Au labo

Viande de synthèse : votre steak, saignant ou vert ?

Illustration : Ben O’Neil

La viande de synthèse suscite les espérances de certains : celles d’une alimentation « propre », débarrassée de la mise à mort animale, d’une alternative écologique à l’élevage, ou encore d’une solution pérenne face à l’augmentation de la consommation de produits carnés dans le monde. Mais à y regarder de plus près, les promesses de cette industrie naissante ne sont, pour l’heure, que purs fantasmes.

Dans L’Aile ou la Cuisse, film français réalisé par Claude Zidi en 1976, Charles et Gérard Duchemin (Louis de Funès et Coluche) observent, médusés, les étapes de la fabrication d’un poulet synthétique dans une usine. Près de quatre décennies après la sortie du film, la réalité rejoint la fiction : Mark Post, pharmacologue néerlandais et professeur à l’université de Maastricht, présente en 2013 le premier burger fabriqué à partir de cellules souches animales dans un restaurant à Londres. Le coût de ce steak fabriqué in vitro s’élève alors à 250 000 euros. Depuis, plusieurs start-up israéliennes (Aleph Farms, Super­Meat, Future Meat Techno­logies), américaines (Eat Just) et européennes (Mosa Meat) se sont emparées de cette idée, avec l’ambition de la démocratiser.

Apparaît alors un nouveau marché : celui de la clean meat (viande propre), ou viande de synthèse, fabriquée dans des bioréacteurs à partir de cellules ou de sérum d’origine animale. Meat, fondée par Mark Post, affiche comme credo : « Manger un hamburger pour changer le monde. » Si le marché s’adresse avant tout à ceux qui refusent l’élevage et la mise à mort d’animaux, quitte à s’en remettre à des machines pour continuer de jouir des qualités gustatives de la viande, l’industrie naissante de l’agriculture cellulaire a formulé un autre argument massue : la viande de synthèse serait plus écologique. Une affirmation remise en cause par les derniers travaux scientifiques.

Une technologie guère écologique

Aujourd’hui, les études sur l’impact environnemental de la viande cultivée sont peu nombreuses. L’une des premières, parue le 17 juin 2011 dans la revue Environmental Science & Technology, promettait pourtant des merveilles : la culture de viande permettrait une réduction de 78 à 96 % des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que du coût énergétique (de 7 à 45 % pour la production de volailles) et jusqu’à 96 % des besoins en eau. En 2015, dans la même revue, une équipe de chercheurs américains publie une analyse qui montre qu’il y aurait une quantité d’intrants agricoles (engrais chimiques, pesticides) moindre et surtout une plus faible utilisation des terres. Mais à la différence des premières études publiées sur le sujet, Carolyn Mattick et ses collègues ont pris en compte un plus grand nombre d’étapes (comme le nettoyage des bioréacteurs qui permettent la prolifération cellulaire), ce qui a eu pour effet de tripler le coût énergétique de la production.

L’étude suggère ainsi que l’élevage de viandes de porc et de volaille in vitro serait plus émetteur de gaz à effet de serre que l’élevage conventionnel, à l’inverse de la viande bovine, moins émettrice lors de sa fabrication en laboratoire. La dernière étude en date, publiée le mardi 9 mars 2021 par le cabinet néerlandais CE Delft, confirme les précédentes analyses en s’appuyant pour la première fois sur des données transmises par les entreprises du secteur. Résultat : la commercialisation de la viande de culture serait plus efficiente que la viande conventionnelle… seulement si la production énergétique est complètement décarbonée.

Des coûts cachés

Mais ces études n’anticipent pas d’autres effets liés à la démocratisation d’une telle technologie et son passage à l’échelle industrielle. Pour Éric Muraille, maître de recherche au Fonds de la recherche scientifique en Belgique, la concentration de la production in vitro est problématique : « Non seulement, elle nécessiterait une augmentation des réseaux de distribution, ce qui va à l’encontre des logiques de productions locales et de circuits courts, mais la fabrication en usine permettrait aussi de délocaliser, et donc, de perdre in fine le contrôle sur la production. » La concentration des capitaux nécessaires au développement d’infrastructures industrielles risque en outre de détruire l’élevage traditionnel qui, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), serait essentiel à la subsistance d’un milliard de personnes pauvres, principalement en Afrique et en Asie.

Autre élément vite omis, l’utilisation de plastique à usage unique, ou le processus de stérilisation des cuves dans le cas où celles-ci sont en métal, qui représentent aussi un coût environnemental. Par ailleurs, d’autres pistes davantage écologiques sont délibérément écartées par les industriels. « Il est possible de produire des protéines végétales, de cultiver des insectes ou même des bactéries, déclare Éric Muraille. Et dans ce cas, nul besoin d’utiliser d’antibiotiques ou de processus de stérilisation. » Avoir quelque chose qui ressemble à un steak ou un nugget dans son assiette affiche un bilan environnemental plus lourd. Mais les consommateurs entendent-ils manger des protéines carnées ou de la viande ? Nul doute que les industriels, mus par des buts lucratifs, mettront sur le marché des copies ressemblant le plus possible à l’original. Et question qui n’est jamais posée : l’impression d’avaler une viande propre – c’est-à-dire une viande libérée des considérations éthiques liées à l’abattage d’animaux – ne risque-t-il pas d’encourager à en consommer davantage, et donc d’accroître l’empreinte globale de la consommation carnée ?

Faire diversion

Exemple typique d’effet rebond, où la solution au problème finit par l’aggraver. D’autant que cette solution en occulte une bien plus évidente et intéressante écologiquement : réduire la consommation de produits d’origine carnée, par ailleurs très inégalement répartie entre pays et classes sociales. Selon la FAO, la consommation mondiale de viande devrait atteindre 35 kg par habitant et par an d’ici 2028 – c’est-à-dire cinq fois plus qu’au début des années 1960 – avec une consommation très inégale entre les pays. D’après les statistiques de l’OCDE, la population indienne aurait consommé 0,5 kg de bœuf par habitant en 2019, contre 38 kg en Argentine et 26 kg aux États-Unis la même année. À l’exception des pays où la religion impose un régime alimentaire spécifique, la consommation de viande ne cesse d’augmenter. Pour Éric Muraille : « Il y a toujours eu dans l’alimentation humaine un lien entre niveau social et viande. Notre obsession à vouloir conserver l’aspect de la viande est un reliquat de ces époques passées. »

Uneobsession telle que l’idée de réduire la consommation de viande est occultée par la plupart des gouvernements. En France, l’option végétarienne dans la restauration collective a longuement été débattue à l’Assemblée nationale lors des discussions sur la loi Climat, sans pour autant aboutir à des mesures restrictives. Si les entreprises de viande de synthèse tentent de combler le vide laissé par l’absence de volonté politique à l’échelle mondiale, elles entretiennent néanmoins le mythe d’une solution globale imparable et masquent une évidence : pour réduire l’impact de l’élevage sur l’environnement, le moyen le plus sûr – et qui plus est le plus simple – reste de se passer autant que possible des produits carnés.

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