Chronique

Salomé Saqué : Allocataires du RSA, au travail !

Dans sa dernière chronique, Salomé Saqué revient sur l'évolution du RSA et le minimum d'activité requis désormais en vigueur pour « remettre les allocataires au travail ».

Le « cancer de la société française », ce sont « les dérives de l’assistanat », c’est pour cette raison qu’il faut contraindre les bénéficiaires du RSA à « assumer des heures de service », nous disait Laurent Wauquiez en 2012. Le droite dure en rêvait, Emmanuel Macron l’a fait.

Passée relativement inaperçue en pleine actualité internationale sanglante, la loi pour le plein-emploi, adoptée définitivement par l’Assemblée nationale le 14 novembre, marque un changement de société profond. C’est un bouleversement pour ceux qui la subiront dans leur chair, et un point de bascule dans l’abandon de la solidarité nationale au profit de la lutte contre un « assistanat » fantasmé. Le RSA est un acquis social auquel même les présidents français les plus droitiers n’avaient jamais osé s’attaquer. 

Chronique issue de notre numéro « Reprendre les choses en main », en kiosque, librairie et sur notre boutique.

Petite histoire du RSA

En 1988, en pleine période de chômage de masse, le gouvernement de Michel Rocard crée le RMI – le revenu minimum d’insertion –, pensé comme un filet de sécurité pour les personnes en situation de pauvreté. Le président de l’époque, François Mitterrand, écrit alors : « L’important, c’est qu’un moyen de vivre ou plutôt de survivre soit garanti à ceux qui n’ont rien. C’est la condition de leur réinsertion sociale. » Le dispositif, voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, rencontre beaucoup plus de succès que prévu. En un mois à peine, près de 200 000 personnes touchent cette allocation de subsistance : un chiffre qui ne cessera jamais de croître. Seulement, aux personnes en situation de pauvreté à cause de l’absence d’emploi, s’ajoutent peu à peu celles soumises à des emplois précaires ou à temps partiel (merci la flexibilisation du marché du travail). Il devient donc plus rentable dans certains cas de ne pas travailler que de travailler : insupportable pour le président Nicolas Sarkozy, qui avait fait du « travailler plus pour gagner plus » son mantra. C’est ce qui le pousse en 2009 à transformer le RMI en RSA – le revenu de solidarité active –, qui permet aussi aux personnes en emploi précaire de toucher cette prestation qui vient remplacer, entre autres, la prime de retour à l’emploi. Aujourd’hui, près de 2 millions de personnes bénéficient de cette allocation d’environ 608 euros maximum pour une personne seule, et vont voir leur quotidien bouleversé par cette nouvelle réforme. 

La fin de « l’assistanat » ? 

Pourquoi ? Car depuis le début des années 2000, les plus libéraux ont réussi à imposer dans les esprits l’idée que ceux qui touchent des minimas sociaux seraient des « assistés ». À savoir qu’ils seraient paresseux, choisiraient de ne pas travailler, voire frauderaient. Des clichés pourtant balayés par l’ensemble des études sur le sujet1 qui montrent la souffrance des individus en situation de pauvreté, la stigmatisation sociale des sans-emplois et les faibles montants de la fraude aux allocations sociales par rapport à la fraude fiscale2.

Mais peu importe le travail académique et de terrain sur le sujet, c’est en s’appuyant sur un rapport de la Cour des comptes paru au début de l’année 2022, expliquant que le taux de réinsertion professionnelle des personnes touchant le RSA est faible (34 % sur 7 ans), que le gouvernement a promulgué sa loi dite « pour le plein-emploi ». Celle-ci vise, entre autres, à imposer aux bénéficiaires du RSA… au moins 15 heures d’activité obligatoires par semaine, sous peine de se voir retirer leur allocation. Une réforme considérée comme une aberration pour ceux qui travaillent au contact de la grande pauvreté, dans les milieux universitaire comme associatif. 

