L'écologie ou la mort

Manuel de rhétorique à l'usage du repas de Noël

Jean-Michel, c’est ton oncle pas vraiment climato-négationniste, mais un peu écolo-sceptique. Son problème, c’est qu’à force de regarder les talk-shows sur CNews, son intérêt pour l’écologie en a pris un sacré coup. À qui veut l’entendre, il répète qu’il n’a aucune intention d’infléchir son mode de vie. Le repas de Noël est alors devenu pour lui une sorte de tribune annuelle, une occasion sublime pour fracasser la paix familiale en sortant sur un ton bourru quelques énormités. D’habitude, tu te servais un autre verre en soupirant. Cette année, tu as décidé que c’était à ton tour d’aller ferrailler avec Jean-Michel. Mais, aussi, de ne pas tomber dans son jeu : le laisser te hérisser le poil, te faire sortir de tes gonds et abandonner toute argumentation au profit d’anathèmes à réchauffer un marron glacé. L’esprit de Noël, c’estaussi ça : les miracles arrivent… et Jean-Michel peut se laisser convaincre que le combat écologique est l’enjeu du siècle.

Cet article est issu de notre hors-série L'écologie ou la mort, disponible en librairies. 

« Le GIEC, c'est idéologique ! »

« Mais tu sais, tu devrais lire le dernier rapport du Giec qui pour la première fois établit qu’il n’y a plus aucun doute sur l’origine humaine du changem… » Jean-Michel postillonne une scorie de pain surprise avant de te couper la chique : « C’est toujours la même chose avec les écolos ! Ils brandissent le Giec et la science pour mieux dissimuler leur combat idéologique. » Et de réciter son mantra : les experts du climat ne sont pas objectifs, ce sont des écolos déguisés en professeurs, nous avons affaire à une Internationale des Verts, etc. Ce qu’il ignore, c’est que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat est justement mandaté pour « évaluer, sans parti pris et de manière méthodique et objective, l’information scientifique, technique et socio-économique disponible en rapport avec la question du changement du climat ». En somme, le Giec ne « produit » rien : il synthétise une fois tous les 5 à 7 ans l’état des lieux des connaissances dans les différents domaines qui ont trait au climat à partir des publications dans les revues scientifiques. En réalité, les solutions proposées par le Groupe 3 en vue de limiter les émissions ou d’atténuer les impacts de la catastrophe sont même tenues par beaucoup d’écologistes comme conservatrices, allant dans le sens d’un capitalisme « vert ». Bref, Jean-Mi, ton procès en gauchisme ne tient pas la route… 

Notre conseil cadeau :


Atlas de l’Anthropocène, 2e édition actualisée et augmentée, Presses de Sciences Po, 2021, 174 pages, 25 €.

Pour se rendre compte, grâce à des données étayées scientifiquement, des bouleversements écologiques en cours.

« Deux degrés, c'est pas si horrible ! »

« Tu sais, moins on en fait, pire ce sera… un réchauffement de 1,5 °C à la fin du siècle est déjà tenu pour inévitable, et même 2 °C. » Jean-Michel sirote une gorgée de crémant : « Deux degrés, c’est pas la fin du monde ! L’été sera trop chaud, mais l’hiver plus doux, et puis on fera pousser du blé en Sibérie. Au pire du pire, on envisagera un déménagement à Dunkerque, ah ! ah ! ah ! » Oui, mais le seul souci, tonton, c’est que les températures globales invisibilisent une autre réalité : celle des dynamiques climatiques locales. Le réchauffement est ainsi plus intense sur les surfaces terrestres que maritimes ; il atteint d’ailleurs son maximum dans les zones équatoriales (qui abritent la plus grande biodiversité) et surtout les zones polaires (où la fonte du permafrost et des glaces sont des bombes de CO2 à retardement), avec un réchauffement jusqu’à 6 à 7 fois plus rapide que la vitesse moyenne du réchauffement sur Terre. Par ailleurs, les écosystèmes évoluent, certes, mais ils sont fragiles : pour beaucoup, une augmentation légère mais brutale peut conduire à l’extinction rapide d’espèces. Nous pourrions même assister à un appauvrissement massif des biomes (zones géographiques avec une flore, une faune et un climat caractéristiques) partout sur la planète, avec des conséquences imaginables, mais aussi imprévues. Enfin, les événements climatiques extrêmes devraient continuer à se multiplier.

