A compléter

Revenu universel : ni de droite, ni de gauche ?

"Ni de droite, ni de gauche", ainsi que se plaisent à le marteler les promoteurs du revenu de base. Cette idée ferait donc consensus? Pas vraiment. Si son caractère universel et inconditionnel constitue bien un dénominateur commun, l'unanimisme s'affale dès qu'il est question des modalités d'application et de financement de ce revenu. Les modèles avancés, de la gauche radicale aux ultra-libéraux inspirés par Milton Friedman, sont en réalité toujours contradictoires et souvent irréconciliables. Le slogan tombe finalement juste : ni de droite, ni de gauche, le revenu de base trouve ses thuriféraires et ses détracteurs dans chaque camp.

Le clivage de la responsabilité individuelle

À droite, les ultra-libéraux s’opposent aux conservateurs. Les premiers voient de nombreux avantages dans un revenu de base dont la première vertu serait de justifier la suppression de tout ou partie des aides sociales. Une simplification de la redistribution qui permettrait de rationnaliser la bureaucratie et ébranler un État-providence jugé anachronique. Financé par un impôt négatif, ce modèle du revenu de base permettrait de supprimer la misère matérielle tout en abandonnant la lutte sociale contre la pauvreté et l’épineuse problématique de la répartition des richesses. Entre autres effets escomptés : réinsertion des plus pauvres dans le jeu des échanges économiques ; stimulation de la consommation des classes moyennes ; flexibilisation du marché du travail en justifiant des licenciements plus faciles car moins lourds de conséquences ; et préparation d’une société ultra-automatisée caractérisée par un chômage de masse et la fin du salariat. Le revenu de base permettrait une transition douce vers un modèle auto-entrepreneurial où chacun pourrait cumuler des petits boulots auprès de plateformes de services mondialisées type Uber. Cette position est vivement contestée par les tenants d’une droite plus traditionnelle qui s’inscrit dans une certaine sacralisation du travail et de l’enrichissement. Ceux-ci craignent qu’un tel revenu de base engendre une société de l’assistanat où le désir d’accumulation et la peur de la misère ne jouent plus leur rôle incitatif dans la création de richesses.

 

Le réformiste, le révolutionnaire et l’idiot utile

À gauche, la diversité des familles idéologiques multiplie les fronts d’opposition. Côté défenseurs du revenu de base, les libéraux soutiennent (tout comme les ultra-libéraux) qu’il est nécessaire de conserver une dépendance par rapport au travail en fixant le revenu de base suffisamment bas, sans toutefois renoncer à l’État-providence. Selon eux, consommation et croissance seraient mécaniquement relancées, tandis que la capacité de négociation des travailleurs en sortirait renforcée grâce à la perspective d’un revenu en cas de licenciement. Plus marginaux, les libertaires héritiers de Michel Foucault considèrent que l’inconditionnalité du revenu de base mettrait fin au contrôle social d’un État inquisiteur et potentiellement policier. Certains socialistes et écologistes radicaux y perçoivent également l’opportunité de questionner des paradigmes de la société capitaliste. Ils espèrent une prise de conscience collective qui nourrirait la contestation sociale du capitalisme en préparant l’édification d’une société davantage frugale, conviviale et tournée vers le collectif. Une autre gauche fait pourtant le procès en naïveté à ces arguments. La gauche collectiviste incarnée par le sociologue Bernard Friot critique ce revenu de base qui s’évite la remise en question fondamentale du salariat et du travail, toujours sous le contrôle du marché. Certains libertaires et anarchistes s’opposent aussi à ce modèle qu’ils voient comme une dépendance toujours accrue par rapport à l’État ou comme une offensive libérale masquée. Ce projet est dès lors perçu comme le symbole de l’impuissance politique de notre temps à transformer notre société en profondeur.



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(Crédits photo: Stefan Bohrer)
En octobre 2013, les partisans de l’initiative pour un revenu de base célèbrent la remise des 126 000 signatures nécessaires à un référendum populaire en déversant 8 millions (l’équivalent de la population suisse) de pièces de 5 centimes sur la place du Palais fédéral à Berne. Les Suisses seront appelés aux urnes le 5 juin pour décider ou non de l’inscription de la mesure dans la Constitution.

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