Portrait

Anonymes en première ligne : le quotidien d'un agriculteur face au COVID-19

La ferme de Patrick Boumard
La ferme de Patrick Boumard © Le potager de la Grande Maison

Dans cette série de portraits, Socialter s'intéresse à ceux et celles pour qui le COVID-19 ne signifie ni confinement, ni télé-travail, ni repos. Nous vous proposons une plongée dans le vécu de personnes dont le métier, parfois invisibilisé ou déprécié, les place pourtant en première ligne de l'épidémie. Dans ce portrait, Patrick Boumard, producteur de fruits et légumes au potager de la Grande Maison en Maine-et-Loire, nous partage son quotidien.

Paysan depuis 2004, Patrick Boumard a d’abord développé son maraîchage au potager de l’Epinay, où il était connu des étudiants pour ses paniers de fruits et de légumes qu’il livrait dans les écoles et universités parisiennes. Aujourd’hui installé dans une ancienne ferme de château renommée Le Potager de la Grande Maison à Daumarey, Patrick produit des fruits et des légumes de saison en suivant les principes de l’agriculture biologique. Depuis l’annonce des mesures de confinement par le gouvernement, son quotidien, celui de sa femme et de ses deux employés a été rapidement bouleversé.

Avant le début de l’épidémie, Patrick se rendait sur deux marchés : celui de Saint-Maur-des-Fossés, et un autre, situé à Montreuil. Depuis la fermeture des marchés et la mise en place des mesures de confinement, il s’organise autrement : « J’ai récupéré les adresses e-mails de tous mes clients, et depuis, nous distribuons les paniers à domicile, sous forme de commandes groupées », explique Patrick Boumard qui réalise ses livraisons en camion. Le marché de Saint-Maur-des-Fossés où il avait l’habitude de se rendre se transforme donc, en apparence, en une sorte d’Amap (Association pour le maintien d'une agriculture paysanne), puisque ce ne sont plus les clients qui se déplacent pour acheter ce dont ils ont besoin, mais l’agriculteur qui se rend sur différents points pour livrer sa production. « J’ai de la chance d’avoir des clients fidèles, qui me suivent et me soutiennent dès qu’il y a un pépin. » 

C’est donc grâce à sa clientèle que Patrick parvient à maintenir son activité sans que ses revenus ne s’effondrent trop. Mais cela demande un travail de coordination supplémentaire pour respecter les mesures de sécurité préconisées par le gouvernement  : « Nous avons nommé une “personne relai” qui se charge de déposer le chèque des commandes dans sa propre boîte aux lettres et de récupérer ensuite l’ensemble des paniers des clients. » Patrick récupère donc ensuite ce chèque et dépose les cageots de légumes devant l’entrée avant de se rendre à la prochaine adresse de sa tournée. De cette manière, les contacts sont limités et les distances de sécurité sont respectées pour limiter la propagation du virus. 

Patrick Boumard. © Mathieu Pansard


Une logistique supplémentaire 

Même si Patrick bénéficie du soutien de ses clients les plus fidèles, la crise du COVID-19 lui demande de travailler sur son temps libre : « Ma femme et moi travaillons en moyenne 20 heures de plus par semaine qu’en temps normal », explique-t-il. « Pour nos employés, cela représente aussi du travail supplémentaire, dix heures en plus en moyenne. »

Avant l’épidémie de coronavirus, Patrick avait déjà instauré ce principe de livraison avec une association de consommateurs à Montreuil. Ici, l’organisation est similaire : après avoir été averti via leur newsletter, les clients passent leurs commandes via échanges d’e-mails avec Patrick. Celui-ci regroupe ensuite l’ensemble des demandes dans un tableau Excel, puis avec ses deux salariés, il charge les légumes dans des caissons en osier et les dépose dans son camion. Si l’organisation en amont n’a pas changé, le planning sur place est devenu en revanche très serré : « Les clients ont cinq minutes chacun pour passer prendre leur commande sur le point de rendez-vous », précise Patrick. Même si toute cette planification, un peu laborieuse, augmente la charge de travail, cela permet à Patrick et son équipe de n’enregistrer qu’une légère baisse des recettes. 

 

Arrêt temporaire et retards des fournisseurs

Ce qui n’est pas le cas pour beaucoup d’entreprises européennes pour qui les mesures de confinement se sont traduites par l’arrêt temporaire de leurs activités. Et lorsqu’il s’agit d’entreprises de matériels agricoles, cela signifie pour les agriculteurs un retard des commandes, et potentiellement, dans le cas d’une panne de moteur par exemple, l’interruption de leurs activités. 

« De nombreuses pièces viennent d’Italie, comme le matériel pour l'irrigation », fait remarquer Patrick. L’Italie, qui enregistre pour l’instant le nombre de cas confirmés et de décès le plus important d’Europe, a très fortement restreint les échanges internationaux, occasionnant des retards dans les commandes et l’indisponibilité de certaines pièces spécifiques pour les paysans.

Pour l’instant, le potager de La Grande Maison s’en sort bien. Patrick Boumard n’attend que du matériel de clôtures qui n’a pu être livré : rien d’urgent. Les livraisons de plants et de graines se déroulent normalement. Une situation favorable qui n’est pas le cas de tout le monde : « Certains collègues ont eu des problèmes de pneumatiques, d’autres des soucis de pompages, et n’ont pu être livré. Certaines pièces pour les machines agricoles aux dimensions spécifiques au maraîchage manquent aussi », confie encore Patrick, qui ne s’inquiète pas pour autant pour la situation économique de sa filière qui connaît pour l’instant une demande croissante. 


Les citoyens au secours de la filière

Cette croissance de la demande se conjugue néanmoins mal avec la baisse de la main-d'œuvre disponible pour les structures agricoles industrielles qui font majoritairement appel aux travailleurs étrangers. Pour répondre à cette pénurie, le ministre de l’agriculture a lancé un appel le 17 mars aux citoyens français pour aider les agriculteurs : près de 150 000 candidatures ont été enregistrées sur le site de l’initiative de Desbraspourtonassiette en partenariat avec Pôle Emploi, hébergée par la société Wizifarm, afin de relier les volontaires – majoritairement des salariés qui ont arrêté leur activité et des retraités – aux agriculteurs dans le besoin. 

Des réseaux de solidarité se créent aussi un peu partout : dans le Tarn, un « drive local » est mis en place pour aider les producteurs locaux ; dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, une carte interactive qui répertorie les points de vente des producteurs locaux est disponible en ligne ; et les Amap continuent de fonctionner un peu partout en France pour soutenir les petites structures. Tout semble converger vers un soutien à la production locale : cela pourrait-il avoir une influence par la suite sur la relocalisation de la production agricole et de la main d’œuvre dans les différentes chaînes de la filière ? Rien ne l’assure. En attendant, les initiatives de ventes locales fleurissent sur le territoire. 

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NUMÉRO 66 : OCTOBRE-NOVEMBRE 2024:
La crise écologique, un héritage colonial ?
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