A compléter

[Mad Men #1] Lutter contre le harcèlemenent et le sexisme par le Tumblr

Après le scandale des femmes agressées à Cologne et autres remous au Sénat français sur la question du harcèlement sexiste dans les transports, Socialter dit non à toute forme de sexisme. Parce que c'est une lutte de chaque instant, nous vous avons concocté une série d'articles consacrée à des initiatives qui veulent y mettre fin. "Mad Men", premier épisode.

Pourquoi moi ?”, se demande celle qui se fait interpeller pour la énième fois. Bien souvent, la question reste sans réponse. En fait, si : tu es une femme. Voilà pourquoi. Bienvenue dans un jeu de société ouvert de 7 à 77 ans, pour les blondes, les brunes, les métisses, les grandes, les petites, les mères, les ados, les maquillées, les négligées, celles en tailleur ou en jogging. Ils ne font pas les difficiles, les harceleurs de la rue, ils les ciblent toutes.

Partout, et tout le temps. Sur un quai de gare en plein après-midi, à la sortie du métro un soir de week-end, à Paris, Lille, Grenoble, Rennes ou Lyon. Nous n’inventons rien : c’est ce que nous indiquent les derniers “témoignages de harcèlement sexiste dans l’espace public” recueillis sur les pages de Paye Ta Shnek. D’une écriture ronde rose bonbon sur fond blanc immaculé, le Tumblr recense des phrases obscènes entendues dans les espaces publics, notamment les transports en commun. L’ampleur et la variété des histoires sont impressionnantes. On va du “soft” presque créatif (“celle-là je lui contrôlerais bien son ticket de métro”) à du vraiment dégueulasse, qu’on préfère vous épargner ici.

 


Le paradoxe du harcèlement sexiste, c’est que le phénomène est tellement fréquent qu’il en est banalisé. Rares sont celles qui portent plainte, par sentiment d’impuissance peut-être, parce qu’elles sont trop habituées ou parce qu’elles ignorent même qu’il s’agit d’actes graves. “
Toutes les utilisatrices des transports ont déjà été victimes, mais toutes ne l’ont pas identifié comme tel”, indique le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) dans son Avis sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun d’avril 2015. Si tout n’est pas encore puni par la loi (voir lexique plus bas), de plus en plus d’initiatives féministes, redoublant de créativité, luttent contre ce fléau quotidien sur la toile.

Le premier combat est ambitieux : changer les mentalités. Facile à dire, plus compliqué à faire. On l’aura compris avec un tel nom, Paye Ta Shnek a opté pour la crue réalité des mots ; d’autres choisissent l’humour. Le 1er février, le célèbre site d’information parodique Le Gorafi a lancé une version féminine défiant les clichés sexistes : Madame Gorafi. Avec ironie, eux aussi prennent le phénomène à bras-le-corps, en proposant “5 chansons à écouter pendant que vous vous faites harceler”. Pourquoi pas Saint Claude de Christine and The Queens ? “Une chanson énergique : pratique pour courir ! Oui, on ne sait jamais quand il y a un homme qui commence à vous toucher les fesses dans les parages”.



Le “
jumeau maléfique” du Madame Figaro n’a pas convaincu tout le monde. Faut-il vraiment utiliser des blagues misogynes pour mieux dénoncer le problème ? On ne rit certes pas de tout, mais l’initiative a pour mérite de pointer du doigt l’absurdité de certains comportements, voire du sexisme latent de certains magazines féminins qui contribuent parfois eux-mêmes à véhiculer des stéréotypes dépassés. Au XXIe siècle, en lisant Cosmopolitan, on pourrait encore croire que la femme n’a que le choix entre être “plan-plan ou plan cul”. Pas vraiment de quoi redorer l’image du sexe féminin (à la limite seulement celle du sexe tout court).



De plus en plus d’internautes, révoltés par le sexisme ordinaire, passent également à l’action, avec des Tumblr comme celui de cette “
urbaine et citoyenne, autrement moins bête que ce dont la communication contemporaine essaye de la convaincre”. À coups de captures d'écran de publicités et autres publications Facebook qui pourraient laisser croire le contraire, elle nous rappelle que les femmes aussi ont un cerveau. Bon à savoir.

Avec son Projet Crocodiles, Thomas Mathieu a, lui, décidé de rassembler des témoignages sous forme de bandes dessinées. À partir d’histoires vraies qu’on lui a soumises, le dessinateur a illustré tous les hommes par des figures de crocodiles. Une “métaphore un peu cliché du dragueur prédateur”, concède-t-il dans une réponse au magazine Madmoizelle, “même les types sympas sont montrés en crocodiles, tout comme ils jouissent de certains privilèges, sans même s’en rendre compte”.

 


Cela fait donc plusieurs années déjà que la Tumblr-sphère s’anime contre le sexisme. Le gouvernement a accepté d’y mettre du sien en soutenant au début du mois une campagne du collectif Toutes Femmes Toutes Communicantes, s’attaquant aux clichés sexistes sévissant dans le monde de la publicité, avec une vidéo intitulée “No More Clichés”, accompagnée d’un hashtag du même nom sur les réseaux sociaux. Pour suivre la tendance, un Tumblr (encore un), décoré du logo ministériel, a également vu le jour.

