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Transformer son association en entreprise sociale : les 5 questions à se poser

Comment augmenter mon impact sans avoir à trouver plus de subventions ? En développant mon social business ! De plus en plus d'ONG et d'associations se posent la question de transformer leur modèle en entreprise sociale pour gagner en autonomie financière. Dans les pays en développement, cela est d'autant plus tentant que les marchés locaux connaissent des croissances rapides alors que les subventions et dons internationaux sont toujours plus difficiles (et chers) à mobiliser.

Depuis 2011, Advise for Change met en relation des jeunes professionnels de tous horizons avec des porteurs de projets socialement innovants. L’objectif de l’association est d’assurer un partage de compétences et d’expérience mais aussi, et surtout, de créer des ponts entre les acteurs de l’économie traditionnelle, de plus en plus en recherche de sens, et ceux de l’économie sociale et solidaire. Un des enjeux récurrents des projets accompagnés par les coachs d’Advise for Change en France, en Asie et en Amérique latine, est le développement d’une activité rémunératrice afin de financer le développement d’une mission sociale initiée par une association à but non lucratif.

Deux modèles principaux sont souvent envisagés pour développer une activité lucrative au sein d’une association, l’une où le bénéficiaire est l’employé et l’autre où le bénéficiaire est le consommateur. En voici deux exemples concrets :

  • Une structure dont la mission est de former et d’insérer des populations éloignées de l’emploi et qui se lance dans la vente de foulards produits par les bénéficiaires.

  • Une structure dont la mission est d’assurer l’accès à l’énergie aux plus pauvres et qui se lance dans la vente à bas prix de lampes solaires.   

Toutefois, si cette évolution permet de réduire la dépendance aux subventions, elle n’est pour autant pas la solution miracle car elle présente de nombreux obstacles. Voici 5 questions pour accompagner cette réflexion de fond :

1. Suis-je certain que mon produit ou mon service est compétitif ?

Face au succès du commerce équitable, proposer un produit ou service porteur d’un impact positif pour une communauté est certes attractif pour des consommateurs de plus en plus avertis. Mais ces mêmes consommateurs ne sont pour autant pas prêts à faire de compromis sur la qualité, surtout pour un produit ou service qui est généralement plus cher que chez ses concurrents. Si je cherche un beau foulard à offrir pour Noël, savoir qu’il a été produit par des femmes en insertion me touche mais ne suffira pas à me convaincre de payer le prix fort. La qualité du tissu, le design et le marketing de la marque seront des facteurs tout aussi importants pour me décider à acheter. De même, dans le cas où le consommateur est le bénéficiaire, même si son pouvoir d’achat est très faible, il aura un comportement de client, avec une sensibilité au marketing, au prix et au service. Il préférera investir le peu d’argent dont il dispose dans un crédit pour obtenir un panneau solaire de qualité qui lui permettra d’éclairer une ampoule et de recharger son téléphone que d’acheter une lampe solaire premier prix. Il est donc capital de démarrer par une étude de marché solide pour connaître les attentes du consommateur et la concurrence. D’autre part, il ne faut pas sous-estimer les coûts liés au marketing du produit, élément essentiel et souvent négligé. L’ensemble de ces éléments doit permettre d’évaluer les coûts et les revenus liés à cette nouvelle activité et donc de décider si le jeu en vaut la chandelle.

2. Suis-je équipé pour devenir chef d’entreprise et ai-je envie de faire ce nouveau métier ?

Quinze ans d’expérience de terrain à gérer des équipes et des budgets ne permettent pas forcément de gérer une production et des ventes. Or, la réussite de toute entreprise, en particulier les petites, repose sur son ou ses dirigeant(s). Ils sont les gardiens de la vision et du difficile équilibre entre bien-être des bénéficiaires et logique économique. Les dirigeants ont donc comme mission première d’assurer la révolution du mode de pensée au sein de l’organisation afin de passer d’une démarche de recherche d’"inputs"(subventions, bénévoles) au profit des bénéficiaires à une création d’"outputs" (produit ou service compétitif, mesure de l’impact social) au profit des bénéficiaires ET du client (qu’il s’agisse, ou pas, de la même personne). Recruter des profils avec une expérience dans une entreprise classique, avec des compétences "business" comme le marketing, peut être très utile pour renforcer cette nouvelle dynamique.