Notre conseil cadeau

Les Bêtes du Sud sauvage
Film réalisé par Benh Zeitlin, 1 h 29, 2012,7,99 € (achat VOD). 
Pour voir à quoi pourrait ressembler le quotidien de nombreux Terriens lorsque le climat aura été bouleversé.

« Ça va, on a bien réglé le trou dans la couche d'ozone... »

« Tu n’as pas l’air inquiet, mais c’est le plus grand défi auquel nous ayons jamais été confrontés ! » Jean-Michel semble ne pas t’écouter (du rab de pâté-croûte vient d’apparaître dans son champ de vision). Mais contre toute attente, il réplique : « Tu es un peu jeune, tu ne peux pas te rappeler que dans les années 1990, on en faisait des caisses sur la couche d’ozone. On arrivera bien à s’entendre au niveau international pour les gaz à effet de serre, et le problème sera réglé ! » C’est vrai que l’histoire du protocole de Montréal est belle puisque celui-ci a été ratifié par l’intégralité des pays du monde et a été globalement respecté – la couche d’ozone devrait revenir à son niveau de 1980 d’ici quatre décennies. Sauf qu’il s’agissait d’interdire l’usage de certains aérosols dont les chlorofluorocarbures (CFC), auxquels les industries du froid, des nettoyants industriels ou encore des mousses isolantes avaient recours. C’est là que le bât blesse : les CFC étaient circonscrits à certains usages, substituables, tandis que toute combustion d’énergie fossile émet du dioxyde de carbone, un gaz à effet de serre (GES) qui compte pour 65 % du réchauffement d’origine humaine. On ne peut donc pas « interdire » les GES : il faut trouver des moyens de vivre avec un minimum de combustion de biomasse, morte ou vivante.

Notre conseil cadeau

L’homme a mangé la terre
Documentaire réalisé par Jean-Robert Viallet, Arte, 2019, 6,99 € (achat VOD). Pour mieux saisir, à l’aide de formidables archives, quelles raisons nous ont précipités au cours des deux derniers siècles dans l’impasse.

« Je fais déjà ma part !  »

« La clef, c’est une planification collective, car c’est tout notre mode de vie occidental qu’il faut changer ! » Jean-Michel, excédé, charcute furieusement le haut de cuisse de son chapon : « Mais moi aussi, je suis écolo ! Regarde… » Il a en effet équipé en LED sa maison, ferme le robinet en se brossant les dents, trie ses déchets et a réduit (un peu) sa consommation de viande. Bref : il fait sa part. Il faudrait pourtant que Jean-Michel prenne conscience que ce n’est ni à lui ni à quiconque de prendre seul en charge la responsabilité de l’écologisation de son mode de vie. Non pas que ce soit négligeable : une étude du cabinet Carbone 4 intitulée précisément « Faire sa part » note que, sur la base de 12 écogestes, l’empreinte carbone des Français pourrait être ainsi réduite de 5 à 10 % en considérant une hypothèse qualifiée de « réaliste », à savoir qu’une partie des citoyens opère ce tournant écolo sans transformation structurelle de grande ampleur. C’est bien, mais trop peu : pour respecter l’accord de Paris, il faudrait atteindre une réduction de 80 % de l’empreinte carbone moyenne ! Même en cas de scénario « héroïque » où chacun adopterait les habitudes les plus écolos qui soient, cette réduction plafonnerait à 25 % selon l’étude. Clairement, une armée de colibris ne suffira pas à éteindre l’incendie.

