la sociologue Stéphanie Dechézelles. <i>Y compris lorsque la réflexivité des protagonistes ou leur bonne volonté en matière d’inclusion participative sont manifestes</i> » (<i>Mobilisations écologiques</i>, Puf, 2023). Qu’elle soit tiède ou radicale, l’écologie n’est donc que rarement populaire.</p><h3><b>L’« éco-citoyenneté », une écologie bourgeoise</b></h3><p class="p2">Comment expliquer ce fossé persistant entre prolos et écolos ? « <i>Depuis les Gilets jaunes, il y a une mode militante et journalistique qui consiste à parler d’écologie populaire,</i> pointe le sociologue Jean-Baptiste Comby, qui prépare <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/" target="_blank">un livre sur le rapport différencié des classes sociales à l’écologie</a>. <i>Mais l’écologie telle qu’elle est mise en place dans le cadre des politiques publiques et telle qu’elle se donne à voir à travers les récits les plus accessibles dans les médias est bien une écologie bourgeoise, édictée par et pour la bourgeoisie, conformément à ses valeurs, à ses normes et à ses intérêts. </i>» Moraliste, cette écologie libérale fait de l’individu le principal moteur de la transformation écologique. À grand renfort de publicités, de campagnes de sensibilisation, de labels écoresponsables, les citoyens sont ainsi invités du matin au soir à traduire leur inquiétude environnementale dans leurs pratiques de consommation. </p><p class="p2">Or cette « <i>norme éco-citoyenne </i>», omniprésente, est puissamment inégalitaire, constate le sociologue Maël Ginsburger <a href="https://www.sciencespo.fr/osc/en/content/lecologie-en-pratiques-consommation-ordinaire-et-inegalites-en-france-depuis-les-annees-1980.html" target="_blank">dans sa thèse</a>, car, des légumes de la Biocoop aux vacances en train, «<i> les styles de consommation ordinaire sont principalement redevables des conditions matérielles d’existence, en premier lieu le revenu et le logement </i>». Exclus de l’essentiel de la consommation verte, les milieux populaires sont également peu concernés par les nombreuses injonctions des pouvoirs publics : « <i>Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo </i>», «<i> Au quotidien, prenez les transports en commun </i>» ou encore « <i>Je baisse, j’éteins, je décale </i>». Ces slogans ignorent en effet la réalité des périphéries urbaines et rurales dépourvues de réseau cyclable ou de bus, comme les habitudes déjà économes des <a href="https://www.alerte-exclusions.fr/fr/nos-publications" target="_blank">3 millions de ménages en situation de précarité énergétique</a>, qui laissent plus de 8 % de leurs revenus dans leurs factures de chauffage.</p><p class="p3">Souvent conçue sans tenir compte des contraintes des ménages modestes, l’écologie institutionnelle se fait parfois carrément contre le peuple. Et les leçons du soulèvement des Gilets jaunes en 2018, déclenché par une hausse de la taxe carbone sur le carburant, ne semblent pas avoir été complètement tirées. Car le caractère régressif de la fiscalité environnementale demeure une réalité, souligne le rapport Alerte, co-écrit par une coalition d’associations de solidarité : « <i>Les personnes en situation de pauvreté sont celles qui participent le plus aux politiques de préservation de l’environnement, par leur contribution financière. </i>» La fiscalité écologique pèse en effet à hauteur de 3,7 % du revenu du décile de la population le plus pauvre, contre 0,9 % pour le décile le plus aisé. Hors de la fiscalité, d’autres politiques, comme la mise en place controversée des Zones à faibles émissions, qui interdisent aux vieilles voitures l’accès au centre-ville des métropoles polluées, impactent directement les ménages les plus précaires.</p><h3><b>L’angle mort des inégalités environnementales</b></h3><p class="p2">Que les classes populaires soient la cible prioritaire de taxes et d’interdictions environnementales a de quoi interroger. Car comme le rappelle le rapport World Inequality 2022, coordonné par Lucas Chancel, en France, les 50 % de la population aux revenus les plus faibles n’émettent que 5 tonnes de CO<sub>2</sub> par tête et par an, alors que la moyenne est proche de 9 tonnes pour l’ensemble des Français. Les 10 % les plus aisés émettant quant à eux près de 25 tonnes de CO<sub>2</sub> par an…</p><p class="p3">Moins responsables de la crise climatique, les classes populaires en subissent pourtant davantage les effets, notamment dans les banlieues. <a href="https://harris-interactive.fr/opinion_polls/les-francais-dans-leur-quartier/" target="_blank">70 % des habitants des quartiers dits « prioritaires »</a> affirmaient ainsi en 2022 avoir souffert de températures trop élevées dans leur logement, contre 56 % de l’ensemble de la population. Les milieux modestes sont également régulièrement soumis à des pollutions toxiques sur leur lieu de résidence. <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2020-1-page-117.htm" target="_blank">Plusieurs enquêtes établissent ainsi</a> une corrélation statistique certaine sur le territoire français entre la présence d’installations à risques ou polluantes dans une ville et le pourcentage d’habitants à faibles revenus, mais aussi d’habitants nés à l’étranger. C’est par exemple le cas à Gardanne (Bouches-du-Rhône), commune au cœur d’un nœud autoroutier, dont la population, issue de l’immigration ouvrière italienne et espagnole, est exposée aux poussières de bauxite de l’usine d’alumine Altéo. Même chose dans la commune populaire d’Hénin-Carvin, dans le Nord, où la pollution au plomb et au cadmium de l’ancienne usine Metaleurop, fermée en 2003, empêche toute activité agricole et induit un tel risque sanitaire que la communauté d’agglomération a décidé en 2019 de poursuivre l’État pour « préjudice écologique ».</p><p class="p3">Cette surexposition spécifique des classes populaires, notamment issues de l’immigration, pourrait constituer la base de luttes écologistes locales, comme c’est le cas depuis les années 1980 aux États-Unis, sous la bannière de la « justice environnementale ». Ce mouvement est en effet né en 1983 du combat emblématique de la population afro-américaine du comté de Warren, en Caroline du Nord, contre l’implantation d’une décharge de déchets toxiques.