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Campagne présidentielle : l'écologie a-t-elle gagné la guerre ?

Champ de blé - Est de l'Ukraine
Champ de blé - Est de l'Ukraine Photo : Polina Rytova

À chaque numéro, Socialter décrypte un enjeu écologique lié à la présidentielle de 2022 pour mettre en lumière les clivages et affrontements idéologiques qui se jouent au-delà des calculs politiques. Dans ce numéro, nous nous interrogeons sur l’impact que pourrait avoir le conflit ukrainien sur le discours écologique et les conséquences potentielles sur les choix énergétiques.

La guerre en Ukraine a eu l’effet que l’on sait en pareilles circonstances : elle a effacé tout autre sujet de débat et motif d’inquiétude. Notamment – et beaucoup s’en sont plaints – la parution du deuxième volet du nouveau rapport d’évaluation du GIEC quelques jours après le début du conflit. Il ne faudrait pas que les tanks nous fassent oublier la fin du monde. Sauf qu’en réalité, la guerre menée par Vladimir Poutine vient valider en creux de nombreux postulats de l’écologie politique, excédant de loin les simples objectifs d’équivalents tonne carbone – et de cela, les écologistes peuvent tirer quelque espoir.

Article à retrouver dans notre numéro 51 “L'écologie recrute !".
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À commencer, bien sûr, par la question du nucléaire. Même si une partie de l’angoisse s’est légitimement tournée vers la perspective d’un conflit nucléaire mondial qui ouvrirait la voie à une fin de l’espèce humaine à échéance remarquablement brève, il n’aura pas échappé à beaucoup que le nucléaire civil avait causé lui aussi certaines inquiétudes. Les coupures d’électricité à répétition à Tchernobyl, empêchant l’action des systèmes de refroidissement des réacteurs, puis les tirs de chars d’assaut à l’intérieur du périmètre de la centrale de Zaporijjia, la plus puissante d’Europe, ont rappelé que non seulement la guerre avait lieu dans un territoire hautement nucléarisé, mais que le nucléaire civil pouvait être vecteur de catastrophe.

Le catastrophisme des écologistes, hier tourné en dérision, reprenait un peu de superbe, tandis que l’on redécouvrait que le choix du nucléaire civil n’était pas seulement énergétique, mais nous demandait de consentir à l’épée de Damoclès d’un désastre contre lequel nous ne pourrions pas grand-chose. La démonstration de force de la Russie et ses missiles hyper­soniques, que rien n’empêche demain de viser une centrale nucléaire, nous l’ont démontré, si besoin était. 

Quand le grenier brûle

Seconde découverte : l’Ukraine et la Russie forment un grenier à blé dont 26 pays, principalement nord-africains, dépendent à plus de 50 % pour leurs importations. Le Liban, État failli et en proie à de nombreuses crises, dépend à 80 % de l’Ukraine (dont 95 % des exportations de blé ont été bloquées par les Russes) et ne dispose que de quelques semaines de stock. S’il fallait davantage d’huile sur le feu qui couve, l’indice réel des prix des produits alimentaires de la FAO, qui regroupe les denrées agricoles assurant l’alimentation de base, a atteint son plus haut niveau historique en février : supérieur à la crise de 2008, égal au pic pétrolier de 1973.

Et la situation pourrait s’envenimer davantage si les semis du printemps ne pouvaient être réalisés. Le spectre d’une pénurie alimentaire dans des régions déjà éreintées par une décennie de conflits (et parfois beaucoup plus) rappelle combien de menaces font peser sur la stabilité des pays et l’existence des populations la mondialisation de la production alimentaire, l’hyper­spécialisation de certains et l’hyperdépendance des autres. Et là encore, en creux, de valider les analyses écologistes quant à la nécessité d’une relocalisation de la production alimentaire et du développement de savoirs et pratiques favorisant l’autonomie et la sécurité, particulièrement dans les régions du monde où sévissent l’aridité et les aléas climatiques. 

Dernier rappel à l’ordre : les hydrocarbures nourrissent le réchauffement climatique autant qu’ils financent la guerre. Notre dépendance au pétrole et au gaz russe nous empêche de protéger efficacement nos intérêts, notre souveraineté, ou de venir au secours d’un pays voisin envahi. Ici encore, et plus manifestement qu’ailleurs, sont validés les postulats écologistes quant à la nécessité de tenir sa production d’énergie proche de soi.

Écologie de guerre ?

Sans surprise, c’est ce dernier point – faisant l’objet d’un large consensus quant au diagnostic – qui a concentré la plupart des analyses et commentaires des candidats à la présidentielle, barbotant dans l’espace connu et rassurant des questions énergétiques. D’un côté, ceux qui souhaitent se déprendre des hydrocarbures poutiniens en relançant le nucléaire comme jamais ; de l’autre, ceux qui souhaitent se déprendre de Poutine et de ses hydrocarbures en transitant rapidement vers du 100 % renouvelable.

Pour les premiers, on aurait aimé les voir répondre aux images de bombardement sur la centrale de Zaporijjia. Quant aux seconds, on souhaiterait savoir comment ils comptent relocaliser aussi la production des infrastructures d’énergies renouvelables… Et esquiver une dépendance nouvelle non plus à la Russie mais à la Chine, qui concentre la production de la plupart des métaux rares nécessaires aux éoliennes et aux panneaux photovoltaïques, frisant le monopole (98 %) pour les terres rares… Si les guerres du pétrole devaient appartenir au passé, cela signifierait certainement que nous avons basculé dans les guerres du tableau périodique.

De nombreux postulats de l’écologie politique sont validés, donc, mais peut-on pour autant dire qu’il y aura un avant et un après-guerre ukrainiens pour l’écologie ? Certains le croient, comme le philo­sophe Pierre Charbonnier qui parle de l’avènement d’une « écologie de guerre », soit une mobilisation idéo­logique et économique de l’Occident qui consisterait « à voir dans le tournant vers la sobriété énergétique “une arme pacifique de résilience et d’autonomie” ».

Autrement dit, une fusion du guerrier et de l’éco­logique : frapper les pétro-États en se passant de leurs hydrocarbures et, du même coup, devenir écolo pour punir ces dictatures. On est en droit de douter que cette improbable alliance dure au-delà des circonstances qui l’ont produite, ou que ce conflit soit capable « de créer dans la société européenne une mobilisation collective et une communauté d’intérêts autour des principes de l’écologie », voire un « patriotisme écologique ».

En revanche, l’Ukraine apporte une nouvelle preuve du bien-fondé et du « pragmatisme » de l’écologie politique, y compris en matière de sécurité internationale. Après avoir gâché l’opportunité que représentait la pandémie pour faire valoir ces arguments, les écologistes et leurs rares candidats ne devraient pas laisser filer celle-ci.

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NUMÉRO 66 : OCTOBRE-NOVEMBRE 2024:
La crise écologique, un héritage colonial ?
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