Notre conseil cadeau


Un aller-retour en train à Lyon, le 5 mars 2022 (en seconde classe) Prix variable. 
Pour se joindre aux Soulèvements de la Terre, prendre d’assaut le siège de Bayer-Monsanto, et goûter aux joies de l’action collective.

« On trouvera bien des solutions technologiques »

« Et puis tu sais, Jean-Mi, ce modèle de civilisation n’est pas durable, on va tout droit vers une pénurie de ressources, et je ne parle pas que du pétrole… » Tu pensais bien faire en abattant la carte du pragmatisme : imparable sur le papier… Mais non, Jean-Michel renâcle devant la deuxième tournée de haricots verts. Le voilà qui critique ton manque de foi dans le génie humain et les progrès de la science. Passée l’algarade, tonton retrouve son calme et décide de te répondre selon un plan en trois parties. Un : les progrès dans l’efficacité énergétique permettront de suffisamment décarboner notre système pour ne pas avoir à en changer. En gros, explique-t-il, on va stocker l’énergie dans des batteries, optimiser la consommation à tous les niveaux, capturer le carbone atmosphérique, ou créer des systèmes « intelligents » grâce à la révolution numérique. À ton tour : le souci, rétorques-tu, c’est que tous ces systèmes « innovants » ou « intelligents » sont, eux aussi, très gourmands en matière, donc polluants. Si des gains en efficience ont été réalisés, rien n’indique qu’ils puissent permettre une baisse suffisante des émissions. Surtout, il faut redouter l’existence de l’effet rebond (ou « paradoxe de Jevons ») – Jean-Michel lève un sourcil interrogatif pour que tu lui expliques. En réalité, dans nos sociétés industrielles, toute économie à la source est effacée par une surconsommation : puisqu’on arrive à dépenser moins, on produit plus. Exemple : quand on optimise les flux Internet avec la 5G, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils soient moins utilisés mais que, au contraire, leurs usages s’intensifient, donc qu’ils consomment plus d’énergie et polluent plus.

Ok, Jean-Michel passe au deuxième point, car lui, indique-t-il, préfère se concentrer sur la source d’énergie. Certes, le pétrole va manquer, mais on couvrira la planète de champs d’éoliennes, de panneaux solaires voire de centrales nucléaires. Bien tenté, Jean-Mi, mais aucun scénario de transition énergétique sérieux ne laisse augurer qu’il soit possible de remplacer la consommation énergétique (croissante) actuelle fondée sur les hydrocarbures par des sources d’énergies renouvelables (ou pas, comme le nucléaire).« Mais nous maîtriserons bientôt les procédés de la fusion nucléaire, s’accroche Jean-Michel, qui abonde : Contrairement à la fission actuelle, elle ne sera pas source de déchets radioactifs, sera quasi infinie et à même de supplanter charbon et pétrole ! » Là encore, les essais expérimentaux ne garantissent pas que nous soyons un jour capables de déployer la fusion à une échelle industrielle. Jean-Michel se décide à jouer son va-tout : le pessimisme.

Trois : c’est foutu pour faire bifurquer le système, mais « nous allons directement intervenir sur le climat mondial pour réparer nos bêtises ! » C’est la voie de la géo-ingénierie : balancer du soufre en haute atmosphère pour refroidir la température moyenne, sauver les barrières de corail avec des films protecteurs, modifier génétiquement les espèces vivantes pour améliorer leur capacité à s’adapter, modifier la météo en ensemençant les nuages de différents aérosols… Ce Jean-Michel-là aime les jeux de Kapla : plus la tour monte, plus elle se déséquilibre, plus il faut compenser. Sauf qu’à la fin, la tour s’écroule toujours. Quel que soit ton Jean-Michel à table, tu ne peux dire que ses hypothèses sont impossibles, juste extrêmement improbables. Sa logique est celle du pari : jusqu’ici, on s’en est sorti. Et toi aussi, en tant qu’écologiste, tu fais un pari : celui du réalisme.