</p><p class="p3">«<i> Les milieux populaires sont ceux qui polluent le moins, qui souffrent le plus des nuisances environnementales, qui ont le moins accès à la nature, et ils sont mis à l’amende fiscale et morale par les politiques publiques environnementales,</i> résume Jean-Baptiste Comby. <i>Pour construire une alliance de classe autour de l’écologie, il faut beaucoup plus insister sur la question des inégalités d’exposition aux nuisances environnementales, qu’il s’agisse des inégalités de santé ou face aux catastrophes naturelles, aux canicules, aux inondations. C’est quelque chose qui est important à travailler politiquement en France parce que ça n’a pas encore été vraiment fait. </i>»</p><h3><b>Renouer avec le monde du travail</b></h3><p class="p2">Philosophe de l’environnement d’inspiration marxiste, Paul Guillibert pointe dans son ouvrage <i>Exploiter les vivants</i> (Amsterdam, 2023), un autre angle mort problématique : « <i>Les relations de travail sont partout absentes des débats en écologie politique. </i>» Cette cécité est sans doute en partie le fruit de l’histoire de la pensée écologique, qui s’est construite en France en opposition avec la tradition ouvrière, empreinte de productivisme et contaminée, aux yeux des écologistes, par le consumérisme. En 1980, André Gorz, grande voix de l’écologie, faisait par exemple paraître un essai au titre provocateur : <i>Adieux au prolétariat</i>. Il déclarait alors au <i>Monde</i> que les partis et syndicats ouvriers n’étaient plus à ses yeux «<i> le lieu privilégié où s’élaborent une pensée et des pratiques post-capitalistes </i>» et que désormais, la tâche de la gauche était de gérer progressivement l’« <i>abolition du travail </i>».</p><p class="p3">Dans <i>Exploiter les vivants</i>, Paul Guillibert propose au contraire à l’écologie de renouer avec le monde du travail : «<i> C’est en repartant de la domination conjointe du travail et des natures par le capital qu’on peut repenser des stratégies écologistes depuis les lieux de travail. </i>» À l’image de ce qu’ont tenté de faire dans les années 1990 les syndicalistes états-uniens Les Leopold et Brian Kohler, défenseurs de l’idée de « transition juste ». Ces derniers réclamaient dès 1995 pour les secteurs industriels appelés à être démantelés, un « superfonds pour les travailleurs » prévoyant un salaire garanti jusqu’à l’obtention d’un nouvel emploi, un revenu pour pouvoir s’engager dans une reconversion, ou encore une aide à la réinstallation.</p><p class="p3">Le tournant stratégique de l’écologie vers le monde du travail est également défendu à l’heure actuelle par l’Américain Matthew Huber, auteur de l’ouvrage <i>Climate change as Class war</i> (2022, non traduit). «<i> Le mouvement radical pour le climat a bien compris que le capitalisme est le principal obstacle à la résolution de la crise climatique,</i> écrit le géographe marxiste dans un article traduit en français <a href="https://www.contretemps.eu/politique-ecologique-classe-ouvriere-huber/" target="_blank">dans la revue </a><i><a href="https://www.contretemps.eu/politique-ecologique-classe-ouvriere-huber/" target="_blank">Contretemps</a></i>. <i>Il nécessite une confrontation avec certains des secteurs du capital les plus riches et les plus puissants de l’histoire mondiale. […] Comme toutes les autres batailles de ce type, cette confrontation nécessitera un mouvement social hautement organisé et soutenu par une base de masse.</i> » Aux yeux de Matthew Huber, l’arme de la « perturbation de masse », et notamment de la grève, reste ainsi incontournable pour imposer des changements profonds.</p><p class="p3">En France, certains s’échinent déjà à construire sur le terrain l’alliance entre écologistes et syndicats. Né pendant la pandémie, le collectif <i>Plus jamais ça !</i> a ainsi tenté de fédérer des syndicalistes – CGT, Solidaires, FSU – et des activistes écologistes – des Amis de la Terre, de Greenpeace, d’ANV-COP21 entre autres – autour de luttes comme la défense de l’usine de papier recyclé de la Chapelle Darblay (Seine-Maritime). Et, malgré le départ de la CGT en juillet 2023, l’organisation continue de pousser des propositions communes sur le fret ferroviaire ou la taxation des superprofits. De leur côté, les Soulèvements de la Terre s’appliquent avec succès depuis 2021 à intégrer un syndicat agricole, la Confédération paysanne, à leurs actions. </p><p class="p3">Une bonne manière de contrer le discours dominant, qui désigne invariablement sur les plateaux de télévision les écologistes comme l’ennemi public numéro un des paysans. À rebours de cette opposition factice, une tribune signée par des représentants des Soulèvements de la Terre mais aussi de France nature environnement, ou encore d’Extinction Rebellion, affichait dans <i>Libération</i>, le 27 janvier 2024, le soutien de toute la nébuleuse écologiste aux paysans mobilisés : «<i> Depuis toujours, nous sommes les alliés des paysans. Et contrairement à ce que racontent la propagande du gouvernement ou les discours autoritaires qui attisent la haine entre nous pour mieux s’engraisser sur nos vies : nous continuerons à être vos alliés, parce que c’est une question de survie. </i>» </p>Édito. L'écologie sans le peuple ?16852024-02-09T13:09:00+01:00Découvrez l'édito de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? » par Olivier Cohen de Timary, directeur de la rédaction.https://www.socialter.fr/images/article/t/illuedito_1707480515-750x480.jpg<p class="p1">«<b><i>L’</i></b><i>écologie sans le peuple, c’est paver le chemin aux crises sociales et au renoncement. Au contraire, nous allons continuer à bâtir une écologie populaire avec les Français, pour les Français, c’est le sens de la planification écologique. </i>» On pourrait croire ces mots sortis d’une autre bouche : mais c’est pourtant en ces termes – qui pourraient prêter à sourire, ou à la colère, tant ils contredisent l’action des gouvernements successifs – que le nouveau chef de l’exécutif Gabriel Attal s’est exprimé lors de son discours de politique générale le 30 janvier dernier. Cette récupération – grossière – de la notion « d’écologie populaire » pose pourtant question tant elle est au cœur des luttes écologistes et des bifurcations à mener.</p><p class="p1" style="text-align: center; "><i>Édito issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">disponible en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-62" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p1" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit62_1707488736-jpg_1707488736-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p3">« <i>Fin du monde, fin du mois, même combat ?