Droit et défense de la planète

Wild Legal : plaider pour l'environnement

Photos : Amaury Cornu

L’association Wild Legal forme chaque année une promotion d’étudiants en droit pour les préparer à défendre, demain, l’environnement dans les tribunaux.

Au cœur de la Cité Fertile, un tiers-lieu situé à Pantin, en périphérie parisienne, les avocats des plaignants sont appelés à la barre. Leur adversaire : des exploitations porcines bretonnes, accusées d’être la cause principale des marées d’algues vertes. Malgré les 400 kilomètres de distance, les structures agricoles des Côtes-d’Armor visées par ce procès doivent avoir les oreilles qui sifflent. « C’est la chaîne alimentaire qui voit ses maillons voler en éclats, pulvérisée sur l’autel de la production éternelle », lance avec emphase Raphaël, avocat de l’association de défense des animaux L214.

Article à retrouver dans notre numéro « Punir les écocidaires »,  sur notre boutique.


La mine grave, il jette un coup d’œil sur son texte avant de reprendre : « La pollution continue de l’eau du fleuve depuis l’installation de l’agriculture intensive porcine a entraîné une raréfaction des ressources nourricières présentes en son sein et nécessaires au maintien du fragile équilibre de son écosystème. » L’attaque vise pêle-mêle la prolifération des algues vertes, les dangers que celles-ci font peser sur l’environnement et les êtres vivants, les plages fermées, inaccessibles pour les riverains, mais aussi les conditions d’élevage des porcs. 

Marine Calmet, présidente de Wild Legal

Au terme d’un réquisitoire accablant, la parole est enfin à la défense. « C’est un procès politique, qui vise à demander la destruction du système agricole. » Myriam, l’avocate, rappelle le taux de suicide des agriculteurs, auxquels il est demandé de produire toujours plus, alors même que leur nombre diminue. Elle met également en avant le manque d’études scientifiques établissant des liens de causalité clairs entre élevages porcins et marées vertes bretonnes. Les intérêts des industriels sont alors habilement défendus, les contre-arguments lancés avec conviction frisant parfois l’outrance : « Ils veulent un retour au Moyen Âge ! », s’indigne Myriam.

La poussière de la bataille retombée, les trois juges du jour livrent leur verdict. Tout en remerciant les participants pour le bon niveau de leur plaidoirie et la difficulté de l’exercice, compte tenu du peu de temps qu’ils avaient pour présenter tous leurs arguments, ils insistent sur deux points : la question de la recevabilité, qui n’a pas été abordée, et la faiblesse des preuves avancées, qui pourrait entraîner une possible expertise aux frais du plaignant. 

De la fiction à la réalité

Que les soutiens de L214 se rassurent : le procès est, de toute façon, fictif. Organisées chaque année par Wild Legal depuis trois ans, ces simulations réunissant un vingtaine d’étudiants en droit sont toutefois inspirées de faits réels. Durant une année, des jeunes volontaires travaillent sur une plaidoirie ensuite portée par l’équipe la plus convaincante. « On s’inspire des Moot Courts, des concours de procès simulés très courus dans les universités anglo-saxonnes, explique Simon Rossard, cofondateur de Wild Legal. La grande différence, c’est que l’on s’appuie sur des cas concrets. » Du concret, c’est justement ce qu’est venu chercher Raphaël, qui vient de passer le barreau avec succès. Le futur avocat estime que les concours de plaidoirie sont généralement trop fondés sur l’éloquence là où, pour Wild Legal, il a passé six mois à travailler à partir du réel. Jusque-là peu porté sur le droit de l’environnement, il aimerait désormais en faire sa spécialité. « En tant qu’avocat, on a un rôle à jouer, assure-t-il. Il faut engager des actions pour que les choses bougent. Nous sommes une sorte de porte-parole pour faire entendre la voix d’un fleuve, des animaux ou des associations. »

Fictif aujourd’hui, le procès pourrait néanmoins devenir une réalité dans un futur proche. « La première année, notre association a une utilité activiste et formatrice ; la deuxième année, après le procès fictif, on fait avancer le sujet dans une démarche politique ou judiciaire en accompagnant des ONG », détaille le cofondateur. Les procès ne sont pas une finalité pour Wild Legal, qui privilégie, autant que possible, les démarches de conciliation. Après un procès simulé autour de l’orpaillage illégal en Guyane, l’association a par exemple publié un Livre blanc pour les droits des fleuves et des peuples de Guyane, dans lequel elle présente de nouveaux outils pour assurer la défense des droits des peuples du fleuve et des écosystèmes amazoniens.

La fin de la coupe  des queues des cochons

À l’issue des plaidoiries, Brigitte Gothière, cofondatrice de L214, une de deux associations requérantes de ce procès fictif avec Sauvegarde du Trégor, se réjouit du travail accompli : « C’est plus vrai que nature ! Ce qui se joue en défense comme en attaque est proche de ce que l’on observe dans nos procès. » L’association de défense du droit des animaux entretient depuis l’origine un rapport étroit avec la justice. D’une part, parce que « L214 » est tiré de l’article L214-1 du code rural et de la pêche maritime, qui, pour la première fois dans le droit français, désignait les animaux comme des « êtres sensibles » ; et, d’autre part, parce que l’association s’est, très tôt, retrouvée sur le banc des accusés pour avoir tourné des vidéos en caméra cachée qui lui ont rapidement valu des dépôts de plaintes. 

