Les 10 familles de l'écologie politique : La décroissance
Socialter présente les 10 familles de l'écologie politique dans son hors-série « L'Écologie ou la mort », sous la rédaction en chef de Camille Étienn. Découvrez la Décroissance.
Socialter présente les 10 familles de l'écologie politique dans son hors-série « L'Écologie ou la mort », sous la rédaction en chef de Camille Étienn. Découvrez la Décroissance.
« La publicité crée le désir de consommer, le crédit en donne les moyens, l’obsolescence programmée en renouvelle la nécessité. »
— Serge Latouche, Petit traité de la décroissance sereine, 2007.
Au début des années 2000, le grand public commence à prendre conscience de la catastrophe écologique en cours et le « développement durable » s’impose comme nouvelle tarte à la crème. Deux groupes distincts se rencontrent alors. D’un côté, les casseurs de pub, qui dénoncent le rôle néfaste joué par la publicité sur nos imaginaires et nos désirs. De l’autre, un groupe d’intellectuels qui critiquent la notion de « développement » et l’impérialisme culturel du modèle civilisationnel occidental, selon lequel il existe deux types de pays : les « développés » et ceux « à développer ». En somme, le développement dissimule tout un système post-colonial d’exploitation des ressources et de la main-d’œuvre du Sud qui rend possible le consumérisme effréné des populations du Nord.
Publicité et développement communient en un point : ils sont faits pour nourrir la croissance économique et son imaginaire, qui présente l’opulence matérielle comme la seule possibilité pour l’humanité de vivre heureuse et émancipée. Ces deux groupes prennent la mesure de la toxicité de ce marketing développementiste et cherchent un slogan capable de questionner, avec radicalité et justesse, la mythologie au cœur de notre modèle civilisationnel, mais aussi, et surtout, qui ne puisse être ni récupéré ni dévoyé. Est alors lancé le mot-obus « décroissance », immédiatement flanqué des adjectifs « soutenable » et « conviviale ». Soutenable, car la décroissance révèle en creux l’irrationalité d’une croissance infinie dans un monde aux ressources finies. Conviviale, car la décroissance pose la question du bien-être, de la joie de vivre et du sens donné à nos vies.
Notre prochain hors-série « Décroissance(s), Réinventer l'abondance » paraîtra cet été. Inscrivez-vous pour ne rien manquer !
Ainsi, de simple slogan, la décroissance devient une matrice de réflexion qui interroge nos besoins fondamentaux et offre un projet de civilisation alternatif. Pensée radicale, elle pousse à analyser à la racine la construction de croyances au cœur de nos imaginaires : capitalisme, productivisme, travaillisme, technoscientisme, économicisme et patriarcat sont autant de dogmes qui façonnent nos représentations, et donc nos vies. Elle invite à un voyage théorique dans les débats et les réflexions portés aussi bien par l’écoféminisme que l’anarchisme, le socialisme utopique que le municipalisme libertaire, pour ne citer que quelques exemples. Il s’agit de reprendre un chemin d’émancipation individuelle et collective qui s’est embourbé dans une vision étriquée du progrès, enfermée dans l’innovation technique au service de l’économie.
La décroissance a pour mot d’ordre de « décoloniser nos imaginaires », prisonniers de visions réductionnistes du bien-vivre, même chez ses compagnons de route écologistes ou à gauche.
Concrètement, la décroissance s’articule autour de quatre niveaux, qui se complètent et s’autoalimentent. Au niveau individuel : elle nous invite à renouer avec nos désirs et à limiter nos besoins dans la perspective d’« abondance frugale » ou de « simplicité volontaire » à travers laquelle le sujet peut se réapproprier sa liberté en se départissant du superflu, en refusant les « besoins artificiels » produits par la société. La décroissance consiste, quand c’est possible et en attendant une transformation collective, à travailler moins pour vivre mieux (basculer en temps partiel, quitter son bullshit job...), à se libérer de sa voiture en allant vers des mobilités douces, à manger moins carné et plus local, de saison, bio, à voyager moins loin, moins vite mais plus longtemps, en rencontrant, à se libérer des écrans, de la fast fashion et des gadgets… Malheureusement nous ne sommes pas tous égaux quant à notre capacité à sortir du consumérisme, pour des raisons symboliques, culturelles mais aussi économiques, et certains n’ont pas le luxe d’opérer ces choix lorsqu’il faut rembourser une dette estudiantine ou lorsqu’on vit en milieu rural à 30 kilomètres du supermarché le plus proche, par exemple.
D’où la résistance par l’engagement militant : la désobéissance civile, la présence médiatique, l’organisation de conférences, la publication de livres sont autant d’outils non violents qui permettent à la fois de s’opposer à la fuite en avant du modèle croissanciste et de faire vivre les idées de la décroissance dans les débats. Mais l’action peut aussi se situer à un troisième niveau, plus « positif » : montrer que des alternatives sont possibles. Les décroissants se reconnaissent dans les initiatives citoyennes telles que les Amap, les monnaies locales, les ressourceries ou encore les ateliers de réparation.
Au-delà de l’intime et des réseaux locaux, les décroissants portent un projet de transformation collective, c’est là le quatrième niveau, qui embarquerait l’ensemble de la société, travaillant à identifier les leviers économiques et sociaux, les alliances et les stratégies politiques qui permettraient de sortir de nos dépendances à la croissance. La décroissance met au cœur de son projet des notions comme le revenu de base inconditionnel, la gratuité des transports publics, celle du bon usage des ressources, le revenu maximal acceptable... Elle induit une réflexion autour des communs, de la remise en question du droit de propriété lorsque celui-ci va à l’encontre de l’intérêt général.
Elle invite à réencastrer l’économie, à la remettre à sa place comme un outil de transformation sociétal au service de la démocratie, à travers la mise en place d’audit des dettes publiques et privées, d’une réflexion sur la gouvernance des banques centrales et de la création monétaire, ou d’une lutte contre la financiarisation de l’économie déconnectée de la réalité. L’engagement des décroissants fait émerger une alternative : une décroissance choisie, construite démocratiquement, socialement juste, ou bien une récession subie accompagnée de catastrophes environnementales et sociales toujours plus fréquentes et violentes. Décroissance ou barbarie ?
Dans l’ouvrage Sur la question du charbon, publié en 1865, l’économiste William Stanley Jevons révèle une contradiction profonde du système industriel de l’Empire britannique : l’augmentation de l’efficacité des machines grâce aux progrès techniques ne mène pas à une baisse de la consommation de charbon, mais à une augmentation du nombre de machines, et donc un accroissement de la consommation. C’est ce qu’on appellera plus tard l’effet rebond. Pour les décroissants, il faudrait au contraire orchestrer un « effet débond ».
Coordonné par Cédric Biagini et Pierre Thiesset, Vivre la simplicité volontaire (L’Échappée, 2014) compile une cinquantaine d’entretiens réalisés par le journal La Décroissance avec des « objecteurs de croissance ». Ces déclassés volontaires racontent leur parcours singulier, expliquent les raisons de leurs choix, la manière dont ils vivent, les liens qu’ils tissent, leurs rapports aux autres, à la nature et aux savoir-faire. Autant de portraits qui prouvent à ceux qui en douteraient qu’une vie riche de sens, de puissance d’agir et de liberté est possible.
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