Chronique

Salomé Saqué : Paris 2024, la médaille de l'argent

Dans sa nouvelle chronique pour Socialter, la journaliste Salomé Saqué s'attaque à la face honteuse de l'organisation des JO de Paris 2024, entre travail dissimulé, billets hors de prix et autres scandales...

À chaque grand événement sportif international, c’est la même histoire. Le budget est exorbitant, seule une poignée de privilégiés y a accès, tandis que les plus pauvres sont sommés d’aller habiter ailleurs pour laisser la place à des infrastructures flambant neuves – infrastructures érigées grâce à l’exploi­tation des mêmes classes populaires et promises à être peu ou pas utilisées par elles. La même histoire, encore et encore : ça a été le cas pour la Coupe du monde de football au Qatar, pour les Jeux olympiques au Brésil, pour les JO précédents en Chine… Mais pas cette fois.

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Cette fois, c’est différent : l’événement ne se déroule pas n’importe où mais bien en France, à Paris. Les organisateurs l’assurent d’ailleurs en tête de leur site dédié, ils souhaitent « s’imposer les plus hauts standards éthiques et de transparence pour livrer des Jeux exemplaires », mais aussi rendre cet événement populaire : « Engagé dans un projet d’inclusion et d’ouverture, Paris 2024 souhaite que cette cérémonie soit accessible au plus grand nombre. »

On a envie d’y croire. Seulement les Jeux n’ont même pas commencé et déjà le vernis craquelle. Emmanuel Macron, qui avait assuré qu’il n’y aurait plus un seul SDF avant la fin de son premier quinquennat, aurait mieux fait de tenir sa promesse car ces sans-abri, au nombre de 300 000 en France, sont aujourd’hui bien embarrassants. Premièrement parce qu’en Île­-de-­France, certains propriétaires des hôtels dans lesquels étaient logés ces SDF de manière provisoire rompent leur contrat avec les associations leur portant assistance pour faire des travaux de rénovation et accueillir ensuite des touristes à l’occasion des Jeux olympiques. Deuxièmement, car les Jeux vont devenir la vitrine du pays pendant deux semaines, et que des camps de SDF ou de migrants en région parisienne, cela n’est pas l’image du pays que le président de la République souhaite donner.

Chaises musicales

Par conséquent, le gouvernement a pris les choses en main et donné une belle illustration de l’expression « cacher la misère » en débutant l’évacuation des sans-abri vers des villes de province. Le jeu des chaises musicales a débuté, il faut caser les SDF parisiens à tout prix hors de la capitale, quitte à… évacuer d’autres sans-abri en province. C’est ce qu’il s’est passé à Montgermont près de Rennes, où un hôtel qui hébergeait des familles migrantes à la rue a été évacué par la police à la fin du mois de mai pour libérer les locaux et accueillir leurs homologues parisiens. Selon les associations sur place, ils ont été relogés dans d’autres départements bretons alors qu’ils sont parfois malades, ont des enfants scolarisés ou exercent un emploi dans la région rennaise.

Et non seulement il faut déplacer des SDF, mais il faut aussi trouver des logements pour le personnel mobilisé lors de l’organisation des JO. Parmi les stratégies mises en œuvre : l’utilisation des résidences universitaires du Crous, généralement libérées par une bonne partie des étudiants en été. Ceux qui restent ont donc été ravis d’apprendre par mail au début du mois de mai qu’ils devraient « mettre à disposition » leur logement pendant les mois de juillet et août 2024, pour être « relogés » eux aussi. Où ? Personne n’a pour l’instant apporté de réponse précise à cette question, mais les chaises ne vont pas tarder à valser là aussi, semble-t-il. Seul moyen de conserver son logement sans avoir à déménager en plein été : s’engager bénévolement dans l’organisation des Jeux. « Un chantage intolérable : du volontariat forcé ou l’expulsion », estimait la coordination des organisations étudiantes franciliennes dans les colonnes du Monde en mai dernier.  

