Les trois brigands du New Space

Elon Musk, le sincère

Illustration : Yime

Elon Musk, Jeff Bezos, Richard Branson : trois milliardaires adeptes de la transgression, libertariens et mégalos. Surtout, trois larrons difficiles à suivre, comme la courbe de leur indécente fortune, si vertigineuse et incompréhensible qu’il fallait bien un jour qu’ils s’inventent une bonne raison aux yeux du monde pour continuer à en jouir. Ainsi nous vendent-ils la « conquête spatiale » comme une vaste et excitante mission, mais aussi comme la planche de salut du genre humain.

Tu es beaucoup trop honnête, Elon. Voilà pourquoi tu es dangereux. « Seules les canailles sont inoffensives, fait dire à l’un de ses personnages l’écrivain Robert Merle dans son roman La Mort est mon métier (1952). Et savez-vous pourquoi […] ? Parce que les canailles n’agissent que par intérêt, c’est-à-dire petitement. » Toi Elon, ce n’est ni le fric ni la fame qui t’animent ; non seulement tu crois sincèrement à tes chimères, mais ton plan pour l’humanité est aussi bien plus vaste, bien plus classe, bien plus alléchant que tous ces rêves minables, ces montres connectées et ces métavers que tes ex-potes de la Silicon Valley essaient de nous refourguer. Toi, tu veux coloniser Mars, tout simplement. « Il y a deux chemins, as-tu prophétisé en 2016 à un congrès international d’astronautique. Soit on reste sur Terre pour toujours et, à un moment, surviendra un événement provoquant notre extinction. […] L’alter­native est de devenir une civilisation […] multiplanétaire. » Mais si c’est pour envoyer sur la Planète rouge quelques dizaines de sosies de Thomas Pesquet surentraînés et chiants comme la Lune, qui vont réaliser des relevés et des expériences dont tout le monde se fout dans des baraquements pressurisés avec, au menu, des rations de survie dégueulasses, autant rester sur Terre, pas vrai ? 

Toi, tu veux rendre Mars accessible à tous, y catapulter un million d’êtres humains d’ici 2050 grâce à SpaceX, la boîte que tu as fondée il y a vingt ans. En attendant, tu martyrises ceux qui bossent sous tes ordres – ce tas de fainéants ne comprend jamais rien, ne va pas assez vite. Ta plus fidèle collaboratrice qui a dû supporter pendant douze années tes caprices et tes revirements ? Tu l’as virée quand elle t’a demandé une augmentation. Tes cadres ? Tu les harcèles et les épuises, comme celui que tu as décidé de dégager parce qu’il avait loupé une réunion pour... assister à la naissance de son enfant. Tes salariés ? Tu piétines leurs droits et les incitent à bosser 90 heures par semaine : « Vous ne venez pas samedi ? Inutile de venir lundi », orne même l’entrée de l’une de tes usines. Le plus fou, c’est que tu as réussi à faire croire au monde que ton absence de qualités humaines était la nécessaire rançon de ta persévérance. Sadique et froid, tu brises tous ceux qui te résistent. Ton ex-femme, Justine, à qui tu répétais à l’envi que si elle avait été ton employée, tu l’aurais déjà virée, s’en est sûrement rendu compte un peu tard : « Ce monde est celui d’Elon, et nous n’en sommes que les habitants. » Tu as même appelé ton dernier-né « X Æ A-12 ». Trop honnête Elon, trop honnête.

Sa vie, son œuvre 

28 juin 1971 : naissance à Pretoria (Afrique du Sud).

6 mai 2002 : fondation de SpaceX.

octobre 2002 : Elon Musk vend sa société PayPal à eBay pour 1,5 milliard de dollars.

2013 : projet de fonder une colonie sur Mars d’un million de personnes.

23 avril 2021 : le lanceur Falcon 9 envoie quatre astronautes vers la Station spatiale internationale (ISS).

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