A compléter

Qui seront les dirigeants du XXIème siècle ?

Tribune initialement publiée dans le Huffington Post, actualisée sur Medium.

Je ne sais pas si les dirigeants de notre pays s’en sont bien rendu compte, mais le monde a changé. Le temps que nous débattions du futur, quelqu’un est déjà en train de l’inventer. Une révolution numérique a eu lieu. Oui, elle n’est pas en chemin mais déjà bien ancrée. Innovation, collaboration, création, plus rien ne sera jamais comme avant, notamment pour une génération qui a appris à grandir avec les nouveaux outils technologiques. Tous les secteurs économiques sont concernés mais surtout notre rapport au monde se transforme. Le monde est à la portée de nos mains, nos communautés d’intérêts également. Nous cultivons notre identité à travers les “tribus” que nous intégrons en ligne et au-delà. Nous exprimer librement, avec authenticité, pour partager qui nous sommes et espérons devenir devient un réflexe. Nous sommes interconnectés, et ce, en permanence.

Il n’est pas anodin de pouvoir discuter et “se connecter” avec le Président des États-Unis sur Reddit. La connexion, ce n’est pas seulement avoir accès à Facebook ou Twitter mais la connexion à l’autre, où qu’il soit, quel qu’il soit. Le rapport à l’autorité est repensé et des communautés telles que Bitcoin, Wikipédia, Kickstarter, sont les symboles d’une nouvelle façon de créer et de s’impliquer. À la centralisation succède la décision distribuée, la proposition originelle du web. Les créateurs de nouvelles communautés font des participants les vrais héros. Dans ces tribus numériques, la confiance est au centre de tout, comme une nouvelle monnaie d’échange. Elle s’organise par la technologie (blockchain) et/ou des valeurs partagées.


Le monde se transforme, mais un îlot semble résister. Comme l’écrit le journaliste David Runciman : “De nombreux aspects de notre monde en ligne seraient méconnaissables pour quelqu’un qui aurait été transplanté ici venant du XXème siècle. Mais les luttes intestines et les blocages politiques de Washington seraient eux toujours familiers”.

Nous pourrions faire exactement la même remarque concernant la France. Au-delà des mêmes personnes, ce sont surtout les mêmes réflexes, habitudes, propositions, les mêmes sujets et dichotomies qui s’entrechoquent. Le système, comme tout ce qui résiste au changement et aux sirènes de l’innovation, finit par s’auto-détruire tout en pensant assurer sa survie. En refusant de proposer une vision du XXIème siècle et d’aborder les sujets clés de l’innovation, l’environnement, l’Europe, l’ouverture au monde, ils finissent par n’être représentatifs de rien, surtout pas de nous-mêmes. La faible représentation des jeunes, des femmes, le manque de diversité sont en cela assez symptomatiques. Le décalage est flagrant.



La seule bonne nouvelle, c’est le chaos que l’on vit actuellement. Oui, absolument, avant toute renaissance, il faut probablement en passer par là. Terrorisés, certains décident de remuer les peurs et les pires conservatismes et d’en faire un terreau fertile de la haine. D’autres n’ont plus aucune confiance et se détournent dramatiquement comme le révèle le taux d’abstention des jeunes aux dernières élections. La crise actuelle est avant tout une crise de leadership et une crise de confiance, ce marchepied vers l’avenir, qui permet de porter un enthousiasme de ce qui pourrait être et non la peur de perdre ce qui a été.

Comme le faisait remarquer l’écrivain Umair Haque, demandez à quelqu’un de vous citer un leader politique vivant qu’il ou elle admire. Un silence pesant devrait s’en suivre. On ne compte plus les comportements choquants, les combats stériles, les débats de personnes, pendant que la maison brûle. S'ils savaient à quel point stigmatiser l’autre les rend encore moins crédibles, que renvoyer la balle de l’incompétence ne joue le jeu de personne surtout pas le nôtre. Les seuls gagnants sont les ennemis d’un monde qui avance. Les valeurs de la révolution numérique sont des évidences pour ceux qui la vivent mais totalement ignorées par d’autres : communauté, transparence, authenticité, environnement, diversité, collaboration, conversation, participation.

Face à cela, la comparaison est violente, le fossé énorme. Comme le révèle le baromètre de confiance d’Edelman de 2014, la confiance dans les institutions a chuté dramatiquement notamment, à un taux de 20% en France. Selon une récente étude, “trois quarts des Français (75%) ont une mauvaise opinion du PS, 74% du FN, et plus des deux tiers (67%) jugent sévèrement l’UMP, devenu LR. La rupture est consommée, on ne cesse de le dire, de le répéter mais pourtant rien ne semble vraiment changer. En apparence.