Une belle résolution 2016, quelque peu ébranlée par le remaniement du 11 février. La cause féministe est désormais l’affaire du “ministère de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes”. Le nouvel intitulé n’a pas manqué de faire réagir, l’association Osez le féminisme! dénonçant une absence de volonté politique en matière de droits des femmes, “subalternes à la question de la famille et des enfants”. Un pas en avant, deux pas en arrière...

 


Lexique : mieux comprendre pour mieux dénoncer

Sexisme. Terme calqué sur celui de “racisme”, c’est une croyance sur l’infériorité présumée d’un groupe d’humains, en l’occurrence en raison de son sexe. Un sacré gros groupe, si cela désigne tous ceux du sexe opposé. Si l’on s’en tient à cette définition, ce n’est pas à proprement parler de la “discrimination” ; cela le devient lorsqu’on transforme ces croyances en un système social inégalitaire. Inversement, on peut n’être pas sexiste mais avoir un comportement discriminatoire : lorsqu’on préfère employer un homme parce qu’on sait qu’il ne tombera pas enceinte, par exemple, on n’est pas en train de nier la dignité de la femme qui s’est fait recaler. N’empêche, ça lui fait une belle jambe de le savoir.


Sexisme ordinaire. 
Ce sont tous les stéréotypes et représentations collectives qui se traduisent par des mots, des gestes, des comportements ou des actes qui dévalorisent, marginalisent ou infériorisent. Pour reprendre les mots de Brigitte Grésy, c’est “un univers singulier : on est dans le signe qui rejette, la parole qui exclut, le sourire qui infantilise”, “toutes ces petites flèches qui excluent les femmes parce qu’elles sont des femmes, en les ramenant à leur biologie”. Un univers singulier qu’on retrouve au quotidien, lorsqu’un collègue accepte de “laisser la parole à la petite” ou la rassure : “Tu n’as qu’à mettre un décolleté et le tour est joué”.


Sexisme bienveillant. 
Fondé sur l’idée que les femmes sont des êtres fragiles qu’il faut protéger et chérir, c’est une attitude sexiste qui participe tout autant à l’infériorisation du “sexe faible”. Il est subtil, parce qu’il se pare de bonne intention : et que je te tienne la porte, et que je porte tes cartons, et que je complimente ta bonne mine du jour. La galanterie peut vite friser la condescendance, et ces petites attentions peuvent avoir des conséquences aussi négatives qu’un sexisme hostile pur et dur. Parce qu’elle se dit qu’elle n’en est pas capable toute seule, qu’elle doit se faire aider des hommes pour réussir, parce qu’elle en arrive à penser qu’elle n’est appréciée que pour son physique. Bref, remplacer un sexisme par un autre, une très fausse bonne idée.


Harcèlement sexiste.
 Aussi connu comme “harcèlement de rue”, c’est une notion très étendue, qui englobe tout propos ou comportement qu’on impose dans l’espace public à une personne simplement parce qu’elle est de tel sexe, de telle orientation ou identité sexuelle. Cela va des sifflements ou des commentaires douteux sur le physique (non punis par la loi) à des injures (punies par la loi). “Mademoiselle, t’es bonne” n’est donc pas juridiquement passible de sanction, mais oui, c’est du harcèlement. Non pas un compliment.


Harcèlement sexuel.
 Le propos ou le comportement va là jusqu’à avoir une connotation sexuelle, plaçant la victime dans une situation dégradante ou humiliante. User d’une forme de pression grave dans le but d’obtenir un acte de nature sexuelle, même de façon non répétée, est aussi assimilé à du harcèlement sexuel. Pas de tolérance dans ce cas-là : la loi punit de 2 ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende minimum. Le harcèlement sexuel est parfois une forme de harcèlement sexiste. Les deux peuvent de toute façon mener à la...


Violence sexuelle.
 La frontière est ténue entre harcèlement et violence. “Une même agression peut commencer par du harcèlement sexiste et se poursuivre par des violences sexuelles”, souligne le HCefh dans son Avis d’avril 2015. Il s’agit de toute atteinte sexuelle commise par un individu sans le consentement de la personne agressée, sous contrainte physique ou morale, par menace ou par surprise. La main aux fesses en passant, le frottement discret dans le métro ou la ruse de faire trop boire son rendez-vous galant pour “l’attaquer” en état d’alcoolémie, sont considérés comme des agressions, au même titre que les attouchements, les caresses sexuelles ou le viol (néanmoins traité différemment par la loi, car on passe dès lors de la catégorie “délit” à celle de “crime”).


Le HCefh définit les phénomènes de harcèlement et de violences sexuelles dans l’espace public comme des “manifestations du sexisme”. Des croyances aux actes, chacun devrait savoir reconnaître ces formes d’inégalités et les dénoncer.

 

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