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Végétaliser le bitume: une solution plus psychologique qu'écologique?

Voilà plusieurs mois que les grandes enseignes, de Carrefour aux Galeries Lafayette, inaugurent des potagers sur le toit de leurs magasins. Et comme la plupart des projets de végétalisation urbaine, l'argument écologique est le premier mis en avant. Mais sait-on vraiment à quoi sert de fleurir nos villes, verdir nos façades ou encore nos toits?

8°, c’est la hausse de température attendue pour 2100 dans les grandes villes selon la dernière étude parue dans la revue Nature Climate Change. En cause, le réchauffement climatique global, mais aussi l’effet “îlot de chaleur” des villes: trop de bitume et pas assez d’espaces verts pour rafraîchir et renouveler l’air.

Pour répondre à cette menace, les villes de France se lancent dans une végétalisation de l’espace urbain. A l’initiative d’acteurs publics, des palmarès de "villes les plus vertes” fleurissent (Angers, Nantes et Strasbourg occupent le trio de tête selon le dernier classement). Mais la végétation ne s’installe pas au hasard des rues, et les mairies doivent s’adapter à la géographie de leurs espaces. À Paris par exemple, c’est surtout en hauteur que la végétalisation s’opère, en raison de la densité de la ville. Il est courant de croiser dans la capitale des jardins partagés et des toits qui se parent de plantes ou de potagers.

“Les plantes sont des usines, mais de petites usines.”


Après sa maison-mère les Galeries Lafayette, c’est au tour du BHV Marais d’aménager sa toiture. Le grand magasin a sauté le pas en 2016, avec un potager vertical à la technologie innovante installé sur son toit: 1000 m2 sont recouverts de plantes dans des poches de chanvre et laine de mouton. Elles sont alimentées par un système d’arrosage qui réutilise les eaux pluviales et les eaux grises du bâtiments.

Le potager du BHV (©Sous les fraises) 

L’enseigne reconnaît tout de même que l’enjeu ne se situe pas principalement au niveau de l’impact environnemental, difficile à mesurer à cette échelle. En effet, une toiture végétalisée n’est pas en mesure de réellement dépolluer l’air, même si elle améliore sa qualité. “Les plantes sont des usines, mais de petites usines”, souligne Christophe Boutavant, spécialiste membre de l'Union Nationale des Entreprises du Paysage. “Elles captent le CO2 et en font la photosynthèse, mais dans des quantités tellement faibles qu’elles sont négligeables.

En revanche, les toits végétalisés ont bien un impact pour les habitants du bâtiment car ils permettent d’améliorer la température intérieure du bâtiment en agissant comme isolant, en le rafraîchissant durant les périodes estivales. C’est d’ailleurs sur ce dernier aspect que le BHV insiste: “Ce qu’on a voulu faire, c’est aussi participer et sensibiliser à la végétalisation. On veut aussi montrer à nos collaborateurs que l’entreprise s’intéresse à cette problématique et leur proposer un lieu poumon.

Créer un espace vert bénéfique aux salariés, mais aussi un nouveau modèle de production. Le potager du toit du BHV a produit en 2016 300 tonnes de fruits rouges, de fraises et de framboises, qui ont ensuite été vendues aux restaurateurs du quartier. “On produit local, de saison et sans emballage. On a une pratique vertueuse du bio même si on ne peut pas être certifié parce qu’on ne cultive pas dans le sol”, souligne Marie Dehaene, de la start-up Sous les fraises. Après le succès de son installation dans les galeries parisiennes,l'entreprise s’attaquera à la végétalisation du toit des Galeries Lafayettes d’Annecy.

La stratégie du vert dans les quartiers populaires


Loin des grandes enseignes, le combat du vert contre le gris s’invite aussi dans des quartiers populaires, qui voient leurs rues renaître sous le végétal. À Marseille, ce sont les habitants du quartier de Noailles qui ont pris l’initiative il y a quatre ans d’installer des plantes grimpantes et des pots de fleurs disposés en fil indienne le long des trottoirs. 

Au niveau environnemental, les plantes en pots au pied des habitations ont des effets similaires aux toits végétalisés: en absorbant les eaux pluviales, elles ne produisent pas d’humidité mais rafraîchissent l’air et améliorent sa qualité. Mais là encore, les bénéfices sont avant tout sociaux. 

Le jour où les riverains ont commencé à végétaliser les rues, les passants n'ont pas changé que leur regard sur l’espace public. La rue est devenue un lieu de vie où l’on s’arrête pour discuter, où l’on a plaisir à flâner. “Avant, c’était un espace dégradé, les poubelles s'entassaient, et rien n’était respecté”, reconnaît Monique Cordier, adjointe au maire chargée des espaces verts. 

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La municipalité a tenu à encourager cette initiative portées par des riverains et des associations de quartier, mais sans jamais se substituer à ces derniers: “Quand c’est la ville qui installe une jardinière, ce n’est pas la même chose. Alors que quand ce sont les citoyens qui s’approprient l’espace public, ils le respectent.” Elle a donc encadré l’élan de manière discrète, en fournissant une aide technique liée aux espaces verts et en répondant aux rares plaintes (concernant des plantes grimpantes occultant un feu tricolore, par exemple). 

Ce cas d'école marseillais illustre bien la théorie de ”la vitre brisée”. D'après cette dernière, la dégradation d’un espace et la non réparation des dégâts entraînent un cercle vicieux: une fenêtre cassée et abandonnée en l'état rend acceptable les comportements similaires de vandalisme. Il n'est donc pas étonnant de voir d'autres poubelles s'entasser à côté d'un sac d'ordures déposé au mauvais endroit et en dehors des heures de ramassage. À l'inverse, végétaliser son coin de bitume est une bonne stratégie pour s'assurer que son voisin entretient aussi bien l'espace de vie en commun. 

 

 

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