</i> » <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-34" target="_blank">avait titré </a><i><a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-34" target="_blank">Socialter</a></i><a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-34" target="_blank"> dans sa parution d’avril 2019</a>. Dans le contexte marqué par le mouvement des Gilets jaunes, nous rappelions déjà la nécessaire alliance du mouvement écologiste et des classes populaires pour bâtir une écologie de rupture. Mais cinq ans après, le fossé persiste. L’écologie dominante, portée par les gouvernements en place, les médias mainstream et les campagnes de sensibilisation, se résume le plus souvent à des injonctions aux éco-gestes pour "sauver la planète", accessibles pour la plupart seulement aux ménages les plus aisés (manger bio, rouler à l’électrique, économiser l’énergie, etc.). Moraliste et inégalitaire, cette écologie fait de l’individu - et des entreprises - le principal moteur de la transformation écologique, et exclut de fait les classes populaires qui luttent déjà pour boucler leurs fins de mois, nourrissant le sentiment d’impuissance. Les mesures écologiques successives, souvent mises en place sans tenir compte des contraintes des plus modestes, sont vécues comme punitives et injustes. Le déploiement de ZFE, ces « zones à faibles émissions » pour protéger les habitants des centres-villes de la pollution, en sont encore un exemple.</p><p class="p3">Alors l’écologie, un truc de bourgeois ? L’écologie dominante est-elle «<i> édictée par ou pour la bourgeoisie, conformément à ses valeurs et à ses intérêts </i>», comme le pense le sociologue Jean-Baptiste Comby ? Elle ferait, de plus, payer aux classes populaires l’ardoise laissée par les classes supérieures, dont l’empreinte écologique est largement plus élevée. À l’inverse, il n’est plus à prouver que les milieux populaires sont ceux qui polluent le moins et pourtant ceux qui souffrent le plus des nuisances environnementales. Et donc sont déjà les plus concernés par l’urgence écologique.</p><p class="p3">Le penseur de l’écologie André Gorz, dans son texte <i>Critique du capitalisme quotidien</i> (paru en 1972 dans le <i>Nouvel Observateur</i>), mettait déjà en garde : « <i>Les écologistes et les mouvements écologistes, à quelques exceptions près, sont muets sur la question des moyens. C’est que l’on a affaire chez eux à une sensibilité subversive et à une inspiration révolutionnaire sans base de classe, à une révolte morale qui, le plus souvent, rejette l’ensemble de la civilisation capitaliste sans poser explicitement la question de la nature de classe de la société dont cette civilisation est le fruit. </i>» Dit autrement par le syndicaliste brésilien Chico Mendes : «<i> L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage.</i> » </p><p class="p3">La tâche est grande désormais. Car pour envisager une écologie de rupture, il convient de changer à la fois notre rapport au vivant, et nos rapports de production. Ces choix collectifs, potentiellement conflictuels, devront être débattus démocratiquement. Quant à la question des inégalités, il paraît urgent qu’elle se trouve au cœur des débats afin de pouvoir bâtir une écologie politique, véritablement populaire. </p>Henri Lefebvre : Pour un espace-temps du possible16842024-02-01T15:04:00+01:00Par ses réflexions sur le droit à la ville, la condition des corps dans l’espace et les rythmes de vie, le philosophe marxiste Henri Lefebvre (1901-1991) a produit une pensée originale, guidée par le désir de penser l’émancipation depuis la vie quotidienne.https://www.socialter.fr/images/article/t/henri_1706797023-750x480.jpg<p class="p1">Les villes ramassent des siècles en un lieu. Chaque jour, nos pieds foulent des strates de temps qui cohabitent, et dont témoignent quelques régularités curieuses. Avez-vous remarqué que leur axe central est si souvent un espace vide ? Que cette place accueille des marchés comme les ruelles autour des marchands ? Qu’à ses confins sont implantés le centre commercial et parfois l’usine ? Chaque époque a son centre, qui en dit la substance. Cette substance se nomme, pour le philosophe marxiste Henri Lefebvre, « <i>mode de production</i> ». Si l’antique, le médiéval et l’industriel se superposent, chacun a laissé la trace de son espace mental. La place centrale, ce « <i>lieu préparé pour la réunion</i> » qui s’appelait jadis l’agora grecque ou le forum romain, hérite de la philosophie antique : la ville médiévale, elle, a mis au centre l’église et les marchands, dans un espace délimité par l’enceinte. Le monde gouverné par le capitalisme, lui, est d’une nature radicalement nouvelle : New York et San Francisco diffèrent de Paris et Rome.</p><p class="p3">Car l’industrialisation, qui forme un « <i>processus dialectique</i> » avec l’urbanisation, façonne des « <i>agglomérations dont le caractère urbain se détériore</i> ». L’industrialisation a ainsi conduit, par la massification, à un « <i>éclatement de la morphologie traditionnelle des villes</i> », subordonnant toute l’urbanisation à sa finalité productive. Elle plie dès lors les êtres à sa rationalité, dissociant les espaces selon les classes – ici un pavillon, là un HLM –, créant une ségrégation sociale à laquelle s’ajoutent une « <i>misère de l’habitat</i> » et une amputation de l’habiter, puisque le « <i>pratico-sensible</i> » y est réduit à la consommation… Critique de l’urbanité, du capitalisme, des formes de vie : l’approche développée dans <i>Le</i> <i>Droit à la ville</i>, dont la parution en mars 1968 le rattache aux grands essais qui ont accompagné Mai-68, contient toute la prodigieuse densité de la pensée d’Henri Lefebvre.</p><blockquote><b>Il imagine aussi une nouvelle « <i>centralité ludique</i> » de la ville, où le jeu, l’art, le théâtre et la fête s’immisceraient « <i>dans les interstices de la société de consommation dirigée</i> ».</b></blockquote><p class="p3">Cette densité tient à la prolixité – son œuvre compte une soixantaine de livres – et à l’inventivité intellectuelle de ce philosophe inclassable. Sa pensée issue du marxisme et marquée par la fréquentation des avant-gardes, du surréalisme au situationnisme, se situe au carrefour de la sociologie, de l’urbanisme et de la géographie. C’est à la fin des années 1920 que ce penseur né en 1901 dans les Landes découvre ses deux vocations : la philosophie et le marxisme. Dans cette période où il adhère au Parti communiste, Lefebvre intègre le milieu intellectuel parisien à travers les revues, fréquentant des figures comme Georges Politzer et Paul Nizan. Après des années 1930 où il enseigne dans le secondaire, ses écrits hétérodoxes l’éloignent de la ligne officielle du Parti communiste, dont il sera exclu en 1958.</p><p class="p3">C’est au sein du monde académique qu’il bâtira son œuvre. Chercheur au CNRS de l’après-guerre à 1961, il soutient en 1954 à la Sorbonne deux thèses de doctorat portant sur le monde paysan, avant de rejoindre l’université de Strasbourg comme professeur de sociologie puis celle de Nanterre, entre 1965 et 1973. Ses cours sont considérés comme un incubateur intellectuel de Mai-68, mais le rayonnement de ce penseur capital a pourtant connu une éclipse depuis son décès, en 1991. « <i>Si les références à Lefebvre étaient nombreuses dans les réflexions sociologiques des années 1960 à 1980, elles se raréfient quand elles n’ont pas disparu dans les écrits contemporains. Jusqu’à récemment, ses livres étaient difficiles, voire impossibles, à trouver, beaucoup n’étant plus réédités</i> », <a href="https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2010-1-page-177.htm" target="_blank">relève la sociologue Laurence Costes</a>.