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Printemps arabe: le numérique a pu avoir des "conséquences extrêmement négatives"

Le Mouton Numérique, partenaire de Socialter, organise un débat le 16 décembre à Paris en présence du cyberactiviste engagé tunisien Sami Ben Gharbia et du chercheur Yves Gonzalez-Quijano sur le thème de "Les révolutions arabes, une révolution 2.0 ?" . Entretien avec ce dernier, auteur de Arabités numériques : Le Printemps du Web arabe (Actes Sud, 2012).

Que sont les “arabités numériques”?

Cela désigne deux mouvements similaires de prise de conscience d’une identité et de références communes au sein du monde arabe sur lesquels construire un projet politique. Lors du passage au 20ème siècle, il y a eu un grand mouvement dans la région arabe associant une vision politique et culturelle visant un meilleur avenir pour les jeunesses de la région. Lors des soulèvements en 2011, la même aspiration a nourri les mobilisations politiques via les réseaux sociaux. Dans les deux cas, cette vision a été rendue possible par un saut important dans les domaines de la communication: à la fin du 19ème siècle c’était le développement de l’imprimé et à la fin du 20ème c’est la révolution du numérique.
 

Quel bilan pour ces révolutions 2.0?

Les outils numériques ont joué un rôle important dans les mobilisations. Ces mouvements d’émancipation, de progrès social, de changement de régime ont néanmoins globalement échoué, avec une incertitude pour le cas tunisien. Il était imprudent de penser que ces mobilisations allaient naturellement se traduire par des avancées politiques. Les cyberpessimistes* avaient également mis en garde contre les promesses trop faciles de lendemains qui chanteraient grâce au développement des techniques numériques. Sami Ben Gharbia était parmi les premiers à nous alarmer sur les effets multiples et éventuellement négatifs de l’utilisation des nouvelles technologies.
 

Ces formes d’opposition n’ont donc pas eu d’impact?

Les projets que cette génération a essayé de mettre en place en 2011 se sont retrouvés au grand cimetière des idées arabes, mais un système de communication s’est toutefois mis en place. Le développement du numérique a renforcé chez la jeunesse de cette région le sentiment de partager des références communes, des interrogations et des envies de changement. Personne ne peut dire si cela aura une traduction politique un jour.
 

En six ans, y a t-il eu des évolutions dans la contestation en ligne?

La méfiance s’est développée, avec une conscience accrue des complexités du numérique. Il n’est plus vu comme un outil univoque et monochrome mais comme quelque chose de complexe qui ne va pas apporter le progrès comme par magie. Les conséquences de la numérisation ne sont pas les mêmes partout dans le monde, surtout dans des sociétés où l’âge médian est de 21 ans maximum (contre 36-37 ans en Europe).
 

Comment le numérique interagit avec le culturel?

Le numérique correspond à un tournant extrêmement important vers un nouveau stade de la formation des cultures. Il y a eu l’invention de l’écriture, l’invention de l’imprimerie et aujourd’hui le numérique. Dans certaines régions, dont le monde arabe fait partie, ces conséquences ont pu être extrêmement négatives: d’une certaine manière Daesh est un produit du numérique. Cela transforme les rapports entre le croyant et sa religion, entre les genres, dans les familles, mais aussi entre citoyens avec à chaque fois des aspects positifs et négatifs.
 

Vous considérez-vous cyberpessimiste?

En terme de politique et de média, je suis un cyberpessimiste*. Le développement de ce type de technologies remonte à un demi siècle maximum, dix ans pour Facebook, cela ne donne pas beaucoup de recul historique. Dans le monde arabe, il y a des circulations, des constructions en progrès et leur évolution est difficile à imaginer. Vont-elles conforter le jeu qui existe déjà ou modifier de façon dramatique les équilibres?

* individus qui, tels que Evgeny Morozov ou Malcom Gladwell, se montrent réticents face aux lectures des réseaux comme de « nouvelles technologies de libération ».

 

Les révolutions arabes, une révolution 2.0?Un débat organisé par l’association Le Mouton Numérique, le 16 décembre 2017 à l’Institut du Monde Arabe (Paris 5e) avec Sami Ben Gharbia, cyberactiviste engagé en faveur de la liberté d’expression et des libertés fondamentales fondateur du blog d’opposition tunisien participatif Nawaat et directeur de plaidoyer à Global Voices et Yves Gonzalez-Quijano, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient, auteur de Arabités numériques : Le Printemps du Web arabe (Actes Sud, 2012). Socialter est partenaire de l’événement ainsi que l'Institut du monde arabe,France Culture Conférences, le site d'information SaphirNewsetLa Monade Sagace.



Le Mouton Numériqueest une jeune association qui se donne pour objectif d’interroger notre rapport aux nouvelles technologies et au numérique par l’organisation de rencontres accessibles et ouvertes à tous afin de porter dans le débat public un certain recul critique sur ces questions de société.

 

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