Les ambitions de neutralité carbone se multiplient dans un concert de bonnes intentions associant la sauvegarde du climat et l'assainissement de l'air urbain. Qu'en est-il vraiment des transports, et plus particulièrement de la voiture électrique tant vantée, qui s'affiche à « zéro émission », autant dans des textes normatifs que sur son coffre ?
Fonctionner sans émettre directement de polluants se conçoit aisément en l'absence de pot d'échappement. Des questions se posent tout de même sur les effets de l'abrasion des pneumatiques ou des plaquettes de freins. Rappelons qu'à l'époque de l'apparition de l'automobile moderne, à la toute fin du XIXe siècle, les premières propositions techniques de pot catalytique (1) visant à réduire ses abondantes émissions nocives furent négligées au profit de l'arrosage puis du bitumage des routes : les craintes sanitaires étaient orientées vers les poussières, porteuses de bactéries, soulevées par les roues des véhicules rapides, tandis que leurs fumées nauséabondes seraient aisément diluées dans l'air, bien plus rapidement d'ailleurs que les émanations des déjections équines (2). Malgré le vif enthousiasme de ses promoteurs, la voiture électrique ne s'invita significativement que quelques années dans les rues, manquant d'autonomie pour survivre dans un paysage en profonde mutation. D'autant plus qu'en dehors des régions montagneuses, l'électricité qui les abreuvait provenait de génératrices à charbon implantées au milieu des quartiers d'habitation, elles-mêmes sources d'importantes nuisances.
La voiture électrique carbure au charbon
On peut certes dénicher quelques exemples de motricité électrique « propre ». À Lyon, au milieu des années 1920, furent mises en service trois lignes d'électrobus (3) qui avaient l'avantage d'utiliser régulièrement une énergie autrement perdue : à l'époque, l'électricité produite la nuit au fil de l'eau par les barrages ne trouvait pas systématiquement preneur. Mais rapidement, avec la multiplication des usages domestiques et industriels, notre consommation électrique a explosé et il n'existe plus de telles « réserves gratuites ». Toute nouvelle consommation s'accompagne d'une augmentation de production, avec une certaine difficulté et beaucoup d'amalgames, pour déterminer le moyen spécifique associé à tel nouvel usage particulier. La voiture électrique s'abreuve ainsi souvent indirectement au charbon ; même en France métropolitaine, le contenu carbone de son approvisionnement demeure conséquent dans la mesure où la disponibilité nucléaire est, de manière paradoxale, relativement faible (4).
Pourquoi alors s'affiche-t-elle à « zéro émission » ? En fait, lors des premières réglementations automobiles dans les années 1970, à une époque de prise de conscience de l'impact sanitaire d'une mauvaise qualité de l'air urbain, la voiture électrique fut perçue d'emblée comme une solution. Même si elle reportait tout ou partie des émissions nuisibles à quelques dizaines de kilomètres, dans la périphérie des centrales électriques qui brûlaient majoritairement du fioul et du charbon.
Un parc toujours plus surdimensionné
Lorsque les préoccupations climatiques prirent de l'ampleur et voulurent s'intégrer aux réglementations sur les émissions des véhicules, on trouva pertinent pour la qualité de l'air urbain de valider l'absence d'émission directe de CO2, tout en sachant que son empreinte carbone était très loin d'être neutre : c'était là l'occasion de stimuler un secteur qui continuait de peiner à émerger. Et hormis la nature de la production d'électricité, il fallait aussi ajouter l'impact de la fabrication des batteries ce qui, au total et dans de nombreux cas d'usage où elle est peu souvent sollicitée, la rend globalement pire qu'une voiture essence ou diesel correspondante sur le critère carbone.
Même si son autonomie limitée lui confère encore quelques velléités de sobriété, il faut reconnaître que le déploiement réel de la voiture électrique, porté par des subventions et de fortes incitations à la baisse des émissions moyennes des voitures neuves commercialisées par les constructeurs, tend aujourd'hui à justifier le développement d'un parc toujours plus surdimensionné, faisant la part belle aux SUV et autres véhicules « sportifs ». Les bénéficiaires prioritaires restent majoritairement en marge, telles les flottes urbaines d'usage intensif (essentiellement professionnelles) et la totalité des deux-roues motorisés, tout comme une hybridation légère du reste des véhicules, alors qu'une impulsion salutaire pourrait certainement être donnée dans ce domaine.
Le réveil risque d'être douloureux lorsque le véhicule électrique aura dépassé 10 % du parc automobile et que l'on constatera que les émissions globales du secteur n'auront pas baissé, bien au contraire ; la faute à une affectation dispendieuse des batteries et de leurs métaux contraints dans des usages énergivores ou trop occasionnels. Un « electricgate » menace ; quant à l'objectif de neutralité carbone, il n'en sera que plus éloigné.
(1) Les premiers prototypes datent de 1898 !
(2) Paris, berceau de l'automobile moderne, était un cas urbain extrême, parcourue quotidiennement qu'elle était par près de 100 000 chevaux et mulets.
(3) Les électrobus étaient des autobus équipés d'accumulateurs, à ne pas confondre avec les trolleybus qui étaient alimentés par des caténaires urbaines comme les tramways, beaucoup plus nombreux.
(4) Les réacteurs nucléaires sont en général bien moins disponibles, pour satisfaire une augmentation de demande, qu'ils ne le sont pour satisfaire la moyenne de la production nationale. Une recharge régulière effectuée l'après-midi, le soir ou la nuit conduit a des empreintes par ailleurs sensiblement différentes.
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