Diplomatie climatique

Retour des États-Unis dans l’accord de Paris : une fausse bonne nouvelle ?

Joe Biden
Joe Biden JL Hervàs

Après avoir officiellement accédé à la présidence des Etats-Unis, Joe Biden a officialisé, le 20 janvier 2021, le retour des Etats-Unis dans l'Accord de Paris. Le pays l'avait quitté durant le mandat de Donald Trump. Ce retour de la première puissance dans cet accord international sur le climat a suscité un grand espoir chez certains défenseurs de l’écologie. Mais il pourrait ne pas avoir les effets escomptés...

C'était l'une des promesses de campagne de Joe Biden, alors qu'il n'était encore que candidat. Après avoir prêté serment, l'une des premières mesures du président démocrate a été d'annoncer le retour des Etats-Unis dans l'Accord de Paris.

Le pays avait quitté cet accord le 4 novembre 2020, au lendemain du scrutin de l’élection présidentielle, alors que l’identité du vainqueur était encore inconnue. Signé cinq ans auparavant, ce traité consacrait la volonté de la communauté internationale d’unir ses efforts pour lutter contre le réchauffement climatique. L’échéance du retrait des États-Unis tombait alors à point nommé pour Joe Biden, soucieux de verdir son programme dans les derniers jours de la campagne qui l’opposait au climato-sceptique Donald Trump. Une fois élu, promettait le candidat démocrate, les États-Unis demanderaient à être réintégrés au dit accord. 

Aussi sa victoire a-t-elle été accueillie avec joie par nombre de personnalités engagées dans le combat contre le réchauffement climatique. « J’attends impatiemment le retour des États-Unis. L'administration américaine a contribué à l’élaboration de l’accord de Paris. Nous avons donc besoin des États-Unis pour aider à le mettre en œuvre », s’est ainsi félicitée sur Twitter Laurence Tubiana, la présidente de la Fondation européenne pour le climat. Le Premier ministre britannique Boris Johnson prévoyait quant à lui qu’avec Joe Biden au pouvoir, les États-Unis s’imposeraient comme le leader mondial des futures négociations climatiques.

Les États-Unis parmi les plus grands pollueurs de la planète

Mais ce retour dans l’accord de Paris augure-t-il réellement un bond en avant dans les négociations sur le climat ? Avant d’imposer son leadership, les États-Unis seront d’abord confrontés à plusieurs obstacles, à commencer par celui de leur propre politique intérieure en matière de climat. La première puissance économique mondiale est également la seconde nation la plus polluante de la planète, après la Chine. Selon le World Resources Institute, les États-Unis ont émis à eux seuls 12,3% des émissions de gaz à effet de serre mondiales en 2016. Ils sont par ailleurs encore largement dépendant des énergies fossiles, qui représentent 82% de leur mix énergétique selon le dernier rapport de Climate Transparency.

Si, dans le pays, l’utilisation de charbon pour produire de l’électricité a atteint en 2019 son plus bas niveau depuis 1976, c’est davantage en raison de la moindre rentabilité de celui-ci sur les marchés internationaux qu’en raison de décisions politiques. En réalité, aucune législation contraignante n’a été mise en place par les différentes administrations américaines, y compris au cours du mandat démocrate durant la présidence Obama, entre 2008 et 2016. La baisse de la part du charbon dans la production d’électricité s’est d’ailleurs traduite non par une hausse de la part des énergies renouvelables, mais plutôt par un recours accru au gaz. Le prix de ce dernier étant en train d’augmenter à cause d’une hausse de la demande et d’une diminution de la production, on pourrait dans les prochaines années assister à un retour en force du charbon malgré la promesse de Joe Biden de s’en débarrasser d’ici 2035. Selon l’Energy Information Administration, la part du charbon dans le mix énergétique national pourrait d'ailleurs passer à 25% en 2021, contre 20% en 2020.

Biden, un verdissement de circonstances ?

Si l’aile gauche du parti démocrate a poussé Joe Biden à inclure les problématiques environnementales dans son programme, le futur président entretient cependant des liens privilégiés avec des figures importantes du secteur des énergies fossiles. Durant sa campagne, le candidat démocrate avait ainsi choisi de confier l’élaboration de son programme environnemental à Heather Zichal. Déjà conseillère d’Obama durant son mandat, celle-ci a siégé au conseil de Cheniere Energy, une entreprise produisant du gaz naturel liquéfié. 

La récente nomination du sénateur Cedric Richmond à la direction du Bureau de l’Engagement Public de la Maison Blanche a également ravivé la polémique autour de la réelle volonté de Joe Biden de changer le modèle énergétique des États-Unis. Le sénateur va ainsi être chargé de faire la liaison entre le milieu des affaires et les activistes environnementaux, alors même qu’il a bénéficié d’importants dons de la part d'industriels du gaz et du pétrole.

Même dans l’hypothèse où Joe Biden souhaiterait réellement faire prendre aux États-Unis un virage écologique, il devra faire face à une majorité républicaine au Sénat. Pour mener des réformes environnementales, il sera ainsi obligé de gouverner par décret et règlements administratifs, inférieurs aux lois dans la hiérarchie des normes. Sa marge de manœuvre sera donc fortement réduite. C’est donc embourbé dans ces difficultés que le président américain devra convaincre les autres puissances mondiales de diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre.