Notre conseil cadeau :


Rêveries d’un ingénieur solitaire, Le bonheur  était pour demain
,  Philippe Bihouix,  Seuil, 2019, 384 pages, 19 €. 
Pour déconstruire avec  un ingénieur bien éveillé  les mystifications  que nous vendent les « technosolutionnistes ».

« Le vrai problème, c'est la démographie africaine »

« Mais Jean-Michel, tu dois bien te rendre compte que le mode de vie consumériste n’est pas tena… » Jean-Michel t’interrompt en brandissant doctement une huître. Ton argument serait typique des « gauchistes nouvelle génération » – ou pire, emblématique de la culpabilité de l’Occident postcolonial. Car lui le sait bien, le vrai problème qu’évite toujours la bien-pensance, c’est la démographie. Jean-Michel n’a pas complètement tort : le sujet est quelque peu tabou et trop facilement écarté d’un revers de main. Stratégiquement, mieux vaut alors commencer par céder du terrain : c’est vrai, la démographie est un sujet incontournable. Les capacités de la biosphère à fournir des sols pour l’agriculture, du bois de chauffage ou même de l’eau douce ne sont pas infinies. Pas question de nier les lois fondamentales de la physique : sur une Terre aux ressources limitées, il y a potentiellement un « nombre d’humains maximum ». Sauf que ce nombre varie beaucoup selon l’organisation socio-économique des groupes humains. Cent personnes évoluant dans une société agraire n’exercent pas la même pression sur les ressources que cent clients de Burger King. Quelques données peuvent être mobilisées pour enfoncer un coin dans les certitudes vaguement malthusiennes de Jean-Michel. Ainsi, les 10 % les plus riches dans le monde pèsent pour 50 % des émissions. L’empreinte carbone d’un Rwandais (en excluant les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres) se situe entre 0,2 et 0,4 tonne de CO2, d’un Français entre 7 et 11,9 tonnes, d’un Américain entre 10,9 et 24,2 tonnes. Autre calcul : un Américain aisé émet autant que 6 Français pauvres, 10 Rwandais riches et plus que 240 Rwandais pauvres. Si tout le monde vivait comme un Luxembourgeois, il faudrait 6 planètes, 4 planètes si nous étions tous Belges, 3 si nous étions Allemands… La « population mondiale » n’existe pas ! 

Second argument : de toute manière, la démographie, on n’y peut pas grand-chose. Les projections de croissance sont toujours des hypothèses, suivent de longues périodes de temps, et il n’y a que deux moyens pour une population d’opérer sa stabilisation : des politiques extrêmement autoritaires de limitation des naissances (« C’est ça que tu veux, Jean-Mi, une dictature ? », s’écrie tatie Gisèle), ou des progrès dans l’organisation et la sécurité sociales. Le calme revenu, tu en profites pour déployer ton dernier argument : la démographie est un trompe-l’œil si l’on considère l’échelle de temps et la soutenabilité. Même s’il n’y avait qu’un seul milliard d’individus à fouler cette Terre, s’il avait adopté le mode de vie qui est le nôtre, il serait confronté aux mêmes problèmes, mais plus tard : il vivrait simplement à crédit plus longtemps. Si l’on veut prendre intelligemment la question démographique sous un angle écologique, il faudrait plutôt se demander : combien de personnes ayant adopté un mode de vie soutenable pour la biosphère peuvent vivre en même temps dans les sociétés humaines ? Huit milliards ? Dix milliards ? Les études sur cette question manquent encore, et tout dépend de paramètres peu étudiés, à commencer par la capacité de la permaculture à nourrir autant d’êtres.

À ce sujet, on peut même se montrer optimiste : une étude de Nature Communications datant de 2017 établissait, par exemple, qu’il serait possible de nourrir plus de 9 milliards d’êtres humains en 2050 avec 100 % d’agriculture biologique. Mais à deux conditions : réduire le gaspillage alimentaire et limiter la consommation de produits d’origine animale (pose ce foie gras, Jean-Mi).

