Électronique et réparation

Réparateurs de smartphones : des écolos qui s'ignorent

Photos : Paul Lemaire

Elles s’appellent SOS Iphone, Deadphones, Dr. Mobile ou encore Repair Phone. En dix ans, les boutiques de réparation d’appareils mobiles ont fleuri aux coins de nos rues. Leurs façades aux néons criards font désormais partie du paysage urbain et sont souvent le premier refuge pour remédier à nos accidents téléphoniques. Nous sommes partis pour une virée en arrière-boutique, à la rencontre de ces docteurs méconnus qui, cachés derrière leur comptoir, sauvent nos compagnons électroniques.

« Le problème venait juste de l’objectif. Je l’ai remplacé. Je vous laisse vérifier que tout est ok ! » Face à sa cliente, Karim se montre rassurant. À la tête de sa boutique depuis dix ans, le réparateur du quartier, installé près de la Gare de Lyon à Paris, en a fait son « deuxième chez lui ». Sur les murs sont exposées des cartes mères d’ordinateurs et, dans la vitrine, des écrans cassés s’entassent en montagne comme une œuvre d’art. Karim a 40 ans et a commencé la réparation électronique sur les ordinateurs il y a près de quinze ans.

Article issu de notre numéro 61 « Reprendre les choses en main », en kiosque, librairie et sur notre boutique.

Mais lorsque les premiers smartphones débarquent à la fin des années 2000, personne ne se préoccupe de comment les réparer. « À l’époque, il n’y avait quasiment rien, aucun moyen. Les boutiques vendaient juste des câbles et des chargeurs », se souvient le réparateur. Ignorée, la réparation des mobiles est une nébuleuse que seuls les curieux bricoleurs vont prendre le temps d’apprivoiser. 

Une histoire de débrouille 

« Je suis allé dans une boutique en leur demandant de m’apprendre. C’était la seule manière de se former », explique le gérant. Lui, comme beaucoup d’autres, ont commencé avec les moyens du bord. Avec l’aide de réparateurs amis, voisins, grands frères ou quelques rares personnes possédant déjà une boutique. Ou bien seuls. « Je récupérais les téléphones qui traînaient dans les tiroirs de mes proches. Puis j’allais m’exercer avec des tutos sur Internet », raconte Anis, derrière le comptoir de son magasin dans le 11e arrondissement de Paris. Ces autodidactes se plongent dans les innombrables tutos disponibles en ligne. Ils y trouvent les pièces, les outils nécessaires, les astuces et les gestes pour réparer tous types de modèles et de problèmes. Encore aujourd’hui, dans ce métier, Internet reste un allié primordial. Notamment pour rester à la page et trouver des solutions face à une panne inédite. « C’est un métier qui avance tous les jours. Des personnes m’amènent encore des téléphones que je ne connais pas ! » note Mathieu, technicien dans une boutique à quelques rues adjacentes.


Karim, 40 ans, dans sa boutique du 12e arrondissement de Paris, le 14 novembre 2023. 

En parallèle des tutos, le réseau et l’entraide font partie intégrante de leur fonctionnement au quotidien. Entre magasins, les réparateurs se dépannent des pièces ou font appel aux compétences d’un autre. « Des mecs en scooter se déplacent d’une boutique à l’autre pour faire les échanges », s’amuse Karim. Tous communiquent via des groupes sur Whatsapp, Telegram ou Signal afin de s’échanger quotidiennement des informations et des astuces. Ces groupes privés entre réparateurs peuvent compter des centaines voire des milliers de membres – certains étant à l’échelle nationale ou internationale. « Faire partie de ces groupes, c’est primordial ! », estimeHousoufit, responsable de Deadphones, une boutique de réparation à Juvisy-sur-Orge (Essonne). Lui-même est inscrit dans cinq ou six groupes différents. Sur Facebook, il nous en montre un dédié à la micro-soudure et à la récupération de données. Ce dernier affiche plus de 54 000 membres venant du monde entier. « Ils sont hyper actifs. C’est même arrivé qu’ils détectent des défauts de fabrication ayant ensuite été remontés auprès des marques », explique-t-il.


Un Iphone 3 qu'un client a amené à Karim pour réparation. « La morale c'est que si t'en prends soin, ça dure. » Paris, le 14 novembre 2023.

Orfèvres du numérique 

Dans un atelier d’à peine 6 m2 à l’arrière de sa boutique, Housoufit travaille aux côtés de ses trois techniciens. La petite pièce regorge de machines, d’outils et de boîtes de pièces détachées méthodiquement agencés. L’ambiance est studieuse. Ils portent des blouses rouges et noires aux couleurs de l’enseigne et leurs mains s’agitent dans une chorégraphie parfaitement maîtrisée. À les regarder, cela semble presque un jeu d’enfants. Ici, toutes les réparations sont possibles, des plus classiques – changement d’écran, de batterie, de boutons, etc. – aux plus complexes.


Housoufit 35 ans, fondateur de Deadphones.

Sur les tables trônent des microscopes destinés à la micro-soudure pour les réparations sur carte mère. Sur une autre, une machine pour fixer les couches d’un écran reconditionné. Housoufit s’apprête à y placer celui d’un iPhone 13 dont il vient de s’occuper. Le reconditionnement évite de changer l’intégralité du bloc écran lorsque seule la vitre est endommagée. L’opération est très minutieuse, seule une minorité de réparateurs la proposent. D’ailleurs, le responsable revient tout juste d’une formation en Chine pour se perfectionner. En dix ans, c’est la deuxième fois qu’il y va pour se former. « Ce sont les meilleurs. Tout vient de là-bas, ils ont deux ans d’avance sur nous, précise le gérant. Au bout d’un moment, être autodidacte, ça a ses limites ! »

En parallèle des tutos, le réseau et l’entraide font partie intégrante de leur fonctionnement au quotidien.

