Chronique

Salomé Saqué : Bientôt la fin du droit au chômage ?

Dans sa nouvelle chronique pour Socialter, la journaliste et autrice Salomé Saqué revient sur le durcissement du droit au chômage acté par le gouvernement au printemps et ses conséquences sociales.

Ce n’est vraiment pas le moment d’être malheureux au travail, harcelé, licencié ou d’avoir la folle idée de vouloir se reconvertir professionnellement, puisque le gouvernement a décidé de s’attaquer une nouvelle fois à l’assurance chômage. À la fin du mois de mai, Gabriel Attal a officiellement entamé le troisième acte de cette saga a débutée en 2017 sous l’ère Macron.

Car depuis son intronisation, Emmanuel Macron n’a cessé de scalper le système de l’assurance chômage. En 2017, première estocade : il faut désormais avoir travaillé 6 mois (au lieu de 4 mois, ndlr) sur les 24 derniers pour espérer toucher quelques miettes. Les allocations deviennent également dégressives pour les hauts revenus, histoire de motiver tout le monde à accepter n’importe quel travail. En 2019, nouvel épisode : les règles de calcul changent, pénalisant ceux qui n’ont pas la chance d’avoir une carrière linéaire, et les sanctions pour les récalcitrants à la recherche active d’emploi se durcissent. En janvier 2024, une nouvelle loi cible les salariés en CDD ou intérim qui refuseraient un CDI. Si on leur propose un CDI à un poste similaire, ils n’ont plus le droit de le refuser plus de deux fois, sous peine d’être privés d’allocations chômage. En avril 2024, une mesure impose de ne plus donner d’indemnisation chômage à ceux qui abandonnent leur poste. L’Unédic – qui pilote la gestion de l’assurance chômage – avait pourtant révélé en juin 2023 que les salariés qui abandonnent leur poste le font souvent en raison de conditions de travail insupportables, de la volonté de se reconvertir, ou de problèmes de harcèlement ou de mal-être. La plupart du temps, l’abandon de poste est d’ailleurs précédé d’un refus de l’employeur de signer une rupture conventionnelle. Mais rien n’y fait, le gouvernement continue sa croisade contre les chômeurs. Aujourd’hui, malgré des chiffres du chômage au plus haut, et une augmentation de la pauvreté, il ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.

Si, comme pour les autres réformes dans ce domaine, le gouvernement se targue de vouloir « inciter à l’emploi », l’objectif réel est surtout de réaliser des économies. Gabriel Attal a donc annoncé, dans la perspective de pouvoir escamoter de 3,6 milliards d’euros le budget de l’assurance chômage, son intention de porter la durée de travail requise pour l’ouverture des droits de 6 à 8 mois, tout en réduisant la période de référence de 24 à 20 mois. La durée d’indemnisation sera également diminuée, passant de 18 à 15 mois. Et les seniors, qui bénéficient actuellement d’une durée d’indemnisation plus longue (à partir de 53 ans), ne sont pas épargnés : le Premier ministre a indiqué qu’il faudrait désormais avoir au moins 57 ans pour bénéficier de cette durée rallongée. Si on résume : des indemnités moins importantes, plus difficilement accessibles, et pour moins longtemps.

Des réformes infondées économiquement et dangereuses socialement

Toutes les précédentes réformes de l’assurance chômage ont pourtant montré de nombreux effets négatifs. Selon une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)1, les réformes de 2017 et 2019 ont diminué la sécurité de l’emploi et favorisé la multiplication des contrats précaires. L’auteur de l’étude conclut : « L’expérience montre que jamais un système de protection sociale n’a été redressé de cette manière et n’a suscité autant de doutes sur son efficacité. Aucune théorie ne suggère qu’abonder la politique de redistribution en lieu et place de l’assurance chômage sécurise mieux les actifs et bénéficie au fonctionnement du marché du travail. […] La réforme des règles a créé plus de problèmes qu’elle n’en a résolu si bien qu’une sérieuse remise à plat apparaît plus urgente que jamais. »

La politique d’austérité du gouvernement, en plus d’être de moins en moins déguisée, est de plus en plus dangereuse.