Une réforme dangereuse et inefficace 

Car le RSA est déjà soumis à de nombreuses conditions et restrictions. Il existe depuis des années des contrôles et des sanctions dans le cas où les bénéficiaires ne respecteraient pas les démarches d’insertion professionnelle ou sociale. Certains départements sont même allés plus loin. Depuis 2016, dans le Haut-Rhin par exemple, il faut effectuer sept heures de bénévolat par semaine pour toucher le RSA. Ces contraintes ont déjà été évaluées dans une étude très complète sur le sujet pour la Revue économique en 2022 qui conclut : « Les contrôles des bénéficiaires du RSA ne sont pas très efficaces.3 »

De manière générale, toutes les études effectuées à propos des pressions exercées auprès des bénéficiaires de minimas sociaux montrent qu’elles n’augmentent pas leur motivation. C’est ce qu’Esther Duflo, prix Nobel d’économie, soulignait sur le plateau de Blast en septembre 2023 : « Universellement, ce qu’on trouve dans tous les contextes, c’est qu’on peut avoir des systèmes de protection sociale très généreux, inconditionnels, et ça ne décourage pas les gens de travailler [...], on ne démontre absolument aucun effet de la générosité du système de protection sociale sur l’offre de travail. » En revanche, réduire le montant ou l’accessibilité des minimas sociaux a des effets clairs et avérés sur les niveaux de pauvreté. La Cour de comptes le montrait d’ailleurs dans ce même rapport utilisé par le gouvernement : le RSA est un rempart efficace contre la grande pauvreté.

Dans un contexte d’inflation, d’explosion de la demande d’aide alimentaire et d'augmentation générale de la précarité en France4, le conditionnement du RSA (dont le non-recours est déjà estimé à près de 30 %5) ne peut qu’aggraver la situation. La nature des activités exigées demeure pour l’instant floue, si ce n’est qu’elles sont censées favoriser la réinsertion professionnelle (a priori de la formation et de l’apprentissage donc, même si sur les territoires où le dispositif a été testé, des activités de bénévolat ont été observées). Mais surtout, le cadre des obligations l’est tout autant. Quid des personnes en situation d’invalidité, devant s’occuper d’un proche ou de leurs enfants, ayant des troubles psychologiques, ou encore celles n’ayant pas accès à des moyens de transport ?

Si le gouvernement assure que la loi s’adapte aux situations individuelles, elles n'ont pas la garantie de pouvoir conserver leur allocation. Tout ça pour quoi ? Pour faire des économies sur un petit budget : 12 milliards d’euros par an sur 834 milliards d’euros de protection sociale (l’une des aides publiques les moins coûteuses en France). Inefficace pour « motiver » les plus modestes, facteur aggravant de la grande pauvreté, le tout pour éventuellement réaliser des économies dérisoires, cette loi est pourtant passée comme une lettre à la poste dans l’actualité.

La défenseuse des droits Claire Hédon s’en indignait dans les colonnes de Libération : « Qu’est-ce que c’est que cette société qui va renforcer les inégalités au lieu de lutter contre ? [...] Non mais franchement, on est revenus au XIXe siècle ! Mais quelle est cette société fondée sur la charité et pas sur le droit ? Nous sommes dans une période de régression. » Une régression en faveur des inégalités, contre la solidarité, qui montre qu’il est décidément rentable politiquement de diviser pour mieux régner.


1.Voir l’ensemble des travaux de David Bourguignon sur la stigmatisation des chômeurs, ou encore de Nicolas Duvoux sur la pauvreté vécue.

2. Un milliard d’euros de fraude aux prestations sociales détectée selon la CNAF, contre 14,6 milliards de fraude fiscale selon le Fisc. 

3. Sylvain Chareyron, Rémi Le Gall et Yannick L’Horty, « Droits et devoirs du RSA : l’impact des contrôles sur la participation des bénéficiares », Revue économique vol. 73, n°5, septembre 2022. 

4. Valérie Albouy, Anne Jaubertie et Arnaud Rousset, « En 2021, les inégalités et la pauvreté augmentent », Insee Première n°1973, 14 janvier 2023.

5. « Le non-recours au RSA : une discrétion qui arrange bien le gouvernement », édito de Dov Alfon, Libération, 23 mai 2023.

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