Bleu Blanc Vert : La chronique présidentielle

Campagne présidentielle : L'écologie a-t-elle besoin d'un parti ?

Photo : Thomas Bresson

À chaque numéro, Socialter décrypte un enjeu écologique lié à la présidentielle de 2022 pour révéler les clivages et affrontements idéologiques qui se jouent au-delà des calculs politiques. Dans ce numéro, nous nous demandons si un parti «Vert» doit chercher à briguer l’Élysée.

Plus de 100 000 votants à la primaire écologiste : c’est historique. De quoi se rassurer et se dire que là, vraiment, ça y est, l’écologie a acquis un nouveau statut dans la société et le paysage politique, que le XXIe siècle vient enfin de débuter et que, pourquoi pas, demain, en 2022, on va repeindre l’Élysée en vert – on ignore encore, au moment où ces lignes sont écrites, si la tâche incombera à Yannick Jadot ou bien à Sandrine Rousseau. Mais voilà : il y a ces maudits sondages dont le dernier en date, signé Harris Interactive, crédite le premier, tenant d’une écologie « ouverte », de 6 %, tandis que la seconde, porte- drapeau d’une écologie « radicale », d’à peine 2 %. La dissonance est spectaculaire : nous sortons péniblement d’un an et demi de catastrophe sanitaire (et écologique) globale, toute une partie de la jeunesse est dans la rue, la question écologique est au sommet des préoccupations des Français et pourtant... le meilleur canasson des Verts ne dépasserait que de peu le score de Noël Mamère en 2002 (5,25 %). À se demander si l’on ne vote pas Vert uniquement quand l’élection ne sert pas à grand-chose. Aux élections européennes, par exemple : on se distingue, on vote « avec le cœur ». Et puis, surtout, on n’est pas beaucoup à voter, ce qui donne de jolis chiffres et d’heureux augures de la part du commentariat autorisé des plateaux télé. Mais à la présidentielle, toujours pas. L’écologie progresse, les Verts : niet – pour l’instant. Comment l’expliquer ? On pourrait ergoter sur le fait que le greenwashing des autres partis n’aide pas, que les candidats des Verts ne seraient pas suffisamment présidentiables, que certains d’entre eux ont laissé aux électeurs une image déplorable d’opportunisme, de cynisme et de homards au menu... Mais une question plus capitale serait certainement : l’écologie a-t-elle besoin d’un parti ? Peut-elle être le socle d’un programme fédérateur, englobant, qui justifie la « forme parti » et l’ambition d’accéder à l’Élysée ? Et socorollaire : a-t-on besoin de la candidature de Yannick Jadot lorsque des partis de la droite et du centre ont fini par intégrer l’environnementalisme 1 à leur programme, ou de celle de Sandrine Rousseau lorsque des partis de gauche ont plus ou moins fait droit à l’écologie politique dans leur ambition transformatrice ?

Le rôle et l’ancrage d’un parti « Vert » suscitent des débats parmi les écologistes depuis les origines du courant, dans les années 1970. L’immixtion sur la scène politique est alors perçue comme un moyen de faire pénétrer les idées écologistes dans le débat national et d’alerter les Français sur les dangers à venir, tout en élaborant le projet d’une société alternative – pacifiste, socialiste, économe en ressources et en énergie, dénucléarisée. Mais rapidement, le positionnement d’un tel parti sur l’échiquier politique et sur son axe gauche-droite pose question. Pour une partie de ces militants, l’écologie est naturellement de gauche et ne saurait être pensée en dehors de cette famille. Dès lors, si parti il y a, son rôle sera nécessairement de faire valoir ce projet depuis la gauche, mais aussi au sein de celle-ci, alors encore dévouée au développement de l’industrie et à la croissance des richesses matérielles. Pour une autre partie des militants, dont l’influence ira croissant au cours des années 1980, notamment avec Antoine Waechter (candidat des Verts à l’élection présidentielle de 1988), l’« écologie n’est pas à marier ». Slogan dont on aura retenu un « ni-ni », ni de droite ni de gauche, qui a opportunément refait surface avec Emmanuel Macron. Le positionnement des Verts devient alors très ambivalent. D’un côté, ce « ni-ni » peut renvoyer à un subtil « ni pour le productivisme de droite, ni pour le productivisme de gauche », soulignant alors que l’écologie forme un nouveau paradigme qui se surimpose à la lecture traditionnelle des clivages politiques, sans pour autant supposer que l’écologie puisse s’inscrire autre part qu’à gauche. Ce courant-là est volontiers autonomiste et préfère se garder de toute alliance qui risquerait de conduire au reniement des fondamentaux de l’écologie politique. Mais le « ni-ni » est aussi pour d’autres un « ou-ou » : ou de droite ou de gauche, selon les circonstances et les gains électoraux à espérer. Une stratégie « à l’allemande », en somme, qui ancre les Verts au centre, préférant la certitude de petits gains que les espoirs de grandes victoires.

Des partis écolos ont disparu, d’autres leur ont succédé. En revanche, les scissions et divergences familiales ont perduré. La sociologue Vanessa Jérome, autrice de Militer chez les Verts (Presses de Sciences Po, 2021), relève que la division dans les rangs d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) est aujourd’hui la suivante : un tiers de militants voient leur parti comme l’allié naturel du centre-gauche, un tiers comme celui de la « gauche de la gauche » et un tiers se disent autonomistes. Finalement autant capables dans l’art de se diviser que dans celui de rester unis, les Verts ont su traverser les décennies jusqu’à nous, défiant les Cassandre qui annoncent régulièrement leur fin. Mais qu’en est-il des objectifs que s’était fixés l’écologie institutionnelle, qui devait justifier la « forme parti » ? À l’aube de l’élection de 2022, cela ressemble à un échec sur toute la ligne. Les « ou de droite ou de gauche » ont des mines de cocus consentants. Ceux qui voulaient attirer les partis de gauche vers l’écologie ont surtout l’air dépassés par une gauche qui se montre parfois plus ambitieuse que leur propre parti. Ceux qui prétendaient poser l’écologie comme nouvelle boussole, un paradigme à partir duquel il fallait repenser toute la société future, n’ont pour l’instant pas réussi à devenir hégémoniques. Toutes tendances confondues, les Verts ont surtout échoué dans leurs missions historiques, comme le posait il y a quelques années Vanessa Jérome 2 : protéger l’écologie politique des OPA et des washings en tout genre, démontrer qu’aucun parti libéral ou de droite ne pouvait être écolo, que l’écologie était aussi vitale que radicale, nécessairement anticapitaliste puisque antiproductiviste

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