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Romainville : des militants se mobilisent pour sauver une forêt de la destruction

La forêt sauvage de la Corniche des Forts, située en Seine-Saint-Denis, devrait accueillir d'ici 2020 une base de loisirs. La présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse espère ainsi redynamiser le territoire. Les travaux d'aménagement de la forêt présentent pourtant, selon les opposants au projet, de nombreux risques sanitaires et environnementaux.

Si vous vous baladez aux alentours de la forêt de la Corniche des Forts, n’espérez pas y trouver le calme des grands espaces. Depuis octobre, pelleteuses, tronçonneuses et bulldozers s’animent au coeur de cette forêt sauvage de 28 hectares. D’ici 2020, la forêt devrait en effet accueillir une partie de la base de loisirs de la Corniche des Forts, située à cheval entre les communes de Pantin, des Lilas, de Noisy-le-Sec et de Romainville. Cette “île de loisirs”, qui s’étend actuellement sur une trentaine d’hectares, devrait ainsi être agrandie, empiétant partiellement sur la Forêt de la Corniche des Forts.

Poney-club, parcours sportifs, mur d’escalades, jeux pour enfants, zone d’éco-pâturage, prairie…Porté par la région Île-de-France, le projet est contesté par de nombreux citoyens et militants environnementaux, craignant que ce projet n’endommage un patrimoine naturel remarquable. C’est le cas de la présidente de l’association des Amis de la Forêt de la Corniche des Forts, Hélène Zanier, qui lutte depuis plusieurs années contre l’aménagement de la forêt.

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Quand avez-vous créé l’association des Amis de la Forêt de la Corniche des Forts ?

Hélène Zanier : Nous l’avons créée en 2012, suite à une visite de la forêt improvisée. Fabrice Nicolino a voulu aller voir ce qui était sous le grillage, qui était soulevé. Nous l’avons suivi, et nous avons eu une révélation. C’était un paysage de jungle tropical. Comme nous savions déjà à l’époque qu’un projet menaçait la forêt, nous avons décidé avec Fabrice de la protéger.

Le "paysage de jungle tropicale" de la forêt de Romainville © Les Amis de la Forêt de la Corniche des Forts

Fabrice voulait en faire un conservatoire qui servirait d’observatoire à des scientifiques, à des scolaires, à des universitaires, car cette forêt a la particularité unique de s’être développée sans la moindre intervention humaine. La forêt s’étend sur les ruines d’une ancienne carrière de gypse, dans un site assez chaotique sur le plan du relief. On a voulu préserver ce trésor.

Pourquoi vous opposez-vous au projet d’aménagement d’une base de loisirs au sein de la forêt de la Corniche des Forts ?

H. Z. : Nous voulons conserver ce patrimoine naturel exceptionnel. Nous ne sommes pas opposés à la base de loisirs, mais seulement aux équipements qui sont destinés à aller dans la forêt, et qui nécessitent de remplacer des arbres par de la pelouse. En tout, 8,9 hectares seront déforestés, si l’on prend en compte les travaux de nivellement et de comblement des galeries ainsi que l’implantation des piliers de la passerelle [les porteurs du projet envisagent également de sanctuariser 20 hectares de la forêt,ndlr].

Tous ces équipements peuvent trouver leur place sur certaines pelouses environnantes qui sont aujourd’hui complètement nues. Ils pourraient trouver très naturellement leur place dans les 64 hectares qui composent la base de loisirs dans son ensemble. Il n’y avait aucune raison majeure de toucher à cette forêt.

 Hélène Zanier, présidente de l'association des Amis de la Forêt de la Corniche des Forts lors d'un rassemblement aux côtés de Sabine Rubin et Bastien Lachaud (député.e.s FI di secteur de la base), Pierre Serne et Annie Lahmer conseillers régionaux d'Ile-de-Frances.

