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Pourquoi les villes ne sont pas faites pour les femmes

"Ma jupe n'est pas une invitation." Depuis le 22 novembre, la Mairie de Paris affiche ces slogans provocants, dans le but de dénoncer le harcèlement de rue. Une campagne qui souligne une nouvelle fois les inégalités entre les hommes et les femmes dans l'espace public.

En avril 2015, un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes révélait que 100% des utilisatrices des transports en commun ont vécu au moins une situation de harcèlement sexiste ou d’agression sexuelle. En 2013, une étude de l’Insee, cité par Envoyé Spécial, révélait que 25% des femmes âgées de 18 à 29 ans ont peur dans la rue. En novembre 2016 à Bordeaux, une étude intitulée “Femme et déplacement, montre que la “plupart des femmes se sentent en insécurité dans la ville”.

Régulièrement, dans l’actualité, les conclusions de ce type d’études nous rappellent que “l’espace public n’est pas neutre”, comme l’affirme Anne Hidalgo, la Maire de Paris, dans l’introduction du Guide Référentiel : Genre & Espace Public, élaboré par la mairie. Et le constat est le même aux quatre coins du monde. Au Chili, selon une étude réalisée en 2014 par l'Observatoire contre le harcèlement de rue (OCAC), 90% des femmes déclaraient avoir souffert de harcèlement sexuel. En Argentine, 94% des femmes affirmaient avoir reçu des commentaires sexuels dans la rue. En Inde, 4 femmes sur 5 ont déjà été sexuellement harcelées dans l’espace public…



En 2016, la ville n’est toujours pas un espace où chacun évolue en parfaite égalité, quel que soit son genre. Les femmes flânent difficilement dans les villes. “C’est important de montrer qu’elles ont un but précis, pour limiter la possibilité qu’on vienne vers elles”, expliquait Claire Gervais, urbaniste, au cours d’une conférence-atelier Quelle place pour les femmes dans la ville de demain? organisée par UrbanTrends le 29 novembre à Paris. Toutes les stratégies d’évitement sont donc utiles : faire semblant d’être au téléphone, d’écouter de la musique, porter des écouteurs et maîtriser son regard, qui “est une invitation”. La ville devenant ainsi une territoire d’évitement pour les femmes, un territoire de chasse pour les hommes.

Pistolets à eau, confettis, passage piétonne

Mais des initiatives plus importantes fleurissent à travers le monde. Womenability est une ONG qui a pour but de trouver des solutions pour une ville plus équitable. Elle a voyagé dans 17 pays pour identifier les bonnes pratiques, dont certaines sont particulièrement intéressantes. Dans la capitale de l’Uruguay, Montevideo, “72% des femmes se font harceler au moins une fois par semaine”, explique Audrey Noelter, urbaniste et social entrepreneure franco-américaine. Les femmes ont donc décidé de “s’armer” de… pistolets à eau. Elles arrosent leur harceleur en disant “l’eau sèche mais pas les paroles. Et la violence grandit en moi”. A Mexico, les femmes répliquent à grand coup de… confettis.

La reconquête de l’espace public par les femmes passe aussi concrètement par une banalisation de leur présence en ville. À Kaifeng, en Chine, des centaines de femmes vont danser dans l’espace public entre 19h et 20h. Mais le représentation symbolique compte aussi: à Wellington, en Nouvelle-Zélande, “le petit bonhomme vert des feux tricolores a été remplacé en suffragette”. A Vienne, une campagne de sensibilisation a également féminisé les “petits bonhommes” des panneaux du code de la route.



En Asie, Mumbai grouille d’initiatives qui ne manquent ni d’humour, ni d’audace. Des femmes réinvestissent les rues de la ville en pleine nuit en marchant ensemble. “On entendait des klaxons toutes les deux minutes. On sentait les regards. La police est même venue pour relever les identités et demander aux femmes de rentrer chez elles”, raconte Audrey Noelter. Lutter contre l’urine sur la voie publique fait aussi partie de la démarche des habitantes, et elles ont décidé de solliciter l’aide... des dieux. Des représentations de divinités ont été posées sur les murs pour décourager les hommes à se soulager n’importe où. Et les applications, comme SafeCity, permettent aussi aux femmes de localiser les agresseurs pour prévenir d’autres éventuels victimes.

Paris est en marche

Ce type d’applications pour smartphone existe également en France. Handsaway est la “première application mobile gratuite destinée lutter concrètement contre les agressions sexistes dont sont victimes les femmes dans l’espace public et dans les transports en commun”. Elle permet notamment d’alerter, de témoigner, ou encore de devenir un street angel, une personne qui reçoit les alertes des victimes d’agressions sexistes commises à proximité. L’application App-Elles permet d’alerter, de discuter ou d’agir.

Depuis le 22 novembre, la ville de Paris a lancé une nouvelle campagne. Affiches, cartes postales aux slogans un peu provocants : “Hé ! T’es bonne! Donne ton…06” ou “Ma jupe n’est pas une invitation”. Son objectif : montrer le “caractère inacceptable” du harcèlement de rue et déculpabiliser la victime. Mais le chemin est encore long pour effacer toutes les appréhensions des femmes. Lors de la découverte des pistolets à eau de Montevideo, le 29 novembre à Paris, les femmes présentes lors de la conférence-atelier ont réagi : “mais ici, si on arrose son harceleur, on risque de se faire agresser”.

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