Éditorial

Édito. L'impasse ou la casse ?

Illustration : Rakhmat Jaka Perkasa

Découvrez l'édito de notre nouveau numéro « Sabotage : on se soulève et on casse ? » par Olivier Cohen de Timary, directeur de la rédaction de Socialter.

« Non seulement je la comprends, mais je la défends et je la promeus. […] Il y a une vraie urgence à faire bifurquer ce monde. » C’est en ces termes que l’écrivain Alain Damasio, interrogé au micro de France Inter le 19 juin dernier au sujet des Soulèvements de la Terre, réagissait à l’une des actions de sabotage du collectif écologiste, dissous administrativement quelques jours plus tard. Lorsqu’on a « épuisé tous les recours démocratiques, toutes les façons douces de faire les choses », l’auteur des Furtifs (La Volte, 2019) invite en effet « à passer à un niveau supérieur d’action » face aux catastrophes écologiques et à l’inertie des gouvernements. 

Édito de notre numéro 59 « Sabotage : on se soulève et on casse ? », en kiosque, librairie et sur notre boutique.


Un appui médiatique qui aurait eu de quoi surprendre il y a quelques années encore. Mais, depuis les années 2000, les actions de dégradation de biens et d’infrastructures jugés « écocidaires » par les militants se sont multipliées au sein de la mouvance écologiste. Qu’il s’agisse de sabotages ciblés visant SUV, jacuzzis, antennes 5G ou golfs, ou encore d’actions spectaculaires – comme à Sainte-Soline contre les projets de méga-­bassines –, l’éco-sabotage est aujourd’hui ouvertement assumé comme tactique par certains activistes, renouant avec les opérations musclées des années 1970-1980. Comme en mai 1975, lorsque l’écoféministe Françoise d’Eaubonne participait au dynamitage de la pompe du circuit hydraulique de la centrale nucléaire de Fessenheim alors en construction, retardant de plusieurs mois sa mise en route.

Loin de faire l’unanimité, l’éco-sabotage – rebaptisé « désarmement », « démantèlement » ou « contre-violence » par les activistes – continue de faire débat parmi les écolos, plutôt enclins au pacifisme et aux stratégies non violentes. L’État, de son côté, réprime de plus en plus sévèrement celles et ceux qu’il nomme « éco-terroristes ». Un durcissement à l’encontre des militants écologistes accompagné par l’adoption ces derniers mois d’un arsenal législatif dénoncé par les défenseurs des libertés publiques.

Mais malgré une répression policière et judiciaire accrue, l’atteinte aux biens et les dégradations matérielles apparaissent légitimes aux yeux d’un nombre croissant d’activistes écologistes et d’une « génération climat » pour qui l’éco-anxiété se mue désormais en « éco-fureur ». S’investir dans des mobilisations moins abstraites que les marches pour le climat, mener des luttes plus ciblées et ancrées territorialement permettrait de répondre en partie au sentiment d’impuissance provoqué par la fuite en avant du capitalisme fossile et ses désastres écologiques. 

Se posent alors plusieurs questions : s’il apparaît légitime à certains, l’éco-sabotage est-il efficace ? Face à l’ampleur du problème écologique, les dégradations matérielles ciblées ne sont-elles pas inutiles, voire contre-productives ? Les luttes écologiques peuvent-elles tirer des enseignements d’autres mouvements sociaux mêlant tactiques légalistes et actions directes pour changer les choses ? 

S’il n’est pas nouveau – vous revivrez dans ce numéro les premières heures du sabotage ouvrier adopté par les syndicalistes révolutionnaires de la CGT à la fin du XIXe siècle –, le sabotage a toujours été l’objet de vives critiques, et même de tensions au sein des organisations l’inscrivant à la liste de leurs méthodes d’action. Mais c’est bien sur le terrain, loin du débat théorique, que cette tactique dérange. Car en visant à enrayer, détourner, ralentir ou stopper un flux, le sabotage bouscule concrètement l’ordre établi.

Dans le cas de la lutte écologique, par des actions parfois spectaculaires, il permet également de rendre visible un problème qui jusqu’ici se dérobait au débat public en le mettant à l’agenda politique et en braquant les projecteurs sur les « vrais responsables » du désastre écologique. Jusqu’à renverser la question initiale : qui est véritablement le saboteur dans l’histoire ? 

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