La déforestation est pour nous insupportable. Selon l’ADEME, un arbre peut évaporer jusqu’à 450 litres d’eau, soit l’équivalent de cinq climatiseurs.  Évidemment, sans consommer d’électricité ni rejeter de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Les arbres absorbent également du CO2. Dans la forêt, il y avait des arbres qui avaient plus de cinquante ans, et qui captaient donc plus de CO2 que de jeunes arbres. Les porteurs du projet ont calculé qu’ils allaient couper 800 arbres. Nous, nous avons calculé qu’ils en couperaient plus, car il y a selon nous environ 500 arbres par hectare dans la forêt. Ce n’est pas parce que ça ne se passe pas en Amazonie ou en Indonésie que c’est moins criminel ! Le geste est le même, les conséquences sont les mêmes.

Les porteurs du projet s’abritent derrière leur volonté de replanter des arbres dans une autre base de loisirs, à Torcy. On ne va pas réparer la forêt de cette manière là. Ils vont remettre des petits arbres, ce qui n’aura pas du tout d’incidence sur le climat. D’autre part, la faune qui s’était développée dans la forêt de Romainville était adaptée à ce biotope. Nous risquons de perdre un écosystème extraordinaire.

La maire de Romainville, Corinne Valls, expliquait pourtant récemment au Parisien que le projet serait respectueux de l’environnement et permettrait d'accroître la biodiversité. La présidente de la région, Valérie Pécresse, compare également le projet à une “promenade écologique”. Qu’en pensez-vous ?

H. Z. : Tout prouve que ce projet n’a rien d’écologique. Pour abattre les arbres, le préfet de la Seine-Saint-Denis a publié un arrêté autorisant les constructeurs à porter atteinte à 41 espèces protégées. Je ne parle même pas des espèces non protégées ! Parler de biodiversité dans un cas comme celui-ci, c’est du greenwashing.

L’impact environnemental d’un projet s’évalue également à l’échelle globale. Plusieurs dizaines de milliers de cubes de sable ont été achetés pour être injectés dans les galeries de la forêt afin de limiter les risques d’effondrement. C’est une aberration. On a extrait du gypse de la forêt jusqu’en 1965 pour faire du plâtre, et maintenant on va remettre à la place du sable que l’on est allé chercher dans des rivières à plusieurs centaines de kilomètres de la forêt !

Aperçu de la forêt de Romainville © Guilhem Vellut (Flickr)

Vient se greffer à ces problèmes une autre question encore plus inquiétante: comme toutes les carrières, la forêt de Romainville a été remplie de déchets de toute nature pendant des décennies. À l’époque, il n’y avait ni contrôles ni législations relatifs aux déchets. L’étude d’impact met en évidence des taux extrêmement élevés de certains polluants à plusieurs endroits.

Le projet d’aménagement prévoit de niveler ce terrain accidenté en remuant des dizaines de milliers de mètres cubes de terre. Avec tout ce remue-ménage, tout va être disséminé, sans que l’on puisse identifier les zones contaminées. Les déchets risquent de remonter à la surface : du cyanure, du strontium, du nickel, des hydrocarbures totaux, des solvants, des polychlorobiphényles, de l’amiante… Des matériaux très dangereux. Tant que l’on ne touchait pas au sol, tous ces produits toxiques étaient recouverts d’un couvercle d’humus. Nous étions plus en sécurité avant le début des travaux.

Qu’en est-il de la renouée du Japon ? Selon la mairie, l’aménagement de la forêt permettrait de limiter l’expansion de cette espèce invasive grâce à la mise en pâturage de moutons et autres animaux d'élevage.

H. Z. : La renouée du Japon a été classée comme une espèce invasive, mais cette classification a été un peu rapide. Elle n’entre pas en concurrence avec d’autres plantes, mais se développe aux endroits où pratiquement rien ne pousse, avant de disparaître. Les renouées du Japon fleurissent très tardivement, et servent de réserve aux pollinisateurs, principalement des abeilles. C’est donc plutôt un apport à la biodiversité, en particulier des insectes. Quand elle aura fini son cycle, les arbres la remplaceront.

