Gare au garage

En finir avec la tyrannie du parking

Saviez-vous que le parking s'invitait jusque dans la chambre à coucher ? Face à la pression foncière et aux impératifs écolo­giques, le diktat du stationnement pourrait bien toucher à sa fin.

Sauvage ou aménagé, le parking est omniprésent dans les rues, les places, les espaces souterrains et aériens de nos villes – il faut bien garer quelque part les 52 millions de voitures immatriculées en France (dont 39 millions en circulation). Si le stationnement automobile contribue à dessiner le paysage urbain, son influence se déploie jusque dans l’agencement de nos logements. À tel point qu’on lui doit souvent… jusqu’à la taille de notre chambre à coucher. Ainsi, dans de nombreux immeubles, la surface d’une place de voiture en sous-sol correspond à celle d’une chambre dans les appartements des étages. « Et un séjour égale deux voitures », renchérit l’architecte ­Christian ­Moley. Penser l’habitat en fonction de la trame du parking souterrain est une pratique qui a perduré jusqu’à tardivement et dont le parc de logement actuel porte encore l’héritage. Ce « réflexe » s’enracine dans les années 1960, avec l’essor de la motorisation des ménages. Encouragés par l’obligation fixée dès 1957 de réaliser des aires de station­nement privé « correspondant aux besoins de l’immeuble à construire », certains architectes commencent à intégrer des parkings enterrés dans les projets d’habitat collectif. La pratique est en partie bénéfique : elle limite l’étalement extérieur de zones de stationnement, qui grignotent les espaces verts et communs. Mais elle a aussi une incidence majeure sur la disposition et la surface des logements, car elle incite les concepteurs à aligner jusqu’en haut de l’immeuble la trame constructive du sous-sol, dictée par la taille des voitures, leur disposition et les nécessités de manœuvre.

Immeubles épais

Ainsi, en France, depuis les années 1960, la solution la plus classique pour la structure des immeubles de logements est celle de murs ­porteurs implantés perpendiculairement à la façade, selon une trame régulière de 5,4 mètres. « Cette trame permet de ­placer deux places de stationnement […] et dans les étages, deux chambres contiguës de 2,7 mètres ou un séjour et une cuisine tous deux très étroits (3,6 mètres +1,8 mètre) », apprend-on en école d’architecture. Mais pour quelles qualités des espaces à vivre… ? « En l’assujettissant à des mesures jugées optimales du point de vue de la ­rationalité constructive, le parking en infra­structure contribue au dimensionnement de l’immeuble sans considération des conséquences sur les qualités et l’usage de l’espace », regrette ­Christian ­Moley. Anne Pezzoni, architecte au sein de l’agence Archi5, dénonce elle aussi cette « tyrannie du parking », qui a favorisé la construction d’immeubles épais, peu lumineux. 

À partir des années 1990, la demande en matière d’habitat se diversifie, et les progrès des matériaux permettent l’émancipation des trames de logement par rapport aux sous-sols, pour des constructions plus audacieuses. Avec la décrue des besoins en stationnement dans certaines villes, le logement semble même sur le point de tenir sa revanche. Si les dimensions automobiles ont longtemps dicté la place laissée aux habitants, la tendance pourrait bien s’inverser. Prenant acte du fait que 65 % des Parisiens n’ont pas de ­voiture, la mairie de Paris a modifié dès 2016 son PLU (Plan local d’urbanisme), en supprimant l’obligation de construire des parkings pour les programmes de logements. Aux parkings de s’adapter désormais ! Ainsi, à ­Montpellier, le parking-silo conçu par l’agence ­Archikubik, qui abrite près de 800 places de stationnement, anticipe l’éventualité d’un futur habitationnel. Une réversibilité ­rendue possible par des hauteurs sous ­plafond de 2,60 mètres à 3 mètres (au lieu des 2,20 mètres habituels pour ce type de parking). 

« On a renversé la vapeur »

« De plus en plus, nous intégrons dès la conception d’un parking ce qu’il pourrait devenir dans dix ou quinze ans », confirme Benjamin Voron, directeur de la communication et du développement durable chez Indigo, non sans regretter « les belles années 1980 et 1990 » du stationnement automobile. « On a renversé la vapeur », se réjouit l’architecte Anne ­Pezzoni. Son agence livrera cet été, avec le collectif d’architectes Encore Heureux, la réhabilitation d’un ancien parking de sept étages transformé en un ensemble de 145 logements (en locatif social et en accession), dans le 19e arrondissement de Paris. Le projet n’a pas été sans mal : « La hauteur sous plafond était de 2,3 mètres alors qu’elle doit être de 2,5 mètres minimum dans un logement.» Un handicap qui pousse la maîtrise d’ouvrage, Paris Habitat, à vouloir détruire le bâti d’origine. C’était sans compter sur la volonté des deux équipes d’architectes qui entendent bien tirer profit de cet ancien parking – le béton est trop coûteux pour la planète pour être ainsi jeté. Ils conçoivent donc des réamé­nagements de niveaux en modifiant certains planchers, et ils créent une grande faille centrale à ciel ouvert, qui offre une double orientation aux logements, en même temps qu’un espace extérieur commun. 

Ce type de réhabilitation reste rare – et avec 80 % des Français se rendant en voiture au travail, les parkings ont encore de beaux jours devant eux. Mais il n’est pas isolé : dans le 9e arrondissement parisien, l’architecte ­Laurent ­Niget a transformé un ancien parking aérien des années 1920 en un superbe ensemble de logements sociaux, conservant les poutres en béton apparentes et les façades inox du bâtiment originel. Une douzaine d’autres opérations de ce type ont été lancées dans la capitale, encouragées par le manque de logements et la rareté de foncier disponible. « C’est vraiment un changement de paradigme qui s’amorce, sur la vision automobile et surtout sur l’emploi de la matière », veut croire Anne ­Pezzoni.

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