Renouer avec la nature

Guérilla juridique : Doit-on reconnaître des droits au vivant ? (5/5)

De la criminalisation de l’écocide aux attaques en justice contre les États, en passant par l’instauration d’une « règle verte », le droit a été, ces dernières années, un champ de bataille écologique à part entière. Les écolos auraient-ils trouvé dans les juges nationaux et internationaux des alliés contre l’inaction politique ? Jusqu’où peut-on compter sur le troisième pouvoir ? Comment réformer nos outils ? Socialter passe en revue cinq pistes, et leurs limites, pour mener le combat sur le terrain juridique.

Guérilla juridique : 5/5

Le fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande, la Pachamama en Équateur, le lac Érié aux États-Unis : ces éléments ont en commun d’avoir obtenu la qualité de sujet de droit. Partout dans le monde, de nouvelles constitutions, lois ou jurisprudences confèrent des droits à la nature, et permettent ainsi aux humains de porter plainte au nom d’un fleuve, d’un lac, d’un animal, d’une forêt, voire d’une montagne. Cette personnalité juridique permet d’agir de façon préventive et de freiner, voire de stopper, des projets industriels menaçant leur intégrité.

Des changements radicaux qui viennent rompre avec des conceptions juridiques fondamentales de la modernité occidentale : les éléments naturels ne sont pas uniquement des choses utiles aux humains, ils possèdent une valeur intrinsèque. En France, à la suite de l’affaire du naufrage de l’Erika en 1999, le juge opère un tournant jurisprudentiel en créant la notion de « préjudice écologique », confirmée ensuite par la Cour de cassation. Depuis la loi sur la biodiversité de 2016, ce principe fait partie du droit de l’environnement. Il s’agit d’un droit de réparation ou de compensation dont il est donc possible de se prévaloir a posteriori, à la suite d’un désastre.

« Nous ne sommes, après tout, qu’une espèce parmi d’autres », déclarait la rapporteure du texte à l’Assemblée nationale, Geneviève Gaillard. En créant des « zones prioritaires de biodiversité », un « principe de solidarité écologique », ou en utilisant le terme « êtres vivants » – et non plus « espèces animales et végétales » –, la loi a renforcé l’idée de coexistence des humains et des non-humains sur un même territoire. 

Marie-Angèle Hermitte, docteure en droit et directrice de recherche honoraire au CNRS, a été l’une des premières juristes à s’intéresser aux évolutions du droit vers un « animisme juridique » – autrement dit : l’ensemble des transformations qui ont conduit à traiter des non-humains comme des sujets de droit. « Face à la crise écologique que nous traversons, il m’est apparu qu’il y avait une nécessité à réorganiser les catégories juridiques autrement, en intégrant les personnes morales, physiques, mais aussi les entités naturelles quelles qu’elles soient », indique la chercheuse.

Pour elle, reconnaître la personnalité juridique d’un fleuve « revient à le considérer comme une entité complète, et non plus uniquement comme une entité administrative, avec des tracés, une source et une embouchure ». Quant aux animaux, leur statut est également en train d’évoluer. En mars 2008, la cour d’appel de Reims, en se prononçant sur la saisie d’une éléphante (faute d’autorisations nécessaires par ses propriétaires), avait évoqué « les conditions de vie inadéquates à son épanouissement » pouvant « entraîner des troubles de comportement ».

L’épanouissement était jusqu’alors un concept forgé exclusivement pour la personne humaine : par sa décision, le juge a ouvert une brèche. Considérés dans le code civil comme des « biens meubles » (au même titre qu’un tabouret ou une gourde), les animaux sont reconnus, en 2015, comme des « êtres vivants doués de sensibilité ». Mais une question demeure irrésolue : parviendra-t-on à élargir le périmètre de la personnalité juridique aux non-humains sans changer radicalement notre rapport à la nature ?

Retrouvez toutes les solutions de guérilla juridique dans notre hors-série « L'écologie ou la mort » avec Camille Étienne, rédactrice en chef invitée.

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