Ce n’est pas tout, selon la Dares2, qui dépend du ministère du Travail, il est maintenant avéré qu’il est devenu plus difficile d’obtenir des indemnités de chômage. Entre 2019 et 2022, les ouvertures de droits ont diminué de 17 %. Les premiers touchés sont les jeunes, notamment les moins de 25 ans, et les travailleurs précaires. De plus, 26 % des allocataires ayant ouvert un droit selon la nouvelle législation ont perçu une allocation inférieure de plus de 10 % à ce qu’ils auraient reçu selon les anciennes règles. Affirmer dans l’espace public que les chômeurs sont des fainéants qui « profiteraient » du chômage revient à oublier que moins de la moitié des demandeurs d’emploi touchent en réalité des indemnités chômage, et qu’il existe 13 fois plus de chômeurs que d’emplois disponibles.

Une réforme dont personne ne veut

La nouvelle réforme pourrait donc bien être la goutte d’eau qui fait déborder le vase de la précarité, et ce alors que l’écrasante majorité des spécialistes soulignent qu’il s’agit là d’une fort mauvaise idée. La déléguée syndicale SNU à France Travail, Christelle Lara, déplore des « économies sur le dos des pauvres » et assure : « Ce n’est pas en supprimant le revenu de subsistance de quelqu’un qu’on lui permet d’accéder à l’emploi. D’autre part, le régime de l’assurance chômage était en déficit mais il est désormais revenu à l’équilibre. Donc la réforme ne se justifie pas3. » Nombre d’économistes s’y sont également opposés, à l’instar de Michaël Zemmour4, qui juge sur France Culture cette réforme « sans précédent » et « très dure dans son contenu ». L’économiste y voit « une forme d’acharnement à multiplier les réformes de l’assurance chômage en visant en particulier un public qui est déjà très précaire ». Même des membres de la majorité présidentielle comme Sacha Houlié, président Renaissance de la commission des Lois à l’Assemblée, estiment que ce n’est « pas la bonne voie ». Cerise sur le gâteau, un document interne du ministère du Travail, révélé par Mediapart5, montre que deux services ministériels chargés d’évaluer la réforme considèrent qu’elle est « peu opportune », et alertent sur le fait qu’elle pourrait précipiter 100 000 personnes supplémentaires dans la pauvreté extrême et augmenter le nombre de bénéficiaires du RSA ou de l’ASS.

La politique d’austérité du gouvernement, en plus d’être de moins en moins déguisée, est de plus en plus dangereuse. Car le système d’indemnités chômage a été créé pour répondre à des besoins économiques. Il est censé stabiliser la consommation des ménages, maintenir un niveau de vie décent pour les chômeurs et participer à la cohésion sociale en offrant une protection contre les aléas du marché du travail. Ce système contribue même à la flexibilité du marché du travail en permettant aux travailleurs de rechercher des emplois correspondant à leurs compétences !

À force de s’appuyer sur des clichés éculés sur les chômeurs, pour détruire ce pilier de notre système de protection sociale, on en oublie que les indemnités chômage sont indispensables à une économie fonctionnelle (et à la possibilité pour tous de vivre dignement mais cela fait bien longtemps que cet argument ne trouve plus grâce aux yeux des libéraux). Il est donc périlleux de grignoter toujours plus ce système de protection et utile de rappeler que traverser la rue n’a jamais été suffisant pour trouver un travail.  


1.« Les deux réformes de l’assurance chômage », Bruno Coquet, mars 2022.

2. Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques.

3.L'invité du 6-9, France Bleu, 27 mai 2024.

4.Assurance chômage : la réforme de trop ?, France Culture, 28 mai 2024.

5. « Chômage : il y a six mois, l’administration jugeait “peu opportun” de durcir les règles», Mediapart, 28 mars 2024.

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