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Mutation du travail : les Chief Freelance Officers sont-ils les DRH de demain?

Aujourd'hui, les entreprises externalisent un nombre croissant de tâches et ont pour cela recours au travail de freelances. Comment collaborent-elles avec ces travailleurs « hors de contrôle » ? Comment adaptent-elles leur organisation et leur management en conséquence ? Le point sur les nouveaux visages de l'entreprise.

Avec la montée en puissance des freelances et l’externalisation croissante des tâches, les frontières de l’entreprise s’étendent désormais bien au-delà du salariat traditionnel. Dans ce contexte, les entreprises se doivent de revoir leur mode de fonctionnement. « Avec les freelances, il n’est plus possible d’organiser le travail et de manager comme à l’époque du fordisme », explique Laetitia Vitaud, auteure d’une étude sur le sujet. Lors de ses recherches, elle a constaté que les « meilleurs talents » se trouvent aujourd’hui parmi les freelances, car ces derniers semblent s’adapter et innover plus facilement que les salariés dans une économie transformée par le numérique.

Cet article a été initialement publié dans le hors-série "Moi freelance", paru en mai 2018. Retrouvez-le sur notre boutique.

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Pour des entreprises en mutation, avoir accès aux meilleurs iPros et savoir travailler avec eux risque de devenir une question de survie, en plus d’être un moyen de se réinventer et d’innover », analyse Hind Elidrissi, cofondatrice de Wemind, une start-up qui propose une mutuelle destinée aux freelances.

 

Manager et organiser l’entreprise autrement

 

Avec le numérique, les entreprises sont capables d’externaliser un grand nombre de tâches en les confiant à des freelances. Cela leur coûte moins cher que de chercher en interne des personnes à compétences égales ou de recruter un salarié, même en CDD. Pour attirer ces indépendants, les organisations n’ont d’autre choix que de s’adapter à eux, quitte à changer radicalement leur façon de faire.

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Le travail en mode projet et l’agilité, qui répondent au besoin d’indépendance des freelances, deviennent les maîtres-mots. Petit à petit, les iPros poussent les organisations à changer leur façon de manager... même si cela s’opère parfois difficilement dans certains groupes, en raison d’une culture de la hiérarchiebien ancrée », constate Laetitia Vitaud.

Face à des équipes dont la moitié des membres se trouvent à l’extérieur de l’entreprise, la façon de gérer les personnes est nécessairement repensée. Comment faire travailler ensemble des gens d’horizons différents ? Comment intégrer ces contributeurs externes, pour qui le sens de ce qu’ils font prime sur le reste ? « D’abord en repensant la gestion d’équipes autour de l’épanouissement des individus, qu’il s’agisse des freelances ou des salariés », répond Hind Elidrissi.

 

Théorie Y vs. théorie X



Pour remplacer le management tayloriste traditionnel, l’idée est notamment de développer l’autonomie des collaborateurs. « Un nombre croissant de sociétés adopte la théorie Y de l’économiste américain Douglas McGregor , qui s’oppose à la théorie X (le dirigisme conventionnel) et qui repose sur l’auto-organisation et le fait de donner davantage de responsabilités aux collaborateurs », explique Laetitia Vitaud.

Les freelances inciteraient ainsi les entreprises à adopter un management favorisant l’autonomie, la créativité et les responsabilités comme au bon vieux temps de la « logique artisanale », lorsque les travailleurs «
appréciaient et recherchaient la liberté d’accomplir leurs gestes. » Pour Vincent Huguet (cofondateur de Malt, une plateforme qui met en relation freelances et entreprises), c’est non seulement «  ce à quoi aspirent les indépendants, mais aussi les salariés, qui rejettent de plus en plus la hiérarchie et le travail morcelé. »

Le recours croissant aux freelances contraint les entreprises à adapter leur organisation globale. « Face à des indépendants que l’on ne peut plus contrôler et qui ne sont plus avec nous en permanence (grâce au numérique), l’espace et le temps de travail éclatent, remarque Laetitia Vitaud. Par ailleurs, pour recruter certains profils talentueux, les organisations sont obligées de leur ménager des horaires et des lieux de travail plus flexibles », ajoute-t-elle.

Dans ce contexte, impossible de ne pas faire de même avec les salariés en leur proposant davantage de flexibilité, tant pour leur temps que pour leurs espaces de travail. Télétravail, bureaux nomades, fin du pointage : aujourd’hui, les entreprises connaissent un bouleversement jusque dans leur structure même. Les iPros, qui savent évoluer hors des unités de temps et d’espaces classiques, pourraient bien aider les organisations à s’affranchir de leurs anciens cadres. Et peut-être aussi à répondre aux attentes de leurs salariés.

 

Des Chief Freelance Officers ?

 

L’essor des freelances enjoint les entreprises à repenser leur gestion des ressources humaines. « Dans un contexte où les organisations se disputent les mêmes profils, il devient primordial de savoir les attirer et les fidéliser », analyse Laetitia Vitaud. Il est vrai que, d’un point de vue formel, les iPros ne dépendent pas des DRH mais de la direction des achats puisque leurs prestations font l’objet d’un bon de commande et de tarifs à négocier.

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Mais il s’avère difficile de gérer ces indépendants de la même façon que des prestataires externes travaillant dans des ESN (entreprises de services du numérique) ou des agences d’interim : leur recrutement et leur fidélisation n’entre pas dans le champ de compétences des achats, mais plutôt dans celui des RH », indique l’experte.

Voilà pourquoi nombre de médias américains, à commencer par Fast Company
, annoncent la création d’un nouveau poste dans les entreprises, à la frontière entre ressources humaines et achat de prestations, entre commerce et marketing RH : le Chief Freelance Officer (CFO). Un chargé des relations avec les freelances, qui aurait pour mission de les recruter au sein d’une pépinière de talents, puis de les fidéliser (en les payant en temps et en heure, en les écoutant, en leur garantissant de l’autonomie dans leur travail, et en les intégrant dans les équipes - par exemple en les invitant dans les locaux ou en leur fournissant un accès aux ressources de l’entreprise).

 

"Le CFO est un buzz word"



Pour l’instant, cette figure du CFO semble n’être qu’un produit de l’imaginaire des prospectivistes et peine à se matérialiser dans les entreprises. À Strasbourg, Muriel Ancel, qui se décrit volontiers comme une Chief Freelance Officer, travaille en réalité dans un organisme de portage salarial, donc à l’extérieur des entreprises. « Actuellement, ce sont les RH qui incarnent essentiellement ce rôle, avec plus ou moins de succès, car ils ne disposent pas toujours des connaissances en freelancing nécessaires », reconnaît-elle.

 

Ne serait-il pas finalement plus simple d’élargir le portfolio de compétences du DRH ou du directeur des achats ? Pour Charles Thomas, cofondateur de Comet (une start-up qui connecte les freelances techs aux entreprises), le plus important est ailleurs : « le CFO est un buzz word. Cependant, derrière ça il y a l’idée qu’il faut traiter les iPros différemment des salariés mais sans les mettre à part, en les appréhendant comme des ressources humaines à part entière ».

 


 

 

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