Écocides dans l'histoire

Pesticides, pétrole et industrie : 70 ans d'écocides

La plateforme pétrolière DeepWater Horizon prend feu. 2010
La plateforme pétrolière DeepWater Horizon prend feu. 2010

Catastrophes nucléaires, rejets de pesticides, marées noires… La seconde moitié du XXe siècle abonde d’« accidents » avec leur cortège de coupables tout désignés – multinationales voraces, politiques décadents, ouvriers négligents et autres États corrompus. Un responsable ultime n’est, cependant, jamais mentionné : le capitalisme industriel. Quelques innovations légales tentent néanmoins, lorsque certains acteurs dépassent vraiment les bornes et que le scandale prend trop d’ampleur, de remettre un peu d’ordre dans le saccage des écosystèmes.


Le Great Smog de Londres 

5 au 9 décembre 1952

Après une baisse des températures, les centrales électriques et les poêles à charbon londoniens tournent à plein régime. L’absence de vent entraîne alors la formation d’un épais brouillard, qui stagnera cinq jours durant sur la ville : 12 000 personnes décèdent à la suite de cette pollution atmosphérique... Plusieurs lois visant à restreindre l’utilisation de certains combustibles seront adoptées les années suivantes, telles que le Clean Air Act en 1956. 

Article issu de notre numéro 53 « Punir les écocidaires » disponible en kiosques jusqu'à début octobre, et sur notre boutique.


Maladie de Minamata

1932 à 1966

L’usine pétrochimique de la compagnie Shin Nippon Chisso, au sud-ouest du Japon, a déversé pendant des décennies du mercure dans la baie de Minamata, empoisonnant la population locale. Les rejets cessent en 1966 et le site est partiellement dépollué. Cet écocide a donné son nom à la convention de Minamata (signée en 2013 sous l’égide de l’ONU), dont l’objectif est de réduire au niveau mondial les émissions de mercure, très toxiques pour la santé et l’environnement, mais aussi sa production et ses utilisations, en particulier lors de processus industriels. 


Agent orange : « naissance » de l’écocide

1961 à 1971

Au cours de la guerre du Vietnam, 83 millions de litres d’agent orange ont été déversés par l’armée américaine. Cet herbicide produit entre autres par Monsanto et contenant de la dioxine a détruit près de 20 % de la forêt sud-vietnamienne et exposé des millions d’individus au risque de cancers et de malformations. C’est à cette occasion que le mot « écocide » est employé pour la première fois par le biologiste Arthur W. Galston (1920-2008), qui dénonce les ravages engendrés par ces épandages et définit alors le terme comme « la destruction intentionnelle et permanente de l’environnement dans lequel un peuple peut vivre selon ses propres choix »


Torrey Canyon : La première marée noire

18 mars 1967

« Marée noire ». L’expression naît sous la plume de Lucien Jégoudé, au lendemain de la catastrophe du Torrey Canyon. Le pétrolier vient de s’échouer au large des côtes britanniques, libérant plus de 120 000 tonnes de pétrole dans la Manche. De cette tragédie sans précédent découlent les premières politiques européennes contre ces évènements. En 1969 est signée la Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (Civil Liability Convention - CLC), qui engage une responsabilité de plein droit du propriétaire du navire. Elle sera doublée en 1971 du Fonds d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL).


Seveso ou comment faire face aux risques industriels

10 juillet 1976

Une soupape de sécurité saute dans l’usine chimique Icmesa, en Lombardie (Italie). Pendant vingt minutes, un nuage toxique s’échappe du bâtiment et contamine les zones alentour. Sept communes, dont celle de Seveso, sont touchées. Les autorités ne prennent pas vraiment conscience de la gravité de la situation, malgré la quantité de dioxine rejetée dans l’atmosphère lors de cet accident. Les premières évacuations n’ont lieu qu’à partir du 23 juillet 1976. Cette catastrophe donne son nom à la directive Seveso, adoptée en 1982 par l’Union européenne. Elle impose aux États-membres d’identifier les sites industriels présentant des risques d’accidents majeurs. On en recense aujourd’hui plus de 10 000 à travers l’Europe. 