Des Jeux hors de prix réservés aux plus fortunés

Une autre dimension inévitablement abordée lorsque l’on parle des JO : l’argent. Ces Jeux coûtent cher, très cher. Le budget (privé et public) annoncé en 2019 de 6,8 milliards d’euros a déjà été dépassé de 2 milliards d’euros, et cela ne prend même pas en compte certains aspects comme le dispositif de sécurité (sur ce point, l’Assemblée nationale a voté une loi en mars autorisant le déploiement de vidéosurveillance « algorithmique », scannant les foules et détectant les comportements suspects, malgré les nombreuses alertes des associations de défense des libertés). Pierre Moscovici, le président de la Cour des comptes, avait estimé en janvier 2023 que l’investissement d’argent public dans ces Jeux pourrait atteindre tout compris « autour de 3 milliards d’euros». Une énorme dépense d’argent public pour un intérêt public, donc ? Encore loupé : en ce qui concerne sa dimension populaire, c’est plus que discutable, là aussi. Les places mises en vente dès le mois de février, via un tirage au sort, ont suscité de nombreux cris de colère à cause de leur prix parfois exorbitant.

Si Paris 2024 vend tout de même un million de billets à 24 euros, sur 10,5 millions de tickets au total, il faut rappeler que c’est moins que Londres qui en garantissait 2,5 millions à 23 euros ou encore que les Jeux de Rio De Janeiro où la moitié des places étaient à 13 euros. De plus, le reste des billets atteint des prix vraiment excessifs, 990 euros pour des sessions d’athlétisme, ou encore 2 700 euros pour la cérémonie d’ouverture. Mais si ces Jeux coûtent cher, les organisateurs comptent sur les retombées économiques, pourtant jamais véritablement chiffrées.

Rappelons que l’accueil des JO n’est que très rarement rentable, cela peut même plomber le budget d’une ville ou de tout un pays. À Athènes par exemple, les JO 2004 avaient porté un coup aux finances grecques juste avant la crise de 2008, alors qu’à Montréal, où les Jeux se sont déroulés en 1976, la dette n’a été remboursée qu’en… 2006 ! En ce qui concerne la France, les organisateurs misent sur le boom du tourisme bien sûr, mais des économistes pointent l’effet d’éviction : les touristes « sportifs » pourraient remplacer les autres touristes, qui éviteront de venir pendant la tenue de l’événement.

Travail dissimulé

Bon, mais au moins, les JO seront une grande liesse populaire où de nombreux citoyens vont s’impliquer, créer du commun et des liens… Sauf que celles et ceux qui font tourner la machine ne sont guère plus privilégiés que les spectateurs. Les 45 000 bénévoles ne seront pas rémunérés pour leur mission, ni logés ni défrayés. Seuls un panier repas et un ticket de transport en commun leur seront fournis, et ils ne pourront même pas se rendre sur place en dehors des horaires travaillés. Certains collectifs ont dénoncé ce fonctionnement, qu’ils n’hésitent pas à qualifier de « travail dissimulé ».

Enfin, les chantiers de construction des infrastructures pour accueillir les Jeux ont eux aussi été sous le feu des critiques. La presse a relayé les cas de plusieurs travailleurs sans-­papiers engagés dans différents lieux de construction. Beaucoup dénoncent des abus sur ces chantiers financés par l’État, notamment des salaires impayés, au point qu’en juin 2022, le parquet de Bobigny a ouvert une enquête pour travail dissimulé.

Bref, si le comité d’organisation continue à marteler que Paris 2024 sera un événement « populaire » et « accessible à tous », pour l’instant les Jeux semblent surtout s’inscrire dans la longue tradition de ces grands événements sportifs, qui font vibrer des milliards de personnes à travers leur écran, mais dont seuls les plus favorisés peuvent profiter sur le terrain.

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NUMÉRO 66 : OCTOBRE-NOVEMBRE 2024:
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