Raviver la mémoire de la Résistance
Loire-Atlantique (Pays de la Loire)
En Loire-Atlantique, la terre est marquée par l’agro-industrie. Mais celle où habite Juliette Rousseau, militante, éditrice et autrice de Péquenaude (Cambourakis, 2024), n’est pas seulement « un endroit saturé par le son des moteurs », elle est aussi « têtue ». Comme ce petit groupe d’habitants non encartés d’un village près de Châteaubriant avec lequel elle s’est réunie pendant les élections législatives de 2022 pour contrer le vote en faveur du Rassemblement national. Remobilisés après la dissolution de juin 2024, ils font à nouveau campagne pour le candidat sortant, l’écologiste Jean-Claude Raux (NFP), réélu. « On a vraiment vu les effets de cette mobilisation », s’enthousiasme-t-elle. Avec plusieurs habitants, elle crée le collectif Réveillons la Résistance.
Article issu de notre n°67 « Résistances rurales », disponible en kiosque, en librairies et sur notre boutique.
Le but : puiser dans l’histoire locale de la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, mobiliser « des acteurs locaux qui ont contribué à l’entretenir » et ainsi faire le pont avec le présent. Le 3 juillet 2024, Réveillons la Résistance a par exemple organisé une manifestation entre les deux tours des législatives anticipées pour honorer la mémoire des 27 prisonniers fusillés par les nazis le 22 octobre 1941 à Châteaubriant et rappeler que l’extrême droite a déjà gouverné. « La mémoire est une responsabilité, elle est vivante au sens où elle éclaire le présent, écrit le collectif dans une tribune publiée dans le journal L’Humanité le 21 juin 2024. À ce titre, elle nous oblige. »
Organiser un forum ouvert
Drôme (Auvergne-Rhône-Alpes)
À Die, petite ville de 5 000 habitants située dans la vallée de la Drôme, la dernière maternité a fermé en 2017 et l’inquiétude du retrait progressif des services publics fait le lit de l’extrême droite. En deux ans, dans ce territoire historiquement – et toujours – ancré à gauche « le vote RN a presque été multiplié par trois dans la circonscription et parfois plus dans de nombreux petits villages », souligne Wim de Lamotte, formateur d’éducation populaire qui réside à Marignac-en-Diois, un village voisin de 225 habitants. Dans ce territoire rural « contrasté » à la fois marqué par un fort attrait touristique et des taux élevés de RSA, la députée écologiste Marie Pochon (NFP) a néanmoins remporté de nouveau l’élection après la dissolution de l’Assemblée nationale « à 6 points (des voix) du candidat de RN-LR ».
Après le choc des dernières élections législatives, une vingtaine de personnes créent le collectif « Pour un Diois ouvert et solidaire et organisent dans la foulée un forum ouvert qui réunit une centaine de personnes à Die, en octobre puis en novembre. Les participants, divisés en une dizaine de groupes, ont été invités à déterminer les sujets sur lesquels ils ont débattu : certains ont interrogé la manière de sortir de l’entre-soi et de recréer du lien, d’autres, la posture à adopter pour ne pas alimenter les clivages ou bien les moyens de lutter contre le racisme ordinaire. Avec, comme horizon commun, s’organiser collectivement pour rester « un Diois ouvert et solidaire ».
Créer un lieu auto-géré
Meuse (Grand Est)
Après plusieurs années de lutte contre l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure, Joël Domenjoud s’installe à Commercy, une petite ville ouvrière de 5 000 habitants située dans la Meuse. Avec un taux de chômage à 24 % selon l’Insee, une précarité élevée, et des champs à perte de vue, le territoire se situe entre ruralité et ancien bassin désindustrialisé. « Depuis les années 1970, les entreprises familiales et locales qui employaient des milliers d’ouvriers ont enchaîné les plans sociaux et des rachats d’usines se sont multipliés ; l’érosion démographique du territoire est énorme », partage Joël. Un terreau fertile pour l’extrême droite, qui a fait parmi ses plus hauts scores dans le département de la Meuse aux élections européennes de 2024.
À son arrivée en 2017, Joël rejoint Graine, un groupe informel d’une trentaine d’habitants d’origines sociales très diverses qui s’invitent les uns chez les autres pour débattre depuis trois ans. « Réunir des ouvriers, des instits, des jeunes et des plus âgés pour discuter de sujets allant du féminisme à la prison, je n’avais jamais vu ça ! » Enthousiasmés par les écrits de Murray Bookchin sur le municipalisme libertaire, ils décident de louer un local à Commercy « avec comme principe simple de permettre à tout le monde de participer à la gouvernance et à l’usage du lieu ». Un système d’autogestion se met alors en place, renforcé par le mouvement des Gilets jaunes en 2018. Le groupe finit par acheter un local plus grand, ouvre une cantine, propose une aide aux devoirs et réserve l’accès du local aux jeunes un jour par semaine dans un lieu justement nommé « Là Qu’on Vive ».
