A compléter

Pour une liberté de panorama à 360°

Depuis près d'un an, Wikimédia France lutte pour que le droit français autorise le libre partage sur internet des photographies de bâtiments présents dans l'espace public.

Un selfie devant la pyramide du Louvre publié sur Facebook ?Une photo des rues du Havre pour illustrer Wikipédia ? Vous l’ignoriez peut-être, mais tout cela est illégal.

Bien que ces éléments d'architecture aient été conçus pour se trouver dans l'espace public, bien qu'ils aient été financés sur fonds publics, les citoyens n'ont pas le droit de les reproduire. Ainsi, vous faites peut-être partie des nombreux «contrefacteurs» qui n'imaginent pas qu'une disposition législative aussi saugrenue puisse encore exister.

Il faut savoir que ces constructions sont soumises au droit d'auteur, et ce, jusqu'à 70 ans après la mort de leur créateur. Aussi, pour pouvoir publier leur reproduction sur internet dans le respect de la loi, il vous faut recueillir l'autorisation préalable et vous acquitter des droits afférents.

Tel est l'état actuel du droit français. Dans 82% des États membres de l'Union européenne, ce n'est pas le cas. Ces derniers ont largementadopté la liberté de panorama, c'est-à-dire la possibilité de reproduire librement, sur internet, une sculpture ou un bâtiment récents, pour peu que l’œuvre se situe dans l'espace public.

Conformément à son objectif social de partage du savoir, Wikimédia France œuvre depuis près d'un an pour voir inscrire ce dispositif dans le cadre de l'élaboration du projet de loi «pour une République numérique».

 

À l’Assemblée, une fausse liberté de panorama

Lors de la consultation citoyenne de ce projet de loi, notre proposition s'est placée en 8ème position de celles les plus votées favorablement. Pourtant, le gouvernement n'a pas souhaité la retenir dans le projet soumis à l'Assemblée.

C'est sous forme d'amendement que cette exception au droit d'auteur est revenue dans le débat, pour finalement être adoptée sous la forme suivante : l'auteur ne peut interdire «les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des particuliers à des fins non lucratives».

L’amendement est en fait inopérant, délimitant la liberté de panorama à un usage «non lucratif». Une mention très problématique, car la frontière entre le commercial et le non-commercial est extrêmement difficile à cerner sur internet.

Le mouvement Wikimédia, par exemple, ne monnaie absolument pas les contenus présents sur les projets (WikipédiaWikimédia CommonsWiktionnaire, etc.). En revanche, les licences utilisées (CC-BY-SA) prévoient la potentielle réutilisation des clichés à des fins commerciales, afin de permettre une plus grande diffusion de la connaissance. Autre cas : en créant un compte Facebook, vous avez autorisé le réseau social à utiliser vos photos à des fins commerciales

Par conséquent, ce texte ne change rien et fait peser un risque juridique sur tout un chacun. C'est en raison de ce constat que 74% des États membres de l'Union européenne (sur les 82% ayant adopté la liberté de panorama) permettent une exception commerciale.

 

Les bâtiments anciens aussi concernés

Jusqu'à aujourd'hui, le problème ne se posait que pour les sculptures et bâtiments récents. Or, depuis le 22 mars 2016, les sénateurs ont considérablement aggravé la situation en envisageant d'attribuer aux bâtiments du domaine national (comme le château de Versailles) un tout nouveau droit à l'image, qui bénéficierait ad vitam æternam au gestionnaire de ce bien, faisant fi de la logique du droit d’auteur.

Si l’on s’en tient à l’article L111-3 du Code de la propriété intellectuelle, l’acquéreur d’un objet ou d’une œuvre n’est investi d’aucun des droits d’auteur puisqu’il n’a jamais participé à sa création. Mais dorénavant, pour diffuser la photographie d'un bâtiment ancien, il faudrait demander l'autorisation au gestionnaire du bien, et payer un droit à ce dernier.

Dans le cadre de ces deux lois discutées, les sénateurs sont aujourd'hui face à un vrai choix de société. L’adoption d’une liberté de panorama effective représenterait une véritable avancée sociétale et entraînerait de nombreux bénéfices, à la fois pour les architectes, les photographes et le grand public.

La loi ne doit pas être écrite en cédant au chantage de quelques sociétés qui sont prêtes à sacrifier la renommée des auteurs et le partage de la connaissance pour une petite quantité d’argent hypothétique. Au contraire, elle doit être élaborée de façon à permettre au maximum de citoyens d’être protégés et de pouvoir pleinement disposer d’un domaine qui leur est dédié : l’espace public.

 

Nathalie Martin
Directrice exécutive de Wikimédia France
@NMWFr

Christophe Henner
Président de Wikimédia France
@schiste

 

Les débats en séance auront lieu du 26 avril au 3 mai. Il est encore temps de se mobiliser, notamment en signant et partageant cette pétition.

 

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NUMÉRO 66 : OCTOBRE-NOVEMBRE 2024:
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