Notre conseil cadeau :


Le numéro 44  de Socialter,  « Sommes-nous trop nombreux ? »  (et un abonnement  d’un an pour 39 €,  6 numéros  + accès numérique).
Pour s’offrir un tour d’horizon de l’articulation  – ô combien épineuse –  des questions  démographiques  et écologiques, et faire un peu de prosélytisme pour Socialter.  Merci d’avance.

« L'écologie au pouvoir, c'est les khmers verts ! »

« Il va falloir se préparer à renoncer à certaines choses, et même certainement interdire certains biens et usages… » Quelque chose ne passe pas dans la gorge de Jean-Michel, qui s’étouffe. C’est le trou normand « qui tabasse ». Il pointe vers toi un doigt accusateur : « Tu vois bien que l’écologie, c’est autoritaire et liberticide ! » En réalité, Jean-Michel et toi ne parlez pas de la même chose. Il est vrai que face à l’épuisement des ressources, aux phénomènes extrêmes et aux chocs à venir (une pandémie, au hasard), des gouvernements pourraient adopter des politiques extrêmement autoritaires de contrôle des populations et de leur mode de vie. Il est aussi possible, tu le concèdes, que la technocratie se « mette au vert » et veuille organiser toute la société selon des principes et des normes spartiates. Mais l’écologie politique, elle, n’a jamais été autoritaire, au contraire. Presque tous ses courants historiques ont défendu la nécessité de la démocratie directe et locale contre la centralisation autoritaire du pouvoir étatique. Et pas que par principe ou par tradition de gauche : pour opérer une bifurcation écologique d’ampleur, il faut embarquer toute la société. Or seule la démocratie peut conférer cette légitimité et amoindrir les résistances éventuelles.

Notre conseil cadeau :


Dark Waters
,  Film réalisé par  Todd Haynes avec  Mark Ruffalo, 2019, 2 h 06, 7,99 €  (achat VOD).
Pour ne pas oublier  qui sont les vrais ennemis : ceux qui mutilent nos vies  et mettent en péril l’habitabilité de la planète,  à savoir les promoteurs  de l’industrie productiviste. 

« Peu importe ce que l'on fait, les autres pays ne bougeront pas ! »

« Il est impératif que le pays des Lumières soit à la hauteur ! » Jean-Michel fait la moue devant ta naïveté et dépose un morceau de camembert dégoulinant sur le bord de son assiette. « Non seulement réaliser la transformation écologique que tu appelles de tes vœux nuirait aux intérêts de la France, mais en plus nous serions les seuls à le faire, donc autant, ben… » Ne rien faire ? Tu gardes ton calme : le mur des limites planétaires est bien là, alors autant ralentir dès maintenant plutôt que de le prendre à pleine vitesse plus tard. C’est l’idée de décroissance choisie plutôt que subie. Par ailleurs, l’action des différents États est soumise au jeu des contraintes physiques. Celles-ci vont inévitablement s’intensifier, avec leur lot de catastrophes et de pressions sur les ressources vitales – réserves d’eau, rendements agricoles, etc. – ce qui augmentera la pression des populations sur les gouvernements. Et pourquoi ne pas se montrer un peu optimiste ? L’agir est toujours social : tout ce que nous entreprenons est, en partie au moins, déterminé par le regard des autres. Si une ou plusieurs nations opèrent une transformation écolo ambitieuse, cela aura des impacts économiques, politiques et aussi symboliques. Dans les autres pays, cela fera un bon contre-poids au soi-disant « pragmatisme » du statu quo écocidaire !

Notre conseil cadeau :



Le Cri du peuple
(intégrale) Bande dessinée  sur la Commune de Paris de Jacques Tardi, d’après le roman de Jean Vautrin,  Casterman, 2021 [2001],  176 pages, 25 €. 
Pour se rappeler qu’en politique, rien n’est jamais figé. Ceux qui affirment l’inverse sont d’ailleurs le plus souvent ceux qui ont un intérêt objectif à ce que rien de change.