Quid des risques d’effondrement ? La forêt s’étant développée sur d’anciennes carrières de gypse, ses sols sont mouvants. Pour cette raison, l’accès à la forêt est aujourd’hui interdit. Les porteurs du projet proposent au contraire de combler les carrières avec du béton afin de la rendre accessible au public.

H. Z. : Dès qu’il y a du gypse, il peut y avoir des glissements. Pourtant, rien ne s’est effondré pendant les travaux, alors que les constructeurs sont passés avec des engins de 25 tonnes. Selon nous, le réseau racinaire a constitué une espèce de filet de sécurité naturel. Ce n’est pas non plus une garantie absolue, mais nous n’avions de toute manière aucune raison d’entrer dans cette forêt.

S'étendant sur les ruines d'une ancienne carrière de gypse, la forêt de Romainville présente des risques d'effondrement ©Les Amis de la Forêt de la Corniche des Forts

Pourquoi rentrer dans cette forêt en particulier, alors qu’il y a des bois magnifiques sur le reste de la base de loisirs ? Pourquoi l’aménager, alors que les parcs alentours sont déjà très mal entretenus ? Tous ces aménagements auraient pu être réalisés ailleurs, dans des endroits déjà ouverts au public. Des aires de jeux, il y en avait déjà, mais elles ont été dégradées. Pourquoi ne pas les avoir entretenues ? Les collectivités n’ont déjà pas été en mesure d’entretenir ce qui existait, ils ne pourront pas plus entretenir des espaces de loisir supplémentaires.

Portez-vous un projet alternatif ?

H. Z. : Selon nous, le projet de Fabrice Nicolino était le meilleur. Il souhaitait faire de ce site exceptionnel un lieu d’observation scientifique à long terme, et installer des webcams à des endroits stratégiques afin de pouvoir observer les animaux sans toucher à la forêt. Nous aurions également volontiers discuté d’un sentier ou d’une infrastructure passant au-dessus de la canopée sans endommager la forêt. Daniel Guiraud, le maire des Lilas avait d’ailleurs envisagé d’aménager un sentier forestier afin de permettre aux gens de découvrir la forêt sans l’âbimer. Nous pensons qu’il ne fallait surtout pas abîmer cette forêt, car elle était extrêmement vivante, extrêmement riche. Beaucoup de paysagistes pensaient qu’elle était parfaite. Il y avait un intérêt scientifique à voir comment la nature se débrouille quand elle est architecte.

Où en sont les procédures judiciaires ? Les travaux ayant déjà commencé, y a-t-il des recours possibles ?

H. Z. : La mairie de Romainville a fait en sorte que l’on ne découvre pas les arrêtés des travaux et de destruction des espèces protégées en temps et en heure. Nous avons quand même attaqué le permis d’aménager. Ce permis ne concerne cependant que les aménagements, qui ne commenceront qu’une fois que ces travaux destructeurs de déforestation seront terminés. Ce n’est pas grand chose, mais nous poursuivons quand même, car il a été accordé sur la base d’une étude d’impacts que nous remettons en cause. Nous travaillons également pour attaquer la Région Île-de-France pour sa contribution au réchauffement climatique dans la foulée de “L’affaire du siècle”, un recours juridique contre l’État lancé en décembre par quatre grandes ONG.

D’autres terrains de lutte pour la préservation des espaces verts existent en Île-de-France, notamment à Gonesse, où le Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG) milite contre la construction du projet EuropaCity. Comment vous positionnez-vous par rapport à ces luttes ?

H. Z. : Nous sommes complètement solidaires du CPTG. Nous sommes d’ailleurs tous deux membres de la Coordination de préservation des espaces verts et publics Ile-de-France (CEVE). Nous partageons la même analyse: chaque mètre carré de sol naturel est à défendre bec et ongles.

Photo de couverture : intervention citoyenne pour arrêter les engins et constater la déforestation © Hélène Zanier 

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