3. Suis-je prêt à prendre les décisions nécessaires au changement de fonctionnement que ce nouveau modèle économique implique ?

Devenir une entreprise nécessite un véritablement changement de philosophie. Il ne s’agit plus d’élaborer une stratégie en fonction des ressources disponibles mais de fixer une ambition et de se donner ensuite les moyens (financiers, humains, techniques…) de l’atteindre. Passer d’un modèle où des budgets sont alloués à des projets à un fonctionnement où une production continue répond à une demande clients entraîne des changements majeurs dans l’organisation de la structure et la gestion des ressources, notamment humaines. Un prérequis pour amorcer cette transition est d’être conscient des activités à forte valeur ajoutée de la structure pour pouvoir se concentrer sur ces éléments-là, quitte à en délaisser d’autres dans un premier temps. Au-delà des changements de processus, le plus gros défi est l’accompagnement des équipes qui se voient imposer de nouvelles contraintes. Le dirigeant doit porter cette transition en étant très clair sur les nouvelles contraintes induites par la nouvelle organisation (délais, productivité, qualité…) et très attentif à la réaction et l’adaptation des équipes et des bénéficiaires face à ces changements.

4. La communauté qui bénéficie aujourd’hui de mon impact acceptera-t-elle cette évolution ?

La transition d’association à entreprise nécessite une concentration des efforts sur la construction d’un modèle économique pérenne et stable, ce qui peut entraîner une réduction passagère ou une évolution de l’impact social de la structure. Or, une association construit souvent des liens sociaux forts et parfois émotionnels avec ses employés, ses bénévoles et ses bénéficiaires. La transition vers un modèle d’entreprise peut générer certaines tensions si la nouvelle structure s’éloigne des attentes de ces parties prenantes. Il est essentiel que les bénéficiaires comprennent la mise en place de nouvelles priorités : "Pourquoi l’association de formation au tissage de la soie dont bénéficiaient les femmes du village décide-t-elle de former moins de tisserandes et d’imposer des délais et des critères de qualité plus stricts ?", "Pourquoi la lampe solaire qui nous était donnée nous est maintenant vendue ?" sont des commentaires souvent entendus dans le cas de nos exemples. Si la construction d’une bonne réputation peut prendre beaucoup de temps et d’énergie, le "bad buzz" peut aller à toute vitesse. Il est critique de bien anticiper cela et d’expliquer cette évolution aux personnes concernées afin d’éviter de détériorer sa relation avec la communauté.

5. Suis-je prêt à prendre le risque que la transition échoue ?

Toute démarche entrepreneuriale repose sur une prise de risque. Les projets ne sont plus lancés après l’obtention des fonds nécessaires mais à l’inverse, les fonds n’arrivent qu’après l’exécution du service ou la livraison du produit. C’est un pari sur le fait que le produit ou service sera acheté. Du résultat de ce pari, dépendra le développement ou, au contraire, l’échec de la mission sociale. L’évolution vers une entreprise sociale peut ainsi permettre de changer son impact d’échelle mais pour le pire comme pour le meilleur. Si mes foulards sont un grand succès, je pourrai former et recruter plus de tisserandes. Mais si je n’en vends pas, je devrai réduire mes équipes et arrêter la formation.

Pour assurer le maintien des activités sociales au cours de cette transition risquée, la majorité des acteurs rencontrés garde une structure juridique permettant de recevoir des dons ou des subventions en parallèle du lancement de la nouvelle structure commerciale. Un jeu d’équilibriste périlleux comme les deux structures et l’utilisation des fonds doivent être très clairement distinguées.

En conclusion, la seule question qui compte est la suivante : suis-je prêt à assumer les exigences de l’entrepreneuriat classique (risque financier, développement d’une réponse efficace à un besoin bien identifié) tout en préservant les exigences liées à ma mission sociale (évaluation d’impact) ? Cette double exigence est à la fois le défi majeur de l’entrepreneuriat social et ce qui le rend si attractif !

 


Amandine de Montvalon
Advise for Change

http://www.adviseforchange.com/

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