Portraits écoféministes

Starhawk, l'enchanteresse

Découvrez Starhawk, le cinquième portrait de notre dernier dossier « Êtes-vous écoféministe ? »

Nous sommes en 1981, deux ans seulement après l’accident nucléaire de Three Mile Island (Pennsylvanie). L’opposition au nucléaire bat son plein aux États-Unis. Miriam Simos, alias Starhawk, 30 ans, prend part au blocus de Diablo Canyon, en Californie, où la Pacific Gas & Electric Company entend construire une centrale. La jeune femme organise des cercles – rythmés par des chants, danses, prises de parole et incantations – où se réunissent les manifestantes. Un rituel, néopaïen, dont Starhawk a déjà esquissé les bases dans un livre, The Spiral Dance.A Rebirth of the Ancient Religion of the Great Goddess (1979). Cette expérience de Diablo Canyon lui fait prendre toute la mesure du « pouvoir-du-dedans » et du potentiel de la pratique du travail spirituel. 

Pour Starhawk, – « faucon étoilé »en français –, le système politique, économique et social, et cette civilisation patriarcale qui dévaste la planète sont marqués par la « mise à distance » de nos émotions, de nos sensibilités – rupture du lien entre l’esprit et la chair, la nature et la culture, l’homme et la femme. « Dans ce monde vide, écrit-elle dans Rêver l’obscur1, son opus le plus influent publié en 1982, nous ne croyons qu’à ce qui peut être mesuré, compté, acquis. » Ce système témoigne du « pouvoir-­sur », un pouvoir de domination, d’anéantissement auquel s’oppose donc le « pouvoir-du-dedans » qui réintègre l’humain dans la nature, le féminin dans le masculin, et réciproquement. Soit une « attention au monde, et à ce qui le compose, un monde vivant, dynamique, interdépendant et interactif, animé par des énergies en mouvement : un être vivant, une danse serpentine »

Ce travail de soin passe selon Starhawk par une pratique spirituelle inspirée par la « Wicca dianique » :une résurgence des religions primitives, une sagesse ancienne marquée par son organisation non hiérarchique et la liberté de ses pratiques. L’idée, précisément, est de rompre avec les grands monothéismes dont la spiritualité – confisquée par le patriarcat – est dogmatique, descendante, antinaturaliste, faisant des femmes des pécheresses et mettant en scène un Dieu masculin, blanc et dominateur. « Il est clair, écrit Starhawk, que quand je dis Déesse […] je ne suis pas en train de proposer un nouveau système de croyance. J’entends opter pour une attitude : je propose d’appréhender le monde, les gens et les créatures qui l’habitent comme sens principal et but de la vie, de voir le monde, la terre et nos vies comme sacrés. » 

La spiritualité est une ressource politique qui permet de se donner de la foi, de l’espérance, de resacraliser la nature. Le premier travail se fait par le verbe. Au sein d’un cercle, on nomme ses peurs. « Rêver l’obscur », pour ne pas se laisser dévorer par lui. Refuser le désenchantement du monde, l’impuissance et le désespoir. La seconde étape de la magie des sorcières, termes qu’utilise et revendique Starhawk, est ensuite de « créer une vision », de nommer ce que l’on souhaite voir advenir. La magie est précisément cet art de changer les consciences à volonté. Le terme sorcière, lui, permet de s’identifier aux victimes de la misogynie et de la persécution religieuse, et de rendre aux femmes le droit d’être fortes et puissantes. Créer une vision doit ensuite donner le courage de changer le monde et de se diriger vers une société où les activités de création et de pouvoir seraient ouvertes à tous et toutes sans distinction de genre, où le travail serait utile socialement et non pas seulement source de profits. 

Parler d’écoféminisme spiritualiste, comme on le fait souvent pour qualifier la pensée de Starhawk, serait néanmoins une expression trop restrictive tant elle défie toute catégorisation et ne manque jamais de tourner en dérision ses propres pratiques magiques. Sorcière néopaïenne, altermondialiste, psychothérapeute, formatrice en permaculture... son éclectisme et sa volonté de « fabriquer de l’espoir au bord du gouffre » ont fait d’elle une penseuse écoféministe et une militante très influente.

Pouvoir-du-dedans

Par opposition au « pouvoir-sur » (le pouvoir de domination et de destruction patriarcal qui a marqué la modernité), le « pouvoir-du-dedans » est entendu comme capacité d’agir. Qu’il soit nommé esprit ou immanence, il est une attention au monde, appartenance à un tout, interconnexion avec l’ensemble du vivant : la volonté de recréer une unité. 

Cercle

Le cercle est le lieu où se pratique la magie des sorcières, où l’on nomme ses peurs et où se crée une vision. Il est un espace à la fois politique – dans la mesure où il s’agit de s’organiser collectivement, de manière horizontale, non hiérarchique – et métaphysique. Il est évidemment ici question de se reconnecter avec la temporalité cyclique de la nature, de rompre avec le temps linéaire imposé par la modernité occidentale. D’accepter sa mortalité, sa modeste place dans un grand processus circulaire. 

Biographie

1951

Miriam Simos, alias Starhawk, naît à Saint-Paul (Minnesota, États-Unis).

1979

Parution de The Spiral Dance. Le livre devient rapidement un classique du néopaganisme et de l’écoféminisme.

1981

Blocus du chantier de construction de la centrale nucléaire de Diablo Canyon, sur la côte californienne. Une opération organisée par le collectif Abalone Alliance, mouvement antinucléaire d’action directe, non violent, anarchiste et féministe. 

1982

Parution de Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique. Starhawk politise sa pratique de la magie. 

1999

Elle prend part aux manifestations de Seattle contre la mondialisation, lors du sommet de l’OMC, et s’engagera dans les luttes altermondialistes. Ses écrits sont compilés dans Chroniques altermondialistes. Tisser la toile du soulèvement global. L’ouvrage dont ces chroniques sont tirées est paru en anglais sous le titre Webs of Power. Notes from the Global Uprising

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