C'était dans la banlieue de Lyon, à Saint-Fons ; à moins que ce ne soit l’inverse, car qui est la banlieue de qui, et qui au juste le décide ? C’était donc à Saint-Fons, une petite ville très marquée par l’urbanisme des années 1970 et par l’importance industrielle de la vallée de la chimie. « Banlieue », « vallée de la chimie », des mots qui, avec d’autres – on pourrait y ajouter « la diagonale du vide », « les quartiers » –, qualifient, c’est-à-dire souvent disqualifient, les territoires autres, les territoires des autres. J’y rencontrai, ce jour-là, une classe de 6e pour réfléchir ensemble à ce que pouvait signifier « habiter ». Je leur avais posé préalablement quelques questions : « En quel sens puis-je dire de ce quartier que c’est mon quartier ? Qui y habite, humains et non-humains compris ? » Les jeunes que j’avais en face de moi portaient une ribambelle colorée de tee-shirts, télescopant sur leur corps les imaginaires mondiaux des grands espaces urbains ou de nature où aucun n’était allé, où ils n’habitaient pas. Mais jamais il ne leur serait venu à l’idée de porter un vêtement disant « J’aime Saint-Fons ». Témoin silencieux de ce spectacle extraordinaire, j’avais demandé à 5 ou 6 jeunes de se lever, de tourner le dos aux autres et, au dernier moment, de se retourner. Lorsqu’ils se retournèrent se dessina alors concrètement un paysage imaginaire, qu’aucun cartographe n’aurait...