Religion et planète terre

Les 10 familles de l'écologie politique : L'Écologie intégrale

illustration Chester Holme

Découvrez l'écologie intégrale, l'une des 10 familles de l'écologie politique présentées dans notre hors-série L'Écologie ou la mort.

« Comme êtres humains, nous sommes [...] entrelacés par l’amour que Dieu porte à chacune de ses créatures et qui nous unit aussi, avec une tendre affection, à frère soleil, à sœur lune, à sœur rivière et à mère terre. »  

— Le pape François, Laudato si’, 2015.

La genèse fut lente : une quarantaine d’années. Mais la doctrine est là, avec son encyclique, Laudato si’, la première jamais consacrée à l’écologie, et avec laquelle le pape François a fait prendre, en 2015, un tournant majeur à l’Église catholique. Cette doctrine a pour nom l’écologie intégrale, et sa conception se résume en une expression qui revient une dizaine de fois dans le texte papal : « Tout est lié. » En effet, écrit le pape François, « comme êtres humains, nous sommes tous unis comme des frères et des sœurs dans un merveilleux pèlerinage, entrelacés par l’amour que Dieu porte à chacune de ses créatures et qui nous unit aussi, avec une tendre affection, à frère soleil, à sœur lune, à sœur rivière et à mère terre ».

Pour mesurer l’ampleur du tournant que constitue l’encyclique pour le monde catholique, une date s’impose : 1967. Cette année-là, l’historien médiéviste américain Lynn White (1907-1987), lui-même presbytérien, publie dans Science un article resté célèbre, suscitant un débat qui n’est toujours pas clos. « Les racines historiques de notre crise écologique » met en accusation le christianisme en attribuant à une interprétation du texte biblique née au cours du Moyen Âge les fondements d’une nouvelle relation tyrannique de l’homme envers l’environnement. Une phrase en particulier fâche nombre de chrétiens : « Spécialement dans sa forme occidentale, le christianisme est la religion la plus anthropo­centrique que le monde ait connu. » L’article fait l’objet d’infinies controverses, participant à placer l’Église catholique sur le banc des accusés.

D’autant qu’elle fait preuve de lenteur, par rapport aux autres courants chrétiens. « Les Églises protestantes et orthodoxes montrent un intérêt pour l’écologie bien plus précoce que la catholique », soulignent ainsi les universitaires Bertrand Sajaloli et Étienne Grésillon, dans une notice du Dictionnaire critique de l’Anthropocène(CNRS Éditions, 2020). Du côté protestant, l’ouvrage Nature menacée et responsabilité chrétienne est ainsi publié en 1979 par la Commission de la défense de la nature des Églises de la confession d’Augsbourg et réformée d’Alsace et de Lorraine, définissant sept priorités qui initient une théologie de la Terre. Chez les orthodoxes, la vision de la Création est plus incarnée, plus terrestre, ce qui a facilité la prise en compte du sujet : presque 20 ans avant sa consœur catholique, l’Église orthodoxe a institué une Journée de la Création chaque 1er septembre.

C’est grâce à la dynamique de rassemblements œcuméniques – dont le premier a lieu à Bâle en 1989, avec 700 officiels catholiques, protestants, orthodoxes et anglicans – que l’Église catholique chemine vers sa propre doctrine. « Pour l’Église catholique, sa participation à ce rassemblement entérine un vrai changement de perspective vis-à-vis de la nature puisque le concile de Vatican II (1962-1965) promouvait l’exploitation des ressources (en particulier le développement de l’agriculture industrielle) », relèvent Bertrand Sajaloli et Étienne Grésillon. C’est ainsi que, en un demi-siècle, l’Église catholique, « accusée par White d’être responsable des crises environnementales planétaires, a peu à peu construit une réponse philosophique et spirituelle en faveur du respect de la Création, en remobilisant les tensions anciennes entre [les] deux principales traditions chrétiennes de la nature ».

Car dans le texte biblique coexistent une vision « tyrannique », inspirée par les passages de la Genèse où l’homme est placé en dominant du reste de la Création, et celle plaçant l’humain dans une situation d’« intendance » (« stewardship », en anglais) à l’égard du reste du vivant. Dans cette dernière vision, « les êtres humains sont alors appelés à être les jardiniers et gardiens de la Création. Comme elle est réputée valoir en elle-même, ils ne peuvent alors justement posséder et dominer la nature », analyse le philosophe Dominique Bourg dans son édition commentée du texte de Lynn White (PUF, 2019).

Après plusieurs appels en faveur d’une « écologie humaine » par Jean-Paul II et Benoît XVI, le saut théologique n’intervient qu’avec François, dont le nom de pontife fait référence à la grande figure écologique chrétienne, saint François d’Assise (1182-1226). Laudato si’ (« Loué sois-tu ») reprend d’ailleurs les premiers mots du Cantique des créatures de celui qui avait été proclamé saint patron des écologistes par Jean-Paul II, en 1979. Dans l’encyclique, François revendique une « approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature ». Là est la grande innovation du pape : associer le cri de la Terre et le cri des pauvres comme deux facettes d’un même combat – ce que le philosophe Bruno Latour qualifie d’« innovation prophétique ».

En offrant à l’Église catholique une doctrine, le pape François a embrassé une effervescence déjà palpable, tant les années 2010 sont celles des initiatives : premières Assises chrétiennes de l’écologie en 2011, création de l’association Chrétiens unis pour la Terre en 2012, mouvement Jeûne pour le climat depuis la COP19 de 2013 et lancement en France du label Église verte en 2017… Mais cette impulsion donnée par l’écologie intégrale n’est pas sans susciter des polémiques, puisque la pensée est aussi reprise par des mouvements très conservateurs, comme la Manif pour tous opposée au mariage homosexuel ; l’encyclique elle-même souligne que « la défense de la nature n’est pas compatible non plus avec la justification de l’avortement ». Ce qui conduit notamment à une tribune d’intellectuels chrétiens, dans Le Monde en 2018, pour dénoncer cette lecture. Il n’empêche, la puissance du label « écologie intégrale » est telle qu’il est même repris par des personnalités issues de la gauche laïque : l’ancienne ministre Delphine Batho signait début 2019 Écologie intégrale. Le manifeste(Le Rocher). Comme un signe que l’Église catholique, en élaborant cette nouvelle doctrine, porte désormais un courant qui compte au sein de l’écologie politique.   

Un lieu : Le collège des Bernardins

Le Collège des Bernardins, à Paris, est un haut lieu de réflexion théologique et philosophique. Depuis quelques années, l’écologie y est au centre des préoccupations, notamment à travers une collaboration avec Bruno Latour. Après un cycle de trois ans autour des « sources de l’insensibilité écologique » qui a abouti au colloque « Gaïa face à la théologie » (2017-2020), le Collège a lancé la chaire « Laudato si’ : pour une nouvelle exploration de la Terre » visant à mobiliser les approches scientifiques, spirituelles et artistiques autour de la transformation de nos représentations de la Terre.

Un label : Église verte

Lancé en septembre 2017, le label Église verte vise à évaluer le degré d’avancement des églises, paroisses ou monastères qui veulent « s’engager pour le soin de la création ». Fondé sur un écodiagnostic, il propose une méthode en cinq étapes, dont les noms sont inspirés des plantes bibliques (graine de sénevé, lis des champs, cep de vigne, figuier et cèdre du Liban). Ce label, qui doit être renouvelé chaque année, consacre actuellement plus de 500 communautés.

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