 

Mais nous voilà à la croisée des chemins, dans ce moment de destruction créative propre à l’innovation qui pourrait permettre de tout réinventer. Il n’y a pas un domaine qui ne sera pas bouleversé par la transition numérique, pas même la politique et notre engagement dans l’espace public. Cela prendra peut-être plus de temps, les résistances y sont fortes. Steve Jobs a un jour affirmé que le monde tel qu’on nous le présente n’avait pas été imaginé par des gens plus intelligents que nous. Les innovateurs ont en plus de l’intelligence une qualité essentielle, la curiosité sans faille, la confiance en eux, en l’autre, et dans l’avenir, même quand la situation semble bien sombre. Le futur appartient aux curieux, pas à ceux qui se referment sur leurs certitudes, leur dogme, leur ego, leur carapace, par peur de tout et surtout de soi.

Pour le curieux, chaque problème devient une opportunité, la crise, une transition et chaque système défaillant, un espoir d’une organisation nouvelle. Et c’est bien de cet état d’esprit-là dont nous avons besoin. La confiance, la grande absente, celle qui pourtant permet tout dans un moment qui ressemble à une page blanche plus qu’à une période noire, si on le veut bien… Et si l’innovation numérique permettait de retrouver notre place et de rénover un secteur qui ne bouge que trop lentement ?

La révolution numérique a créé un mouvement très fort, celui des “makers”. Ne plus être uniquement consommateur, mais acteur. Ne plus uniquement acheter mais créer. Participer, faire soi-même, c’est aussi cela qu’internet et la révolution technologique permettent. La Maison Banche a, il y a quelques mois, accueilli la première “Makers Faire” et Axelle Lemaire, Secrétaire d’État au Numérique, affirmait qu’il faudrait très vite en organiser une à l’Elysée. Les “faiseurs”, c’est l’avènement du “DIY: Do It Yourself”.

La vague arrive à grande vitesse ici. Créer sans les experts, ou ceux qui se proclament comme tels, voilà l’une des valeurs clés du mouvement. Le DIY est d’abord apparu avec le mouvement punk dans les années 70. Et comme le proclame Chris Anderson, fondateur de WIRED et de la conférence TED, les makers sont les nouveaux punks. Ils sont de plus en plus nombreux à faire. Au-delà des fab labs, ils incarnent un élan constructif : transformer les frustations provoquées par une société dans laquelle ils ne se reconnaissent plus en création. Pour eux, la meilleure façon de se plaindre est d’agir, de construire un monde différent.

Nous devinons déjà les conséquences d’une telle responsabilisation, de ce regain d’autonomie. Psychologiquement, le pas est franchi. Nous voilà dans l’arène, ou dans l’agora.

Dans un monde si complexe, qu’on ne peut plus penser en mode binaire, les experts doivent apprendre à désapprendre, agrandir l’horizon, présenter les nouvelles priorités, ouvrir un système cloisonné et nous inciter à croire en notre capacité d’inventer une société meilleure, à relever la tête, à arrêter de croire que nous serons sauvés de nous-mêmes sans nous impliquer, sans remplacer la peur par la curiosité. Il faut donner une chance à un XXIème siècle qui ne supportera pas le statu quo. Nous sommes au premier plan, la révolution numérique nous donne cette chance !

Thomas Friedman, célèbre journaliste du New York Times, partageait à l’université de Stanford les leçons qu’il avait apprises après 20 ans à écrire et à partager son opinion dans ses éditoriaux : “Quand les gens ont un sentiment d’appropriation sur leur entreprise, lorsque les enfants ont un sentiment d’appropriation sur leur éducation, lorsque les enseignants ont un sentiment d’appropriation sur leur salle de classe, et surtout, quand les gens ont un sentiment d’appropriation sur leur pays et son avenir, de très bonnes choses se produisent.”



Le plus grand danger pour la démocratie, a dit Robert Reich, ancien Secrétaire du Travail américain de 1992 à 1997, n’est pas la nullité d’un camp ou d’un autre mais l’apathie citoyenne. À l’ère dans laquelle nous vivons, il est important, quand on en a la force et l’envie, d’être moteur, de croire que le monde est toujours changé par ceux qui s’en sentent capables. Commencer à dix, finir à un million, cela n’a jamais été aussi possible qu’en 2016. Jouer un rôle, devenir propriétaire de notre destin, faire de la démocratie participative une réalité, permettra de retrouver confiance. En soi d’abord, en l’autre par conséquent, en ce qui sera possible demain. Des plateformes comme VOXEDemocratechFluicityMa Voix et bien d’autres en France commencent comme… un murmure et pourraient finir en cris de joie et non de protestation.