Repolitiser la vie quotidienne
Plateau du Limousin (Nouvelle-Aquitaine)
Avec cinq habitants au kilomètre carré, « nous sommes dans l’un des territoires les plus ruraux de France », rappelle Katell, agricultrice et habitante du plateau du Limousin depuis cinq ans. Avec ses 5000 habitants, le plateau est à cheval sur plusieurs départements. Il est entouré des petites villes de moins de 2 000 habitants, Eymoutiers, Treignac, Meymac ou Felletin. Historiquement, « il s’agit des rares territoires où un communisme rural s’est développé à partir des années 1930 ». Si le vote à gauche reste majoritaire, le plateau n’a pas échappé à la percée du Rassemblement national.
En juillet 2024, un député d’extrême droite a été élu pour la première fois dans la Creuse voisine. Après avoir appelé à faire campagne sur les marchés, les membres du collectif baptisé Syndicat de la montagne limousine, créé en 2019, ont consacré une partie de leur camp d’été sur les moyens d’agir localement contre le RN. Plusieurs chantiers sont ouverts. Katell explique par exemple comment le syndicat réfléchit à favoriser l’installation de jeunes agriculteurs « car le territoire qui se vide est un moteur du vote RN ». Un autre groupe organise une permanence d’aide juridique et administrative dans les villages et un autre, l’accueil des personnes exilées dans un lieu qu’ils ont ouvert et des réunions publiques sur le racisme pour lutter contre les préjugés. À côté, certains habitants du plateau festoient lors de goguettes – qui consistent à réécrire des chants populaires en leur donnant parfois un sens politique – et participent à « créer une culture commune d’expression ».
Taper le carton contre l’extrême droite
Pas-de-Calais (Hauts-de-France)
Isbergues est une petite ville d’environ 9 000 habitants, à mi-chemin entre Saint-Omer et Arras, dans l’ancienne région administrative du Nord-Pas-de-Calais. « Sur les douze circonscriptions, dix sont désormais sous la houlette du RN », explique Stéphanie* qui vit ici depuis 17 ans. S’il existe dans cet ancien bassin minier une association pour venir en aide aux personnes exilées, « on s’est rendu compte que l’antifascisme était inexistant », souligne-t-elle. Le Collectif antifasciste du bassin minier est né en 2023 de ce constat, en opposition à l’extrême droite. Toutefois, « rendre visible cette opposition sur Internet et dans l’espace public quand on est minoritaire n’est pas évident, ni revendiquer le mot “antifascisme” qui n’est pas toujours compris ».
Pour bien saisir ce qu’est le fascisme, la différence entre la droite et l’extrême droite et même l’antifascisme, des habitants répartis dans les villes et villages alentours ont décidé de « se munir » en organisant des rencontres avec des sociologues spécialistes de l’extrême droite comme Ugo Palheta ou Félicien Faury. Au-delà d’apports théoriques, Stéphanie a suivi une formation sur la création de jeux pédagogiques avec CCFD-Terre solidaire. Parmi les plus populaires : « Ça se dégrade », inspiré des règles du jeu Top Ten, ou encore « Tac au faf », un jeu de mise en scène pour aiguiser sa répartie face aux propos discriminatoires. Ces événements qui mêlent théorie et pratique ont lieu au LAG, un lieu autogéré situé à Liévin, loué par des habitants du quartier depuis une quinzaine d’années.
Faire vivre une mairie en démocratie directe
Deux-Sèvres (Nouvelle-Aquitaine)
Laetitia Hamot habite à La Crèche, une commune d’environ 6 000 habitants, située près de Niort, dans les Deux-Sèvres. Elle fait aussi partie du réseau Actions communes, composé de citoyens qui souhaitent mettre en œuvre une démocratie participative dans leur ville. Inspirée par la Petite République de Saillans(1), et par les théories de la démocratie directe communaliste, Laetitia a remporté les dernières municipales de La Crèche sur ce pari. « Nous fonctionnons en gouvernance partagée. Je ne suis pas seule à décider, d’ailleurs je ne détiens pas de pouvoir de décision, hors situation d’urgence. »
À La Crèche, chaque processus décisionnel a sa particularité. Des groupes composés d’habitants et d’agents municipaux se forment au gré des besoins et des demandes des habitants. « Nous avons un comité sur les cimetières très actif, mais aussi des comités locaux sur la gestion du budget municipal ou encore sur la végétalisation de la commune. » Pour cette équipe municipale, créer ces espaces démocratiques est essentiel. Grâce à ces comités, « des personnes de sensibilités et d’âges différents débattent et apprennent à se sentir légitimes ». Dans sa commune plutôt épargnée par le vote d’extrême droite, malgré une hausse notable, « la démocratie a ce potentiel de renforcer la lutte contre l’autoritarisme et les préjugés qui peuvent être le moteur de l’extrême droite ». Car c’est au niveau local que « plein d’actions discrètes peuvent se mettre en place » comme ces formations à la lutte contre les discriminations dont bénéficient les agents municipaux.
1. La Petite République de Saillans est une expérience de démocratie participative qui a débuté en 2014 dans le village de Saillans (Drôme).
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