Les limites du droit international

Si ces accords internationaux ont pu susciter beaucoup d’espoir, leur efficacité est à relativiser. Tout d’abord, l’accord de Paris n’est que partiellement contraignant du point de vue du droit international, comme le rappelle le chercheur en géopolitique de l’environnement François Gemenne : « L’accord de Paris ne prévoit aucune obligation contraignante en matière d’émissions. Le seul contenu contraignant de l’accord est un contenu purement formel, de procédure »

En effet, plutôt que d’imposer des volumes de réduction de gaz à effet de serre aux pays ayant ratifié l’accord, comme cela était le cas pour le protocole de Kyoto, les négociateurs de la COP21 ont préféré demander à chaque pays de proposer un objectif national de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Chaque pays a donc librement déterminé l’effort qu’il était prêt à consentir. Les États-Unis s’étaient alors fixé comme objectif de réduire de 26 à 28 % leurs émissions d’ici 2025 par rapport à 2005. A titre de comparaison, la France s'est fixée un objectif de réduction de 37 % de ses gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à 2005. Cependant, pour le chercheur et ancien négociateur de la COP21 David Levaï, le retour des États-Unis dans l’accord pourrait agir symboliquement et motiver certains pays à remplir leurs obligations. « Quand il y a un alignement de la politique des États-Unis et de l’Union Européenne, il est difficile pour les autres pays de ne pas jouer le jeu, rappelle-t-il. Quand cet alignement est rompu, comme cela a été le cas avec Trump, d’autres pays peuvent manifester une certaine résistance à changer leur politique. »

Poids symbolique, peut-être, mais qu’en est-il des outils coercitifs ? Ce traité ne prévoit aucune instance ad hoc apte à condamner un État qui n’aurait pas rempli les obligations auxquelles il s’est engagé. Sur ces aspects-là, donc, l’accord peut être qualifié de « juridiquement non-contraignant ».  Les sanctions se limitent essentiellement au name and shame, c'est-à-dire à montrer du doigt les États qui ne respecteraient pas leurs promesses afin de les isoler diplomatiquement et les pousser à se conformer aux engagements pris. Un procédé aux effets variables selon le poids politique des États, qui montre encore davantage ses limites si... aucun État ne respecte ses objectifs. 

Or, sur les 189 États ayant ratifié l’accord de Paris, en 2018, seuls 16 d’entre eux avaient traduit ces objectifs dans leur loi selon un rapport du Centre for Climate Change Economics and Policy. Ni les États-Unis, ni même les pays de l’Union européenne – qui se vantaient pourtant de mener ces discussions – n’ont pour l’instant traduit ces objectifs dans leur législation nationale. Sans compter que, selon le Programme Environnemental des Nations Unies, ces engagements ne sont même pas suffisants pour que l’élévation de la température moyenne soit « nettement en dessous de 2°C », objectif mentionné dans le second article de l’accord de Paris. Selon les projections, si les États remplissaient les objectifs auxquels ils se sont engagés, le réchauffement atteindrait 3,2°C. 

Des négociations bloquées par les États-Unis

Mais peut-on croire à la bonne foi des États-Unis ? Durant les négociations de la COP21, l’attitude de la superpuissance, alors sous mandat démocrate, avait amèrement déçu certains négociateurs. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères qui présidait alors la COP21, avait dû revoir ses ambitions à la baisse, lui qui déclarait avant l’ouverture des débats : « Nous ne sommes pas réunis à Paris pour une conversation de salon [mais] pour prendre des décisions légalement contraignantes ». Il s’était alors heurté à l’opposition de son homologue américain, John Kerry, qui refusait tout accord contraignant. Le même John Kerry, qui vient d’être nommé par Joe Biden pour mener les négociations climatiques. 

Le positionnement des États-Unis trouve son origine dans une résolution votée par le Sénat en 1997. Cette résolution, adoptée à l’unanimité et portée par Chuck Hagel et Robert Byrd, stipule que les États-Unis ne doivent pas signer de traité sur le climat si celui-ci « risque de causer un tort sérieux à l’économie des Etats-Unis ». De quoi rappeler la célèbre phrase de Bush père prononcée au Sommet de la Terre de Rio en 1992 : « Le mode de vie américain n'est pas négociable »… Lors du vote de la résolution en 1997, si le Sénat était alors à majorité républicaine, les sénateurs démocrates comme républicains avaient voté en faveur de cette résolution. Parmi eux, on retrouve celui qui était alors le dirigeant de la minorité démocrate au sein du Comité des Affaires étrangères : Joe Biden.

Les États-Unis, une force réactionnaire ?

Le retour des États-Unis à la table des négociations est-il, finalement, une si bonne chose ? Depuis les premières Conférences des parties (COP), le pays a rarement promu la mise en œuvre d’objectifs ambitieux. Ils ont par ailleurs toujours privilégié la mise en œuvre de solutions technologiques dans la lutte contre le dérèglement climatique (telles que la séquestration de carbone, dont l’efficacité réelle est contestée), plutôt que des solutions remettant en cause leur modèle économique. 

Ces tentatives de blocages ont atteint leur apogée durant le mandat de Donald Trump. Alors gouvernés par un président ouvertement climato-sceptique, les États-Unis étaient autorisés à participer aux négociations, car ils n’étaient pas encore formellement sortis de l’accord. Ils ont alors tout fait pour les bloquer. « Les COP 23, 24 et 25 ont été des échecs absolus, se rappelle François Gemenne. Mais comment pouvait-il en être autrement? Des États puissants comme le Brésil, les États-Unis, l’Inde, la Russie et l’Australie participaient à ces négociations dans le but avoué de les faire échouer. » 

Face à cette délégation américaine officielle, une seconde délégation étasunienne s’est constituée pour faire valoir un message alternatif : « We’re still in » ( « Nous sommes toujours dedans »). Menée par 26 États et territoires américains, la US Climate Alliance entendait convaincre le reste du monde que la majorité du pays ne s’était pas ralliée au message du président américain. Si ce message a pu avoir une portée symbolique importante, il n’a cependant pas permis de réellement changer le cours des négociations.



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