</p><h3><b>L’utopie dans la vie</b></h3><p class="p2">De son œuvre prolifique demeure une poignée de titres disponibles, tels que <i>Le Droit à la ville</i>, <i>La Production de l’espace</i> et son autobiographique <i>La Somme et le Reste </i>chez Economica, le premier des trois tomes de sa <i>Critique de la vie quotidienne </i>(L’Arche) ou encore ses écrits marxologiques <i>Le Marxisme </i>et <i>Le Matérialisme dialectique </i>(PUF). Du marxisme, Henri Lefebvre a gardé le meilleur – la rigueur de l’analyse matérialiste – tout en se débarrassant de l’esprit de système et de l’abstraction sans chair : il s’agit de transformer le réel <i>ici et maintenant</i>. Autrement dit, de ramener l’utopie dans la vie. « <i>L’utopie s’attache à de multiples réalités, plus ou moins lointaines, [mais] ne s’attache plus à la vie réelle et quotidienne</i> », critique Henri Lefebvre dans <i>Le Droit à la ville</i>. « <i>Ainsi, le regard se détourne, quitte l’horizon, se perd dans des nuées, ailleurs</i> », et « <i>personne ne songe à la ville idéale</i> », celle où le corps s’éploie chaque jour.</p><p class="p3">Pour réinsérer du « <i>pratico-sensible</i> » dans une cité où il est nié, Henri Lefebvre suggère par exemple une limitation de la voiture au profit des transports publics. Il imagine aussi une nouvelle « <i>centralité ludique</i> » de la ville, où le jeu, l’art, le théâtre et la fête s’immisceraient « <i>dans les interstices de la société de consommation dirigée, dans les trous de la société sérieuse qui se veut structurée et systématique, qui se prétend technicienne</i> ». Cette lutte contre la dépossession de l’habiter est au cœur du droit à la ville, que Henri Lefebvre définit comme un droit « <i>à la vie urbaine, à la centralité rénovée, aux lieux de rencontres et d’échanges, aux rythmes de vie et emplois du temps permettant l’usage plein et entier de ces moments et lieux »</i>. Car la ville est un espace, mais elle suggère aussi du temps, cette liberté dont la configuration industrielle confisque la jouissance aux classes ouvrières harassées et excentrées.</p><p class="p3">Cette spatio-temporalité vécue a conduit Henri Lefebvre à initier un champ d’étude pionnier, formulé pour la première fois dans le deuxième tome de la <i>Critique de la vie quotidienne </i>(1961) : la rythmanalyse, d’après un terme emprunté à Gaston Bachelard – qu’il a lui-même tiré d’un philosophe portugais, Pinheiros dos Santos. Ce projet, dont les ébauches sont rassemblées dans le recueil <i>Éléments de rythmanalyse</i> (Eterotopia, 2019), étudie « <i>les interférences entre le temps cyclique […] et le temps linéaire</i> », c’est-à-dire entre le rythme circadien et celui, mécanique, des horloges qui gouvernent nos vies. Le rythme, cette « <i>répétition dans le mouvement</i> », est irréductiblement pluriel. Il y a les « <i>rythmes secrets</i> » du corps, de chaque organe, comme celui des calendriers et de la vie sociale. Or, écrit Lefebvre, «<i> la puissance maléfique du capital […] s’édifie sur le mépris de la vie et de ce fondement : le corps, le temps de vivre</i> ». S’émanciper des rets du capitalisme signifie aussi se libérer de ses rythmes. Contre les vies sans joie qui entravent les corps, Henri Lefebvre dessine une utopie sensible à la chair, dont la liberté tient à un principe : « <i>Penser l’impossible pour saisir tout le champ du possible. » </i> </p>Jumeaux numériques : vrais oracles ou faux amis ? 16832024-01-31T15:14:00+01:00En plein boom dans de nombreux domaines, les « jumeaux numériques » sont bien plus que de simples simulation 3D :
ils collent au plus près de la réalité de l’objet (ou de l’organe) qu’ils cherchent à mimer et sont capables d’évoluer dans le temps. Ces « digital twins » ouvrent de nombreuses perspectives. Jusqu’à influencer le futur ? Les scientifiques mettent en garde contre la tentation de vouloir lire l’avenir dans les lignes de code.https://www.socialter.fr/images/article/t/jumeauxnumeriques_1706712703-750x480.jpg<p class="p1"><b>U</b>n problème au cœur ? Faites-le modéliser pour aider votre médecin à trouver le dosage le mieux adapté pour votre traitement. Il faut vous opérer ? Avant de faire l’intervention à cœur ouvert, votre chirurgien pourra s’entraîner sur une copie numérique. Il pourra même prédire les réactions de votre corps à l’opération. Besoin d’une prothèse ? Optez pour du « sur-mesure »<i> </i>grâce à la modélisation de votre anatomie. </p><p class="p3">Plus que de simples répliques 3D d’objets physiques, de systèmes ou d’organes, les jumeaux numériques sont conçus pour coller au mieux à la réalité et sont capables, grâce à la modélisation, d’évoluer au gré des données qui leur sont fournies. </p><p class="p3">Certaines applications existent déjà, d’autres sont promises pour bientôt, poussées par l’accélération de la recherche publique et privée dans le domaine ces dernières années. « <i>L’intérêt des jumeaux numériques est que l’on peut faire des simulations avant d’intervenir sur l’objet réel</i> », explique Anne Siegel, directrice adjointe scientifique au CNRS Sciences Informatiques. Dans le cadre de la recherche médicale, ils permettent notamment de réaliser des tests <i>in silico</i> (sur ordinateur, en référence au silicium des transistors) plutôt qu’<i>in vivo </i>(sur organisme vivant) ou <i>in vitro</i> (sous verre). L’opération se veut moins risquée pour les objets d’étude (patients, animaux, sites archéologiques), plus rapide et moins coûteuse. Les jumeaux numériques pourraient même aider à prédire le développement de maladies.</p><p class="p3">Des projets de modélisation du cœur, des poumons, de l’aorte et du foie sont en cours. Malgré plus d’une dizaine d’années de recherches<b><sup>1</sup></b>, les scientifiques n’ont pas encore réussi à percer les mystères du cerveau… Son jumeau numérique attendra ! Cela n’empêche pas certaines entreprises de rêver d’un jumeau numérique du corps humain dans son ensemble. « <i>Il y a eu un avant et un après le Boeing 777 ; il y aura un avant et un après le jumeau numérique du corps humain</i> », promet Dassault Systèmes, géant de l’industrie aéronautique et fier papa de nos futurs doubles numériques. Le PDG de Siemens Healthineers, Bernd Montag, voit plus loin et prédit qu’à terme « <i>chacun de nous aura son jumeau numérique dans son smartphone. Il nous indiquera où nous en sommes de notre état de santé et nous donnera accès à des parcours adaptés pour nous soigner</i> »<b><sup>2</sup></b>. Allô, Siri, bobo ! « <i>Les industriels profitent de régimes d’exception juridiques propres au domaine de la santé pour extraire beaucoup de données</i> », met en garde Pauline Elie, conseillère éthique des données de santé à l’AP-HP<b><sup>3</sup></b>.