Des Restos du coeur aux Banques alimentaires, la redistribution des invendus des enseignes ne date pas d'hier. Mais depuis trois ans, des entrepreneurs ont décidé de faire de ce problème de société un business. C'est le cas de la start-up Phenix qui signe une tribune montrant que la lutte anti-gaspi est devenue une affaire de pro... au bénéfice de tous.
Le 13 mars 1984, le journal La Croix publiait une tribune de Sœur Cécile Bigo intitulée "J’ai Faim". À l’époque où la pauvreté s’affichait dans la rue, elle dénonçait déjà l'aberration du gaspillage alimentaire. 30 ans plus tard, le constat est toujours aussi violent. Alors que 3,5 millions de personnes vivent de l'aide alimentaire en France, un tiers de la nourriture produite finit à la poubelle. Faut-il comprendre que rien n’a changé?
Au contraire, un puissant mouvement de plus de 500 associations, de start-ups et d'entrepreneurs sociaux ont repris le flambeau de la lutte contre le gaspillage alimentaire. Comment expliquer ce nouvel engouement? Le don alimentaire n’a pas été inventé par la loi Garot de 2016, obligeant la grande distribution à donner ses invendus alimentaires à des associations agréées. Sauf que ces dernières années, un réseau d’entrepreneurs a réussi à créer de la valeur économique à partir des déchets, insufflant au passage une dose d’innovation et d’efficacité dans la gestion des invendus.
Un alignement des planètes pour éclipser le gaspillage
Bien plus qu’une mode, ces nouvelles activités professionnelles constituent de véritables modèles d’avenir au confluent de plusieurs tendances de fond:
Premièrement, la mentalité des consommateurs a évolué. Le gâchis devient de moins en moins acceptable. Dans les rayons, les clients avisés et exigeants redoublent de vigilance vis-à-vis des engagements sociétaux affichés par les grandes marques.
La prise de conscience s’est étendue jusqu’aux producteurs. Avec l'avènement du concept d'économie circulaire, les surplus des uns deviennent la matière première des autres. En revalorisant les déchets, ces nouveaux acteurs économiques ont le mérite d’avoir rendu « sexy » un secteur loin d’être attractif.
Le contexte politico-réglementaire a largement contribué à la réussite de ces nouvelles activités, avec à la fois un dispositif fiscal favorable et une loi contre le gaspillage alimentaire qui a placé la France en leader européen sur le sujet.
Les médias ont en parallèle joué leur rôle de sensibilisation, en couvrant assez largement ce sujet de société au cours des trois dernières années.
La quête de sens des jeunes générations, et l’envie de participer à une cause utile, ont permis de recruter des talents créatifs, fers de lance de tout projet entrepreneurial novateur.
C’est enfin l’explosion de la tendance «start-up» (le boom de la #FrenchTech, des incubateurs, des hackathons et autres collaborations entre jeunes pousses) qui a facilité l’ascension des professionnels de l’anti-gaspi. Parmi eux, les entrepreneurs sociaux ont réussi à faire le trait d’union entre les structures marchandes traditionnelles et les acteurs associatifs poursuivant une mission d’intérêt général. Convaincus de la pertinence de ces modèles hybrides, nous sommes très fiers de les incarner au quotidien.
Un modèle économique où tout le monde est gagnant
Le business anti-gaspi est autant bénéfique pour les enseignes que pour les associations caritatives ou l'État. Si bien que tous trois ont intérêt à soutenir la solidarité et la lutte contre le gaspillage.
Grâce aux nouvelles solutions déployées, les magasins bénéficient de plusieurs briques d’expertise dans leur mécanique de gestion des produits. Des acteurs pionniers comme l’équipe de Zéro Gâchis accompagnent les enseignes pour mieux vendre à prix réduit des produits en date courte. Autre exemple, l’application TooGoodToGo réduit le gâchis en proposant à la vente à petit prix les restes des commerçants à la fermeture des cuisines. Enfin, les entreprises comme Phenix s’appliquent à consolider l’ensemble de l’écosystème en proposant des solutions clé en main pour valoriser les invendus auprès des acteurs de l'aide alimentaire.
Du côté des enseignes, les avantages économiques dépassent largement la réduction significative du volume de déchets jetés à la poubelle. Une récente étude montre que chaque euro investi par les entreprises dans la lutte contre le gaspillage génère 14€ de gain. Par exemple, les activités anti-gapsi permettent d’augmenter le chiffre d'affaire grâce à la vente promotionnelle des denrées dont la date limite de consommation est proche. Elles permettent aussi de participer activement à la lutte contre la précarité par le don aux associations —récompensé par une réduction d'impôt à la fin de l'année. Le tout autour d’un projet positif et fédérateur pour les équipes en magasin, et bénéfique pour l’image des enseignes (en venant concrétiser leurs politiques RSE parfois taxée de «Green Washing»).
L’Etat y trouve son compte, au-delà de l’impact sociétal. Une étude menée en 2016 par la Banque Alimentaire de Gironde mesure les gains économiques de la lutte contre le gaspillage pour les acteurs publics. Prenons l'exemple de l'action de Phenix : grâce à l’activité de l’entreprise, la collectivité territoriale a économisé des frais de gestion de déchets (3500 tonnes) et la somme équivalente aux repas distribués grâce aux invendus (4,2 millions). Ainsi, en 2016 l’entreprise a généré 15.5 millions d'euros d'impact social positif pour l'Etat, en tenant compte de l’emploi et des charges sociales liées à la masse salariale de notre entreprise (50 salariés). C'est donc bel et bien un investissement qui rapporte pour la Collectivité et qui place, par la même occasion, la France en référente exemplaire sur un sujet d’ordre mondial.
La nouvelle et prometteuse brigade anti-gaspi, dont nous avons l’honneur d’être l’une des têtes de file, incarne l’ambition d’une génération qui aspire à faire bouger les lignes: s’attaquer à des problématiques régaliennes d’intérêt général en faisant du business autrement. Aujourd’hui, nous espérons que notre trajectoire collective inspire d’autres initiatives. Il y a encore tant à inventer pour réduire le gaspillage. Nous faisons un appel du pied à la très médiatisée «société civile» qui semble plus que jamais déterminée à jouer un rôle clé au service de l’utilité publique.
Créée en 2014, l’entreprise sociale Phenix est spécialisée dans la seconde vie des produits. Elle collecte et redistribue les invendus alimentaires et non-alimentaires, issus notamment de la grande distribution et des petits commerces de proximité. Ses solutions logistiques permettent d'aider les entreprises à valoriser leurs déchets et d'approvisionner les associations qui n’ont pas les moyens de collecter les tonnes de produits jetés par les enseignes.
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