Chico Mendes

Chico Mendes, le seringueiro qui défendait la forêt

Illustration : Kristian Hammerstad

Découvrez la vie de Chico Mendes, militant et défenseur de la forêt Amazonienne.

Article à découvrir dans notre hors-série L'Écologie ou la mort, disponible sur notre site

La forêt luxuriante de l’ouest de l’Amazonie, ses tapirs, ses panthères et ses hévéas striés comme s’ils avaient été tatoués : voilà les racines de Francisco Alves Mendes Filho, que l’histoire retiendra sous le nom de Chico Mendes. Né en 1944 dans l’État de l’Acre, au Brésil, il endosse la vie de seringueiro à peine âgé d’une dizaine d’années : chaque jour, il sillonne la forêt sur des terrains accidentés, couteau à la main, pour zébrer les hévéas et récolter leur « lait » qui, une fois raffiné, peut être transformé en latex. C’est une vie dure et frugale, mais que Chico Mendes chérit et qu’il a eu à cœur de défendre – son combat, pionnier en Amérique latine, lui coûtera la vie. Car dans les années 1960, le mode de vie des seringueiros est menacé par les latifundistes, les propriétaires terriens du sud du Brésil, qui rêvent de « développer » la forêt amazonienne, c’est-à-dire de raser les arbres pour installer des élevages et des champs. Chico Mendes sera le fer de lance de l’opposition à la destruction de la forêt. Analphabète jusqu’à ses 18 ans, il apprend à lire grâce à son mentor, l’ancien militant communiste Fernando Euclides Távora, à partir de coupures de presse grâce auxquelles il découvre la situation politique mondiale. Chico Mendes gardera de cette découverte une obsession pour l’éducation, persuadé que savoir lire et écrire est un impératif pour pouvoir se défendre contre les injustices. Il prend alors l’habitude de noter ses pensées sur des bouts de papier, des photos ou des cartes postales, et les distribue à ses proches pour diffuser ses idées.

« Match nul »

En 1975, les conflits entre seringueiros et latifundistes s’intensifient : les propriétaires terriens brûlent des empans de forêt pour installer leurs exploitations et n’hésitent pas à déloger par la force les familles qui y vivent. Chico Mendes fonde le premier syndicat de travailleurs ruraux et milite aux côtés des seringueiros. En 1976, il organise avec ses compagnons une action dont la stratégie novatrice deviendra sa marque de fabrique : l’empate, ou « match nul ». Il convie des dizaines de familles de seringueiros à occuper pacifiquement une partie de la forêt convoitée par les propriétaires terriens. Ensemble, ils empêchent le défrichage par leur seule présence physique, s’asseyant entre les arbres et les tronçonneuses, allant parfois jusqu’à s’allonger devant les bulldozers.

La stratégie fonctionne et oblige le gouvernement brésilien à renoncer à la méthode forte : les autorités locales proposent alors aux seringueiros d’occuper la terre et de devenir eux-mêmes des exploitants agricoles. Chico Mendes s’y oppose fermement et s’efforce de convaincre ses compagnons de lutte que les seringueiros sortiraient perdants de cette évolution de leur mode de vie : pour lui, la source de travail d’un seringueiro n’est pas la terre, mais la forêt en tant que telle. Et la défendre, c’est défendre la liberté dessiens.« On ne peut pas défendre la forêt sans défendre les peuples qui y vivent », affirme-t-il. Sa carrière de syndicaliste l’amène à nouer des alliances avec les organisations écologistes, mais il se méfie d’une convergence des luttes : selon lui, diversifier les combats aurait pour conséquence d’affaiblir le mouvement.

Il organise en 1985 un événement majeur qui concrétise sa volonté d’unir les peuples de la forêt amazonienne : le Conseil national des seringueiros brésiliens. Il fait venir à Brasilia, la capitale, des seringueiros de tout le pays, des hommes et des femmes qui, pour la plupart, n’avaient jamais quitté leur terre natale. C’est au cours de ce congrès qu’est inventé un nouveau mode de conservation de l’environnement : Chico Mendes et les participants du congrès proposent de créer des « réserves extractivistes », qui ne pourraient être exploitées que par les seringueiros. Ainsi, les forêts continueraient à fournir une subsistance à une partie de la population, mais seraient protégées du capitalisme mondialisé par leurs habitants, qui savent ne pas prélever plus que la juste part. Alliant défense des populations précaires, protection de l’environnement et lutte contre le capitalisme, Chico Mendes devient une figure reconnue de l’écosocialisme sur la scène internationale ; la Banque mondiale le consulte pour orienter ses investissements dans la forêt amazonienne et il reçoit différents prix pour son combat pour la protection de la nature. « Au départ, je pensais que je me battais pour sauver les hévéas ; puis j’ai pensé que je me battais pour sauver la forêt tropicale amazonienne. Maintenant, je réalise que je me bats pour l’humanité », déclare-t-il alors.

« Je veux vivre »

Cette notoriété et le succès de ses combats contrarient les propriétaires terriens. Il reçoit de nombreuses menaces de mort, demande en vain une protection policière, prend l’habitude de toujours s’asseoir face à la porte des restaurants qu’il fréquente pour contrôler qui y entre et en sort. En décembre 1988, il déclare au quotidien brésilien Jornal do Brasil : « Si ma mort pouvait renforcer notre lutte, cela vaudrait la peine de mourir. Mais l’expérience nous enseigne le contraire. Je veux vivre : une manifestation et un enterrement ne sauveront pas l’Amazonie. » Quelques jours plus tard, il est abattu d’une balle de fusil devant le porche de sa maison, à Xapuri. Les années passant donneront raison à sa dernière intuition : certes, son assassinat a provoqué l’indignation locale et, fait rare, les éleveurs reconnus coupables de son meurtre furent condamnés à 19 ans de prison ; certes, une réserve extractiviste est fondée dès 1990, et le Brésil en compte aujourd’hui 90 (une des plus grandes est d’ailleurs baptisée de son nom). Mais la ville de Xapuri est devenue une sorte de Disneyland en l’honneur de Chico Mendes, et lui-même est perçu par les habitants comme un saint médiatique – sa maison en bois rosâtre est devenue un musée, un marathon est organisé en son nom, une « semaine Chico Mendes » exalte sa mémoire… La déforestation, elle, n’a pas cessé et s’est même intensifiée sous la présidence de Jair Bolsonaro. Quant aux défenseurs de l’environnement, leur situation est toujours aussi dangereuse au Brésil : en 2019, au moins 24 d’entre eux avaient été tués en raison de leur engagement.

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