</p><p class="p3"><img src="/images/article/e/jumeaux2_1706712724-jpg_1706712725-1.jpg" style="width: 1170px;"><br></p><p class="p3"> </p><p class="p3">Le RGPD (règlement général sur la protection des données) prévoit en effet des exceptions quant au consentement des personnes sur le traitement de leurs données personnelles lorsqu’elles sont jugées d’intérêt de santé publique ou pour assurer la qualité et la sécurité des soins pour des médicaments ou des dispositifs médicaux. La doctorante en droit et philosophie pointe les risques de dérive dystopique du dévoiement d’un tel outil d’assistance médicale à des fins transhumanistes. « <i>Selon les tenants de la quatrième révolution industrielle – théorisée par le fondateur du forum économique de Davos, Klaus Schwab, et qui entend fusionner les mondes physique, numérique et biologique –, les jumeaux numériques d’humains pourraient servir, à terme, à remplacer les personnes dans leurs activités quotidiennes, et même à les contrôler</i> », explique-t-elle. Avant d’en arriver là, les jumeaux numériques alimentent déjà de nombreux débats (sécurité des données, éthique…) et interrogent sur leurs finalités.</p><h3><b>Ville, terre et mer jumelées</b></h3><p class="p2">Alors, nouveau gadget ou véritable révolution ? La notion de jumeau numérique n’est pas neuve : le tout premier prototype est attribué à la Nasa dans les années 1960 pour sa mission Apollo 13<b><sup>4</sup></b>. Mais le terme lui-même n’a été introduit qu’au début des années 2000 par le professeur de management Michael Grieves, alors spécialiste de la gestion du cycle de vie des produits à l’université du Michigan. Depuis, il a quitté la matrice initiale de l’aéronautique pour conquérir d’autres secteurs (industriels, médicaux, agricoles, etc.), jusqu’à l’aménagement des territoires. De nombreuses villes ont franchi le cap. Des doublures numériques de Singapour, Séoul, Helsinki, ou chez nous de Rennes et d’Angers, permettent de simuler l’impact de futurs projets d’aménagement ou d’événements extrêmes (inondation, tremblement de terre, etc.). Mieux vaut prévenir que guérir. Gare toutefois à ne pas faire une confiance aveugle à la machine.</p><blockquote><p class="p1"><b>Certaines entreprises rêvent de modéliser le corps humain dans son ensemble.</b></p></blockquote><p class="p2"> </p><p class="p2">Plusieurs chercheurs européens<b><sup>5</sup></b> ont alerté sur la lecture parcellaire qu’offre ce type de dispositif sur le réel. « <i>Ce n’est pas parce qu’on a reproduit les infrastructures et leur fonctionnement que l’on a forcément tout capté. Les interactions entre individus et leur environnement sont également fondamentales</i> », explique Marc Barthélémy, directeur de recherche à l’Institut de physique théorique (IPhT) du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), spécialiste des systèmes complexes et des sciences de la ville. On peut difficilement prédire l’impact d’une nouvelle station de métro sur les flux de population d’un quartier et les changements d’habitude qu’elle va générer chez les habitants. La qualité de la copie virtuelle dépend également de la quantité et de la pertinence des données sur lesquelles elle s’appuie. Voire de l’absence de certaines données. « <i>Il n’y a pour l’heure aucune validation scientifique</i> », insiste le chercheur. « <i>La modélisation des systèmes complexes reste une gageure</i> », confirme un rapport des ateliers de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST)<b><sup>6</sup></b>.</p><h3><b>Cimetière numérique</b></h3><p class="p2">Malgré la prudence de la communauté scientifique, l’engouement pour les jumeaux numériques s’étend jusqu’à la lutte contre le changement climatique. Avec l’idée de fusionner plusieurs types de modélisations complexes utilisées jusqu’ici pour étudier le climat. En 2022, l’Union européenne a ainsi entrepris de créer un jumeau numérique des océans (<i>Digital Twin Ocean</i>) et de la Terre (<i>Destination Earth</i>) pour modéliser les écosystèmes à partir de données réelles, anticiper les aléas climatiques et tester les différents scénarios « <i>pour un développement toujours plus durable</i> »<i>.</i> Coût de la boule de cristal numérique : 10 millions d’euros par an pour les océans ; 150 millions d’euros jusqu’à mi-2024 pour la Terre.</p><p class="p3">Numériser le réel pour avoir un temps d’avance sur lui et pouvoir l’influencer – à moins que le monde physique ne disparaisse avant. Condamné par la montée des eaux qui devraient engloutir l’archipel d’ici à 2100, Tuvalu mise désormais sur son jumeau numérique pour perpétuer sa mémoire. « <i>Nous n’avons pas d’autre choix que de devenir la première nation digitale</i> », déclarait son ministre des Affaires étrangères Simon Kofe dans une vidéo adressée à la COP27 depuis une réplique numérique de la plage de la petite île de Teafualiku </p>L’injustice des inégalités sociales de santé16822024-01-30T16:34:00+01:00Découvrez notre recension de l'ouvrage « L’injustice des inégalités sociales de santé » de Paul-Loup Weil-Dubuc aux Éditions Hygée.https://www.socialter.fr/images/article/t/inegalitessante_1706630165-750x480.jpg<p class="p1">En quoi les inégalités sociales de santé sont-elles injustes ? La réponse, qui semble aller de soi, est plus compliquée qu’il n’y parait, montre Paul-Loup Weil-Dubuc, chercheur à l’Espace éthique/APHP d’Île-de-France. Les politiques sociales de santé se fondent sur l’idéologie libérale qui place l’injustice dans le fait de ne pas avoir de prise sur soi, ses projets, sa santé. </p><p class="p1">Mais pour l’auteur, cette posture conduit à justifier les écarts de santé, d’une part en prétendant les réduire par une simple « <i>promotion de la santé</i> » sans modification plus profonde des organisations sociales, et en les présentant comme le résultat de choix de vie personnels. En s’appuyant sur les apports de la psychanalyse parfois difficiles d'accès, l’auteur propose de tenir compte des inégalités de destructions exercées par les milieux, les façons d’être et de penser, pour enrayer la véritable injustice des inégalités sociales de santé : la hiérarchie des vies qu’elles révèlent.