Bhopal : défaite judiciaire 

2 au 3 décembre 1984

Dans le centre de l’Inde, à Bhopal (État du Madhya Pradesh), un bidonville entoure l’usine de pesticides de la firme américaine Union Carbide. Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, l’explosion d’une cuve libère dans l’atmosphère 40 tonnes d’isocyanate de méthyle (MIC) – un produit hautement toxique. Près de 25 000 personnes trouvent la mort. Trente-huit ans après la catastrophe, le site n’a pas été dépollué. Si Union Carbide a été condamnée à verser 470 millions de dollars de dommages et intérêts, son PDG, Warren Anderson, est lui mort en Floride en 2014, à l’âge de 92 ans, sans jamais avoir été inquiété par la justice. Accusé de « mort par négligence » par le chef judiciaire de Bhopal, il ne s’est pas présenté à la Cour lors du procès.


Tchernobyl : l’électrochoc nucléaire 

25 au 26 avril 1986

L’explosion du quatrième réacteur de la centrale de Tchernobyl met en lumière les dangers liés à l’exploitation nucléaire. Dès octobre 1986, une Convention sur la notification rapide d’un accident nucléaire entre en vigueur, rendant obligatoire la déclaration sans délai de la moindre dégradation. À sa suite, une Association mondiale des exploitants nucléaires (World Association of Nuclear Operators - WANO) voit le jour en 1989 et la Convention sur la sûreté nucléaire renforce le rôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) dès 1994.


Erika met le paquet 

12 décembre 1999

Il s’est brisé en deux, victime d’une « défaillance de sa structure ». Quelques jours avant les fêtes de fin d’année, le pétrolier Erika affrété par Total s’abîme en mer et déverse plus de 30 000 tonnes de fioul sur les côtes bretonnes. Il inspire les « paquets Erika I, II et III » adoptés par la France pour renforcer sa politique en matière de sécurité maritime. Mais cet événement marque surtout une victoire juridique : la responsabilité du groupe Total est attestée et le « préjudice écologique » entre dans le code civil. En 2018, cette qualification est reconnue pour la première fois par un tribunal français, qui octroie des indemnisations au titre des oiseaux mazoutés. 

À Baia Mare, l’or a un goût de cyanure

30 janvier 2000

Baia Mare, Roumanie. Un barrage de la société aurifère Aurul cède, déversant des eaux contaminées au cyanure dans la rivière Someş. La faune roumaine, hongroise et serbe est lourdement touchée. La Roumanie ne sera jamais tenue responsable au niveau européen des dommages transnationaux causés par cette catastrophe et, malgré plusieurs tentatives, le Parlement roumain n’a pas interdit la cyanuration de l’or.


Deepwater Horizon :  BP en eaux troubles 

20 avril 2010

Dans le golfe du Mexique, la plateforme pétrolière Deepwater Horizon, propriété de British Petroleum, est ravagée par une explosion suivie d’un incendie. Plus de 750 millions de litres de pétrole se répandent dans l’océan. Reconnue responsable de l’accident, la major britannique verse quelque 65 milliards de dollars en frais de justice et de contribution aux efforts de restauration écologique. Dès 2011, un Bureau pour la sécurité et l’application des normes environnementales (Bureau of Safety and Environmental Enforcement - BSEE) est créé aux États-Unis. 


Fukushima :  le retour du fossile

11 mars 2011

Un tsunami puis un incendie auront raison de la centrale japonaise de Fukushima. Si aucun mort n’est directement à déplorer, les répercussions sur l’environnement sont majeures. Aujourd’hui encore, un million de mètres cubes d’eau contaminée est stocké dans des réservoirs, 14 millions de mètres cubes de sols contaminés sont entreposés dans des sacs à l’air libre (et donc soumis aux aléas climatiques) et des centaines de kilomètres carrés de terres restent inhabitables. Le Japon décide de fermer ses 54 réacteurs nucléaires… et de relancer sa filière charbon. 

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