Éditorial

Édito. En défense des communs

Illustration : Sam Taylor

Découvrez l'édito de notre numéro 60 « La tragédie de la propriété » par Olivier Cohen de Timary, directeur de la rédaction.

« Une victoire historique pour l’Equateur et pour la planète », « un pays décide pour la première fois de défendre la vie et de laisser le pétrole dans le sol. » C’est en ces termes que le groupe environ­nemental Yasunidos s’exprimait au lendemain des résultats d’un référendum jugé historique. Le 20 août dernier, au terme d’un marathon de dix ans et d’un processus de démocratie climatique directe, les équatoriens ont pu voter à 59 % pour l’arrêt des forages pétroliers d’un gisement emblématique au sein du parc national Yasuni, au nord-est du pays. En réponse, la compagnie pétrolière nationale Petroecuador déclarait qu’elle se conformerait à la « décision souveraine » des équatoriens. Décision qui aurait pour conséquence de laisser sous terre l’équivalent de 60 000 barils par jour (12 % de la production nationale), protégeant ainsi l’un des endroits les plus riches de la planète en matière de biodiversité, ainsi que le droit des peuples autochtones.  

Pourquoi sommes-nous si étonnés qu’une telle décision puisse advenir ? Dans nos sociétés modernes, la propriété, qu’elle soit privée ou comme ici publique, ne garantit-­elle pas au propriétaire le droit d’user d’une chose ou d’une ressource (usus en latin), d’en percevoir les fruits (fructus), de la vendre ou d’en disposer sans limites (abusus) ? Parfois jusqu’à sa destruction, tout comme celle des éco­systèmes et des communautés qui l’entourent… Si nous sommes étonnés, c’est bien que la propriété, considérée comme absolue et naturelle, est au fondement de notre mode de production capitaliste, ayant pour corollaire productivisme et progrès technique. Un modèle qui, loin de préserver les ressources, nous mène plutôt vers leur épuisement et vers la destruction du vivant. 

Aujourd’hui, certains ont tendance à parler de Capitalocène, plutôt que d’Anthropocène, afin de qualifier ce processus qui s’accompagne d’une véritable « tragédie de la propriété ». Dès lors, afin de préserver les conditions d’habitabilité sur Terre, il apparaît primordial de questionner profondément notre rapport à l’appropriation des choses et du vivant. Et de substituer à l’opposition binaire « pour ou contre » la propriété, la question suivante : « quelle propriété ? ». Cela pourrait commencer par la limitation de la sacro-sainte propriété, en posant les bases d’une « propriété écologique » ayant pour essence la préservation des biens appropriés. 

L’histoire nous révèle que la notion de propriété, loin d’être figée, a déjà revêtu de nombreuses formes. Face aux logiques d’appropriation marchande qui ruinent le vivant, juristes et philosophes tentent donc de repenser ce droit sur des bases écologiques et démocratiques. Sur le terrain, collectifs et militants expérimentent quant à eux la gestion des communs ainsi que la propriété d’usage des terres et du bâti. Car il existe déjà des moyens de s’attaquer à l’accaparement et de défendre concrètement le vivant contre les projets écocidaires : en donnant des droits à la nature, en rachetant des terres ou en les occupant, ou encore par la remunicipalisation des communs, pour ne citer que ces exemples. Ainsi redéfinie et limitée, une propriété écologique permettrait de lutter demain contre les nouvelles formes d’accaparement qui repoussent toujours plus les limites de l’appropriation marchande. 

Édito de notre numéro 60 « La tragédie de la propriété », en kiosque à partir du 13/10, en librairie et sur notre boutique


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NUMÉRO 66 : OCTOBRE-NOVEMBRE 2024:
La crise écologique, un héritage colonial ?
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