</p><p class="p1"><i><a href="https://www.presses.ehesp.fr/produit/linjustice-inegalites-sociales-de-sante/" target="_blank">L’injustice des inégalités sociales de santé</a></i><b> </b>Paul-Loup Weil-Dubuc<b> - </b>Hygée éditions – coll. « Controverses » → octobre 2023 – 184 pages – 13,99 €</p>Revoir couler la Bièvre, le combat de Noëlle Mennecier16812024-01-26T11:15:00+01:00Noëlle Mennecier est présidente d’honneur des Amis de la Bièvre à Fresnes, association qui a lutté durant près de quinze ans pour faire renaître une rivière polluée et en partie enfouie au XXe siècle en région parisienne. Son parcours est à l’avant-garde des projets de « renaturation » défendus aujourd’hui par les organisations écologistes.https://www.socialter.fr/images/article/t/bievre1_1706264478-750x480.jpg<p class="p1">Elle a senti, en arrivant ici en août 1978, qu’il y avait un « <i>passage</i> ». Au fond de ce terrain vague, derrière le jardin de son petit pavillon de Fresnes, à quelques kilomètres au sud de Paris, c’est une rangée parfaitement alignée de peupliers qui a intrigué Nöelle Mennecier. Elle arrive de la capitale et a ce sentiment : « <i>C’est comme s’il y avait un cours d’eau au fond de ce vallon. </i>» C’est la Bièvre, une rivière en partie disparue. Ou plutôt dissimulée, enfouie sous terre par la main de l’homme sur des kilomètres entiers au cours du XX<sup>e</sup> siècle. Mais la Bièvre coule encore, pour qui sait repérer les indices qu’elle laisse le long de ses méandres souterrains.</p><p class="p2" style="text-align: center;"><i>Article issu de notre numéro 61 « Reprendre les choses en main », en librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-61" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p2" style="text-align: center; "><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit61_1705053429-jpg_1705053429-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p3">« <i>Je me suis très vite renseignée autour de moi quand nous nous sommes installés et j’ai eu la confirmation que ces peupliers n’étaient pas là par hasard. Ils avaient été plantés près de cette rivière ! </i>»<i> </i>La Bièvre irrigue aussi la mémoire des « <i>gens du cru</i> »<i> </i>: un jour, une dame âgée lui a raconté avoir appris à nager dans ce ruisseau.<i> </i>L’histoire de la rivière croise en fait celle du grand nettoyage de Paris, opéré après la Révolution française. Le long de ses 36 kilomètres de berges, allant de sa source de Guyancourt jusqu’au cœur de la capitale, pullulent alors les blanchisseries et les tanneries. Mégissiers et teinturiers déversent leurs eaux savonneuses dans ce petit cours d’eau qui, en serpentant à travers les faubourgs miséreux, récupère excréments et carcasses d’animaux.</p><p class="p3">Dans la bibliothèque de Noëlle Mennecier, il y a une vieille et belle édition d’un texte de Huysmans. On y lit : « <i>Comme bien des filles de la campagne, la Bièvre est, dès son arrivée à Paris, tombée dans l’affût industriel des racoleurs : spoliée de ses vêtements d’herbes et de ses parures d’arbres, elle a dû aussitôt se mettre à l’ouvrage et s’épuiser aux horribles tâches qu’on exigeait d’elle.</i> »<i> </i>En 1860, la Bièvre est à l’agonie, transformée en un long filet d’immondices dont les crues boueuses sont redoutées. Un chantier colossal débute : la petite rivière est progressivement enterrée, jusqu’à totalement disparaître de Paris en 1912. Dans les années qui suivent, les travaux s’étendent en banlieue. Près du tiers de la Bièvre est rayé du paysage. </p><h3><b>« <i>C’était notre royaume</i> »</b></h3><p class="p2">Des dizaines d’années plus tard, ce sont donc quelques arbres et une chape en béton qui font deviner sa présence, au fond de cette friche laissée à l’abandon par son propriétaire. Noëlle Mennecier adore cet endroit où les gamins de Fresnes viennent construire des cabanes. « <i>Il y avait toujours du monde</i>. »<i> </i>Des voisins en balade, des sportifs du dimanche, quelques pique-niques improvisés. On imagine aussi de jeunes amoureux, venus se bécoter à l’abri des regards. « <i>C’était notre royaume</i>, dit joliment Nöelle, <i>il appartenait à tout le monde.</i> » Les plus anciens racontent qu’ils venaient ici pour pêcher des tritons dans les mares. </p><p class="p2"><img src="/images/article/e/bievre2_1706264499-jpg_1706264499-1.jpg"><br></p><p class="p3">Un jour, les habitants remarquent des marques rouges, taguées sur l’écorce des arbres. Le genre de symboles que l’on retrouve en forêt, qui semblent condamner les bouts de bois à un tronçonnage imminent. Les voisins s’inquiètent, filent à la mairie et réclament des explications. À force d’insister, Noëlle Mennecier et ses amis découvrent que Bouygues Immobilier vient de racheter le terrain pour une bouchée de pain. L’endroit est pour l’instant inconstructible mais une épée de Damoclès pèse désormais sur la joyeuse friche menacée de disparition. « <i>On se met alors en bagarre !</i> » En 1990 est créé le Comité de défense de la coulée verte de la Bièvre à Fresnes.</p><h3><b>POS et DIREN</b></h3><p class="p2">Noëlle Mennecier occupe à l’époque un emploi de correctrice au sein du journal <i>Le Monde</i>, bien loin de la politique locale et de ses obscurs règlements. « <i>Il a fallu se former sur le tas.</i> » Preuve de son apprentissage réussi, ses conversations sont désormais fleuries de tout un tas d’acronymes : POS, DIREN, zone ND… Le comité se bat pour faire classer le terrain et empêcher définitivement toute construction. « <i>Une première pétition récolte 800 signatures en quelques jours.</i> » Les boîtes aux lettres du quartier reçoivent régulièrement des tracts bricolés chez une voisine, la seule à avoir de quoi taper sur un ancêtre d’ordinateur. Il faut aussi apprendre à convaincre les élus, trouver des alliés au sein du conseil municipal, dominé par le Parti socialiste. </p><p class="p2">Au début des années 1990, se battre pour protéger un bout de nature laissée à l’état sauvage – au cœur d’une des métropoles les plus denses d’Europe et en pleine croissance – paraît un poil farfelu. Après plusieurs années (et « <i>des centaines et des centaines de courriers</i> »), la situation avance petit à petit, une bataille après l’autre. Un inspecteur des sites à la direction régionale de l’environnement et quelques éminences du conseil général aident à faire pencher la balance en faveur des habitants. Est-ce à force de mettre des pieds dans les portes ? Elle détaille comment la mairie a fini par accepter. Neuf ans après la création du comité, la commune de Fresnes rachète le terrain et Bouygues Immobilier quitte le secteur. </p><h3><b>Une « renaturation » avant l'heure</b></h3><p class="p2">Mais il y a une chose que le collectif n’a pas révélé tout de suite, pour ne pas aller trop vite. C’est qu’au-delà de protéger le terrain, les Fresnois ont un rêve : revoir couler la Bièvre. Faire éclater ce sarcophage de béton pour rendre le cours d’eau aux peupliers et aux canards. Aujourd’hui, on parlerait de<i> </i>« renaturation », terme à la mode qui sonnerait presque anachronique dans la bouche de Noëlle Mennecier : « <i>Je n’ai jamais été une militante écologiste ! </i>»<i> </i>La mairie les entend mais n’en pense pas moins. Pourquoi ne pas se servir de ce terrain fraîchement acheté pour construire