Tribune

Face aux crises, il est urgent de penser une éthique des métiers de la communication

À la suite d’une journée d’étude sur la crise de la communication, des étudiants et des enseignants du Master Conseil éditorial (Sorbonne université), ainsi que des chercheurs de l’Espace éthique Île-de-France et des professionnels en appellent à inventer ensemble une éthique des métiers de la communication et de la médiation.

La crise du Coronavirus est devenue une tempête pour les communicants. La communication autour des vaccins contre la Covid-19 l’a encore montré récemment : au-delà des questions scientifiques, des discussions organisationnelles, ou des problématiques économiques, les stratégies de communication sont devenues l’un des facteurs déterminants de réussite de la politique sanitaire. Elles sont la condition de la confiance des citoyens et de la manière dont nous élaborons et mettons en œuvre nos actions de santé publique. Or, nous voyons s’ancrer durablement un sentiment d'incohérence, d’inutilité et d'arbitraire lié à la multiplicité des sources d’information, à l’incertitude scientifique inhérente à l’avancée des connaissances, à la nécessité de communiquer dans l’urgence – avec le risque de se tromper –, et à la porosité des informations scientifique, médiatique et politique. Nous le voyons, les enjeux de la communication vont bien au-delà de la transmission de l’information. Ils engagent une conception de la citoyenneté, de la démocratie et du souci de l’autre qui devraient nous questionner, alors que nous sommes à l’orée de bouleversements majeurs dus au changement climatique.

Remettons les choses en contexte pour y voir plus clair. Chaque nouvelle crise systémique – crise financière, crises citoyennes de « Nuit debout » et des « Gilets jaunes », crise sanitaire, crise climatique – révèle une profonde crise de la médiation. C’est ainsi que se creuse le fossé entre les citoyens, les scientifiques, les médias, les grandes entreprises et les politiques à travers la circulation croissante de fausses nouvelles, la disqualification du journalisme dans une partie de l’opinion publique, la difficulté de transmettre des informations fiables dans un contexte d’incertitude, et la perte générale de confiance à l’égard des corps intermédiaires et des élus. Le fil à la fois nécessaire et vital de la communication semble rompu. Cette rupture est plus grave qu’il n’y paraît : elle signifie que nous ne nous comprenons plus. Or, dans ce contexte de défiance généralisée, les métiers de la communication ont souvent mauvaise presse. Ils encourageraient à une confusion délétère entre la politique au sens noble du terme et la propagande, faisant de tout événement un spectacle prêt-à-diffuser, simplifiant les informations à outrance, manipulant les foules, encourageant le « clash » sur les réseaux sociaux plus que la réflexion, inventant de nouveaux mots ou de nouvelles expressions pour recouvrir des réalités bien peu reluisantes.

Pourtant, en tant que pharmakon – à la fois poison et remède –, nos métiers de la communication, de la médiation et de la recherche représentent aussi une partie de la solution à travers l’émergence d’un journalisme plus incisif, la possibilité de nous inviter à changer nos comportements, la création d’un nouveau récit pour comprendre le monde, le relai de savoirs scientifiques dans toute leur diversité, ou encore la transmission d’informations fiables pour favoriser le débat public. Nous faisons le pari que communiquer peut être une autre manière d’apporter de la réflexion, du débat, du savoir, mais aussi de créer du lien social. Pour cela, encore faudrait-il concevoir les métiers de la communication comme une véritable médiation : ils ne sauraient uniquement consister en une mise en forme de l’information cherchant à lui donner le plus de visibilité possible sur le grand marché de l’attention. Au contraire, les communicants peuvent agir concrètement en tant que médiateurs scientifiques avec les publics, en tant que créateurs de liens sociaux et animateurs de lieux de débats. Nous sommes devenus indispensables pour répondre aux questions scientifiques, techniques ou politiques de nos concitoyens. Aussi, nous devons prendre conscience de notre responsabilité pour prendre soin des liens sociaux et de notre démocratie.

Dans cette transition entre simple diffusion de l’information et médiation, la pratique de la démarche de réflexion éthique peut être une pièce maîtresse. Il ne s’agit pas de considérer l’éthique comme un remède miracle, un argument commercial, un code de déontologie, ou une charte des valeurs, mais de prendre conscience des enjeux majeurs que posent nos métiers, de les analyser, de prendre du recul, de créer des structures de concertation, et d’intégrer de nouvelles personnes à la réflexion – citoyens, chercheurs, associatifs, entrepreneurs.

Autrement dit : il s’agit de développer ensemble, chacun dans son instance, son agence, son institution ou sa spécialité, de nouveaux savoirs et savoir-faire en communication pour affronter la crise des médiations. Interrogeons-nous sur nos méthodes, sur nos finalités – notre rôle est-il de favoriser l’autodétermination ou l’acceptabilité des mesures ? –, sur nos outils – parfois très consommateurs en énergie ou destructeurs de l’environnement… – et sur les conséquences d’une campagne d’information. Posons-nous les bonnes questions : face aux crises, que peut faire le secteur de la communication, dans toute sa diversité ? Comment mettre en œuvre une politique d’éco-communication ? La communication « positive » est-elle une nouvelle démarche pour faire face à ces défis ou bien devons-nous faire toute sa place à la complexité ? Qu’est-ce qu’une communication transparente et loyale ? Est-ce que communiquer est nécessairement simplifier ? Comment toucher les publics vulnérables ? Comment faire face à l’incertitude scientifique ? Autant de questions que nous pouvons aborder de manière pluridisciplinaire, au croisement de l’entreprise, de la recherche, de la philosophie et de l’éthique du soin. Saisissons cette occasion pour repenser nos métiers et nous préparer aux crises à venir. C’est à cette condition que nous pourrons, à notre mesure, prendre soin de nos liens sociaux, de notre démocratie, et de notre environnement. 

Signataires

Sébastien Claeys, responsable de la médiation, chercheur en philosophie, Espace éthique Île-de-France, enseignant dans le Master Conseil éditorial (Sorbonne Université), Emmanuel Aparicio, étudiant dans le Master Conseil éditorial (Sorbonne Université), Pierre-Emmanuel Brugeron, responsable des ressources, Espace éthique Île-de-France, Alexis Capogrosso, étudiant dans le Master Conseil éditorial (Sorbonne Université), Christophe Clouzeau, expert UX, Éco-conception et Numérique responsable, chez Temesis, Anne Fenoy, doctorante en philosophie (Sorbonne université, Initiative Humanités Biomédicales, UMR 8011) Emmanuel Hirsch, professeur d'éthique médicale à l'Université Paris-Saclay, Directeur de l’Espace éthique Île-de-France, Clara Olivier, étudiante dans le Master Conseil éditorial (Sorbonne université), Delphine Pinel, professeure associée en charge du Master Conseil éditorial (Sorbonne université), consultante éditoriale, Charles Raynaud, étudiant dans le Master Conseil éditorial (Sorbonne université), Soline Sénépart, étudiante dans le Master Conseil éditorial (Sorbonne Université), chargée de mission, Espace éthique Île-de-France, Clément Tarantini, anthropologue, CESP (INSERM), Espace Éthique Île-de-France, Nathanaël Wallenhorst, enseignant chercheur (Université Catholique de l’Ouest), Paul-Loup Weil-Dubuc, responsable du pôle recherche, docteur en philosophie, Espace éthique Île-de-France, Laura Zambelli, étudiante dans le Master Conseil éditorial (Sorbonne université)

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NUMÉRO 66 : OCTOBRE-NOVEMBRE 2024:
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