A compléter

"Pourquoi j'ai choisi de vivre zéro déchet." Episode 1/5. Aline, 22 ans, adepte de micro-écologie.

Il y a quelques années, Aline a décidé de changer radicalement de mode de vie en supprimant toutes les poubelles de son quotidien. Premier épisode d'une série d'articles rédigés par l'auteur du blog "Consommons sainement" pour nous inviter à prendre du recul sur nos déchets, et explorer les moyens de les réduire.

Dans nos sociétés hygiénistes, les déchets, symboles d'insalubrité et d’infamie, n’ont pas bonne presse. Le Père Noël est une ordure ne sera jamais le titre de film le plus flatteur pour ce cher homme en rouge, tout comme le métier d'éboueur ne fera jamais rêver les enfants. Alors machinalement, on remplit nos poubelles, on les ferme, on les jette et on n'y pense plus. Comme guidés par la logique «loin des yeux, loin du cœur», nous occultons nos déchets. 

Pourtant, nos poubelles ne disparaissent pas, elles se métamorphosent en substances très polluantes. «Rien ne se perd (...), tout se transforme» disait le chimiste français Lavoisier en 1777. Il en va autrement des réserves en matières premières. Les minerais puisés pour fabriquer nos téléphones, l'or extrait pour nos bijoux ou l'uranium nécessaire à nos centrales nucléaire se font rares. Entre extraction massive des ressources en amont, et production de déchets toxiques en aval, la durabilité de ce modèle est remise en question. 

 

Pourquoi le recyclage n’est pas la solution.


Les crises économique et écologique on fait renaître l'économie circulaire. Dans ce modèle alternatif, un objet a plusieurs vies. Sa matière est ré-utilisée (upcycling) ou transformée (recyclage), le tout sans jamais devenir un déchet, et sans avoir besoin d’extraire de nouvelles matières premières. Noyée dans ce cycle, la notion même de déchet n'a plus de raison d'être: dans ce circuit de production, le déchet est appréhendé comme une ressource.

Sauf que le recyclage ne doit être choisi qu'en dernier recours. La matière est certes revalorisée, mais son transport et les hautes températures à atteindre lors de sa fonte (comme pour celle du verre, recyclable à l’infini) ou de son broyage (textiles par exemple) sont très énergivores. Mieux vaut couper une paire de jean pour en faire un short (upcycling) ou en faire don à Emmaüs plutôt que de la déposer dans une borne de recyclage, où elle finira broyée puis transformée en isolant thermique. 

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Les valeurs de l’économie circulaire ont le vent en poupe, mais le problème, c’est qu’il ne souffle pas dans la bonne direction. Dans les commerces, seul le recyclage est devenu un véritable argument de vente. En revanche, il est rare de croiser un produit étiqueté inusable, véritablement solide ou facilement réparable. Alors que les poêles en fonte ou en acier ont une durée de vie établie de 10 ans, la plupart de celles vendues dans le commerce "doivent être changées tous les deux ans"

Au-delà des tendances du marketing, les Français ont du mal à intégrer le tri sélectif dans leurs habitudes. Entre le manque d’éducation et de régulation sur le sujet en amont, un tri sélectif limité et des consignes confuses en aval sur les emballages, seuls 28% des déchets des ménages sont recyclés dans l’hexagone. 

Loin des yeux, près du corps. 


Une famille française de quatre personnes jette en moyenne 2,3 tonnes de déchets non recyclables par an, soit le poids d'environ deux voitures. Ces centaines de poubelles annuelles font partie de notre quotidien, pourtant nous les avons rendues invisibles, au point de ne plus s'interroger sur leur destinée. 


Saviez-vous que 38% de nos déchets non recyclables restent en décomposition pendant plusieurs décennies? Ces derniers s’ajoutent aux monticules d'ordures ménagères abandonnées dans les décharges. À la manière des moutons de poussière cachés sous le tapis, ils se transforment en jus (appelés lixiviats) très polluants pour les sous-sols et les nappes phréatiques en cas de rupture des membranes de protection de la décharge.

Lors de leur décomposition, les déchets émettent également des gaz tels que le méthane. Rappelons que ce très puissant gaz à effet de serre est responsable de 20% du réchauffement climatique. 
On comprend pourquoi certains mènent des campagnes choc pour nous forcer à regarder nos déchets en face, comme celle de "l'homme ordure"qui a conservé sur lui pendant 30 jours les déchets qu'il générait. 

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Le destin de nos poubelles n'est pas plus radieux en incinérateur. Les déchets y sont brûlés à de très hautes températures, partant ainsi littéralement en fumée. Simple effet d’optique car, en étant filtrées chimiquement et mécaniquement, ces colonnes de vapeurs donnent naissance à d’autres déchets: des résidus très toxiques qui rejoignent une zone de stockage de tonnes de matières incombustibles. Ainsi, l’incinération présente un danger sanitaire potentiel pour les riverains qui bordent ces usines.


Nos poubelles, reflets d'une culture périssable


«Ce qu’il y a de plus important à étudier dans une société, ce sont les tas d’ordures» disait paraît-il le sociologue Marcel Mauss à ses élèves (1). Les nôtres sont le tombeau d’objets à usage unique: rasoirs, vaisselles, téléphone portable… Entre emballages non recyclés et outils rapidement obsolètes, le «tout-jetable» domine encore le marché. Et avec lui le modèle d'économie linéaire: une matière est extraite, transformée, utilisée puis jetée. 

Si bien que nous ne fabriquons plus de biens durables, transmissibles de génération en génération, autant d’objets de culture, relais de valeurs et de pratiques, oeuvrant sur le long terme à la construction de l’Histoire. À l'inverse des objets encore presque intactes que nos grands-mères nous ont légués, nos fourchettes en plastique et notre électroménager à obsolescence programmée ne feront pas partie du monde de nos petits-enfants.  

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Pour reprendre la distinction de la philosophe allemande Hannah Arendt, nous “n’œuvrons” plus pour nos objets du quotidien, nous “travaillons”. Autrement dit, nos biens éphémères sont consommés en moins de temps qu’il n’en a fallu pour les produire!

Qu'elle soit vidée tous les deux jours, divisée en deux bacs distinguant les emballages des déchets organiques, ou qu'elle intègre un compost, le choix de notre poubelle n'est jamais anodin. Et pour optimiser nos ressources, certains ont même choisi de vivre sans. C'est la logique du zéro-déchet: diminuer le recyclage au profit du tout-réutilisable ou du tout-réparable. Et ainsi espérer, une fois adoptée par le grand public, sortir de cette culture du périssable. 


Note:
(1) Jacques Soustelle, Les Quatres Soleils, 1967.

Illustration : ©Barry Rosenthal

 

À 22 ans, cette étudiante en Environnement à la Sorbonne ne produit qu’un sachet de 500g de déchets par an. Sur son blog “Consommons sainement”, Aline décrypte les enjeux écologiques de nos gestes quotidiens, du brossage de dent aux tâches ménagères. Avant de partir à la découverte de San Franscico, baptisée capitale du zéro-déchet, elle a publié un guide gratuit pour sensibiliser les "débutants paresseux (ou occupés)". 

 

 

 

 

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NUMÉRO 66 : OCTOBRE-NOVEMBRE 2024:
La crise écologique, un héritage colonial ?
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