A compléter

Réinventez votre business model pour servir la base de la pyramide

Cette tribune a été initialement publiée dans le numéro 11 de Socialter (juin-juillet 2015).

En 2005, C. K. Prahalad alertait les entreprises de l’existence d’une « fortune à la base de la pyramide » (Bottom of the Pyramid ou BoP). On espérait à l’époque que les grandes sociétés déploieraient leurs formidables forces managériales et technologiques pour saisir cette opportunité alléchante.

Dix ans plus tard, malgré la multiplication d’efforts bien intentionnés, les résultats restent décevants. Pourquoi ? Les entreprises n’ont-elles pas conscience de cette opportunité, sont-elles incapables de s’en saisir ou refusent-elles simplement de le faire ?

Pour répondre à ces questions, examinons le programme Patrimonio Hoy, l’un des rares succès en matière de BoP (qui avait d’ailleurs inspiré C. K. Prahalad).

Suite à un effondrement du marché de la construction survenu à la fin des années 1990, Cemex, multinationale mexicaine spécialisée dans le ciment, s’étonne de la surprenante résistance des segments de consommateurs les plus pauvres aux fluctuations cycliques du marché. Décidée à explorer ce segment peu cyclique et à fortes marges et après de vaines tentatives de réduction des prix ciblant ces populations pauvres, Cemex entreprend une étude anthropologique du marché de la construction dans les bidonvilles du pays. Elle réalise ainsi qu’il faut souvent à ces familles, privées de titres de propriété, de comptes en banque, de crédit et d’expertise, près de cinq ans pour doter leur maison d’une pièce supplémentaire (2 m2 par an !). Dépourvues de moyens d’épargne, ces familles achètent généralement du ciment ou des briques dès qu’elles ont de l’argent disponible. En conséquence, 40 % de leurs achats finissent par être volé, cassé et inutilisable.

Au lieu de se limiter à la vente seule de ciment, Cemex s’est mis à la place de ses clients afin de concevoir une offre complète de services leur permettant de construire une pièce supplémentaire avec assistance technique, livraison à domicile, solutions de crédit et accord de garantie des prix compris. Les équipes de la multinationale se sont essayées à la vie dans les bidonvilles. Elles n’ont cependant guère progressé en discutant techniques de construction avec les locaux. C’est en fait la lecture de l’autobiographie de Muhammad Yunus qui leur ouvre les yeux sur le rôle primordial tenu par les femmes dans la gestion des économies du foyer. Cemex comprend alors que c’est en s’adressant à elles au sujet de leurs aspirations personnelles et familiales qu’elle arrivera à générer des discussions constructives.

Prise de conscience

Cette prise de conscience a non seulement permis à Cemex de tripler la taille de son marché (le ciment ne représentant que 30% du coût de construction d’une pièce supplémentaire) mais aussi de se doter d’un avantage compétitif durable, l’ensemble des services proposés au sein de leur solution intégrée ne pouvant être répliqués facilement. En somme, le marché ciblant les populations les plus pauvres est devenu un segment très rentable.

Cemex n’a pas eu peur de s’aventurer au-delà de son rôle traditionnel (la production de ciment) et de prendre la peine de réellement écouter ses clients et de devenir un fournisseur de solution intégrée d’amélioration du logement. Cette démarche rappelle – dans un tout autre registre  – celle de Nespresso qui a su dépasser son business model traditionnel de producteur de café moulu afin d’offrir un service holistique à ses clients autour du slogan « The perfect cup of coffee, time after time, cup after cup ». On imagine sans effort les débats animés que de tels projets ont pu susciter dans les conseils d’administration chez Cemex ou Nestlé. Réinventer son business model n’est certainement pas sans risques. Il faut des managers déterminés et visionnaires, capables de remettre en cause les règles de leur entreprise. Il leur faut aussi le soutien indéfectible de leur dirigeant tout au long du processus d’itérations pour inventer un nouveau business model.

Oui, il pourrait bien y avoir une fortune à la base de la pyramide. Mais la voie qui y conduit est semée d’embûches. Est-il néanmoins si surprenant que la pénétration d’un marché de 4 milliards de consommateurs demande un peu plus qu’un simple ajustement de prix et de packaging des produits habituellement vendus aux consommateurs des pays riches ?





Olivier Kayser dirige Hystra, société de conseil qui cherche à résoudre des problèmes sociaux à travers des approches commerciales. Ancien responsable d’Ashoka, il a passé 18 ans chez McKinsey en tant qu’associé senior.



 

 

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