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[ Décryptage ] Le prix libre pour son business: social et viable?

Pratiquer le prix libre consiste à laisser au bénéficiaire le libre choix du montant qu'il va payer pour régler une prestation. Le festival de musique l'Ere de rien à Nantes, l'agence de communication solidaire Gifting Studio, ou encore la startup Wonderjob se sont lancés dans cette démarche bienveillante d'égalité et d'accessibilité: «toutes les études montrent que ce modèle est viable» rapporte Lisa, cofondatrice de Gifting Studio. Essayons de décrypter cet argument d'autorité.

Une solution pour plus de justice sociale ?

Le prix libre vise l’utilité sociale. Contre une course à la rentabilité, contre la frénésie des marges financières, il s’impose comme un modèle économique alternatif. Je paie un service, un produit, en fonction de l’utilité et de la satisfaction que je retire de mon achat. L’éventail des ressources auquel j’ai accès est plus étendu qu’auparavant, justice sociale est faite! Exemple avec Gifting Studio: je peux me payer le site internet dont j’ai toujours rêvé ou le kit comm’ qui permettra de faire décoller mon activité. Mais si je fixe mon prix selon l’utilité pratique que me rapporte la prestation, n’y a-t-il pas risque que le travail du créateur ne soit pas valorisé à sa juste valeur ? Risque que mon choix évalue injustement la valeur travail, voire la déconsidère? Sans même en avoir conscience… Et ce malgré ma sincère volonté d’investir pour le bien commun.
 

Que vaut réellement un produit, un service ?

Prenons une entreprise du luxe. Comme le rappelait Emmanuelle Duez, lors d’une conférence sur le bien-être au travail, «dans ce secteur, on n’achète pas un sac, on achète une histoire». De l’homme qui a tondu amoureusement son mouton aux heures passées manuellement à coudre chaque détail, le sac devient plus qu’un simple objet qui satisfasse ma propre utilité. Il est le résultat d’un long processus de production. Sa valeur réelle est souvent bien supérieure à la valeur que je perçois. Comment trouver le bon équilibre?  

Il faut d’abord comprendre comment une entreprise fixe son prix. La première étape consiste à effectuer des enquêtes auprès de ses consommateurs. Par une étude d’élasticité, l’entreprise cherche à connaître notre sensibilité à la variation des prix. En calculant notre prix psychologique, elle estime la valeur perçue et acceptable par le plus grand nombre. Fixer un prix c’est déjà considérer ses clients. L’entreprise évalue ensuite ses coûts de production, pariant sur une marge nécessaire à sa durée dans le temps et à la création d’emplois. Parlons enfin de la concurrence: l’entreprise doit pouvoir définir son positionnement, se différencier de ses concurrents, afin de gagner en parts de marché et se développer, si telle est sa vocation. Fixer un prix est donc un facteur stratégique clé. Si le prix participe d’une démarche stratégique globale, comment permettre au bénéficiaire d’avoir conscience qu’il devient acteur de cette stratégie?

 

Rendre transparents les coûts de production

Gifting Studio explique que «c’est une démarche à responsabilité sociétale et citoyenne. Le client donne une somme librement en tenant compte des coûts de production fourni dans un tableau, à titre indicatif». L’un des facteurs de succès de ce nouveau business model: la transparence des coûts de production. Coûts de production, ou coûts de revient? Rappelons que le coût de revient inclue non seulement les coûts de production mais également les dépenses liées à la diffusion, ou d’autres charges indirectes. L’entreprise engage donc notre intelligence, en nous donnant les moyens de comparer la valeur perçue et réelle: encore faut-il déterminer ce qu’on montre au consommateur. Elle parie sur notre honnêteté intellectuelle en choisissant de nous faire confiance. Est-ce une nouvelle façon d’ériger le client en «prince-de-marché» pour ne pas dire «homme-roi»? Quand on y pense, tout est fait pour nous satisfaire, répondre à notre besoin, s’adapter à nos portefeuilles. Allons-nous vers ce que les pros de la pub appelleraient un néo marketing?

 

Le contrat de conscience, pour un dialogue de confiance!

Sarah Allart, fondatrice de Wonderjob, propose à ses clientes un «contrat de conscience»: elles paient en fonction de leurs besoins et budget. ”Entre nous il est essentiel que nous soyons à l’aise et en confiance” explique-t-elle. Dans le cas d’une telle entreprise de service, le modèle du prix libre instaure un réel dialogue entre le vendeur et son bénéficiaire, et établit un lien de confiance, tels deux négociants. On se demande finalement si ce modèle est applicable à une entreprise dont les coûts de production dépassent un tableau Excel A4… Et jusqu’où la démarche est véritablement transparente. Enfin, si je crée un distributeur alimentaire bio: puis-je choisir un tel business model pour mon entreprise qui propose un produit et non un service?

 

 

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