Transports

Les trains de nuit s'éveillent peu à peu

Une cabine de seconde classe dans un trains de nuit.
Une cabine de seconde classe dans un trains de nuit. © SNCF

« On va relancer les trains de nuit. » Cette promesse, formulée par Emmanuel Macron le 14 juillet 2020, intervient après que la SNCF a démantelé une trentaine de lignes nocturnes jusqu’à n’en avoir plus que deux en 2010. Dix nouvelles lignes de nuit devraient ainsi voir le jour à l’horizon 2030. La France reste cependant encore à la traîne en comparaison à d’autres pays européens.

Le gouvernement de Jean Castex l’avait assuré : dans le monde d’après, on (re)voyagera de nuit ! En septembre 2020, le Premier ministre annonçait un plan de relance du train de nuit, dont le réseau avait été réduit à seulement deux lignes en 2010. La ligne Paris-Nice, rouverte en mai 2021, a déjà transporté plus de 100 000 voyageurs. Le réseau bénéficie désormais d’un investissement de plus de 100 millions d’euros – divisé à part égale entre « la remise en état du matériel et l’amélioration des installations », précise la SNCF. Il faudra également compter sur 800 millions d’euros supplémentaires entre 2026 et 2030, notamment pour remplacer les anciennes voitures Corail, vieilles de plus de quarante ans.
Du côté de l’État, on s’enthousiasme et on n’oublie jamais de rappeler qu’en plus, c’est écologique : Jean-Baptiste Djebbari, ex-pilote de ligne et ministre des Transports jusqu’au remaniement de mai dernier, mettait en scène son engouement pour les trains de nuit dans ses publications TikTok. Côté SNCF, on rassure et annonce que les deux premières lignes prévues par ce plan « trouve[nt] [leur] public ».

Le 17 mars, l’ancien ministre signait aux côtés de Christophe Fanichet, Président-directeur général de SNCF Voyageurs, la nouvelle convention d’exploitation des trains d’équilibre du territoire - TET (1). Cette convention réaffirme l’ambition de l’État d’investir et développer les trains de nuit « après les lancements réussis en temps contraint des trains de nuit Paris-Nice et Paris-Lourdes en 2021 ». Ambition confirmée par l’étude sur le développement des TET réalisée par l’État et remise au Parlement en mai 2021 relative à l’intérêt socio-économique et environnemental de la création de plusieurs lignes de nuit. 

Repenser le transport moyenne distance

Si l’autocongratulation semble de mise, on partait de loin. Le train de nuit connaît son apogée en 1981, année où les premiers TGV sont mis en service. Une trentaine de lignes de nuit desservait alors 550 gares en France. Puis ces lignes ont peu à peu été abandonnées. À ce jour, seulement quatre lignes d’Intercités proposent des trajets nocturnes : Paris est ainsi relié à Nice, Briançon, Rodez/Latour-de-Carol via Toulouse et Lourdes via Tarbes, mais celles-ci ne sont pas suffisantes pour relancer le trafic ferroviaire de nuit à l’échelle du pays. 

Relâchant, selon la SNCF, jusqu’à 50 fois moins de CO2 dans l’atmosphère que la voiture et 80 fois moins que l’avion, le train est un moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre (2). Favoriser les trajets sur les rails la nuit est une solution écologiquement préférable pour les trajets de moyennes distances en France et en Europe, estime Quentin Marsal, membre du collectif citoyen Oui au train de nuit ! : « C’est une piste prometteuse pour décarboner les transports sur des distances de 600 à 1500 kilomètres, c’est pourquoi nous proposons un réseau de 30 lignes pour reconnecter les différents territoires entre eux ». Le collectif a ainsi lancé en 2017 une pétition qui comptabilise à ce jour plus de 205 000 signatures, même si Quentin Marsal reconnaît que le combat est loin d’être gagné : « Si les voyageurs ne prennent plus les trains de nuit, c’est parce qu’ils ont été supprimés. La pétition sert à légitimer leur retour et démontrer que ce n’est pas le nombre de voyageurs qui a provoqué le démantèlement de ces lignes ».

Un discours a priori contradictoire avec celui de la SNCF, qui justifiait la fermeture de ces lignes par un manque de fréquentation. Pourtant, dans un rapport datant de 2018, l’Autorité de régulation des transports écrivait : « En 2015, le taux d’occupation des trains de nuit (47%) était près de 10 points au-dessus de la moyenne de l’activité Intercités ». Pour Quentin Marsal, ce décalage entre les raisons avancées par la SNCF et les faits s’explique par les motivations de l’État et de la SNCF : « L'objectif est de faire de la SNCF une entreprise rentable en focalisant son activité sur les services comme les TGV qui permettent de faire plusieurs allers-retours dans la journée, contrairement au train de nuit ».

