La commune contre l'État

Déjà autrice des remarqués Mai 68 et ses vies ultérieures (Agone, 2002) et de L’Imaginaire de la Commune (La Fabrique, 2015), Kristin Ross continue de documenter, à travers les luttes passées et contemporaines, les manières de reconquérir l’espace et le temps vécu, de contourner et de dépasser la logique capitaliste. Premier obstacle surmonté dans ce livre : l’opposition persistante entre villes et campagnes. Selon la pensée marxiste-léniniste, la première est vue comme le bastion de l’avant-garde révolutionnaire, tandis que l’autre ne serait peuplée que de masses arriérées, voire réactionnaires.

Un antagonisme qui a du reste été instrumentalisé par la propagande versaillaise pendant la Commune de 1871, commandant au reste du pays d’exterminer les insurgés retranchés dans Paris. Kristin Ross s’intéresse alors aux solidarités qui ont aussi lié ces deux mondes : les réseaux de ravitaillement entre paysans et grévistes mis sur pied lors de la « Commune de Nantes », en 1968, ou encore le jumelage, en 1973, entre les opposants au camp militaire du Larzac et les ouvriers de l’usine Lip. La forme-Commune se dessine alors.

Ni concept ni cap à atteindre, elle s’incarne dans ces alliances et ces luttes d’espace en constante réinvention d’elles-mêmes, dans ces ZAD qui échafaudent des projets de vie collectifs, qui organisent le quotidien au nez et à la barbe de l’État. Ces formes-Commune rappellent que les modes de vie paysans, centrés sur la subsistance et l’autonomie, anachroniques au regard de l’accumulation capitaliste, sont aussi peut-être les principaux leviers pour lui faire obstacle. 

La forme-Commune. La Lutte comme manière d’habiter, Kristin Ross, La Fabrique 160 pages, 19 mai 2023, 14€. 

Articles en lien

• Édito. Turc mécanique
• Pétromasculinité : industrie fossile et domination patriarcale
• Permaculture et descente énergétique

À propos de l'auteur

Clément Quintard
Journaliste