Brigitte Gothière reconnaît que la défense a bien joué sa partition lors du procès fictif en essayant de miser sur la dimension politique de l’affaire. Ce qui n’enlève, selon la militante, rien à la pertinence d’une telle démarche judiciaire : « Après avoir porté plainte pour mauvais traitements envers des animaux et tromperie du consommateur contre un élevage de cochons qui coupait les queues des bêtes, nous avons réussi à le faire condamner en première instance en avril dernier, se satisfait Brigitte Gothière. La coupe des queues des cochons était une pratique tolérée par l’État, alors qu’elle est, dans les faits, interdite. À partir d’un cas concret, on peut soulever une problématique globale. » L’éleveur a fait appel, mais si le jugement en deuxième instance le condamne à nouveau, cela pourrait avoir des conséquences sur d’autres exploitations qui pratiquent largement cette coupe – réalisée pour que les porcs stressés par les conditions industrielles de leur captivité cessent de se mutiler en se mangeant la queue les uns les autres. Ces exploitations seraient reconnues dans l’illégalité. 


Toutes les parties prenantes de Wild Legal s’accordent à dire que le droit peut être un allié de poids dans la bataille écologique. « Je crois que le droit doit aider dans cette lutte, affirme Jordan, un des avocats du jour. Il permet de jouer sur deux leviers : inciter les comportements et poser des interdits. C’est donc une arme parfaitement compatible avec la cause écologique, mais, pour cela, la loi doit être claire et précise. » Or, le jeune homme diplômé d’un master 2 en droit des affaires estime qu’en la matière, la France est en retard sur certains pays tels que l’Allemagne et les Pays-Bas. Raphaël, qui a plaidé avec lui, insiste également sur ces lacunes : « En matière de droit environnemental, on manque d’un cadre législatif fort. Sur la souffrance animale, il n’y a quasiment rien. »

Imaginer la loi de demain

Réputée claire et précise, la loi ne l’est apparemment pas encore assez lorsqu’il est question d’écologie, selon Wild Legal et la plupart des cabinets et juristes spécialisés. Dans l’espoir de faire avancer les choses, l’association a d’ailleurs fourni son expertise à la Convention citoyenne pour le climat (CCC), afin que cette assemblée de citoyens tirés au sort puisse dégager une définition du crime d’écocide – la proposition d’une pénalisation de l’écocide qui en est issue a ensuite été sabordée par le gouvernement. C’est afin de souligner ces vides criants dans la législation française que les procès fictifs de Wild Legal se fondent sur des faits réels, tout en proposant de s’appuyer sur des lois nouvelles que l’association formule et affine. Pour ce procès fictif, la charte de l’environnement a ainsi été complétée pour faire de l’animal l’égal de l’humain en droit, en précisant que tout être vivant a le droit « au respect de ses exigences biologiques ».

Imaginer les lois de demain, c’est aussi ce qui a motivé Brigitte Gothière. « Nous avons rejoint le programme de Wild Legal car la démarche et son côté prospectif nous ont intéressés, explique la cofondatrice de L214. Il faut aller plus loin que ce que les législateurs peuvent proposer. » Comme sur bien d’autres sujets, le temps juridique est en retard sur les évolutions sociétales et écologiques. « Le processus législatif est long, et le juge peut, d’une certaine façon, accélérer les choses, avance de son côté Jordan. Le juge ne crée pas la loi, mais il peut suivre une réalité sociale. Il est en aval, mais il peut aussi devenir un juge de l’amont et anticiper les problèmes, agir avant qu’une espèce ne disparaisse. L’environnement renouvelle son office. »


L’équipe de Wild Legal espère que son initiative influencera positivement le droit, et que celui-ci pourra ainsi se mettre au service de l’environnement. « On veut créer une émulation juridique, notamment par le biais de cet événement final et public. L’idée est de montrer que le droit est encore incomplet en la matière et, donc, de rassembler un maximum de personnes pour imaginer et intégrer de nouvelles pratiques. Tout notre travail est d’ailleurs mis à disposition du public. » Les premiers à tirer bénéfice du travail de l’association, ce sont les étudiants. Contrairement à leurs années de droit, ils pratiquent directement. Raphaël a été surpris par la charge de travail que cela représente, mais se réconforte en pensant qu’il a beaucoup appris. L’expérience est d’autant plus enrichissante que les participants doivent obligatoirement passer des deux côtés de la barrière : tantôt en défense, tantôt en attaque. D’ici à être véritablement avocats au sein d’un cabinet, les jeunes juristes pourront déjà offrir leur conseil juridique. « On a d’ailleurs rencontré l’avocat de l’association Sauvegarde du Trégor dont on assurait la défense avec L214, rapporte Raphaël, et il nous a proposé de suivre l’affaire, voire de participer à des actions s’il faut des bénévoles juristes. » Dans les « vrais » tribunaux, le combat contre les algues vertes ne fait donc sans doute que commencer.

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NUMÉRO 66 : OCTOBRE-NOVEMBRE 2024:
La crise écologique, un héritage colonial ?
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