Perspectives

En 2050, 10 milliards d'urbains

Illlustrations : Emma Roulette

1/4 L’humanité devient de plus en plus citadine, avec des conséquences qui s’annoncent très ambivalentes. Car si la ville permet une optimisation des ressources et un accès à la culture, elle concentre aussi pollution, pauvreté, et engendre des modes de vie plus consommateurs.

Les historiens et démographes du futur accorderont peut-être une importance particulière à l’année 2007. Non parce qu’il s’agit de l’année de sortie du premier iPhone, mais de celle où l’humanité est devenue majoritairement urbaine. Continue depuis le XIXe siècle, l’urbanisation devrait se poursuivre à l’avenir, et la part d’urbains au niveau global ­pourrait atteindre 68 % en 2050 selon l’Orga­nisation des Nations unies (ONU). La quasi-totalité des pays du monde comptera alors plus d’urbains que de ruraux, et les villes accueilleront d’ici là quelque 3 milliards d’habitants supplémentaires. Quelles pourraient être les conséquences politiques de cet exode rural mondialisé ? Celles-ci peuvent être ambivalentes, tant la ville concentre des phénomènes opposés : la richesse comme la pauvreté, la pollution comme les exigences en matière d’écologie.

Ce que nous dit la recherche, c’est que l’urbanisation est associée à la richesse… dans une certaine mesure. Historiquement, plus un pays s’enrichit, plus il s’urbanise. Mais rien n’indique que l’urbanisation en elle-même soit nécessairement une source de prospérité, précisent des chercheurs de l’école de santé publique de ­Harvard, dans un article publié par la revue Science en 2008. Dans cet article, ils montrent que le taux d’urbanisation a progressé de manière identique en Afrique et en Asie entre 1960 et 2000, passant de 20 à 35% environ, tandis que le revenu par habitant a augmenté de 340% en Asie contre seulement 50% en ­Afrique. Or, c’est en Afrique que l’urbanisation ­progresse le plus désormais. En 2016, selon la Banque ­mondiale, les 9 pays dont le taux d’urba­nisation a le plus progressé sont tous africains.

Selon ces mêmes sources, vivre en ville permet globalement de bénéficier d’un accès accru à l’emploi et aux marchés, mais aussi à l’éducation et à la culture. La concentration d’humains au sein des villes permet notamment de rentabiliser des infrastructures de santé et de transport, tout en abaissant les besoins de longs déplacements. Logiquement, les urbains font en moyenne moins d’enfants que les ruraux et, dans les pays en développement, ces enfants souffrent moins de malnutrition. L’accès à l’eau potable, aux réseaux d’assainissement et à l’électricité y est aussi plus élevé que dans les campagnes. Mais ces indicateurs de bien-être masquent de profondes inégalités au sein des zones urbaines.

Trois milliards d’humains dans les bidonvilles

Alors que les pays les plus pauvres sont ceux où l’urbanisation va se développer le plus rapidement dans un proche avenir, leurs autorités peinent déjà à fournir logements et infrastructures à cette nouvelle population d’urbains, attirée par les opportunités éco­nomiques de la ville. «Au Tchad, au ­Soudan ou en Centrafrique, qui font partie des pays les plus pauvres du monde, 90% de la population urbaine vit dans des quartiers précaires. Dans les pays plus développés, la proportion de la population urbaine vivant dans des quartiers précaires oscille entre 30 à 60%. Le niveau de développement d’un pays et le nombre d’habitants vivant dans des quartiers précaires sont largement corrélés», explique Pierre-­Arnaud ­Barthel, chef de projet au sein de la division Collectivités locales et développement urbain à l’Agence française de développement (AFD), dans une interview à Euractiv

L’expert rappelle une effrayante projection de l’ONU : sur les 2 milliards de Terriens supplémentaires en 2050, la moitié vivra dans un bidonville. L’agence de l’ONU spécialisée dans l’urbanisme, UN-Habitat, définit un bidonville comme un logement répondant à un ou plusieurs de ces critères : non permanent (et n’offrant pas de protection contre des conditions climatiques extrêmes) ; accueillant au moins 4 personnes dans une même pièce ; ne bénéficiant pas d’eau potable en quantité suffisante ; dépourvu de réseau d’assainissement. Au total, selon l’agence, 3 milliards d’individus pourraient s’entasser dans ce type d’habitat d’ici la moitié du siècle si aucune ­politique publique efficace n’est mise en place. Pour éviter la catastrophe, Pierre-­Arnaud ­Barthel préconise de réhabiliter et de régulariser ces habitats précaires – via la distribution de titres de propriété – au lieu de les raser, et d’améliorer la planification des villes, de manière à relier les zones habitées aux bassins d’emploi.

Virus et pollution de l’air

Si les effets de l’urbanisation sont incertains sur le plan social, il en est de même sur le plan écologique. Certes, la ville permet une mise en commun de ressources, à travers l’habitat collectif ou les réseaux de transports publics. Parallèlement, dans nombre de grandes villes des pays riches, la progression du vote pour des partis éco­logistes, ces dernières années, a été interprétée par les instituts de sondage et de statistique comme une demande d’écologie par une population jeune et éduquée. Reste que, globalement, le mode de vie urbain est plus consommateur, pour la simple raison que les ­citadins sont en moyenne... plus riches.

La densité des villes favorise également les pollutions locales, notamment la pollution de l’air, causée principalement par l’utilisation d’énergies fossiles. Celle-ci est à l’origine de plusieurs millions de décès prématurés par an : 8,8 millions, selon une étude publiée en mai 2019 dans la revue European Heart Journal, soit près du double des 4,5 millions de morts retenus jusqu’ici par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les zones urbaines africaines ou asiatiques affichent d’ailleurs les taux de mortalité les plus ­élevés, indique un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE ou IEA en anglais). Toujours sur le plan sanitaire, la densité des zones urbaines suscite une inquiétude croissante quant au risque pandémique, surtout depuis l’apparition du Covid-19. «La densité des espaces de vie est un indicateur de la densité des interactions fatales qui facilitent la propagation du virus», estime l’ingénieur et statisticien ­Jean-Pierre ­Orfeuil dans un article publié par la revue Métropolitiques. Là encore, précise-­t-il, les zones urbaines denses sont plus touchées si elles sont pauvres, en raison de la promiscuité et de l’exposition de certains métiers.

Ce que les villes concentrent dépend donc largement de la richesse du pays en question. D’ici à 2050, la ville la plus peuplée du monde, Tokyo, aura été dépassée par ­Bombay, ­New Delhi, ­Dacca, ­Kinshasa, ­Calcutta et ­Lagos… Face au risque de voir grandir dans ces mégapoles la misère, la pollution et les ­épidémies, nombre d’institutions et d’experts, à l’image de l’UN-Habitat ou de Pierre-Arnaud Barthel, insistent sur la nécessité de développer les villes petites et intermédiaires, où vit encore la moitié de la population urbaine. 

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