Bleu Blanc Vert

Campagne présidentielle : Jadot est-il écolo ?

Photographie : CC Tifeco76

À chaque numéro, Socialter décrypte un enjeu écologique lié à la présidentielle de 2022 pour révéler les clivages et affrontements idéologiques qui se jouent derrière le verdissement des programmes des candidats. Dans ce numéro, nous nous attardons sur la question des prérequis pour une candidature réellement écologiste.

C'est officiel, Yannick Jadot s’est déclaré début juillet candidat à la présidentielle de 2022 dans les colonnes de L’Obs. Sur la photo, la manche d’un complet bleu royal cache désormais les traditionnels bracelets de militant-festivalier. Le ton est donné : une écologie résolument « pragmatique », comme il aime à le marteler, fondue au creuset d’un républicanisme bien de chez nous pour se donner les moyens de conquérir le pouvoir. Encore faudra-t-il passer la primaire d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) prévue pour septembre et triompher de ses trois adversaires déclarés jusqu’alors : le maire de Grenoble Éric Piolle, la députée Delphine Batho et l’ancienne porte-parole du parti Sandrine Rousseau. Si l’on sacrifiait aux exigences de la Ve République, il faudrait bien parler de l’homme politique Jadot, proclamé « géant Vert » par le même Obs après son relatif succès comme tête de liste du parti écologiste aux dernières européennes. Est-il sincère ? Est-il à la hauteur ? Ou bien est-il comme les autres ? Il n’y aurait pas grand-chose d’intéressant à dire. Il y a certes Daniel Cohn-Bendit, feu Dany le Rouge, qui qualifiait il fut un temps son ancien poulain de « bon mec, drôle, bon vivant et qui adore le foot ». Mais les portraits qui lui sont consacrés sont souvent moins flatteurs : opportuniste, égotique, versatile… voire carrément insultant. Comme lors de cette matinée de novembre 2011 où, déjà, une aimable Dominique Voynet, ancienne ministre de l’Écologie, l’accueillait au siège des Verts avec des manières compassées : « Salut, gros connard… Pardon, sale enculé de ta race. Je me demande ce qui me retient de te casser la gueule. » Sur ses pas, Jadot a raréfié les saluts : on compte les trahisons. On lui reproche d’avoir torpillé la campagne d’Éva Joly en 2012, rejoint Benoît Hamon sans consulter personne en 2017 et tenté depuis de prendre toute la lumière. Défendre désormais une « écologie ouverte et majoritaire » paraît relever de la profession de foi quand on peine à trouver un seul allié dans son propre camp… Mais la pire des accusations – et la seule qui nous intéresse réellement – est celle-ci : Jadot ne serait pas écolo.

Des effets et des causes de la catastrophe

Il faut d’abord s’entendre sur la définition de l’écologie politique. Ces dernières années, tout le monde s’est peu ou prou verdi : y a-t-il encore une ligne de démarcation claire entre les vrais et les faux écolos ? Exercice périlleux, d’autant que toute personnalité politique conséquente se dira préoccupée par la capacité de notre civilisation à « durer » et la possibilité pour les générations futures de s’épanouir dans des conditions de vie dignes. Il y a bien certains indices dans les discours politiques qui devraient sonner l’alarme : si l’on parle des « activités humaines » sans jamais mentionner la responsabilité de l’Occident, des classes privilégiées, du mode de vie consumériste ou du système productiviste, un conseil : méfiez-­vous. Idem si vous comptez un trop grand nombre de fois le mot « vert », si la suppression du plastique semble être un objectif « ambitieux » ou si le futur « désirable » qu’on vous tend est d’avoir une voiture électrique devant sa porte et des champs de panneaux solaires à sa fenêtre. En somme, l’exercice mental pour trier le bon grain de l’ivraie est de se demander à chaque fois : le projet politique qui vous est proposé se contente-t-il de vouloir « gérer » les effets « néfastes » ou « pervers » de nos sociétés sur « l’environnement », ou va-t-il jusqu’à s’en prendre à la légitimité du système lui-même ? Atténuation ou transformation radicale ? Gouvernance des effets ou action sur les causes ?

Ceci dit, il n’est pas rare qu’en la matière les discours manquent de clarté. Malgré la grande diversité des manières d’être (vraiment) écologiste, certains marqueurs font figure d’axiomes communs : une hostilité au mode d’organisation capitaliste et un malaise avec l’idée de croissance illimitée. Par exemple, les tendances écosocialistes se dressent contre une croissance de la richesse fondée sur la maximisation des rendements, l’augmentation des profits et le recours croissant à des techniques qui rompent les équilibres écosystémiques, le tout au prix d’une aliénation presque totale de la conscience et du travail humains. Ceux qui veulent renouer avec le monde vivant luttent contre la croissance de l’espace occupé par des humains qui se sentent maintenant partout chez eux. Les courants autogestionnaires, municipalistes, anarchisants ont un problème avec la croissance des structures d’organisation, transformant les villages et villes en mégalopoles, les municipalités et régions en États-nations, deux formes abouties de la prédation sur les ressources et les êtres humains. Même les branches les moins politiques et les plus technocratiques ou scientifiques alertent du danger de la pression croissante sur les milieux et sur les ressources renouvelables et non renouvelables.

« Je m’en fous complètement »

La parole de Yannick Jadot a de quoi rendre perplexe. Interrogé en 2019 par Reporterre, il s’est déclaré « anti­capitaliste », aveu laborieusement arraché par le média qui a répété trois fois la question. Pourtant, plus généralement, le candidat se contente d’en dénoncer certaines formes (le « libéralisme débridé », le « capitalisme financier » ou « outrancier »). Voire de s’adapter à son auditoire, comme lors de la Rencontre des entrepreneurs de France organisée par le Medef le 27 août 2020, où il a défendu « le capitalisme européen et le modèle social européen [qui ne sont pas] les modèles chinois [ou] américain », ou encore dans les colonnes du magazine Challenges, où il s’est déclaré « favorable à l’économie de marché ». Quant à la question de la croissance, Yannick Jadot préfère la stratégie d’évitement. Devant le Medef, et à la plus grande satisfaction de ses représentants sortis de la salle impressionnés, selon les observateurs, il déclarait sobrement : « Le débat croissance-décroissance, je m’en fous complètement. » Sur ce point, il n’a pas varié, puisque dans l’entretien donné à L’Obs en juillet, la question du journaliste « Un président écologiste serait-­il un président décroissant ? » est restée sans réponse. Jadot présidentiable ? Peut-être. Vert ? Volontiers. Écolo ? Fort peu. Son environnementalisme n’est pas notre écologie. 

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NUMÉRO 66 : OCTOBRE-NOVEMBRE 2024:
La crise écologique, un héritage colonial ?
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