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Payer les pays en développement pour qu'ils gardent leurs forêts : une solution contre le réchauffement climatique ?

Payer les habitants de pays en développement pour qu'ils ne coupent pas les arbres de leurs forêts, plus "rentable" que réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les pays riches? C'est en tout cas la conclusion polémique d'une étude publiée dans la revue Science.

129 millions d’hectares de forêts –soit presque la superficie de l’Afrique du Sud– ont été détruits depuis vingt-cinq ans, selon un rapport de la FAO (l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) publié en 2015. Une déforestation massive qui n’est pas sans conséquences : risques de coulées de boue, par exemple, mais surtout augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

Parmi les nombreuses initiatives visant à réduire le phénomène : celle d’un groupe de chercheurs dont l’étude a été publiée dans la revue Science fin juillet. En Ouganda, ils ont sélectionné 120 villages. Les propriétaires forestiers de la moitié d’entre eux recevaient une petite somme d’argent pour ne pas couper d’arbres sur leurs terres. Résultat : durant la période de l’étude, la superficie couverte par la forêt n’a baissé que de 4,2% dans ces villages, contre 9,1% dans les villages qui ne bénéficiaient pas de l'incitation économique. Et selon eux, les personnes ayant bénéficiées de cette aide financière ne sont pas allés couper d'arbres ailleurs pendant la période étudiée.

Pour l’auteure principale de l’étude, l'économiste de l’université Northwestern Seema Jayachandran, citée dans le média espagnol eldiario.es, “le bénéfice pour chaque individu qui maintient intacte sa parcelle de forêt est d’approximativement 410 euros, alors que les coûts du programmes sont d’un peu plus de 170 euros”. Pour arriver à ce résultat, son équipe a pris en compte “le coût social du carbone”, qui représente une estimation du dommage économique causé par les émissions de CO2.


Une approche efficace mais polémique



Selon les chercheurs
, réduire la déforestation dans des pays en développement grâce à des programmes de ce type serait l’une des formes les plus rentables de limiter les émissions globales de CO2. Moins coûteuse, par exemple, que des mesures de restriction des émissions de CO2 mises en place dans les pays développés pour obtenir les mêmes résultats. Elle permet aussi d'aider des populations pauvres et de protéger un milieu menacé. 

Une certain nombre d'observateurs ont souligné la rigueur de cette étude, basée une expérimentation aléatoire. Mais pour autant, difficile d'en généraliser les conclusions : ce type d'étude qui vise à évaluer scientifiquement des programmes de politiques publiques est en effet valable pour un contexte local précis, comme le pointe le chercheur Arthur Jatteau

L'idée de payer les habitants de pays en développement pour qu'ils ne coupent pas les arbres de leurs forêts suscite aussi des questions éthiques. C'est ce que souligne Sergio de Miguel, chercheur de l’université de Lleida et membre du comité directeur de la Global Forest Biodiversity Initiative. Il évoque une proposition "un peu injuste", dans eldiario.es. Les pays développés sont en effet les plus gros producteurs de gaz à effet de serre, et ceux qui se sont le plus servis de ressources naturelles telles que le bois pour se développer et s’enrichir.

De plus, la transition écologique est un enjeu global, bien qu'une multiplicité de solutions puissent exister à l'échelle locale : malgré la rentabilité supposée de programmes comme celui testé ici par l'économiste Seema Jayachandran, il serait inefficace de se limiter à eux et enfermerait la question environnementale dans une vision économiciste, alors qu'elle doit être holistique. Sergio de Miguel insiste ainsi sur le fait que les résultats de cette étude ne doivent pas  “servir d’excuse pour que d’autres politiques ambitieuses de réduction des émissions [des gazs à effet de serre] ne se développent pas dans les pays plus développés”. 


Photo : forêt, de Rog1 - Flickr (CC)

 

 

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NUMÉRO 66 : OCTOBRE-NOVEMBRE 2024:
La crise écologique, un héritage colonial ?
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