un parking ? Un nouveau terrain de rugby ? Et puis faire découvrir la rivière coûte cher et ne rapporte pas grand-chose. </p><p class="p2"><img src="/images/article/e/bievre3_1706264508-jpg_1706264508-1.jpg"><br></p><p class="p3">Vaille que vaille, un bureau d’étude est missionné pour concevoir un projet de parc. Le courant passe immédiatement avec le collectif de riverains. Les paysagistes se donnent du mal pour conserver l’identité du lieu. Là, le passage incessant des habitants a tracé un chemin spontané ? Il sera conservé. Ici, d’autres personnes ont pris l’habitude d’installer des palettes en bois pour improviser un tatami et réviser leurs arts martiaux au milieu des arbres ? Le projet prévoit une plateforme en chêne, au même endroit. Pas de clôture, un lieu ouvert. Et au milieu de ce parc de trois hectares : la Bièvre, à l’air libre. Une première en plein cœur de la ville. La communauté d’agglomération donne son feu vert, accepte de participer au financement et met en œuvre le projet. En 2002, les premiers coups de pelleteuse libèrent le cours d’eau, cinquante ans après son enfouissement. Quelques mois plus tard est inauguré le parc des Prés de la Bièvre. </p><h3><b>« <i>Comme si ça avait toujours été là </i>»</b></h3><p class="p2">Noëlle Mennecier se souvient de « <i>l’émotion extraordinaire</i> » qui l’a envahie le jour où les bancs ont été disposés. « <i>Le lendemain, quand je suis arrivée dans le parc, des gens y étaient assis, comme s’ils avaient toujours été là. </i>» Les libellules sont revenues, les grenouilles et les hérons aussi. Depuis, l’idée de faire à nouveau jaillir la Bièvre s’est répandue dans les collectivités locales, sous l’impulsion d’autres associations. Des projets encore plus ambitieux ont vu le jour. Des tronçons de plusieurs centaines de mètres ont été découverts dans les communes voisines de L’Haÿ-les-roses, d’Arcueil et de Gentilly. Certains rêvent même de voir couler la rivière en plein Paris. Sa remise au jour dans la capitale est « <i>une arme écologique puissante </i>», écrivent en 2020 dans une tribune certains grands noms de la mouvance écologiste (Baptiste Morizot, Gilles Clément, Thierry Paquot…). Lorsqu’on lui fait remarquer que son combat a été un peu avant-gardiste, Noëlle Mennecier dit qu’elle en est fière. Et en même temps, tout a l’air de s’être fait instinctivement. Son rapport à la nature ? « <i>J’ai toujours eu besoin de voir les saisons autour de moi.</i> » Les raisons de sa motivation ? « <i>Je n’abandonne jamais.</i> »</p><p class="p3">La « <i>bagarre</i> »<i> </i>(elle répète décidément souvent ce mot, un brin de facétie au coin des yeux) raconte en tout cas une autre époque. Une fois le projet réalisé, et peu de temps avant sa disparition, l’ancien maire de Fresnes est venu se balader dans le parc à ses côtés. « <i>Il m’a dit que, tout compte fait, nous avions eu raison</i> », se souvient-elle, le sourire aux lèvres. Aujourd’hui, l’association dont elle est présidente d’honneur peine à trouver un interlocuteur régulier. Qui pour s’occuper de ces projets au long cours ? Au fur et à mesure des réformes territoriales, les décisions politiques se sont éloignées du parc des Prés de la Bièvre, diluées dans un gigantesque mille-feuilles métropolitain.<i> </i>« <i>Dans les années 1990, nous avons parié sur la démocratie et nous avons gagné…</i> »<i> </i>Et si c’était à refaire ? Elle n’est pas sûre que cela soit possible. </p>Bricolage radical : le Do It Yourself dans la contre-culture16802024-01-26T11:00:00+01:00Né à la fin des années 1970, le « Do It Yourself » est un mouvement politique et culturel qui prône la réappropriation des savoir-faire et leur partage au plus grand nombre. Cette culture du bricolage, plus ou moins radicale selon les communautés, s’est développée à travers plusieurs outils, des fanzines punk aux imprimantes 3D en passant par les tutos sur Youtube. Petit tour d’horizon.https://www.socialter.fr/images/article/t/diy_1706263740-750x480.jpg<h3><b>Le <i>Whole Earth Catalog</i> ou la bible DIY des hippies</b></h3><p class="p2">Le livre qui marque la popularisation du concept de « Do It Yourself » est sans conteste le <i>Whole Earth Catalog</i> de Stewart Brand, dont plusieurs éditions ont été publiées aux États-Unis entre 1968 et 1972. Réalisé avec les moyens du bord – à savoir un Polaroid et une machine à écrire –, il ressemble d’abord à un magazine de petites annonces, avant de se transformer en une encyclopédie foutraque au sous-titre évocateur : « <i>Access to the tools</i> » (« accès aux outils »). « <i>Un pouvoir intime et personnel est en train de se développer : celui [qu’a] l’individu de mener sa propre éducation, de trouver sa propre inspiration, de façonner son propre environnement et de partager son aventure avec quiconque est intéressé, </i>écrit Steward Brand pour présenter l’ouvrage. <i>Les outils qui facilitent ce processus sont dans le </i>Whole Earth Catalog. »</p><p class="p2" style="text-align: center;"><i>Article issu de notre numéro 61 « Reprendre les choses en main », <a href="https://web2store.mlp.fr/produit.aspx?edi_code=e6034HNKhto%3d" target="_blank">en kiosque</a>, librairie et <a href="https://www.socialter.fr/produit/numero-61" target="_blank">sur notre boutique</a>.</i></p><p class="p2" style="text-align: center;"><img src="https://socialter.fr/images/article/e/visuelcouvproduit61_1705053429-jpg_1705053429-1.jpg" style="width: 25%;"></p><p class="p2"> </p><p class="p2">Cartes, outils de jardinage, savoirs sur les semences, liste de vêtements spécialisés ou d’outils de charpenterie, notions d’informatique : en quelques années, ce patchwork de connaissances va devenir la bible des communautés hippies américaines. Ce catalogue est le reflet d’une époque et de ses rêves, entre contestation de la guerre du Vietnam et volonté de s’émanciper de la société de consommation. « <i>Le </i>Whole Earth Catalog<i> émerge en même temps qu’une pensée critique vis-à-vis d’un système contraignant sur le plan culturel, </i>explique Étienne Delprat, architecte et enseignant chercheur, cofondateur du collectif YA+K. <i>Il vise à autonomiser l’individu sur un plan matériel mais aussi politique, avec l’idée qu’en faisant soi-même, on reprend le pouvoir</i>. » </p><p class="p3">Preuve de son succès au-delà des frontières du mouvement hippie, l’un des derniers <i>Whole Earth Catalog</i> s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires et a obtenu le National Book Award de 1971. Il est une source d’inspiration pour d’autres livres du même type, comme le célèbre <i>Catalogue des ressources</i>, publié en France aux éditions Alternatives à partir de 1975. Il préfigure surtout le web et son accès universel au savoir.