Stratégies foncières

Racheter des forêts pour les garder en vie

Photo de Siska Vrijburg sur Unsplash

Impulsé par le Réseau pour les alternatives forestières (RAF), un fonds de dotation unique en France rachète des terres forestières pour y implanter des activités respectueuses du vivant. 

Ni usines ni musées ! Mais des forêts investies par un travail artisanal et des activités citoyennes respectueuses du milieu. C’est l’ambition du Réseau pour les alternatives forestières (RAF), qui réunit des bûcherons, des propriétaires fonciers, des artisans du bois ou des naturalistes et que vient compléter, depuis cinq ans, un fonds de dotation baptisé Forêts en vie. Ce « bras armé » de la philosophie du RAF collecte des financements auprès de particuliers et d’entreprises pour acheter des surfaces forestières et les mettre à dispo­sition d’associations. Une mission « nécessaire » face au désengagement public, juge Nathalie Naulet, ex-­technicienne de l’Office national des forêts (ONF) chargée du pilotage de l’organisme de mécénat.

Car en l’absence d’une politique nationale protectrice, les écosystèmes forestiers et les métiers qui s’y rattachent se dégradent, ne laissant plus qu’« une filière forêt-bois industrielle, standardisée, dont les externalités négatives ne sont jamais prises en compte par notre modèle économique court-termiste », dénonce le RAF. La monoculture, les intrants chimiques, les coupes rases et la mécanisation tassent et appauvrissent les sols, fragilisent la biodiversité et mettent à mal les services écosystémiques rendus par la forêt, pourtant largement médiatisés. Alors pour garder les forêts « vivantes », l’équipe de ce fonds de dotation unique en France bataille pour les racheter, avant d’en laisser la gestion à des structures à but non lucratif, défendant par exemple le travail artisanal du bois ou un projet pédagogique forestier. 

Confettis et spéculation

Pas si simple. En France, l’accès au foncier forestier est opaque et onéreux. C’est l’une des ambiguïtés de l’imaginaire collectif lié à ces milieux boisés : entre deux récoltes de champignons ou de châtaignes, on a tendance à les considérer comme un bien commun, ces millions d’hectares arborés, de la même manière que les plages et les littoraux nationaux. Et pourtant, dans l’Hexagone, les trois-quarts d’entre eux sont privés. Les propriétaires sont nombreux – 3,5 millions – et la moitié ne possède même pas un hectare (lire notre entretien). Ce morcellement s’explique en partie par l’absence d’opérations de remembrement telles que les a connues le milieu rural dès les années 1960, pour encourager la productivité.

De fait, quand on souhaite investir dans le foncier forestier, la première difficulté est d’abord de trouver à qui appartiennent les parcelles, de contacter les héritiers qui parfois ignorent jusqu’à leur existence, et surtout de les convaincre d’une vente, voire d’un don ou d’un legs ! « Sur l’acquisition que nous menons actuellement, nous comptons 76 propriétés, dont certaines sont en indivision, avec cinq ou six personnes qui doivent se mettre d’accord », détaille la coordinatrice de Forêts en vie. Par ailleurs, l’hectare forestier est souvent onéreux : s’il se négocie parfois à quelques centaines d’euros à peine, il avoisine en moyenne les 4 000 euros en France (données Safer, 2020), et il peut grimper jusqu’à 20 000 euros. Le secteur géographique, la valeur du terrain nu, la qualité du bois, l’accessibilité de la parcelle, sa pente ou encore sa surface (déplacer une machine pour un hectare ou pour cinquante ne laisse pas espérer les mêmes recettes) expliquent ces grands écarts.

Autre barrière à l’achat : l’opacité des mises en vente, notamment celles des grands domaines. « Cela se passe souvent sous le chapeau », regrette Nathalie Naulet. La forêt étant devenue un placement financier assez sûr (jusqu’à quand ?), elle séduit les banques, les compagnies d’assurance et les grandes fortunes, qui y voient aussi l’occasion de verdir sans risque leurs investissements. Pourtant, une terre plantée d’arbres peut être un contresens écologique, dénonce Forêts en vie. Exemple avec le pin Douglas, apprécié pour sa résistance et sa rapidité de pousse, très présent sur le territoire français depuis quelques décennies – ses plantations ont été encouragées au niveau national – et qui fait fréquemment l’objet de coupes rases et précoces. « À 45 ans, couper un Douglas est une hérésie », tempête Nathalie Naulet. Son tronc n’a pas encore acquis la solidité pour laquelle on le recherche, et l’arbre n’a pas atteint la maturité pour restituer à la terre tout ce que sa croissance lui y a fait ponctionner. Non seulement la qualité du bois sera médiocre, mais en plus le Douglas, doté d’une espérance de vie multiséculaire, n’aura pas eu le temps de jouer son rôle de puits de carbone…

Des forêts plutôt que des plantations

À rebours de ces pratiques, Forêts en vie prône une sylviculture douce, à travers des récoltes de bois moins importantes, mais plus régulières, visant à réduire l’usage de machines lourdes (abatteuses par exemple), qui préservent un couvert végétal permanent, et qui respectent un mélange d’essences et d’âges (avec le maintien de vieux arbres et d’arbres morts). Trois forêts ont déjà été acquises grâce au fonds de dotation, dans le Lot, en Corrèze, et plus récemment en Haute-Loire. Cette dernière, située en moyenne montagne, abrite des sapins pectinés, des hêtres, et des épicéas communs d’âges variés. Elle vient d’être confiée à l’association Sous lou boès, portant un projet de sylviculture douce allié à des actions de sensibilisation à la biodiversité.

Un bail spécifique garantit la mise à disposition pérenne des terres, jusqu’à 99 ans, ainsi que leur vocation écologique, à travers des clauses environnementales (la récolte de bois et d’autres produits est encadrée, 25% de la surface est laissée en libre évolution, etc.). « L’achat est apparu comme la solution la plus sûre pour protéger la forêt durablement, afin d’éviter qu’elle ne reparte dans le circuit conventionnel à court ou moyen terme », explique Nathalie Naulet. Paradoxalement, l’ambition de ces actes de propriété privée est aussi d’expérimenter un autre rapport à la forêt, non marchand et non spéculatif, en replaçant ces terres dans le bien commun. Les mises à disposition auprès de structures d’intérêt général, et non de personnes individuelles, ne doivent rien au hasard. « Cela permet de prendre soin collectivement de la forêt, de s’en sentir collectivement responsable », défend la coordinatrice de Forêts en vie.  

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