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Accumuler du béton, tracer des routes

Découvrez notre recension de « Accumuler du béton, tracer des routes » de Nelo Magalhães aux Éditions La Fabrique.

Plus de 1 100 gigatonnes : c’est le poids du stock mondial de matière fabriquée par l’humanité, qui a dépassé celui de l’ensemble de la biomasse en 2020. Avec ce chiffre étourdissant, Nelo Magalhães entend remettre sur le devant de la scène l’extraction « ordinaire » – sable, terre, gravier – nécessaire à la fabrication du béton et donc à la construction. Rien qu’entre 1900 et 2015, la quantité extraite par habitant pour construire routes et bâtiments a été multipliée par sept.

Avec cet ouvrage, le chercheur à l’Institut de la transition environnementale propose une contre-histoire du développement des grandes infrastructures françaises depuis 1945, à savoir des autoroutes, des ponts, ou des centrales hydroélectriques et nucléaires. L’auteur souhaite « rompre avec une approche développementiste et une littérature uniforme qui célèbre des infrastructures toujours jugées positives parce que répondant à des besoins ».Sa démonstration débute par le récit duremplacement de la chaux par le ciment puis de la mécanisation qui ont permis à l’humanité de « s’abstraire » des sols, c’est-à-dire de construire sans tenir compte des aléas climatiques et géologiques. Une étape qui a permis d’uniformiser le bâti et qui a fini par déposséder la société de la production de son propre espace.

Mais les grands travaux qui ont débuté en France après la Seconde Guerre mondiale ne se sont pas faits sans heurts. Nelo Magalhães rappelle les milliers de conflits déclenchés par les activités d’extraction. Par exemple, dans les années 1960, pêcheurs et riverains dénoncent les dégâts écologiques et les conséquences économiques de l’extraction massive du sable dans les rivières. À l’époque, l’installation de nouvelles carrières est aussi largement critiquée à cause des nuisances. Les pouvoirs publics vont prendre en compte ces contestations et essayer de mieux intégrer les infrastructures au paysage. Des actions de façade pour l’auteur, qui ne font qu’accompagner l’épuisement des ressources : « Rappelons que dans la même période l’intensité de l’extraction augmente, y compris dans les rivières. » États, ingénieurs des ponts et chaussées, patronat autoroutier : tous participent au cadrage idéologique du débat public.

Le chercheur analyse leurs discours qui légitiment le développement sans limites des routes pour répondre à l’augmentation constante des flux de personnes et de marchandises, sans jamais questionner les conséquences du libre-échange. Les tentatives de verdissement, par le recyclage des déchets notamment, ne sont qu’un mirage pour Nelo Magalhães : plus il y a de déchets du BTP, plus il faut les transporter dans des poids-lourds qui abîment les chaussées, plus il faut réparer ces routes en consommant de la matière supplémentaire, et plus il y a de déchets du BTP à transporter. L’auteur  voit une lueur d’espoir dans les luttes actuelles : celle des Soulèvements de la Terre, qui repolitisent l’occupation des sols ; et celle des Gilets jaunes qui ont su transformer les infrastructures routières en agora politique. Deux mouvements qui contribuent, selon lui, à rendre le monde un peu moins pesant.

Accumuler du béton, tracer des routes Enquête sur les métaux à l’ère de la transition Nelo Magalhães La Fabrique → avril 2024 - 304 pages - 18 €

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