« Les écolos sont des peines-à-jouir, des obscurantistes, des Amish ! »

« Jean-Michel, c’est pas si terrible ce qu’on propose. Au fond, il s’agit seulement d’être plus sobre, de perdre en pouvoir d’achat pour gagner en pouvoir de vivre ! » Jean-Michel médite en contemplant le fond de son troisième verre de Gamay, avant de passer à l’offensive. Une vraie rafale : « L’écologie est passéiste, puritaine, austère, irrationnelle, pessimiste. D’ailleurs c’est un anti-humanisme : derrière l’amour de la nature, la haine de l’homme ! » Le gros sac du discours anti-écolo est sur la table : Jean-Mi a malheureusement lu Luc Ferry.

Ce n’est pas le moment de perdre ses nerfs, il faut argumenter méthodiquement. Concernant la supposée haine de l’homme, on fera remarquer à Jean-Michel qu’au-delà du fait qu’on fait ça pour ses petits-enfants (range la pancarte de manif’), la plupart des courants de l’écologie politique se soucient assez peu de la nature en soi. Écosocialisme, écologie sociale, décroissance… Ces pensées se préoccupent avant tout d’offrir aux êtres humains un modèle de société démocratique, capable de durer et offrant une voie à l’émancipation humaine qui ne passe pas par la domestication intégrale et destructrice de son environnement.

Ensuite, dire que nous sommes dans une impasse et que nous devons faire marche arrière pour prendre une voie adjacente n’est pas en soi obscurantiste ou passéiste, d’autant que c’est fondé sur les faits et conclusions scientifiques à disposition. Ce qui est irrationnel, en revanche, c’est de nier que nous sommes dans une impasse et de souhaiter continuer à aller tout droit. Peine-à-jouir, les écolos ? Punitifs ? On concédera à Jean-Michel que, peut-être, les écolos portent une responsabilité dans cette image, à force de trop insister sur les contraintes à prendre en compte et les inévitables renoncements à opérer. Mais encore une fois, la plupart a pour objectif l’épanouissement de la personne humaine !

Citoyen émancipé, libéré de l’injonction à la productivité et de l’organisation tayloriste, portant un regard plus riche et plus sensible sur les vivants et les écosystèmes dont il dépend… la sobriété heureuse ou l’abondance frugale dont parlent les décroissants ne ressemble pas à un univers concentrationnaire fait de rationnement et de pâtes sans pesto. Et Jean-Michel défend-il réellement les bienfaits de la société marchande, ses quarante heures (minimum) de travail hebdomadaire pour se payer une Clio en leasing et un abonnement Amazon Prime, ses maladies professionnelles et ses records de prise d’anxiolytiques ?


Quant à l’accusation de vouloir retourner à un passé mythifié, d’un retour au champ et à la disette, on rétorquera qu’il est vrai que, selon toute vraisemblance, nous devrons faire le deuil de ce niveau de confort et d’abondance matérielle, et probablement viser plutôt celui que nous pouvions connaître dans les années 1960 (pauvres bougres). Mais il n’est pas question d’arrêter de faire progresser la recherche. Il s’agit juste d’en fixer les modalités et, surtout, les finalités : les mettre au service d’une meilleure compréhension du monde où nous vivons. Même chose pour l’innovation technologique. À vrai dire, Jean-Michel n’en a probablement pas encore entendu parler, mais l’innovation low-tech est en plein essor, surtout en France ! Production d’énergie locale, moyens de locomotion bas carbone, maisons autonomes… Faire beaucoup avec moins, voilà une manifestation du génie humain qui vaut bien l’invention de la perche à selfie.


Notre conseil cadeau


Le Sel de la terre, Film documentaire réalisé par Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado, 2014 1 h 50, 4,99 € (achat VOD). 
Pour découvrir la vie, l’œuvre et le regard du photographe Sebastião Salgado, et ressentir avec lui l’irremplaçable beauté de notre monde.