À une dizaine de kilomètres de là, à Yerres (Essonne), Angie partage le même avis. Arrivée il y a trois ans dans le métier après avoir suivi deux formations, la réparatrice a décidé de lancer la sienne en parallèle de sa boutique. « Je sais qu’il y a beaucoup de réparateurs peu formés mais, pour moi, c’est essentiel ! », dit-elle en installantdeux élèves en formation dans son atelier. Ces dernières années, de plus en plus de formations spécialisées sont apparues, souvent à l’initiative des réparateurs soucieux de transmettre leur savoir-faire à d’autres.

Chineurs de pièces

Mais la clé de toute bonne réparation, ce sont aussi les pièces. Savoir naviguer dans la jungle des composants issus des multiples modèles d’appareils qui existent et évoluent sans cesse relève du défi. Une expertise que les réparateurs doivent développer, notamment pour choisir entre les pièces originales, les originales reconditionnées ou encore les pièces compatibles. Ce sont souvent les deux dernières catégories qui priment car c’est le porte-monnaie du client qui décide.


Quand l’original coûte trop cher, il faut pouvoir proposer la meilleure alternative. Le problème ? Tout se trouve à des milliers de kilomètres de là, en Chine. À cette distance, difficile d’évaluer la qualité des pièces proposées. Pour les plus chevronnés, il n’est pas rare d’avoir déjà fait le voyage sur place pour apprendre à se fournir correctement. Mais plus généralement, pour assurer leurs arrières, les réparateurs travaillent main dans la main avec des intermédiaires qui se chargent de jouer les éclaireurs. « À une époque, tout le monde commandait directement en Chine, mais c’était un peu le coup de poker et sans garantie. Nous, on a des employés là-bas avec un service qui contrôle la qualité des pièces avant de les acheminer ici », explique Imade Belhouze, cofondateur de Pièces2Mobile, une entreprise pionnière des pièces détachées implantée à Aubervilliers.

« On est comme des petits artisans, on essaie d’aller au plus près de la panne pour la rectifier plutôt que de tout changer »

Toute la journée, les réparateurs défilent dans son showroom pour se renseigner. Ce type de fournisseurs est devenu un maillon essentiel dans un secteur fragmenté. Chez Deadphones à Juvisy-sur-Orge, les techniciens se sont aussi lancés dans la collecte de smartphones usagés autour de chez eux pour pouvoir récupérer les pièces détachées.

Des écolos qui s’ignorent 

« Nous, on est comme des petits artisans, on essaie d’aller au plus près de la panne pour la rectifier plutôt que de tout changer, observe Housoufit, chez Apple, si c’est trop compliqué, ils ne s’embêtent pas et ils vous changent le téléphone. C’est le fast-food de la réparation. » Sans en faire vraiment, la marque à la pomme essaie pourtant de monopoliser le marché de la réparation et multiplie les bâtons dans les roues pour les petits acteurs. Après avoir longtemps empêché la commercialisation de pièces d’origine, elle l’autorise depuis peu, mais à des prix prohibitifs qui rendent le coût de réparation inaccessible ou moins rentable que de racheter un nouveau téléphone. Plus récemment, la firme a aussi pucé ses pièces détachées avec des numéros de série, faisant en sorte que les appareils de la marque détectent les pièces de rechange et affichent un message d’erreur, voire perturbent les fonctionnalités. Mais là aussi, avec le bon réseau, les bons circuits ou les bonnes informations, les réparateurs trouvent des solutions pour les dépasser. 


Toussaint et Thiru travaillent à Pieces2mobile. « Je connaissais déjà des gens dans ce circuit, ça a été facile pour moi d'y rentrer » témoigne Toussaint. Le 6 novembre 2023.

Lorsqu’on leur demande, aucun d’entre eux ne s’est lancé dans la réparation pour des raisons écologiques. L’intérêt était d’abord pour la bidouille et l’opportunité d’un nouveau métier. Ce n’est que récemment qu’ils ont pris conscience de l’impact écologique de leur pratique. Plus inattendu encore, leur proximité fait aussi de leurs magasins des lieux d’accueil et de sociabilité qui vont au-delà de la réparation électronique. « Toute ma famille vient ici ! C’est vraiment un lieu de quartier, de rencontre », explique Misha, 62 ans, un habitué de la boutique de Karim.


Grossiste de pièces détachées à Aubervilliers, le 6 novembre 2023.

Les personnes viennent aussi lorsqu’elles ont des difficultés avec le numérique ou les services en ligne en général. Notamment les personnes âgées. « Ça arrive très souvent. J’ai un voisin d’une cinquantaine d’années qui passe tous les quinze jours pour des problèmes de mot de passe », raconte Karim. Comme le résume l’anthropologue Nicolas Nova, co-auteur avec Anaïs Bloch d’une enquête sur les ateliers indépendants de réparation de smartphones : « Ils ont apporté ce que l’on attendait plutôt de la part des hackerspaces ou des fab labs. Ce sont des réseaux qui développent une diversité de compétences, de circuits et de savoir-faire. Des lieux d’innovations techniques, écologiques, mais aussi sociales avec de l’accueil, de l’attention. Ces espaces mériteraient beaucoup plus de soutien de la part des politiques publiques. » 

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