La course au train de nuit

Avec l’ouverture à la concurrence prévue pour fin 2027, le secteur attire de nouveaux adeptes. La coopérative Railcoop, qui a levé plus de 1,5 million d’euros en mars 2021, soit le capital social nécessaire pour déposer une licence ferroviaire, espère bien pouvoir prendre le train de nuit en marche, comme l’explique Dominique Guerrée, son président, pourtant bien conscient des difficultés pour se faire une place sur le marché ferroviaire. « Il va clairement y avoir un développement rapide du train de nuit d’ici 2030. Après, reste à savoir si les petits opérateurs pourront s’imposer. Rien n’est moins évident : nous n'avons pas les moyens financiers des opérateurs historiques et on ne peut pas simplement restaurer d'anciennes voitures. »  

L’ouverture à la concurrence permettra notamment de diversifier les offres proposées. Pour l’heure la SNCF met à disposition trois catégories de billets : siège inclinable, compartiments de seconde classe (6 couchettes) et de première classe (4 couchettes). Les prix varient ainsi pour rester accessibles au plus grand nombre et être une alternative plus écologique aussi bien pour les utilisateurs de bus longue distance que de TGV ou d’avion. Midnight Trains, start-up dans laquelle l’homme d'affaires Xavier Niel a investi, souhaite s'imposer dans le réseau ferroviaire européen en proposant dès 2024 des liaisons nocturnes dignes d’un « hôtel sur rails » qui n’auront rien à envier aux classes affaires des compagnies aériennes. Mais la mise en place de lignes de luxe éloigne le train de nuit de son rôle de service public. Et la multiplication des services proposés à bord augmenteront nécessairement les émissions par rapport à un trajet ferroviaire classique.

Un train de retard sur l’avion

L’essor des compagnies aériennes low-cost n’est sans doute pas pour rien dans la fermeture de plusieurs lignes nocturnes par la SNCF. Les tarifs sont en moyenne deux à trois fois inférieurs à ceux proposés en trains de nuit pour un même trajet. Pour les professionnels du secteur, si l’État veut nettement relancer le train de nuit, une décision politique est nécessaire - une taxation avantageuse, a minima. « Il est quand même assez surprenant que le kérosène ne soit pas taxé alors que partout ailleurs, l'énergie est taxée, y compris l'énergie de traction pour les trains, s’interroge Dominique Guerrée. Il faut permettre une concurrence loyale entre les modes de transport, mais là c’est une décision politique. »

Les voyageurs semblent malgré tout de plus en plus enclins à prendre le train de nuit. Selon une étude réalisée par la FNAUT (Fédération nationale des associations d'usagers des transports) sur les attentes des usagers, le train de nuit « n’a pas été complètement ringardisé par le TGV » et devra répondre à une forte demande. Pour 84% des répondants, le train de nuit reste le moyen de transport le plus pratique et la moitié des personnes interrogées trouvent que l’avion contribue trop fortement au dérèglement climatique (51%). Autre argument en faveur d’un geste politique fort : selon le collectif Oui au train de nuit !, la relance du train de nuit et l’amélioration de l’infrastructure ferroviaire permettraient la création de 130 000 emplois. Une estimation appuyée par un rapport de 2017 de la Commission européenne qui explique que le train de nuit a un impact positif sur le marché du travail : il faut 1 250 à 2 000 voyageurs annuels pour créer un emploi dans le ferroviaire, contre 5 000 dans l’aérien.

« L’année du rail »

Ce rétropédalage n’est pas une spécificité française – l’Union européenne ayant d’ailleurs célébré en 2021 « l’année du rail ». Si divers partenariats internationaux devraient fleurir dans les prochaines années, l’Autriche et sa compagnie ferroviaire ÖBB mènent clairement la course aux rails : le pays a notamment profité de l’abandon par l’Allemagne de l’exploitation de ses lignes nocturnes. Avant la crise sanitaire, la demande pour des trains de nuit avait ainsi augmenté dans plusieurs pays européens, avec une hausse de la fréquentation de 10% en un an en Autriche, de 25% en Suisse, et même de 37% en Suède, où est né le mouvement flygskam, soit la honte de prendre l’avion pour des raisons écologiques. Quant à l’efficacité de cette « année du rail », « pour le moment il s’agit plus d’une vitrine que d’actions concrètes et fortes, selon Dominique Guerrée. Néanmoins, afficher un objectif européen commun permet de sensibiliser les acteurs politiques du ferroviaire et d’alerter sur l'harmonisation des lignes, la signalisation et la motorisation des machines afin que les rames circulent facilement d'un pays à l'autre ». Le collectif Oui au train de nuit ! souligne d’ailleurs que la moitié des passagers aériens en Europe volent sur des liaisons de 500 à 3000 kilomètres déjà interconnectées par le ferroviaire.

Si l’Europe investit massivement afin de relier les métropoles européennes par train de nuit, près de 10 millions de voyageurs supplémentaires pourraient préférer le train à l’avion, estime encore le collectif à partir du report modal des lignes aériennes européennes les plus fréquentées : « Sur les distances de 800 à 1500 kilomètres, les trains de nuit sont l’option la plus confortable pour les voyageurs ». Les trains de nuit Paris-Vienne et Paris-Rome – destinations pour lesquelles les liaisons aériennes comptent parmi les plus empruntées en Europe – rencontrent d’ailleurs un franc succès depuis leur réouverture.

Reste que, au niveau national ou européen, la seule réhabilitation des infrastructures du train de nuit, même accompagnée d’une taxation pénalisante pour les avions, semble loin d’être suffisante pour ramener massivement les usagers sur ces lignes. L’option d’une contrainte plus forte, jamais évoquée par les décideurs, demeure : interdire les lignes aériennes remplaçables par le ferroviaire nocturne, à l’image de la proposition de loi soutenue en juin 2019 par plusieurs députés dont François Ruffin (France insoumise) et Delphine Batho (Génération écologie) consistant à interdire les lignes aériennes dont le temps de trajet en train de jour est à minima équivalent, comme Paris-Bordeaux ou encore Lyon-Marseille.

(1) : Document qui définit les modalités d’exploitation et de financement du service public des TET, confié par l’État à SNCF Voyageurs à travers son offre Intercités pour la période 2022-2031.

(2) :  Ces données sont une moyenne; elles dépendent de multiples facteurs comme le taux de fréquentation du train ou encore la distance parcourue.

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