« On a encore le temps ! »

« Quand je pense à cette présidentielle et tout le temps que nous allons perdre à parler de pseudo-sujets, alors que l’urgence est… » Bah ! Jean-Michel suçote bruyamment un litchi : « Toi et les écolos êtes toujours si alarmistes, mais pour l’instant ça ne va pas si mal, on a encore le temps de verdir tout ça. Bande de dramaqueens ! » On a encore le temps, mais le temps de quoi ? La catastrophe est déjà là, avec des records battus d’année en année pour la plupart des indicateurs. Jean-Michel ignore aussi probablement la notion d’« inertie climatique » : pour des raisons géophysiques assez complexes, quand bien même nous cesserions d’émettre intégralement du jour au lendemain, la température moyenne continuerait d’augmenter sensiblement, probablement au-delà du 1,5 °C visé par l’accord de Paris, avant de se stabiliser. L’écart entre l’action et son effet en matière climatique se compte en décennies, tandis que les gaz à effet de serre resteront dans l’atmosphère pendant des années – cent ans pour le dioxyde de carbone. Par ailleurs, l’écroulement des écosystèmes est déjà bien avancé. Certains modèles, dont le célèbre rapport Meadows, annoncent même le risque d’un effondrement généralisé des sociétés humaines d’ici 10 à 20 ans si rien n’est entrepris pour diminuer la pression anthropique !

Notre conseil cadeau


Effondrement, Série réalisée par le collectif Les Parasites, Canal+, 8 épisodes de 15 à 25 minutes,  Gratuit sur Youtube.  

Pour donner quelques sueurs froides à Jean-Mi et, surtout, qu’il comprenne que notre confort moderne ne tient qu’à un fil.

« Alors on a plus le temps, c'est foutu ! »

Jean-Michel écarquille les yeux. Est-ce la Chartreuse, ou bien les échelles temporelles que tu viens de mentionner ? Las, Jean-Michel sombre dans le nihilisme tandis que mamie commence à produire des ronflements sonores. « Puisque l’homme est égoïste, l’Occident suicidaire, le défi trop grand, alors nous sommes foutus. Il l’a entendu à la télé l’autre jour : c’est carrément la merde, tout va s’effondrer, et tout ça a été modélisé par des machines ! » Bon, déjà, ça arrange bien tout le monde cette histoire d’effondrement : ça évite de penser, ça évite d’agir, et puis, finalement, ça fait pas trop de vagues puisque les néopermaculteurs partent « résilier » tranquillement en forêt. Mais c’est un débat que tu auras une autre fois. Concernant la catastrophe écologique, il serait donc trop tard. Trop tard pour quoi ? C’est bien le problème des slogans selon lesquels on aurait « encore X années pour agir » : ils entretiennent l’idée d’un délai à l’expiration duquel tout serait foutu ! Sauf que la catastrophe écologique ne commence pas au-delà d’un seuil : elle s’aggrave au fur et à mesure. Moins on agira (ou plus tard on agira), plus on augmentera la température atmosphérique à la fin du siècle, plus les effets seront catastrophiques, voire cataclysmiques. Allez, Jean-Mi, à l’année prochaine !

Notre conseil cadeau



Coffret Mad Max Anthologie (Blu-ray),  Contient Mad Max, Max Max 2, Mad Max au-delà du dôme du tonnerre et Mad Max : Fury Road, 29,99 €.  
Pour imaginer à quoi pourraient ressembler nos petits-enfants si Jean-Mi ne change pas d’avis.


Cet article est issu de notre hors-série L'écologie ou la mort, disponible sur notre site et en librairies. À mettre entre les mains de tous, et particulièrement des Jean-Michel ! 

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NUMÉRO 65 : AOÛT-SEPTEMBRE 2024:
Fric fossile : Qui finance la fin du monde ?
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