</p><h3><b>Les fanzines et l’auto-organisation du mouvement punk </b></h3><p class="p2">« <i>It was easy, it was cheap – go and do it ! </i>» (« c’était facile, c’était pas cher, allez-y ! ») exhortait le groupe de punk anglais The Desperate Bicycles dans ses concerts à la fin des années 1970. Cette phrase, comme un mantra, résume à elle seule l’esprit Do It Yourself de la contre-culture punk : tout le monde est capable de créer un groupe, quelles que soient ses compétences et ses finances. D’idéal utopique chez les hippies, le DIY devient chez les punks une résistance à la domination de l’industrie musicale. « <i>Ce mouvement promeut l’horizontalité en refusant les modes de validation que sont les conservatoires, les labels et les majors</i>, avance Catherine Guesde, docteure en philosophie et coordinatrice de l’ouvrage <i>Penser avec le punk</i><b><sup>1</sup></b>. <i>Pour atteindre une liberté créative totale, ils vont développer leurs propres canaux de diffusion. </i>» En 1977, les Buzzcocks sont l’un des premiers groupes à auto-produire leur album <i>Spiral Scratch</i>, grâce à leur propre label New Hormones.</p><blockquote><p class="p1"><b>D’idéal utopique chez les hippies, le DIY devient chez les punks une résistance à la domination de l’industrie musicale.</b></p></blockquote><p class="p2"> </p><p class="p2">Dans les années qui suivent, des centaines de labels indépendants voient le jour, dont les plus emblématiques sont Crass Records et Dischord Records. Apparaissent aussi des fanzines qui permettent aux groupes de promouvoir leurs œuvres, comme <i>Maximum Rock N Roll </i>ou <i>Sniffin’ Glue</i> et <i>Sideburns</i>, dont l'une des illustrations est restée célèbre. « <i>Voici un accord, voici un autre accord, puis en voici un troisième : maintenant, crée un groupe</i> », intime le journal à ses lecteurs. Une manière d’en finir avec l’élitisme du milieu musical, selon Catherine Guesde : « <i>Dans le geste musical punk, il y a aussi l’idée qu’il faut démystifier la figure de l’artiste comme un génie, donner de la place à des voix qu’on n’entend pas généralement.</i> » Dans son livre <i>Do It Yourself ! Autodétermination et culture punk</i><b><sup>2</sup></b>, le sociologue Fabien Hein tempère cette image idyllique, soulignant que dès le début des années 1980, de nombreux groupes finissent par quitter le giron du DIY pour signer avec des majors. Cette opposition affichée au système n’était-elle pour ces musiciens qu’une étape vers le succès ? </p><h3><b>Making, hacking, low tech : le DIY entre démocratisation et récupération capitaliste</b></h3><p class="p2">Aujourd’hui, la « génération Y » – née entre la fin des années 1980 et le début des années 2000 – renouvelle l’approche du Do It Yourself. Recyclage, récup’, upcycling : elle se réapproprie les biens et services à sa disposition et invente de nouveaux modes de consommation. « <i>Cette génération est marquée par la crise économique et les incertitudes climatiques, mais aussi par l’émergence de l’informatique, </i>précise Étienne Delprat. <i>Avec Youtube et les réseaux sociaux, on explique ce qu’on fabrique grâce à des tutos, il y a une forme de fascination collective pour l’ouverture de la boîte noire, c’est-à-dire montrer comment les objets fonctionnent.</i> » Cette nouvelle approche s’ancre dans différentes communautés, comme les hackers ou les makers qui mettent en commun outils, machines et compétences. « <i>À l’ère du numérique, la dimension collective et collaborative s’est intensifiée. On utilise du matériel et des logiciels libres, on met ses connaissances en open source</i> »<i>, </i>commente Étienne Delprat. Dans les fab labs, la technologie est mise au service du plus grand nombre grâce à des imprimantes 3D ou à des découpeuses laser qui permettent d’inventer et de créer une multiplicité d’objets. </p><p class="p2">D’autres communautés essaient de démocratiser des techniques et usages plus sobres avec la low tech. L’association Low Tech Lab met par exemple en ligne des tutoriels pour apprendre à fabriquer des objets utiles et durables comme un chauffe-eau solaire, une marmite norvégienne ou des toilettes sèches<b><sup>3</sup></b>. « <i>La démarche low tech invite à réfléchir sur le juste niveau technologique à mettre en place pour un besoin au regard de ses impacts environnementaux et sociaux. On veut pousser la société à se demander si la high-tech est toujours la meilleure réponse à nos besoins </i>», explique Guénolé Conrad, coordinateur de projet au Low Tech Lab. </p><p class="p3">De nos jours, l’appel à « faire soi-même » est partout, promu aussi bien par les magazines féminins que par les enseignes de bricolage. « <i>Comme souvent, la critique a été absorbée par le capitalisme pour en faire un argument commercial. Le DIY est devenu un filon à exploiter</i>, déplore Volny Fages, maître de conférences à l’ENS Paris-Saclay et spécialiste des mouvements hacker et maker. <i>Leroy Merlin finance même des regroupements de makers, ce qui lui permet de vendre plus d’outils. On voit l’émergence d’un marché de kits de fabrication pour la décoration ou les jeux pour enfants, avec des prix qui sont les mêmes, la plus-value de construire soi-même n’étant que symbolique. </i>» Faut-il pour autant déplorer la démocratisation du mouvement ? Si la radicalité du message s’émousse parfois, le DIY est en train de changer durablement notre rapport aux objets et à leur réparabilité.</p>Les perturbateurs endocriniens : On arrête tout et on réfléchit !16782024-01-24T15:31:00+01:00Découvrez notre recension de « Les perturbateurs endocriniens » de Mélanie Popoff aux éditions Rue de L'échiquier.https://www.socialter.fr/images/article/t/perturbateursendocriniens_1706107039-750x480.jpg<p class="p1">« <i>On arrête tout et on réfléchit !</i> » Voilà la nécessaire injonction que nous propose la nouvelle collection des éditions Rue de l’échiquier, avec un premier ouvrage sur les perturbateurs endocriniens. Alors qu’il sont présents partout dans l’environnement, leur incidence sur la santé et la maladie reste encore mal comprise. </p><p class="p1">Dans cet ouvrage, Mélanie Popoff, à la fois médecin et militante, repolitise le débat sur ces substances chimiques en retraçant leurs origines industrielles, mais aussi en rappelant les conséquences inégales qu’elles produisent sur les individus, la charge mentale que représente l’organisation de son environnement pour s’en protéger – qui incombe majoritairement aux femmes – et la manière de s’organiser collectivement pour en venir à bout.</p><p class="p1"><b><i><a href="https://www.ruedelechiquier.net/essais/471-perturbateurs-endocriniens-on-arrete-tout-et-on-reflechit-.html" target="_blank">Perturbateurs endocriniens</a></i> </b><b>Mélanie Popoff </b>Rue de l’échiquier – Agir pour l’environnement coll. « On arrête et on réfléchit ! » → novembre 2023 – 144 pages – 13,90 €</p>