Car c’est notre enthousiasme pour l’avenir, et non la lassitude du présent, qui sera le facteur clé. Nous pouvons avoir les meilleures innovations du monde, sans désir d’aller vers l’inconnu, de participer, rien ne sera possible. Les innovations technologiques sont utilisables par tous, même les esprits les plus conservateurs. Une imprimante 3D peut créer un organe ou un revolver.

C’est notre état d’esprit encore et toujours qui change la donne. C’est cet enjeu majeur qui se dessine. Que les curieux l’emportent sur les frileux. Il n’y a pas d’innovation sans ce désir pour le futur comme l’explique John W. Gardner dans son livre Self Renewal: The Individual And The Innovative Society : “La réinvention dépend de nombreux facteurs. Je voudrais en souligner un particulièrement important et unique — la motivation. Si les gens sont apathiques, vaincus par l’esprit, ou dans l’impossibilité d’imaginer un avenir avec un objectif valable, la partie est perdue.”

Nous la sentons. Cette friction entre un ancien monde qui se tétanise, et un nouveau qui y croit et doit forcer les murs pour s’imposer, est à son apogée. Mais à l’ère du numérique, ils sont souvent plus faciles à faire tomber.

Il y a une maxime qui dit : “La phrase la plus dangereuse du langage est 'nous avons toujours fait comme cela'.”



Nous sommes bien décidés à tout changer. Les règles du jeu et les joueurs.

John Maeda, ancien directeur de l’école de Design de Rhode Island et partenaire chez KPCB, imagine un leadership totalement différent dans les années à venir. Il différencie le leadership traditionnel (autoritaire) du “leadership créatif”. Ce leader cultive le dialogue, l’honnêteté, l’improvisation quand nécessaire, il apprend de ses erreurs, prend des risques, accepte la critique, un système ouvert, invitant à la conversation. Il sera un artiste plus que le portrait habituel du dirigeant actuel. Le XXIème siècle est là, il est temps que nous soyons en adéquation avec lui.


Sous les claviers, le futur. La génération connectée n’a jamais autant voulu y croire. Il suffit de l’entendre, l’impliquer, lui donner envie. Les leaders de demain s’y trouvent aujourd’hui. Les enjeux sont bien trop importants et les défis écologiques et économiques trop énormes pour ne pas penser que nous aurons besoin d’eux et de toutes les forces, pas seulement vives, mais positives. L’entreprise, l’État, les entrepreneurs, les salariés, les jeunes, les moins jeunes.

Ce n’est pas de deux partis qui se déchirent dont nous avons besoin, de querelles idéologiques, d’une sixième République, pour ce XXIème siècle qui pourrait tenir ses promesses, si nous lui en donnons les moyens. Nous avons besoin d’une nouvelle dimension, d’une nouvelle façon de penser le monde et nous-mêmes, d’une démocratie innovante, curieuse, responsable. D’un nouveau paradigme, d’une vision plus holistique. Le think tank non partisan Capital Institute affirme dans son rapport Regenative Capitalism : “Les deux systèmes -capitalisme et socialisme- ne sont pas viables, même si parfaitement appliqués (…) les économistes doivent explorer la « science de l’holisme » pour nous sortir des visions du passé auxquelles s’accrochent la droite et la gauche.”
 


Les dirigeants du XXIème siècle représenteront une nouvelle façon de penser le monde, prendront les risques qui permettent d’innover, imagineront les nouveaux outils technologiques et de communication qui favorisent notre participation et notre impact. Ils incarneront cette nouvelle dimension. Nous pourrons enfin inspirer et être inspirés, mettre sur le devant de la scène les vrais sujets environnementaux, sociaux et économiques, ceux qui nous tiennent à coeur. Enfin nous nous sentirons acteurs d’une autre société tournée vers l’avenir, l’Europe, le monde, la diversité, l’autre, loin des extrémismes stériles, vers tout ce qui nous enrichit lorsque nous nous aimons, nous sentons impliqués, respectés, compris, en un mot, en confiance.


(Tribune actualisée, initialement parue dans le Huffington Post)



Axelle Tessandier
@axelletess

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