J’avais quinze ans, le mois de mai bourgeonnait de pavés aériens et s’étoilait de fleurs d’incendie. Au détour d’une rue, sur le gris d’une muraille, je lus cette inscription : « Libérez les passions », et un peu plus loin « Une vie passionnante ou rien ». À cet instant, je crus saisir le sens de ce qu’on n’osait pas encore appeler une révolution, mais qui était bien autre chose que de simples événements. Ce levain vital des passions, c’était déjà l’air que nous respirions ; et n’était-ce pas également ce que nous désirions autant que le moyen de l’obtenir ? Ainsi, la vieille querelle de la fin et des moyens, sur laquelle l’éthique révolutionnaire avait si souvent achoppé, avait peut-être trouvé sa solution : le moyen était en parfait accord avec sa fin puisqu’il s’identifiait avec elle. Oui, cette révolution, nous pourrions la faire en toute conscience, nous n’aurions pas les mains sales.
Article issu de notre hors-série « Comment nous pourrions vivre » avec Corinne Morel Darleux, rédactrice en chef invitée. En kiosques jusqu'au 6 septembre et sur notre boutique.

Or, comme on sait, un mois plus tard et, malgré la grève générale...